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Date : 20190423


Dossier : IMM-2974-18

Référence : 2019 CF 502

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

JIANJIA TAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Jianjia Tan [le demandeur] au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] Le demandeur affirme que, à titre d’adepte du Falun Gong, il craint d’être persécuté par le Bureau de la sécurité publique [PSB] en Chine.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur est né dans les environs de la ville de Guangzhou, en Chine, le ou vers le 7 juillet 1980.

[4]  Le 27 janvier 2011, son père est décédé soudainement d’une crise cardiaque. Le demandeur a indiqué qu’à la suite du décès de son père, il a souffert d’insomnie, de dépression et de fatigue. Le demandeur travaillait de longues journées en tant que facteur, ce qui lui causait [traduction« quotidiennement des douleurs aux épaules et aux muscles des bras ». Le demandeur a obtenu des résultats mitigés en médecine allopathique, en naturopathie et en médecine traditionnelle chinoise, mais ni l’une ni l’autre ne lui a apporté la guérison recherchée.

[5]  En raison de ces résultats mitigés, le demandeur a affirmé que son ami, Xiao Zhenhong [Xiao] lui avait fait découvrir la pratique du Falun Gong et qu’il l’avait invité à se joindre au groupe de pratique. Le demandeur a déclaré que, malgré son malaise à l’idée de commencer à pratiquer le Falun Gong en raison de l’illégalité de cette pratique, son ami l’avait rassuré, en lui mentionnant que ce groupe prenait des précautions particulières.

[6]  Après avoir commencé à pratiquer le Falun Gong, le demandeur a constaté que sa santé s’est améliorée. Le demandeur a déclaré qu’il était plus heureux et qu’il avait arrêté de fumer. Le demandeur aurait aussi invité son ami Li Lin à se joindre au groupe de pratique.

[7]  Selon le demandeur, le PSB aurait trouvé le groupe de pratique le 3 juin 2012. Le demandeur agissait apparemment à titre de vigie à l’arrivée du PSB, et il aurait donc été en mesure d’aller se réfugier chez son oncle. Le 6 juin 2012, la mère du demandeur l’a avisé que le PSB était venu chez elle à la recherche du demandeur. Le demandeur a été en mesure de trouver un passeur, et avec l’aide de ce dernier, de fuir la Chine vers le Canada, où il a présenté une demande d’asile.

[8]  En route vers le Canada, le demandeur a fait une escale à San Francisco, sans toutefois présenter une demande d’asile aux États-Unis [É.-U.]. Il a fui vers les États-Unis en utilisant un visa américain obtenu de façon frauduleuse.

[9]  Au cours de cette période transitoire de six ans, le demandeur a apparemment continué à pratiquer le Falun Gong à Toronto, en intégrant les exercices à sa routine quotidienne, en étudiant la philosophie Falun Gong et en assistant à bon nombre d’événements et de manifestations en faveur du mouvement Falun Gong.

[10]  Le demandeur soutient que le PSB continue de se présenter chez lui chaque année dans l’espoir de le trouver et que plusieurs de ses camarades du groupe de pratique ont été arrêtés.

[11]  La SPR a entendu la cause du demandeur le 16 avril 2018 et le 30 mai 2018. Le demandeur a reçu l’aide d’un avocat et d’un interprète cantonais tout au long des deux audiences.

[12]  Le 5 juin 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

III.  La question en litige

[13]  La décision de la commissaire de la SPR est-elle raisonnable?

IV.  La norme de contrôle

[14]  Dans ces circonstances, une décision de la SPR peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément au paragraphe 16 de la décision Krishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1203.

V.  Analyse

[15]  Le demandeur formule deux arguments principaux. Premièrement, il soutient que la commissaire de la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité. Deuxièmement, le demandeur soutient que la commissaire de la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile présentée sur place.

A.  Crédibilité

[16]  Le demandeur soutient qu’il existe cinq questions concernant la crédibilité dans le cadre de la présente demande. Les cinq questions portent sur les conclusions ci-dessous entourant la vraisemblance, la citation à comparaître, son passeport, le fait que sa famille ne subit pas de préjudice et la conclusion selon laquelle il n’est pas réellement un adepte du Falun Gong.

[17]  Selon le demandeur, la commissaire de la SPR a commis une erreur en tirant les conclusions suivantes dans son évaluation de la crédibilité.

(1)  Conclusions concernant la vraisemblance

[18]  En ce qui concerne l’endroit où se déroulaient les séances de groupe, le demandeur avance qu’une raison valable a été fournie pour expliquer la déclaration contradictoire : une erreur de traduction. La commissaire de la SPR a rejeté cette explication sans donner de motifs.

[19]  En ce qui concerne les propos de sa mère quant aux allégations contre lui, le demandeur soutient que six ans après les faits, il est possible qu’il ait de la difficulté de souvenir avec précision de ce que sa mère lui a dit à ce sujet.

[20]  Quant à la question de savoir si les actions alléguées du PSB concordaient avec sa « réputation d’être une force professionnelle et acharnée », le demandeur soutient que la SPR a conjecturé au sujet des actions du PSB sans consulter les éléments de preuve pour appuyer sa conclusion. Le fait d’être une « force professionnelle et acharnée » n’est pas nécessairement indicatif du nombre d’endroits où le PSB chercherait le demandeur ou de la façon dont il agirait à l’égard du demandeur.

(2)  Citation à comparaître

[21]  Le demandeur prétend que la commissaire de la SPR a commis une erreur en concluant que la citation à comparaître était frauduleuse. Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur la possibilité d’obtenir des documents frauduleux en Chine et en accordant peu de poids à la citation à comparaître en raison de cette possibilité générale.

[22]  Le demandeur s’appuie sur les motifs du juge Campbell dans l’affaire Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400, dans lesquels le juge déclare que le fait de simplement évoquer l’accessibilité généralisée à des documents frauduleux en Chine à titre de motif pour refuser d’admettre un élément de preuve pourrait constituer une erreur susceptible de contrôle dans le traitement des documents justificatifs.

[23]  Le demandeur affirme ensuite que la SPR n’a pas appliqué la présomption de véracité aux documents en l’espèce. Compte tenu de l’importance du document pour la sécurité potentielle du demandeur, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en le rejetant.

[24]  En contradiction avec les conclusions de la commissaire de la SPR, le demandeur soutient que le seau rouge se trouvant sur le document est un gage de l’authenticité de la citation à comparaître. Le demandeur soutient que la décision de la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877 [Zheng], appuie cette hypothèse.

[25]  Le demandeur affirme que rien n’indique que la SPR a décelé chez le demandeur l’intention de fournir des documents frauduleux.

(3)  Passeport

[26]  Le demandeur avance que la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’aurait pas été en mesure de quitter la Chine à l’aide de son propre passeport s’il était recherché par les autorités. Selon lui, c’est une erreur de conclure que l’obtention du passeport qui précède de peu la descente est une coïncidence qui [traduction« n’est pas vraisemblable ». Le demandeur affirme en outre que, étant donné qu’il recevait l’aide d’un passeur qui était en théorie capable de verser des pots-de-vin, la jurisprudence de la Cour porte à croire qu’il serait vraisemblable qu’il ait réussi à fuir avec son propre passeport.

(4)  Absence de représailles contre la famille

[27]  Dans ses arguments, le demandeur laisse entendre que la commissaire de la SPR a commis une erreur dans son évaluation quant à l’absence de représailles à l’encontre de la famille du demandeur.

[28]  Premièrement, le demandeur affirme que les visites continuelles du PSB à sa famille constituent une forme de harcèlement et une forme de représailles en soi (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 7319).

[29]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la preuve sur laquelle la SPR s’est fondée au sujet des représailles indique clairement que [traduction« le chargé de cours a fait remarquer qu’il n’avait pas vu de situation précise où des membres de la famille d’adeptes du Falun Gong ont été “traqués” ou ciblés par les autorités ».

(5)  Adepte du Falun Gong

[30]  Le demandeur conteste particulièrement la conclusion selon laquelle il n’a jamais été un adepte du Falun Gong et qu’il ne l’est toujours pas en ce moment.

[31]  Le demandeur soutient que l’opinion de la SPR sur sa foi relève de la pure conjecture. Premièrement, le demandeur n’a aucun contrôle sur le fait que la commissaire de la SPR a l’impression que les réponses à ses questions semblent « préparées ». Ce qui est incontestable, selon le demandeur, c’est que le demandeur a démontré une connaissance satisfaisante du Falun Gong; il ajoute que le fait de donner une réponse « évidente » à une question sur le sens de la vérité sans entrer dans les détails ne devrait pas entacher sa crédibilité. Enfin, la commissaire de la SPR avait des attentes déraisonnables à l’égard des efforts que le demandeur devait déployer pour prouver sa foi. En effet, la commissaire a affirmé qu’elle pourrait être convaincue de la foi du demandeur s’il pratiquait le Falun Gong six ans après avoir obtenu sa résidence permanente.

[32]  Le demandeur fait valoir que le seuil établi par la jurisprudence en ce qui a trait à la preuve de connaissance d’une religion est très bas et que la commissaire de la SPR a omis de tenir compte de cette réalité.

[33]  Le demandeur soutient que la commissaire de la SPR a commis une erreur en accordant peu de poids aux lettres d’appui au demandeur qui ont été rédigées par plusieurs adeptes du Falun Gong, puisqu’elles ne peuvent rien prouver au sujet de sa motivation. Selon lui, les lettres servent à attester qu’il est un véritable adepte, et non pas les raisons pour lesquels il en est un. Bien évidemment, dans le cadre d’une demande d’asile sur place, la question d’être un véritable adepte est bien plus importante que les raisons précises pour lesquelles il est un adepte. Par conséquent, il affirme que l’évaluation de sa demande d’asile sur place et de la raison première pour laquelle il a joint le mouvement du Falun Gong constitue une erreur susceptible de contrôle.

[34]  La SPR est bien placée pour apprécier la crédibilité et connaît bien la preuve documentaire relative à la situation du pays sur laquelle elle s’appuie lorsqu’elle examine des arguments de nature semblable. Les conclusions de la SPR au regard de la crédibilité appellent une grande retenue.

[35]  Bien qu’à l’audience, il y a eu conjecture sur des questions hypothétiques ou sur celle de savoir pourquoi une incohérence est survenue, une telle chose ne relève pas de notre champ de compétence en tant que tribunal de révision. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient raisonnables et la décision était appuyée par des éléments de preuve. Je ne suis pas d’accord pour dire que des erreurs ont été commises dans les nombreuses conclusions quant à la crédibilité du demandeur.

[36]  Dans sa décision, la commissaire de la SPR a conclu que le demandeur avait fait de nombreuses déclarations contradictoires et omissions. Plus précisément :

  • La SPR a conclu qu’il y avait une incohérence au sujet de l’endroit où se déroulaient les séances de groupe entre le témoignage de vive voix du demandeur et son Formulaire de renseignements personnels [FRP]. Plus précisément, le demandeur affirme dans son FRP que le jour de la descente du PSB, leur séance avait lieu chez Xiao, alors dans que son témoignage de vive voix, le demandeur a indiqué qu’il s’agissait d’une erreur de l’interprète, que toutes les pratiques de groupe se déroulaient en fait chez Yao pendant les dix mois où il pratiquait le Falun Gong en Chine. Toutefois, Yao n’est mentionné à aucun endroit dans le FRP;
  • Dans le FRP, sa mère a indiqué que le PSB avait accusé le demandeur d’être un adepte important du Falun Gong; toutefois, il n’a pas fait mention de ces accusations dans son témoignage de vive voix;
  • Le demandeur a fourni des témoignages contradictoires quant à la façon dont ses amis ont été arrêtés et sur ce qui leur était arrivé. La SPR n’a pas trouvé son explication crédible;
  • Le demandeur a déclaré qu’un mois après la descente, le PSB se rendait très fréquemment chez lui afin de le trouver. Cette information ne figurait pas dans le FRP. Lorsque cette omission a été signalée au demandeur, il s’est dit surpris d’apprendre que l’information ne se trouvait pas dans le FRP;
  • Peu de poids a donc été accordé à la citation à comparaître délivrée par le PSB. La raison était que la citation à comparaître se trouvait sur un simple morceau de papier, qu’elle ne comportait pas les caractéristiques de sécurité appropriées, que le demandeur avait démontré qu’il avait « accès à des documents frauduleux » puisqu’il a admis avoir obtenu un visa américain avec de fausses informations et qu’il est facile d’obtenir de faux documents en Chine;
  • Le récit du demandeur quant à sa fuite de la Chine était invraisemblable. La SPR a déclaré que le fait que le demandeur ait obtenu un passeport juste avant la descente était une coïncidence beaucoup trop grande et que l’infrastructure de sécurité publique en place à l’époque aurait fait en sorte que le demandeur se serait fait prendre à essayer de quitter la Chine avec son propre passeport;
  • Le fait qu’il n’y a pas eu de représailles contre la famille du demandeur pendant son absence. La SPR laisse entendre que si le demandeur avait dit la vérité, le PSB aurait fait subir des représailles à sa famille, comme l’illustre la preuve documentaire objective sur le pays.
  • Bien que le demandeur ait été en mesure de répondre à un certain nombre de questions sur sa pratique religieuse, « bon nombre de ses réponses semblaient avoir été apprises par cœur » et ne contenaient pas beaucoup de détails sur la question sur l’importance de la vérité, lesquels auraient pu convaincre la commissaire de la SPR de la crédibilité du demandeur;
  • La commissaire de la SPR a rejeté toutes les lettres d’appui des adeptes qui indiquaient qu’il était un véritable adepte du Falun Gong, puisque les lettres ne peuvent attester des motivations du demandeur;
  • À partir du fait que le demandeur a participé à une manifestation de Falun Gong devant le consulat chinois, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur essayait délibérément de fabriquer de toute pièce sa propre demande d’asile sur place.

[37]  Je ne crois pas que les erreurs alléguées par le demandeur sont réellement des erreurs. J’estime au contraire que les conclusions de la SPR sont étayées par des éléments de preuve (voir le paragraphe 20 ci-dessus) et qu’elles sont raisonnables.

[38]  Je n’aborderai pas chacun des arguments volumineux du demandeur, puisqu’ils peuvent être traités au moyen d’une seule conclusion, soit celle selon laquelle le demandeur n’aimait pas les conclusions tirées par la SPR ou le poids qu’elle a accordé aux éléments de preuve. Je conclus plutôt que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Je vais cependant faire une exception et aborder l’argument lié au seau de sécurité rouge qui figure sur la citation à comparaître.

[39]  Le demandeur a fourni de la jurisprudence prouvant que le seau rouge était une caractéristique de sécurité, alors que la commissaire de la SPR avait conclu que la citation à comparaître n’était dotée d’aucune caractéristique de sécurité. Dans la décision Zheng, précitée, la juge Tremblay-Lamer a conclu aux paragraphes 18 et 19 que la commission avait commis une erreur en n’examinant pas correctement les documents et en concluant ainsi qu’ils ne disposaient pas de caractéristiques de sécurité, alors que les documents comportaient en fait des étampes officielles qui faisaient office de caractéristiques de sécurité.

[40]  Cette conclusion ne s’applique pas aux faits en l’espèce, puisque la commissaire de la SPR avait de nombreuses raisons d’accorder peu de poids à la citation à comparaître, et l’absence d’un seau rouge n’en était qu’une parmi tant d’autres. La Cour ne modifiera pas la conclusion tirée quant au poids à accorder à ce document.  

[41]  Dans la décision Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, la juge Gleason a déclaré ce qui suit au paragraphe 14, reprenant les propos formulés par le juge Zinn dans Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067 :

J’estime que, même si la conclusion de la Commission au sujet de l’absence d’assignation est écartée, il reste encore suffisamment d’éléments pour étayer sa conclusion selon laquelle la version de la demanderesse ne pouvait être crue, compte tenu du critère de la décision raisonnable qui a été énoncé dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, ainsi que la retenue dont la Cour doit faire montre à l’égard de la décision de la Commission.

[42]  J’estime que ces observations s’appliquent tout autant en l’espèce. Même si un, voire même deux, des motifs énoncés par la Commission pour justifier sa décision relativement à la crédibilité n’ont aucun poids, ses motifs sont solides dans l’ensemble. Il n’y a donc aucune raison d’intervenir dans l’appréciation qu’a faite la SPR du manque de crédibilité du demandeur, en particulier à la lumière de la déférence dont il convient de faire preuve envers cette appréciation.

B.  Demande d’asile présentée sur place

[43]  J’estime en outre qu’il est nécessaire d’aborder spécifiquement l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas correctement sa demande d’asile sur place et en invoquant l’absence d’un motif légitime pour sa pratique du Falun Gong au Canada. Aucune de ces affirmations n’est fondée.

[44]  En ce qui concerne la demande d’asile sur place, le demandeur a laissé entendre que sa pratique continue du Falun Gong au Canada au cours des six dernières années pourrait l’exposer à un danger en Chine et que cela démontre qu’il est désormais un véritable adepte du Falun Gong, même s’il n’en était pas un en Chine. La commissaire a clairement déclaré ce qui suit : « Je ne suis pas d’accord, parce que le demandeur d’asile est motivé à pratiquer le FG, jusqu’à l’audience, pour renforcer sa demande d’asile frauduleuse. Je pourrais être convaincue s’il le pratiquait toujours six ans après avoir obtenu la résidence permanente au Canada ».

[45]  Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SPR a évalué la demande d’asile sur place et les éléments de preuve qu’il a présentés à l’appui de son allégation selon laquelle il était véritablement un adepte du Falun Gong au Canada. Elle a simplement considéré que ces éléments de preuve ne suffisaient pas à établir l’authenticité de la pratique alléguée. Cette conclusion n’a rien de déraisonnable, en particulier à la lumière de la conclusion selon laquelle le demandeur a inventé de toutes pièces des événements qui se seraient produits en Chine.

[46]  En résumé, il n’y a rien de déraisonnable à tirer une telle conclusion, à la lumière de : a) deux lettres b) des photographies de si piètre qualité qu’on n’arrive pas à reconnaître le demandeur, c) son affirmation selon laquelle il a été filmé au consulat alors qu’il ne portait rien pour rendre son identification plus difficile (comme un chapeau ou une cagoule), au moment où il était supposément recherché par le PSB.

[47]  Tous ces éléments ne suffisent pas à prouver que le demandeur est un véritable adepte d’une religion, surtout lorsque, comme en l’espèce, il a menti en affirmant qu’il était un adepte pour présenter une demande d’asile frauduleuse. À cet égard, je souscris à l’observation du juge Pinard au paragraphe 20 de la décision Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595 :

[I]l serait absurde d’accueillir une demande d’asile sur place chaque fois qu’un pasteur fournit une lettre attestant l’adhésion d’un demandeur à son église.

[48]  Dans la même veine, il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR d’évaluer les raisons pour lesquelles le demandeur pratique le Falun Gong et d’en tenir compte à titre de motif pour rejeter sa demande d’asile sur place. Bien que commencer à pratiquer une religion uniquement dans le but d’appuyer une demande d’asile ne soit pas, en soi, suffisant pour justifier le rejet d’une demande d’asile sur place, la SPR peut tenir compte de ce motif lorsqu’elle évalue l’authenticité des croyances du demandeur. À bien des égards, la présente affaire est tout à fait semblable à la décision Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993 [« Hou »], dans laquelle la juge Gleason a examiné et rejeté un argument identique à celui que présente le demandeur dans la présente affaire. Étant donné que ces motifs s’appliquent également en l’espèce, j’en ai reproduit une partie ci-dessous :

[61] Je ne suis pas d’accord avec cette assertion du demandeur; contrairement à ce que celui-ci affirme, la jurisprudence canadienne reconnaît bel et bien que la motivation de l’engagement dans une pratique religieuse au Canada peut être examinée par la SPR dans une affaire pertinente. Cependant, la conclusion portant qu’un demandeur a été motivé à pratiquer une religion au Canada pour soutenir une demande d’asile frauduleuse ne peut servir, à elle seule, de fondement pour rejeter la demande. La conclusion que le demandeur a été motivé par la volonté d’étayer sa demande d’asile est plutôt un facteur que la SPR peut prendre en considération dans son évaluation de la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur.

[62] La sincérité de ces croyances est un enjeu dans des affaires où, comme en l’espèce, la poursuite de la pratique religieuse dans le pays d’origine pourrait exposer le demandeur à un risque. Si ses croyances ne sont pas authentiques, alors il n’y a pas de risque, car le demandeur ne pratiquerait pas sa religion nouvellement acquise dans son pays d’origine si son adhésion à cette religion était motivée uniquement par la volonté d’étayer une demande d’asile.

[…]

[68] À la lumière de ce qui précède, le simple fait que la Commission a examiné la motivation qu’avait le demandeur à pratiquer le Falun Gong au Canada et s’est fiée à cette motivation n’invalide pas sa décision. La question à laquelle il faut répondre est plutôt de savoir si la SPR est arrivée à une conclusion raisonnable en établissant que la pratique du Falun Gong par le demandeur au Canada n’était pas motivée par une foi sincère. Comme dans Jin et Wang, j’estime que cette conclusion est raisonnable. Enfin, les conclusions relatives à la demande d’asile sur place étaient intelligibles et justifiables (voir le paragraphe 26). La prétention du demandeur selon laquelle il était un adepte en Chine n’a pas été jugée crédible et visait les fins d’une demande d’asile sur place, surtout compte tenu du fait qu’il a un motif pour affirmer qu’il est un adepte.

[49]  J’adopte le raisonnement de la juge Gleason dans la décision Hou, précitée, et je juge que l’analyse de la demande d’asile sur place est raisonnable.

[50]  Enfin, je passe à l’argument du demandeur selon lequel la SPR a appliqué le mauvais critère, parce que la commissaire de la SPR a déclaré que le PSB avait la réputation d’être une force professionnelle et acharnée.

[51]  Dans la décision, la commissaire de la SPR souligne ce qui suit :

[23] En ce qui concerne le PSB, il a aussi la réputation d’être une force professionnelle et acharnée. Cependant, dans le cas du demandeur d’asile, il n’a pas agi de la sorte. Par exemple, le demandeur d’asile a déclaré que le PSB ne l’avait pas cherché ailleurs qu’au domicile de sa mère, ce qui n’est pas logique, en tenant pour acquis que le PSB tentait de le trouver, qu’il a délivré une citation à comparaître et qu’il a arrêté d’autres personnes. Le demandeur d’asile a affirmé qu’il se cachait chez son oncle, au domicile du frère cadet de son père, et pourtant le PSB ne l’a pas cherché à cet endroit évident. […]

[52]  La commissaire n’a renvoyé à aucune preuve documentaire objective afin d’appuyer son hypothèse sur la « réputation » du PSB; toutefois, elle possède une expertise et des connaissances spécialisées concernant le PSB.

[53]  J’estime que la remarque de la commissaire de la SPR n’était qu’un « simple » commentaire et que la commissaire n’affirmait pas qu’il s’agissait du critère juridique applicable aux demandes d’asile sur place ou qu’elle appliquait ce critère. Je vois cette remarque comme un résumé du champ d’expertise que possède la commissaire de la SPR à l’égard du PSB. Elle ne peut être considérée comme l’énoncé d’un critère juridique; elle doit plutôt être considérée pour qu’elle était : une suite d’adjectifs pour décrire le PSB.

[54]  Lorsque la décision est examinée dans son ensemble, l’absence globale de preuve crédible est accablante et déterminante. La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2974-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juin 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2974-18

 

INTITULÉ :

JIANJIA TAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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