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Date : 20030829

Dossier : T-1129-03

Référence : 2003 CF 1013

ENTRE :

                                                                 NOËL AYANGMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 La défenderesse, Sa Majesté la Reine (SMR), tente en l'espèce d'obtenir du demandeur un cautionnement pour les dépens au montant de 10 000 $, somme qui, selon SMR, correspond environ aux deux tiers de la totalité de ses dépens.


[2]                 Le demandeur, employé du gouvernement du Canada qui se représente lui-même, a intenté son action le 3 juillet 2003, puis a modifié la déclaration le lendemain. Il allègue que des fonctionnaires de SMR l'ont diffamé avec malveillance dans le cadre de ce qu'il qualifie de processus irrégulier de sélection d'un candidat en vue de pourvoir le poste de gestionnaire de projets au sein de l'une des directions du ministère de la Santé et du Bien-être social; il faisait partie des candidats ayant posé leur candidature à ce poste.

[3]                 La défenderesse demande un cautionnement pour les dépens en application des alinéas 416(1)e) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) et affirme que le demandeur ne devrait pas bénéficier de la protection offerte par l'article 417.

[4]                 Les articles 416 et 417 des Règles sont ainsi rédigés :



416. (1) Lorsque, par suite d'une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l'une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

a) le demandeur réside habituellement hors du Canada;

b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n'est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu'il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu'il lui soit ordonné de le faire;

c) le demandeur n'a pas indiqué d'adresse dans la déclaration, ou y a inscrit une adresse erronée, et il n'a pas convaincu la Cour que l'omission ou l'erreur a été faite involontairement et sans intention de tromper;

d) le demandeur a changé d'adresse au cours de l'instance en vue de se soustraire aux conséquences du litige;

e) le demandeur est partie à une autre instance en cours ailleurs qui vise la même réparation;

f) le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie;

g) il y a lieu de croire que l'action est frivole ou vexatoire et que le demandeur ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens s'il lui est ordonné de le faire;h) une loi fédérale autorise le défendeur à obtenir un cautionnement pour les dépens.

Cautionnement en tranches

416(2)

(2) La Cour peut ordonner que le cautionnement pour les dépens soit fourni en tranches représentant les dépens engagés.

Défaut du demandeur

416(3)

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, le demandeur qui ne fournit pas le cautionnement ordonné aux termes des paragraphes (1) ou (2) ne peut prendre de nouvelles mesures dans l'instance, autres que celle de porter en appel l'ordonnance de cautionnement.

Résident temporaire

416(4)

(4) La partie qui réside habituellement hors du Canada peut être contrainte par ordonnance à fournir un cautionnement pour les dépens, même si elle réside temporairement au Canada.

Paiement volontaire

416(5)

(5) En l'absence de l'ordonnance visée au paragraphe (1), le demandeur peut, après avoir déposé sa déclaration, consigner une somme d'argent à la Cour à titre de cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur et en aviser celui-ci.

Cautionnement plus élevé

416(6)

(6) La Cour peut, sur requête du défendeur, ordonner au demandeur qui a consigné une somme d'argent à la Cour en application du paragraphe (5) de consigner un montant additionnel.

Motifs de refus de cautionnement

417

417. La Cour peut refuser d'ordonner la fourniture d'un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause. [Non souligné dans l'original.]

416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

(a) the plaintiff is ordinarily resident outside Canada,

(b) the plaintiff is a corporation, an unincorporated association or a nominal plaintiff and there is reason to believe that the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant if ordered to do so,

(c) the plaintiff has not provided an address in the statement of claim, or has provided an incorrect address therein, and has not satisfied the Court that the omission or misstatement was made innocently and without intention to deceive,

(d) the plaintiff has changed address during the course of the proceeding with a view to evading the consequences of the litigation,

(e) the plaintiff has another proceeding for the same relief pending elsewhere,

(f) the defendant has an order against the plaintiff for costs in the same or another proceeding that remain unpaid in whole or in part,

(g) there is reason to believe that the action is frivolous and vexatious and the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant, if ordered to do so, or

(h) an Act of Parliament entitles the defendant to security for costs,

the Court may order the plaintiff to give security for the defendant's costs.

Staging

416(2)

(2) The Court may order that security for the costs of a defendant be given in stages, as costs are incurred.

Further steps

416(3)

(3) Unless the Court orders otherwise, until the security required by an order under subsection (1) or (2) has been given, the plaintiff may not take any further step in the action, other than an appeal from that order.

Party temporarily resident in Canada

416(4)

(4) A party ordinarily resident outside Canada may be ordered to give security for costs, notwithstanding that the party may be temporarily resident in Canada.

Voluntary payment into court

416(5)

(5) In the absence of an order under subsection (1), a plaintiff may, at any time after filing a statement of claim, pay an amount into court as security for the defendant's costs and give notice of the payment to the defendant.

Increase in security

416(6)

(6) The Court may, on the motion of a defendant, order a plaintiff who has paid an amount into court under subsection (5) to pay in an additional amount as security for the defendant's costs.

Grounds for refusing security

417

417. The Court may refuse to order that security for costs be given under any of paragraphs 416(1)(a) to (g) if a plaintiff demonstrates impecuniosity and the Court is of the opinion that the case has merit.


[5]                 Depuis 1997, le demandeur a introduit devant la présente Cour treize (13) instances (actions ou contrôles judiciaires) contre SMR.


[6]                 Les actions ont donné lieu à plusieurs procédures interlocutoires dans le cadre desquelles le demandeur a été condamné aux dépens. La taxation de ces dépens fait l'objet de trois décisions et s'élève à la somme totale de 9 834,16 $.

[7]                 De plus, SMR est sur le point de taxer d'autres dépens adjugés contre le demandeur, notamment en ce qui concerne un appel à la Cour d'appel fédérale. La défenderesse prévoit que les dépens, une fois taxés, excéderont 14 000 $.

[8]                 Le 2 janvier 2002, la défenderesse a procédé à une saisie-arrêt du salaire du demandeur pour une somme de 100 $ par chèque de paye. Des dépens taxés à 9 834,16 $, il reste à l'heure actuelle un solde impayé de 5 734,16 $ plus les intérêts.

[9]                 SMR demande également à la Cour de rendre les ordonnances accessoires suivantes :

(1)        une ordonnance, en application du paragraphe 416(3) des Règles, interdisant au demandeur de prendre toute autre mesure dans la présente action tant que le cautionnement n'aura pas été fourni et que tous les dépens impayés afférents aux autres instances n'auront pas été réglés en totalité;


(2)        une ordonnance, en vertu de la compétence inhérente de la Cour, rejetant l'action sans autre avis si le demandeur omet, dans les 120 jours suivant la date de l'ordonnance, de fournir le cautionnement pour les dépens de 10 000 $ et de régler les dépens payables à la défenderesse au titre de toutes les autres questions soumises à la Cour;

(3)        une ordonnance portant que la défenderesse est libre de demander l'adjudication de ses dépens et (ou) de prendre des mesures de recouvrement pour tous les dépens impayés afférents à la présente action et à toute autre instance dont la Cour est saisie;

(4)        une ordonnance pour les dépens de la présente requête, payables sans délai et quelle que soit l'issue de la cause, sur une base avocat-client;

(5)        une ordonnance, en application de l'article 8 des Règles, accordant à la défenderesse une prorogation de délai de trente (30) jours, pour déposer sa défense, à compter de la date où elle recevra l'un ou l'autre des avis suivants :

(i)         un avis l'informant que les dépens impayés afférents à toutes les instances dont la Cour est saisie ont été réglés en totalité et que le cautionnement pour les dépens a été fourni;

(ii)        un avis l'informant que la requête relative au cautionnement pour les dépens est rejetée.


[10]            Comme il est signalé plus haut, SMR invoque également l'alinéa 416(1)e) des Règles comme motif supplémentaire et distinct qui justifie le prononcé d'une ordonnance portant obligation de fournir un cautionnement pour les dépens. La défenderesse affirme que le demandeur est partie à une autre instance en cours, devant la Cour, par laquelle il souhaite obtenir la même réparation. Il s'agit du dossier de la Cour numéro T-900-03, dans lequel le demandeur sollicite, en qualité de requérant, une ordonnance :

a)         portant sursis du processus de dotation en personnel et de sélection actuellement en cours qui vise à pourvoir le poste de gestionnaire de projets;

b)         indemnisant le demandeur de son manque à gagner;

c)         dédommageant le demandeur (requérant) au titre du rappel de salaire;

d)         accordant des dommages-intérêts pour préjudice moral;

e)         accordant des dommages-intérêts pour traitement ou pratiques injustes et (ou) discriminatoires.

ANALYSE

[11]            À mon avis, la requête présentée par la défenderesse en vue d'obtenir un cautionnement pour les dépens doit être tranchée en application de l'alinéa 416(1)f) des Règles.


[12]            La défenderesse ne m'a pas convaincu que l'alinéa 416(1)e) des Règles s'applique en l'espèce. Pour que cette disposition s'applique, il faut que le demandeur soit partie à une autre instance en cours ailleurs qui vise la même réparation. Selon moi, le demandeur, par la présente action T-1129-03, ne tente pas d'obtenir la même réparation que celle recherchée dans le cadre de l'action T-900-03. Cette dernière instance concerne une demande de contrôle judiciaire à l'égard du processus de sélection suivi pour pouvoir le poste de gestionnaire de projets. On a toutefois joint à tort à cette action une demande de mesure de redressement accessoire sous forme de dommages-intérêts. Or, ce genre de demande ne peut être accordée lors d'un contrôle judiciaire.

[13]            À mon sens, la défenderesse est fondée à obtenir une ordonnance de cautionnement en application de l'alinéa 416(1)f) puisque la preuve produite par SMR à l'appui de la présente requête satisfait à toutes les conditions auxquelles l'application de cette disposition est assujettie. SMR a déposé trois certificats de taxation montrant que les dépens ont été taxés et que le demandeur a été condamné à les payer. Même s'ils font l'objet d'un cautionnement, ces dépens demeurent en partie impayés.

[14]            Suivant l'alinéa 416(1)f) des Règles, un défendeur n'est pas tenu de remplir d'autres exigences que celles expressément énoncées dans cette disposition. Plus particulièrement, un défendeur n'a pas à établir, comme c'est le cas avec l'alinéa 416(1)g) des Règles, que l'action du demandeur est mal fondée et que ce dernier ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens du défendeur.

[15]            La structure même du paragraphe 416(1) des Règles mène à cette conclusion. En effet, chacun des alinéas de ce paragraphe prévoit un motif distinct et indépendant justifiant la Cour d'ordonner au demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens susceptibles d'être adjugés au défendeur.


[16]            La défenderesse fait valoir que le demandeur ne peut invoquer l'article 417 des Règles pour se prémunir contre une ordonnance de cautionnement pour les dépens. Je suis d'accord avec elle pour la simple raison que Monsieur Ayangma n'a pas allégué l'article 417 comme moyen d'éviter qu'une ordonnance de cautionnement pour les dépens ne soit rendue. D'après cette disposition, il incombe au demandeur de prouver l'indigence selon la prépondérance des probabilités et il doit présenter à la Cour des éléments de preuve établissant le bien-fondé de sa cause. Comme il est précisé plus haut, Monsieur Ayangma n'a pas tenté de faire cette preuve.

[17]            SMR demande un cautionnement pour les dépens de 10 000 $, somme qui correspond environ aux deux tiers des dépens qu'elle prévoit devoir engager pour présenter une défense pleine et entière à l'action du demandeur et qui s'élèvent à 17 270 $.

[18]            Selon le paragraphe 416(2) des Règles, la Cour peut ordonner que le cautionnement pour les dépens d'un défendeur soit fourni en tranches, au fur et à mesure que des dépens sont engagés. À mon avis, le cautionnement en tranches assure l'équité et permet d'atteindre un équilibre entre les intérêts du demandeur et ceux du défendeur.

[19]            J'estime que, pour l'instant, rien ne justifie la Cour d'obliger Monsieur Ayangma à payer les deux tiers des dépens totaux prévus par la défenderesse ou à déposer un cautionnement pour cette somme comme il est énoncé à l'article 418 des Règles.


[20]            J'ordonne donc au demandeur de fournir à la défenderesse, à titre de première tranche, un cautionnement pour les dépens de 1 300 $ au plus tard le 30 septembre 2003. Cette somme permettra de couvrir les frais estimés de la préparation de la défense de la Couronne, de la présente requête ainsi que de l'affidavit de documents de la défenderesse, de l'établissement de la liste de ceux-ci et de leur examen.

[21]            Je suis également disposé à ordonner maintenant que le demandeur fournisse à la défenderesse un cautionnement pour les dépens dans pas moins de trente jours après avoir reçu l'affidavit de documents de SMR, avant que cette dernière n'ait à passer du temps et à déployer des efforts pour préparer l'interrogatoire préalable et se présenter à celui-ci. J'ai provisoirement fixé le montant du cautionnement à la somme de 3 000 $, mais j'accorde à la défenderesse la permission d'en demander la modification lorsqu'elle sera en mesure de préciser le montant définitif de ses dépens.


[22]            SMR souhaite que la Cour, sur le fondement du paragraphe 416(3) des Règles, ordonne au demandeur de ne prendre aucune nouvelle mesure dans la présente action, à moins qu'il ne respecte l'ordonnance de cautionnement et à moins qu'il ne règle en totalité l'ensemble des frais impayés afférents aux autres instances. Je ne suis pas disposé à rendre une telle ordonnance dans le cadre de la présente requête écrite déposée en application de l'article 369 des Règles. En revanche, il ressort sans équivoque de la règle pertinente que le demandeur ne peut prendre de nouvelle mesure dans la présente instance à moins qu'il ne fournisse le cautionnement ordonné en l'espèce.

[23]            L'ordonnance demandée ne peut être rendue que si la question de l'interprétation que doit recevoir le paragraphe 416(3) et celle de savoir si les termes « Sauf ordonnance contraire de la Cour » peuvent renvoyer à des points autres que la fourniture d'un cautionnement pour les dépens, ont fait l'objet de plaidoiries complètes. Cette même observation est également pertinente dans la mesure où la défenderesse fonde sa demande visant à obtenir une telle ordonnance sur la compétence inhérente de notre Cour.

[24]            Le même raisonnement s'applique en ce qui touche la demande par laquelle SMR tente d'obtenir une ordonnance portant rejet de la présente action, sans autre avis au demandeur, si ce dernier omet de fournir le cautionnement pour les dépens contrairement à l'ordonnance prononcée à cet effet. La Cour est saisie de cette question dans le cadre d'une autre instance qui oppose les mêmes parties.

[25]            Enfin, à mon sens, rien ne justifie de condamner le demandeur à fournir un cautionnement pour les dépens sur une base avocat-client puisqu'il n'a pas franchi les limites fixées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, soit l'existence d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante.


[26]            La défenderesse a droit aux dépens afférents à la présente requête, taxés selon la colonne III du tarif B.

[27]            La défenderesse n'est pas tenue de déposer sa défense tant que le demandeur n'aura pas fourni le cautionnement pour les dépens ordonné en l'espèce.

[28]            À mon avis, la troisième ordonnance demandée, laquelle est explicitée au numéro 3 du paragraphe 9 des présents motifs, ne serait d'aucune utilité. La défenderesse n'a pas réussi à me convaincre qu'elle ne pourrait continuer de prendre des mesures de recouvrement légitimes en l'absence d'une telle ordonnance.

                                                       « François Lemieux »          

                                                                                                                                                                 Juge                         

OTTAWA (ONTARIO)

LE 29 AOÛT 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-1129-03

INTITULÉ :                                                           NOËL AYANGMA c. SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE EXAMINÉE PAR ÉCRIT SANS LA COMPARUTION DES PARTIES.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                        LE 29 AOÛT 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Noël Ayangma                                                          POUR LE DEMANDEUR, EN SON PROPRE NOM

James Gunvaldsen-Klaassen                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

NOËL AYANGMA                                                POUR LE DEMANDEUR

Charlottetown (Î.-P.-É.)

MORRIS ROSENBERG                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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