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Date : 19991112

Dossier : T-1155-99

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                         PORT ADVISORY COMMITTEE et

                                   HAROLD PEREENBOOM à titre personnel

                et au nom de l'ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO,

                                                                                                                            demandeurs

                                                                               (intimés en ce qui concerne la requête),

                                                                    - et -

                                     HENRY PANKRATZ, JAN WHITELAW,

           HERMAN JAN WILTON-SIEGEL, LE GOUVERNEUR EN CONSEIL,

                                     LE MINISTRE DES TRANSPORTS et le

                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                              défendeurs

                                                                         (requérants en ce qui concerne la requête).

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Le juge Sharlow

[1]         La Commission portuaire de Toronto a été remplacée par l'Administration portuaire de Toronto en vertu d'un texte législatif entré en vigueur le 8 juin 1999. Le poste de président de la Commission portuaire de Toronto qu'occupait M. Harold Pereenboom a été aboli, de même que ceux des autres commissaires.

[2]         Le 1er juin 1999, le gouverneur en conseil a décidé de nommer plusieurs personnes au conseil d'administration de la nouvelle Administration portuaire de Toronto. Ces nominations ont pris effet le 8 juin 1999. Parmi les personnes nommées, Henry Pankratz, Jan Whitelaw et Herman Jan Wilton-Siegel ont été désignés par le ministre des Transports. La présente demande de contrôle judiciaire vise à contester la désignation ainsi que la nomination de M. Pankratz, de Mme Whitelaw et de M. Wilton-Siegel.

[3]         L'un des demandeurs est M. Pereenboom. L'Administration portuaire de Toronto et le Port Advisory Committee sont également désignés demandeurs. On a soulevé la question de l'opportunité d'avoir désigné l'Administration portuaire de Toronto demanderesse mais, quoi qu'il en soit, cette dernière a obtenu l'autorisation d'intervenir.

[4]         Les intimés sont M. Pankratz, Mme Whitelaw et M. Wilton-Siegel, les trois personnes dont la désignation et la nomination sont contestées, ainsi que le gouverneur en conseil, le ministre des Transports et le procureur général du Canada. Pour plus de commodité, je désignerai collectivement ces trois derniers intimés par le terme « Couronne » .

[5]         Selon les directives données relativement à la tenue d'une instruction accélérée, tous les contre-interrogatoires devaient se terminer au plus tard le 22 octobre 1999. L'instruction doit avoir lieu les 16 et 17 décembre 1999.

[6]         Les demandeurs ont déposé les affidavits de plusieurs personnes, dont M. Pereenboom et M. David Reid. En date du 7 juin 1999, M. Reid était directeur général de l'Administration portuaire de Toronto. Il travaillait à cet endroit depuis plus de 24 ans. M. Pereenboom a fait l'objet d'un contre-interrogatoire, mais non M. Reid.

[7]         Lors de son contre-interrogatoire, M. Pereenboom a refusé de répondre à un certain nombre de questions relatives aux présumés avantages de départ offerts à M. Reid. Les questions laissent croire que la Couronne a eu connaissance de ces présumés avantages par le biais d'articles de journaux. La Couronne tente d'obtenir une ordonnance enjoignant à M. Pereenboom de répondre à ces questions.

[8]         On allègue que les faits touchant les présumés avantages de départ ne sont pas pertinents eu égard à la validité ou à l'opportunité des mesures contestées et visées par la demande de contrôle judiciaire, savoir les désignations ou les nominations susmentionnées au conseil d'administration de l'Administration portuaire de Toronto.

[9]         Cependant, l'avocat de la Couronne soutient que les questions doivent obtenir une réponse parce qu'elles portent sur la crédibilité de M. Reid et de M. Pereenboom. Il invoque l'affaire Upjohn Inter-American Corp. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1987), 14 C.P.R. (3d) 50 (C.F. 1re inst.), et plus particulièrement le passage suivant qui se trouve à la page 56 :

Un avocat qui contre-interroge l'auteur d'un affidavit dispose d'une grande latitude, qui est limitée uniquement par les principes de pertinence et de justice. En général, il a le droit de poser des questions qui traitent de tous les points pertinents visant à déterminer le but de l'affidavit déposé ou visant la crédibilité de l'auteur de l'affidavit.

[10]       Nul n'a laissé entendre que la Commission portuaire de Toronto n'était pas autorisée à consentir des avantages de départ à M. Reid, compte tenu de ses 24 années de service. Si, dans les faits, M. Reid pouvait valablement prétendre à des avantages de départ, on ne saurait dire que les raisons pour lesquelles l'existence de ces avantages influerait défavorablement sur sa crédibilité, ou celle de M. Pereenboom, sautent aux yeux. Malgré mes doutes à cet égard, j'ai néanmoins supposé que l'allégation de la Couronne, suivant laquelle ces renseignements pouvaient avoir un lien avec la crédibilité des témoins en question, avait une certaine validité.

[11]       L'avocat de M. Pereenboom fait valoir que, même si les questions touchant les présumés avantages de départ ont un rapport quelconque avec la crédibilité de M. Pereenboom, elles visent principalement à attaquer la crédibilité de M. Reid. Selon lui, il est injuste pour M. Reid qu'on exige de M. Pereenboom qu'il réponde aux questions dans ce but après que la Couronne a décidé de ne pas profiter de l'occasion qui lui était donnée de contre-interroger M. Reid.

[12]       Les pièces versées au dossier montrent que la Couronne savait depuis quelque temps déjà que la Commission portuaire de Toronto avait procédé à certaines transactions immédiatement avant son abolition. Ces transactions auraient plus ou moins eu lieu à la même époque que celle où les décisions relatives aux présumés avantages de départ de M. Reid auraient été prises.

[13]       J'en déduis que la Couronne savait, ou avait les moyens de savoir, bien avant que la décision soit prise de ne pas contre-interroger M. Reid, si les avantages de départ offerts à M. Reid avaient fait l'objet de discussions ou avaient été autorisés par la Commission portuaire de Toronto. L'avocat de la Couronne n'a fait aucune allusion aux raisons pour lesquelles les questions touchant les présumés avantages de départ n'auraient pu être posées à M. Reid en contre-interrogatoire.

[14]       À l'appui de l'argument selon lequel M. Pereenboom ne doit pas être tenu répondre à ces questions, l'avocat de ce dernier renvoie au passage suivant de l'affaire Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), aux pages 76 et 77 :

[TRADUCTION]

À mon avis, rien ne pourrait être plus totalement injuste que de ne pas contre-interroger des témoins sur leur déposition pour leur donner avis, et leur offrir l'occasion de s'expliquer, et bien souvent de défendre leur propre moralité, puis, après les avoir privés d'une telle occasion, d'ensuite demander au jury de ne pas ajouter foi à ce qu'ils ont dit, même si aucune question n'a été posée relativement à leur crédibilité ou à l'exactitude des faits à propos desquels ils ont témoigné.

[15]       On n'a pas laissé entendre que ce principe respectable était dépassé. Toutefois, selon l'avocat de la Couronne, ce principe n'a pas pour effet de soustraire le déposant à son obligation de répondre aux questions concernant sa propre crédibilité, même si la question vise aussi à attaquer la crédibilité d'un tiers qui n'a pas été contre-interrogé. Je résume son raisonnement de la façon suivante. Si, au présent stade de l'instance, la Couronne est privée de ces réponses, elle ne pourra utiliser celles-ci pour attaquer la crédibilité de M. Pereenboom alors qu'elle devrait avoir le droit de faire. Les questions devraient faire l'objet de réponses, et l'utilisation de ces dernières en bout de ligne devrait être laissée à l'appréciation du juge lors de l'instruction. Il appartiendra aux demandeurs d'invoquer à l'audience que les réponses ne doivent pas servir à attaquer la crédibilité de M. Reid.

[16]       Je ne suis pas d'accord avec l'argument avancé par la Couronne. Le passage tiré de l'affaire Browne v. Dunn porte essentiellement que les réponses obtenues lors du contre-interrogatoire d'un témoin ne peuvent être utilisées pour attaquer la crédibilité d'un autre témoin sans donner à celui-ci l'occasion de défendre sa crédibilité. Pourquoi? Parce qu'il ne s'agit pas d'une manière équitable d'établir la crédibilité du second témoin. Dans le cadre d'une instruction, les contre-interrogatoires de cette nature ne sont pas autorisés et ne sont même pas entendus. Ce devrait également être le cas lors d'une instance en contrôle judiciaire.

[17]       Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la principale cible visée par ces questions est M. Reid. Le fait que la crédibilité de M. Pereenboom puisse également être vérifiée revêt simplement un caractère accessoire. En effet, il est évident que ce n'est qu'après coup que la Couronne a pensé à justifier ces questions en alléguant qu'elles concernaient la crédibilité de M. Pereenboom. Le fait de permettre qu'on attaque la crédibilité de M. Reid par le biais du contre-interrogatoire de M. Pereenboom serait manifestement injuste envers M. Reid. En l'espèce, ces questions ne peuvent être justifiées par la faible possibilité que les réponses puissent avoir une certaine incidence sur la crédibilité de M. Pereenboom.

[18]       Pour ces motifs, la demande qui vise à obtenir une ordonnance enjoignant à M. Pereenboom de se présenter à nouveau pour répondre aux questions refusées est rejetée avec dépens.


                                                          ORDONNANCE

            La demande visant à obtenir une ordonnance enjoignant à M. Pereenboom de se présenter à nouveau pour répondre aux questions refusées est rejetée avec dépens.

                                                                                                                « Karen R. Sharlow »            

                                                                                                                                         Juge              

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL. L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :T-1155-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :Port Advisory Committee et al. c. Henry Pankratz et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :Le 1er novembre 1999

__________________________________________________________________________

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME

                           LE JUGE SHARLOW EN DATE DU 12 NOVEMBRE 1999.

__________________________________________________________________________

ONT COMPARU :

M. Brian FinlayPOUR LES DEMANDEURS

M. B. Glustein                                    POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Danson Zucker & ConnellyPOUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Weir & Foulds

Toronto (Ontario)

Borden Elliot Scott & AylenPOUR LES DÉFENDEURS

Barristers and Solicitors

Ottawa (Ontario)

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