Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

         T-104-97

ENTRE :

CAROLE L. BARRONS,

demanderesse,

                 - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

         PIERRE GRAVELLE, c.r., LE SOUS-MINISTRE DU REVENU, IMPÔT et

       MORLEY CERESNE, DIRECTEUR ADJOINT,

BUREAU DE DISTRICT DE SCARBOROUGH,

      défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

PROTONOTAIRE ADJOINT GILES

Par voie de requête, les défendeurs demandent la radiation de la déclaration en vertu de la règle 419(1)a) pour le motif que la Cour n'est pas compétente. La demanderesse a répliqué en demandant la radiation de l'avis de requête pour le motif qu'une requête en radiation fondée sur le défaut de compétence devrait être présentée sous le régime de la règle 401, alléguant également que la requête visée à la règle 401 devrait être présentée devant un juge et non devant un protonotaire.


En ce qui concerne d'abord le dernier point, une requête présentée en vertu de la règle 419 ou de la règle 401 est une requête interlocutoire et, en vertu de la règle 336 et sur directive générale du juge en chef adjoint visée à la règle 336(1)g), une requête interlocutoire de cette nature relève de ma compétence. Cette directive ne paraît pas avoir été portée à l'attention de Monsieur le juge Richard lorsqu'il s'est prononcé dans l'affaire Banerd c. Canada et al. (1994), 88 F.T.R. 14. Toutefois, le procureur des défendeurs n'aurait pas dû tenter de choisir le juge ou l'officier de justice devant lequel une requête ou toute autre procédure judiciaire doit être entendue (sauf évidemment l'ordonnance de réexamen : les règles prévoient qui doit l'entendre). La demande du procureur des défendeurs était particulièrement inopportune puisque j'étais alité au moment où la requête aurait normalement été présentée à la personne qui statuerait sur celle-ci et, comme elle n'a pu être présentée devant moi comme on l'avait demandé, elle paraît s'être perdue dans le système pour ne refaire surface que récemment. Je ne crois pas que l'irrégularité commise par le procureur des défendeurs invalide la requête.


Le point suivant à trancher comme il se doit est la question soulevée par la demanderesse, suivant laquelle une contestation de la compétence de la Cour devrait être faite sous le régime de la règle 401 et non de la règle 419. Dans l'affaire Banerd c. Canada, la Cour a indiqué qu'il est plus approprié de contester la compétence sous le régime de la règle 401 que sous celui de la règle 419(1)a). La règle 401 porte sur les comparutions conditionnelles. Ainsi qu'il a été signalé dans l'affaire Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2 C.F. 488, si la compétence ratione materiae (en raison de l'objet de l'affaire) de la Cour est contestée, il n'y a aucune raison pratique de produire un acte de comparution conditionnelle puisqu'il ne peut y avoir reconnaissance de compétence. Si la compétence ratione personae de la Cour est contestée, il y a lieu de produire un acte de comparution conditionnelle. Il existe un autre moyen de contester la compétence de la Cour en ce qui concerne l'action intentée contre les particuliers. Je suis d'avis que le fait que la Cour peut ne pas avoir compétence relativement à une action entre particuliers est une question de compétence ratione materiae. Cependant, la contestation pourrait être considérée comme visant la compétence ratione personae de la Cour, de sorte que la procédure choisie aurait pu consister à demander l'autorisation de produire un acte de comparution conditionnelle. Je signale que, dans l'affaire Concept Omega Corp. c. Logiciel KLM Ltée. et al. (1987), 12 F.T.R. 291, Monsieur le juge Teitelbaum a utilisé la règle 2(2) pour maintenir une ordonnance du protonotaire en chef ayant pour effet de radier une plaidoirie en vertu de la règle 419(1)a) pour défaut de compétence. Je remarque que, dans l'affaire Bunker Ramo, on donne à entendre qu'il n'est pas nécessaire de demander l'autorisation de produire un acte de comparution conditionnelle lorsqu'il ne peut y avoir reconnaissance de compétence. Je conclus que, lorsqu'une requête est déposée en vertu de la règle 419(1)a), s'il est statué que la Cour est compétente, les défendeurs ont alors reconnu la compétence.


Les défendeurs ont fait valoir que la Cour n'était pas compétente parce qu'elle n'a pas compétence en matière de contrat, un domaine qui relève du droit provincial et non de celui du Canada. La demanderesse a répliqué que son cas n'était pas fondé sur un contrat mais sur a) le principe de l'attente légitime, b) le principe Hedley Byrne[1] et c) le manquement au devoir de diligence.

Je remarque qu'au paragraphe 1 de la déclaration, il est fait mention d'une entente entre Pierre Gravelle, c.r., et la demanderesse, et d'une lettre du 15 novembre 1996. Le paragraphe 5 fait mention d'une offre de payer faite le 26 novembre 1996 et d'un avis du 6 décembre 1996 sur une requête en vertu de la règle 419(1)a). Je suis disposé à considérer que les lettres du 15 novembre, du 26 novembre et du 6 décembre sont des documents mentionnés dans un acte de procédure qui a été signifié. En revanche, je ne suis pas disposé à examiner les lettres jointes à l'avis de requête qui ne sont pas même indirectement mentionnées dans un acte de procédure. La documentation tirée du site Web et la Déclaration des droits du contribuable ont été signifiées et seront examinées parce qu'elles ont été mentionnées. Les éléments de preuve ne peuvent être examinés dans le cadre d'une requête présentée sous le régime de la règle 419(1)a), et les autres lettres n'ont pas été jointes à un affidavit et ne constituent même pas des éléments de preuve.

Une entente est un consensus entre deux personnes ou plus, et elle ne sera exécutoire que lorsqu'elle deviendra un contrat. Le droit contractuel ne relève pas du droit du Canada et il ne peut être jugé par la Cour que lorsqu'il se greffe à une question qui relève de la compétence de la Cour. Quoi qu'il en soit, les lettres mentionnées dans l'acte de procédure n'indiquent même pas l'existence d'un consensus.


Pour ce qui est de la question de l'attente légitime, je signale que, dans l'affaire Bendahmane c. M.E.I. (1989), 61 D.L.R. (4th) 313, la Cour d'appel fédérale a appliqué le principe dans une affaire d'immigration pour accorder une mesure de réparation sous le régime de la Loi sur l'immigration. Il est à mon avis très exagéré de prétendre que le principe s'applique en matière d'impôt sur le revenu pour accorder une mesure de réparation en vertu de cette Loi. La réparation qui consiste en des dommages-intérêts peut être obtenue au moyen d'une action en responsabilité civile délictuelle. La Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif indique qu'une action en responsabilité civile délictuelle ne peut être intentée contre l'État que relativement aux actes délictuels de ses préposés. La question qui se pose dès lors est de savoir quels actes sont visés, et quels préposés. Cela n'est à mon avis pas du tout clair dans les actes de procédure. Pour intenter une action contre l'État, il est nécessaire d'énoncer précisément les actes qui rendraient un préposé de l'État civilement responsable même s'il se peut qu'aucune action ne puisse être intentée devant la Cour contre ce préposé de l'État. Se pose également la question de savoir si distribuer des documents comme la Charte des droits des contribuables fait partie du droit du Canada et crée des droits qui sont opposables sous le droit du Canada.


Le site Web et les déclarations des droits des contribuables ne figurent nulle part dans la loi. Je me demande si un exercice de publicité ou de relations publiques peut imposer un devoir à un fonctionnaire et il est par conséquent douteux qu'il existe contre ce fonctionnaire une cause d'action dont l'existence pourrait être démontrée et qui pourrait être fondée sur l'affaire Hedley Byrne ou sur un devoir de diligence. Quoi qu'il en soit, sans une loi ou un règlement fédéral ou une autre directive fondée sur cette loi, aucune loi du Canada ne serait mise en cause et, par conséquent, la Cour ne serait pas compétente.

On a laissé entendre que le ministère du Revenu national (quelle que soit la façon dont il est désigné) avait distribué certaines choses au contribuable par voie de son site Web décrit dans la déclaration et de sa Déclaration des droits du contribuable, et l'on soutient qu'il a ainsi créé une attente légitime. Si c'est effectivement ce qu'il a fait, il n'aurait pu le faire légitimement qu'en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu - une loi du Canada. Cela aurait satisfait aux conditions requises pour intenter une action devant la Cour. L'action semble être en responsabilité civile délictuelle, bien qu'elle soit maladroitement libellée.

Pour que l'État soit jugé civilement responsable, il faut qu'un particulier pour lequel l'État est ou était responsable du fait d'autrui au moment en question soit civilement responsable. Je suis disposé à tenir pour acquis que c'est un préposé ou des préposés de l'État qui ont créé les renseignements figurant sur le site Web et qui ont publié la Déclaration des droits du contribuable, lesquels, a-t-on manifestement l'intention d'alléguer, ont créé une ou des attentes légitimes.


S'il est probable que le fonctionnaire qui a conçu cette combine (j'ignore le langage correct pour décrire le processus qui consiste à informer un contribuable sur un site Web) relevait du sous-ministre, il n'y a aucune allégation qui lie le sous-ministre à la combine. Le sous-ministre de même que les employés moins anciens du ministère sont tous des préposés de Sa Majesté. Il existe un principe de droit bien établi selon lequel un préposé n'est pas responsable du délit commis par un autre préposé. Je suis par conséquent convaincu que, bien qu'aucune cause d'action n'ait été exposée dans la déclaration et que, par conséquent, celle-ci doive être radiée, il est possible qu'une cause d'action contre l'État puisse exister sur le fondement de la création d'une attente légitime.

Aucune cause d'action relevant de la compétence de la Cour n'a été démontrée contre les deux fonctionnaires dont le nom est mentionné dans l'intitulé de la cause. Par conséquent, la déclaration sera radiée sans autorisation concernant ces fonctionnaires. En ce qui concerne la déclaration contre l'État, j'accorde l'autorisation de déposer une déclaration modifiée au plus tard le 21 septembre 1997.


ORDONNANCE

La déclaration est radiée, avec autorisation de déposer une déclaration modifiée contre l'État qui ne soit pas incompatible avec les motifs qui précèdent, au plus tard le 21 septembre 1997.

             « Peter A.K. Giles »   

         P.A.

Toronto (Ontario),

26 août 1997.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats et procureurs inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE : T-104-97

INTITULÉ DE LA CAUSE : CAROLE L. BARRONS

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et PIERRE GRAVELLE, c.r., LE SOUS-MINISTRE DU REVENU, IMPÔT, et MORLEY CERESNE, DIRECTEUR ADJOINT, BUREAU DE DISTRICT DE SCARBOROUGH

REQUÊTE ENTENDUE À TORONTO (ONTARIO), EN VERTU DE LA RÈGLE 324

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : PROTONOTAIRE ADJOINT GILES

EN DATE DU : 26 AOÛT 1997

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Carole L. Barrons

258, Lorindale Drive

Oshawa (Ontario)

L1H 6X4 pour la demanderesse

John C. Spencer

Ministère de la Justice

George Thomson

Sous-procureur général

du Canada pour les défendeurs


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Numéro du greffe : T-104-97

Entre :

CAROLE L. BARRONS,

demanderesse,

                 - et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

   défenderesse.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



     [1]       Hedley Byrne & Co. Ltd. c. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.