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Date : 20190429


Dossier : IMM-1127-18

Référence : 2019 CF 534

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

YOUNUS KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Younus Khan, est un citoyen du Bangladesh qui est âgé de 30 ans. Sa mère et lui sont arrivés au Canada le 12 janvier 2014 et ont demandé l’asile au poste frontalier de Fort Erie. Après que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié eut prononcé le désistement de leur demande d’asile et refusé de la rouvrir, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) en mai 2016.

[2]  Un agent principal de l’immigration a rejeté la demande d’ERAR du demandeur dans une décision datée du 16 février 2018. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il demande que la décision de l’agent soit cassée, et que l’affaire soit renvoyée à un agent différent pour nouvel examen avec toute autre directive que la Cour juge appropriée.

I.  Contexte

[3]  La mère du demandeur était une militante politique et a adhéré au Parti national du Bangladesh (BNP) à l’âge de 22 ans. Elle a fait office de secrétaire de l’aile féminine de la Division de Barisal et de secrétaire adjointe du Comité de la ville du BNP. Le demandeur a adhéré au BNP à 20 ans et quelques années plus tard a été promu au poste de secrétaire de coordination. Le principal adversaire du BNP est la Ligue Awami (AL). La Ligue a défait le BNP en 2008 et est au pouvoir depuis lors.

[4]  Le demandeur soutient que sa mère et lui ont été personnellement pris pour cibles, à partir de l’été 2010, par des fiers-à-bras de l’AL et par la police. Un soir de l’été 2010, deux fourgonnettes de police se sont stationnées près de la maison du demandeur. Six ou sept hommes en sont sortis et ont commencé à frapper lourdement sur la maison et à crier de manière agressive. Le demandeur affirme que ces hommes étaient liés au gouvernement, et que l’un d’eux était Rabiul Alam Sohel (qui est associé au ministre Jahangir Kabir Nanak).

[5]  Pendant une manifestation organisée par le BNP en juin 2011, la police a tabassé le demandeur, le frappant à la matraque plusieurs fois sur le dos et sur les cuisses et une fois sur la cheville. Le demandeur déclare qu’il souffre désormais de douleurs chroniques au dos à la suite de ces blessures.

[6]  Le second jour d’une grève de deux jours décrétée par le BNP en avril 2013, un groupe de fiers-à-bras affiliés à l’AL dirigé par M. Sohel s’en est pris physiquement au demandeur et à sa mère. Le demandeur affirme qu’ils ont été battus au sang et que les coups n’ont cessé qu’au moment où est arrivé un groupe de partisans du BNP. Le lendemain, le demandeur a reçu une première menace de mort directe. Des individus se sont approchés de la maison du demandeur et ont commencé à frapper sur la barrière. Un homme dehors avec les autres, qui a prétendu s’appeler M. Sohel, a dit au demandeur et à sa mère qu’il les achèverait puisqu’ils étaient allés trop loin en contestant l’autorité du ministre Nanak dans son propre comté.

[7]  Après avoir reçu la menace de mort, le demandeur et sa mère se sont enfuis au domicile d’un ami. Ils sont restés cachés jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de quitter le Bangladesh. Le demandeur et sa mère ont obtenu des visas pour les États‑Unis et sont partis en direction de ce pays le 22 octobre 2013. Une fois qu’ils furent rendus aux États‑Unis, un parent du demandeur résidant au Canada leur a conseillé de demander l’asile au Canada. Par conséquent, le demandeur et sa mère sont arrivés au Canada le 12 janvier 2014, et ont demandé l’asile au poste frontalier de Fort Erie.

[8]  La SPR a rejeté leurs demandes d’asile en février 2014 au motif que celles-ci avaient été abandonnées. Elle a refusé de rouvrir les demandes, et leur demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a aussi été rejetée, Pour cette raison, le demandeur n’a jamais eu d’audience sur la demande d’asile.

[9]  En avril 2016, le demandeur a été informé qu’il pouvait demander un ERAR. Quelque neuf mois plus tard, il a appris que sa demande d’ERAR avait été rejetée. Le demandeur a fait une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR. Après que la demande d’autorisation eut été mise en état, le demandeur et le défendeur ont convenu que la décision n’était pas raisonnable et que l’affaire devrait être confiée à un autre agent d’ERAR pour nouvel examen. Le demandeur a présenté d’autres observations à prendre en compte pendant le réexamen, en plus de ses observations précédentes. Celles-ci comprenaient la demande répétée du demandeur qu’une audience soit convoquée si sa crédibilité était en cause.

II.  La décision de l’agent

[10]  En rejetant la demande d’ERAR du demandeur, l’agent a d’abord résumé les risques définis par le demandeur dans ses observations ainsi que ses antécédents en matière d’immigration. L’agent a accepté l’affidavit du demandeur en tant que fondement de sa demande d’asile. Il a aussi accepté une note de l’hôpital attestant des blessures subies par le demandeur tout en soulignant que cet élément de preuve ne corroborait pas les circonstances dans lesquelles le demandeur avait été blessé.

[11]  L’agent a ensuite pris en compte une lettre du BNP selon laquelle le demandeur [traduction] « était un dirigeant du BNP au niveau communautaire », qu’il avait été [traduction] « forcé de quitter le pays à la fin d’octobre 2013 pour rester en vie » et que, parce qu’il était l’une des personnes [traduction] « prises pour cible [par l’AL], il n’était pas en sécurité au Bangladesh ». L’agent a conclu que cette lettre n’apportait pas [traduction] « assez de preuve objective » que l’auteur avait une connaissance directe du demandeur ou des activités menées par celui-ci quand il était au Bangladesh. Il a souligné que [traduction] « l’auteur de la lettre du BNP a probablement des préjugés à l’égard des membres de la Ligue Awami à cause de leurs divergences politiques et, par conséquent, l’information contenue dans la lettre n’est pas objective, et c’est pourquoi j’accorde à cette lettre peu de valeur probante quand il s’agit d’établir un risque personnalisé pour le demandeur s’il retourne au Bangladesh. »

[12]  Au sujet de l’allégation du demandeur selon laquelle il avait personnellement été pris pour cible par l’AL dès 2010, l’agent a souligné l’absence d’élément de preuve objectif pour la corroborer. L’agent a jugé que les observations et les documents présentés comportaient [traduction] « peu d’éléments de preuve pour corroborer les activités du demandeur en tant que dirigeant du BNP [...] ».

[13]  L’agent a ensuite procédé à un examen des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays concernant les partis politiques et les récentes élections tenues au Bangladesh. À l’issue de cet examen, l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

[...] il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs devant moi voulant qu’un groupe ou un individu donné chercherait à causer des préjudices au demandeur à son retour au Bangladesh après une absence de plus de quatre ans. Je reconnais que les éléments de preuve documentaire montrent que le Bangladesh continue d’être le théâtre d’instabilité et de violence politiques et que les droits de la personne sont toujours bafoués, mais je conclus que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour me convaincre qu’il serait pris pour cible à son retour au Bangladesh. [...] Je ne suis pas convaincu que le demandeur serait exposé au risque d’être persécuté, d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités pour quelque raison que ce soit s’il retournait au Bangladesh.

[14]  Après avoir tiré cette conclusion, l’agent a souligné l’observation du demandeur selon laquelle, étant donné qu’une audience n’avait jamais été tenue à l’égard de sa demande d’asile, une audience devrait avoir lieu si sa crédibilité représentait une question déterminante ou pour clarifier toute préoccupation se rapportant aux documents présentés. L’agent a renvoyé à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). Immédiatement après avoir reproduit la disposition, l’agent a souligné qu’il incombait au demandeur de fournir des éléments de preuve montrant qu’il serait exposé au risque d’être persécuté, d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Bangladesh. Il a ensuite affirmé : [traduction] « J’ai apprécié la demande, apprécié les observations et les éléments de preuve fournis par le demandeur, et mené une recherche minutieuse sur la situation dans le pays, et je ne crois pas qu’une audience soit nécessaire ».

[15]  L’agent a conclu ses observations en affirmant que, sur la foi d’une analyse approfondie de l’ensemble de la preuve, le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il serait exposé à des risques à son retour au Bangladesh.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle qui s’applique à la question de savoir si une audience doit être tenue à l’égard d’une décision relative à un ERAR n’est pas tranchée. Les récentes décisions de la Cour à cet égard divergent et suivent l’une de deux voies (Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132 aux paragraphes 10 à 12).

[17]  Selon une voie, la portée du contrôle applicable est la norme de la décision correcte sans déférence accordée au décideur, parce que la question de savoir si une audience est requise est une question d’équité procédurale. L’autre voie applique une norme déférente du caractère raisonnable parce que l’application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du RIPR est une question mixte de droit et de fait.

[18]  En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui devrait s’appliquer à la décision de l’agent de ne pas tenir d’audience. Le demandeur formule la question en litige comme une question d’équité procédurale, qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte, tandis que le défendeur prétend que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable puisque la question de savoir si le demandeur a qualité de personne à protéger est une question mixte de fait et de droit.

[19]  Pour ma part, la question de savoir si une audience doit être tenue dans les décisions relatives à un ERAR soulève une question d’équité procédurale. La décision de l’agent de ne pas tenir d’audience devrait par conséquent être examinée selon la norme de la décision correcte.  

[20]  Cela oblige la Cour à établir si le processus qu’a suivi l’agent correspond au niveau d’équité requis par les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au paragraphe 115). Le cadre analytique ne concerne pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable que l’équité et la justice naturelle. Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 au paragraphe 74).

[21]  Comme l’a récemment fait observer la Cour d’appel fédérale : « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée. » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54). Une procédure inéquitable ne sera ni raisonnable ni correcte, tandis qu’une procédure équitable sera à la fois raisonnable et correcte.

[22]  Il convient de noter que l’alinéa 113b) de la LIPR, qui prévoit : « une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires » [non souligné dans l’original], n’exige pas la tenue d’une audience. Le pouvoir discrétionnaire du ministre à cet égard est toutefois quelque peu limité par les facteurs énoncés à l’article 167 de la LIPR :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing — prescribed factors

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[23]  La jurisprudence de la Cour présente aussi des divergences sur la question de savoir si chacun des trois facteurs doit être présent pour que la tenue d’une audience soit requise. Par exemple, dans la décision Mosavat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647 au paragraphe 11, la Cour a statué : « Une audience est seulement nécessaire si tous les facteurs prévus à l’article 167 du Règlement sont réunis ». Toutefois, dans la décision Hurtado Prieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253, la Cour a conclu ce qui suit :

[30]  [...] l’article 167 décrit deux types de situations où des questions de crédibilité nécessiteront la tenue d’une audience. L’alinéa a) vise la situation où des éléments de preuve dont l’agent est saisi contredisent directement le récit du demandeur. Les alinéas b) et c), par ailleurs, énoncent un critère consistant essentiellement à se demander si une décision favorable aurait été rendue n’eut été la question de la crédibilité du demandeur. En d’autres mots, il faut se demander si l’acceptation pleine et entière de la version des faits du demandeur donnerait nécessairement lieu à une décision favorable. S’il est satisfait à l’un ou l’autre critère, la tenue d’une audience sera requise.

[24]  En l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si tous les facteurs prescrits ou quelques‑uns d’entre eux seulement doivent être présents pour que soit requise la tenue d’une audience. Cela n’est pas nécessaire parce que, à la lumière de la décision Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27 au paragraphe 16, l'article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d'une façon qui peut entraîner une décision défavorable à l'issue de l'ERAR car il vise à permettre à un demandeur de répondre à toute préoccupation liée à la crédibilité susceptible d’être soulevée (ce raisonnement a récemment été appliqué dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165 au paragraphe 23).

[25]  En ce qui concerne la décision de l’agent dans son ensemble, il est bien établi en droit qu’une décision relative à un ERAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Sing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 361 au paragraphe 55; Belaroui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863 au paragraphe 9).

B.  Les observations du demandeur

[26]  Le demandeur affirme que la tenue d’une audience était requise étant donné que sa crédibilité était mise en doute. Il estime que, même si l’agent a pris note de sa demande qu’une audience ait lieu, ce dernier a accordé à celle-ci une attention superficielle. Le demandeur reconnaît que la tenue d’une audience est discrétionnaire. Toutefois, lorsque la crédibilité est remise en cause, il prétend que l’agent a fait entrave à son pouvoir discrétionnaire en ne lui accordant pas d’audience.

[27]  Selon le demandeur, même s’il n’a pas explicitement affirmé qu’il n’était pas crédible, l’agent a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité au sujet de son activisme pour le BNP. Le demandeur estime que l’agent a, de façon déraisonnable, conclu que la lettre du BNP ne fournissait pas assez d’éléments de preuve objectifs qu’il avait été personnellement pris pour cible en raison de son association avec le BNP. Il soutient que, lorsqu’un décideur tire des conclusions voilées quant à la crédibilité, celles-ci commandent le même degré d’équité procédurale que toute autre conclusion explicite quant à la crédibilité.

[28]  De plus, le demandeur déclare qu’il était clairement inscrit sur son affidavit qu’il était exposé à des risques, et puisque ses éléments de preuve sont présumés être crédibles et être liés aux risques auxquels il est exposé, une audience aurait dû avoir lieu. Il estime que l’absence d’éléments de preuve documentaire ne peut pas être invoquée pour mettre en doute un affidavit, et que les éléments de preuve doivent être pris pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qui n’y est pas.

[29]  Le demandeur estime que l’agent a de façon déraisonnable rejeté la lettre du BNP parce que l’auteur n’avait pas de connaissance directe de son activisme au Bangladesh. En dépit du fait qu’il a présenté de nombreux éléments de preuve documentaire montrant que les partisans du BNP sont la cible de violence politique, le demandeur soutient que, parce qu’aucun de ces éléments n’a été abordé dans les motifs de l’agent, la décision devrait être cassée.

C.  Les observations du défendeur

[30]  Le défendeur affirme que l’agent a pris note des facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR et qu’il était, par conséquent, sensible à la question de l’audience. Il interprète les conclusions tirées par l’agent comme signifiant que le demandeur n’est exposé à aucun risque prospectif de préjudice, et non pas comme une conclusion d’absence de crédibilité.

[31]  Le défendeur estime que la décision de l’agent d’accorder peu de valeur probante à la lettre du BNP était appropriée, étant donné que l’auteur n’a pas précisé les activités auxquelles le demandeur avait participé, comment il connaissait le demandeur ou qui aurait voulu du mal au demandeur après que celui-ci eut passé quatre ans à l’extérieur du pays. Le défendeur souligne que la Cour n’a pas à apprécier à nouveau les éléments de preuve.

[32]  Le défendeur affirme que les éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur renvoient aux dirigeants et aux militants actuels de l’opposition, et non pas à des membres passés et que, pour cette raison, ils ne contribuent pas à l’analyse des risques prospectifs courus par le demandeur. Il précise que, étant donné que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents, il n’est pas nécessaire de les examiner.

D.  Une audience aurait dû avoir lieu

[33]  La crédibilité du demandeur était clairement en cause lorsque l’agent a écrit [traduction] « les observations et les documents présentés comportaient peu d’éléments de preuve pour corroborer les activités du demandeur en tant que dirigeant du BNP pendant qu’il était au Bangladesh ». Cette affirmation montre que l’agent avait des réserves inexpliquées et inexprimées quant à la crédibilité du demandeur. J’estime que cette déclaration constitue une conclusion voilée quant à la crédibilité parce que l’agent a cherché des éléments de preuve pour corroborer l’affirmation du demandeur selon laquelle celui-ci était exposé à la persécution politique et à un risque personnalisé en raison de son activisme en faveur du BNP. L’agent n’a pu tirer cette conclusion qu’en jugeant que le demandeur n’était pas crédible ou qu’en ayant des doutes au sujet d’affirmations contenues dans l’affidavit du demandeur.

[34]  L’agent a affirmé explicitement que l’affidavit du demandeur avait été accepté en tant que fondement de sa demande d’asile. Il n’a pas explicitement conclu que le demandeur n’était pas crédible et n’a pas non plus renvoyé à des contradictions, incohérences ou invraisemblances découlant de son témoignage assermenté dans son affidavit. Cela va à l’encontre de la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF n248 au paragraphe 5 : « Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. » L’agent n’a exprimé aucun doute de cette nature en l’espèce.

[35]  Contrairement à la plupart des demandeurs d’asile, le demandeur n’a jamais eu d’audience devant la SPR. Le désistement de sa demande d’asile a été prononcé, et la SPR a refusé de la rouvrir. La Cour a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR en mai 2015.

[36]  En l’espèce, le demandeur n’a jamais eu la possibilité de répondre aux réserves quant à la crédibilité que soulevait sa demande d’asile. L’agent a accepté l’affidavit du demandeur sans poser de question. Si l’agent avait des réserves quant au fondement de la demande d’asile du demandeur ou quant à la crédibilité de celui-ci, une audience aurait dû avoir lieu avant que l’agent ne rende une décision défavorable (et, peut-être, à plus forte raison parce que la demande d’asile et la crédibilité du demandeur n’ont pas été appréciées dans le cadre d’une audience devant la SPR).

E.  La lettre du BNP et le rapport médical

[37]  Je souscris à l’observation du demandeur selon laquelle il était inapproprié et déraisonnable que l’agent rejette la valeur probante de la lettre du BNP. Même si la lettre n’établit pas que le demandeur est exposé à un risque continu, si l’agent n’avait pas douté de l’association du demandeur au BNP, les éléments de preuve documentaire n’en font pas moins ressortir qu’il existe un risque continu pour lui au Bangladesh. Divers reportages dans les éléments de preuve sur la situation au pays montrent que les personnes qui sont considérées comme des dirigeants et des militants du BNP ont été expressément prises pour cible depuis que l’AL est arrivée au pouvoir. Il y a aussi un rapport de l’organisme Freedom House paru en 2017 faisant état d’une hausse des gestes de harcèlement par le gouvernement à l’égard des membres de l’opposition politique et du fait que le gouvernement de l’AL harcèle des membres en vue du BNP en leur imposant des assignations à résidence, en les jetant en prison ou en les forçant à vivre dans la clandestinité ou à s’exiler.

[38]  L’appréciation par l’agent des éléments de preuve médicaux fournis par le demandeur afin de corroborer qu’il avait été tabassé était déraisonnable. L’agent a estimé que les éléments de preuve ne corroboraient pas les circonstances dans lesquelles le demandeur avait été blessé pendant l’agression. J’estime qu’aucun rapport médical ne pourrait servir à établir que les agresseurs étaient motivés par des considérations politiques. À cet égard, l’agent a mal interprété la raison pour laquelle les éléments de preuve médicaux avaient été présentés : le demandeur a voulu attester les blessures qu’il a subies à la date déclarée sous serment, et son affidavit expliquait les circonstances dans lesquelles il avait été blessé.

IV.  Conclusion

[39]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie, la décision de l’agent est cassée, et l’affaire est renvoyée à un agent d’immigration différent pour nouvel examen. L’agent procédant au réexamen devrait tenir une audience.

[40]  Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-1127-18

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie; l’affaire est renvoyée à un agent d’immigration différent pour réexamen après une audience; et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juin 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1127-18

 

INTITULÉ :

YOUNUS KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 DÉCEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 aVril 2019

 

COMPARUTIONS :

Subodh Bharati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Subodh Bharati

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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