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Date : 20190425


Dossier : IMM‑4719‑18

Référence : 2019 CF 522

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

WARSAME FAISAL MOHAMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Warsame Faisal Mohamed sollicite le contrôle judiciaire de la décision relative à un examen des risques avant renvoi [l’ERAR] par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] de Citoyenneté et Immigration Canada a conclu que M. Mohamed pouvait être renvoyé en toute sécurité en Somalie.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agent était équitable sur le plan procédural et raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  M. Mohammed, âgé de 36 ans, est un citoyen de la Somalie. Il est arrivé aux États‑Unis avec sa famille en 1996 alors qu’il était encore un enfant. La famille a obtenu l’asile, mais M. Mohamed a perdu son statut de réfugié en 2011 pour cause de grande criminalité. Il a continué de vivre aux États‑Unis jusqu’à l’été 2017, date à laquelle il est entré au Canada sans autorisation.

[4]  Le 14 août 2017, M. Mohamed a été déclaré interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité. Une ordonnance d’expulsion a alors été rendue contre lui. M. Mohammed a demandé un ERAR. L’agent a rejeté sa demande le 18 décembre 2017.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  M. Mohamed affirme craindre d’être persécuté en Somalie par le groupe terroriste Al Chabaab et en raison de son appartenance à un clan minoritaire. L’agent a tenu compte des rapports sur la situation dans le pays et a conclu que M. Mohamed ne serait exposé qu’à une simple possibilité de persécution s’il retournait en Somalie.

[6]  L’agent s’est appuyé sur un rapport publié par le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni en juillet 2017 [le rapport du ministère de l’Intérieur]. D’après ce rapport, les capacités militaires d’Al Chabaab ont été considérablement réduites. Le groupe a perdu le contrôle de son bastion urbain et s’est retranché dans les régions rurales. Al Chabaab contrôle encore de grandes zones des régions rurales, de même que les voies de ravitaillement entre les villages.

[7]  Le rapport du ministère de l’Intérieur décrit les profils des personnes qui sont considérées comme des [traduction] « cibles légitimes » par Al Chabaab. Il indique également que [traduction] « [m]ême si certaines personnes sont considérées comme des “cibles légitimes”, la majorité des civils ne le sont pas ». Étant donné que le profil de M. Mohamed ne correspondait pas aux profils décrits, l’agent a conclu qu’il était peu probable qu’il soit la cible d’Al Chabaab.

[8]  L’agent a fait remarquer que la société somalienne est composée d’une myriade de familles organisées, de clans et de sous‑clans. Les affrontements entre les clans sont répandus. L’agent a conclu que le niveau de risque auquel M. Mohamed serait exposé en Somalie en raison de son appartenance à un clan ne serait pas plus élevé que celui auquel sont exposés d’autres membres du clan.

[9]  L’agent a reconnu que la guerre aveugle qui sévit depuis les deux dernières décennies a causé des ravages dans de nombreuses régions de la Somalie. L’agent a également reconnu que la sécurité dans ce pays est, au mieux, précaire. L’agent a néanmoins conclu que [traduction] « [l]es éléments de preuve attestant les conditions générales à l’intérieur d’un pays ne suffisent pas en soi à prouver que le demandeur serait exposé à un risque personnel de préjudice ».

IV.  Questions en litige

[10]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agent était‑elle équitable sur le plan procédural?

  2. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

V.  Analyse

A.  La décision de l’agent était‑elle équitable sur le plan procédural?

[11]  L’équité procédurale est une question que doit trancher la Cour. La norme applicable à la question de savoir si la décision a été rendue dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 34, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

[12]  M. Mohamed allègue que la décision de l’agent suscite une crainte raisonnable de partialité. Il affirme que l’agent n’a cité que les passages du rapport du ministère de l’Intérieur qui confirmaient qu’il ne serait pas la cible d’Al Chabaab. Il souligne qu’ailleurs dans ce rapport, il est écrit que le groupe Al Chabaab réprime les comportements non islamiques dans les régions qu’il contrôle et qu’il a la capacité de mener des attaques à Mogadiscio.

[13]  Le critère de la partialité a été établi par le juge Louis‑Philippe de Grandpré, dissident, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[14]  Pour conclure à la partialité, réelle ou apparente, il faut faire preuve de rigueur. L’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du décideur, mais aussi celle de l’administration de la justice tout entière. Les allégations de partialité sont sérieuses et ne doivent pas être faites à la légère (R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 113). Une crainte raisonnable de partialité exige plus qu’une allégation visant un commentaire mentionné dans la décision. L’allégation doit être accompagnée d’une preuve convaincante (Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, au paragraphe 51).

[15]  Je ne suis pas convaincu que le fait que l’agent se soit prétendument appuyé de manière sélective sur certains passages du rapport du ministère de l’Intérieur amènerait une personne bien renseignée, qui étudie la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à conclure que l’agent a fait preuve de partialité. Certains des extraits reproduits dans la décision de l’agent appuyaient la position de M. Mohamed selon laquelle Al Chabaab continue de contrôler certaines régions et que la guerre sévissant depuis de nombreuses années a causé la détérioration générale de la sécurité. En outre, comme je l’explique plus loin, la décision de l’agent était raisonnable.

B.  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[16]  L’appréciation des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit effectuée par l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11). La norme de la décision raisonnable est une norme déférente qui tient principalement à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[17]  M. Mohamed affirme que la conclusion de l’agent selon laquelle il ne risque pas d’être persécuté par Al Chabaab n’est pas raisonnable. Le rapport du ministère de l’Intérieur cité par l’agent précise que [traduction] « [l]es personnes vivant dans une région sous le contrôle d’Al Chabaab qui ne sont pas considérées comme des “cibles légitimes” sont peu susceptibles d’être exposées à un risque, à moins qu’elles ne se conforment pas à l’interprétation stricte du comportement islamique qu’applique Al Chabaab ». M. Mohamed a passé la majorité de sa vie en Amérique du Nord et est entièrement occidentalisé. Il soutient qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’il se conforme aux coutumes islamiques strictes.

[18]  Je suis convaincu que l’agent a raisonnablement conclu que M. Mohamed ne risquait pas d’être persécuté par Al Chabaab s’il retournait en Somalie. Le rapport du ministère de l’Intérieur indique que les personnes occidentalisées qui retournent au pays sont la cible d’Al Chabaab uniquement dans les régions contrôlées par le groupe, qui sont généralement des régions rurales. La ville de Mogadiscio n’est pas contrôlée par Al Chabaab, et il n’y a aucune raison de croire que M. Mohamed y serait persécuté. M. Mohamed est né à Mogadiscio et a quitté la ville lorsqu’il était encore un enfant. Rien ne donne à penser qu’il s’installera dans une région rurale s’il retourne en Somalie.

[19]  M. Mohamed fait valoir qu’il risque d’être persécuté par Al Chabaab à Mogadiscio, car le groupe a la capacité d’effectuer des bombardements ou d’autres attaques dans la ville. Selon le rapport du ministère de l’Intérieur, les attaques de cette nature visent généralement des fonctionnaires du gouvernement ou des hôtels internationaux où des représentants d’organisations non gouvernementales peuvent séjourner. M. Mohamed n’entre pas dans ces catégories.

[20]  Enfin, je suis convaincu que l’agent a raisonnablement conclu que M. Mohamed ne risquait pas d’être persécuté en raison de son appartenance au clan minoritaire Bantu. Les rapports sur la situation dans le pays confirment que les membres du clan Bantu peuvent faire l’objet de discrimination, mais habituellement pas à Mogadiscio. En ce qui concerne le risque que M. Mohamed fasse l’objet de discrimination, de nombreux autres Somaliens sont eux aussi exposés à ce risque. Un risque généralisé peut être vécu par une partie de la population d’un pays, et l’appartenance à cette catégorie n’est pas suffisante pour que le risque soit personnalisé (Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345, au paragraphe 39; Marcelin Gabriel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1170, au paragraphe 20).

VI.  Conclusion

[21]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de mai 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4719‑18

INTITULÉ :

MOHAMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DES MOTIFS :

Le 25 aVRIL 2019

COMPARUTIONS :

Alan Hogg

POUR LE DEMANDEUR

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Newman & Company

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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