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Date : 20000120


Dossier : IMM-2239-99

OTTAWA (Ontario), le 20 janvier 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY


ENTRE :

     MICHAEL OSAGIE OSADOLOR,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.

     VU la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vue d"obtenir l"annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a statué, le 1er avril 1999, que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention;

     APRÈS avoir entendu les avocats du demandeur et du défendeur à Toronto, le 17 janvier 2000, l"affaire ayant alors été mise en délibéré, et après avoir examiné les arguments qui ont alors été présentés;


ORDONNANCE

     LA COUR STATUE QUE la demande est accueillie. La décision contestée est annulée et la revendication du statut de réfugié du demandeur est renvoyée à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.




" W. Andrew MacKay "

JUGE

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.



Date : 20000120


Dossier : IMM-2239-99



ENTRE :

     MICHAEL OSAGIE OSADOLOR,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.






     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY



[1]          Le demandeur est un citoyen du Nigéria qui a quitté son pays en janvier 1998 pour se rendre au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié. Après avoir examiné sa revendication, entendue en février 1999, un tribunal de la Section du statut de réfugié a statué, dans une décision prononcée en avril 1999, que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.



[2]          Voici de brefs motifs à l"appui d"une ordonnance, prononcée aujourd"hui, accueillant la demande, annulant la décision du tribunal et renvoyant l"affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué.



[3]          Dans sa décision, le tribunal a reconnu que le demandeur est un citoyen du Nigéria et a dit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, à partir de la preuve dont il disposait, que le demandeur craignait d"être persécuté au moment où il a quitté le Nigéria en 1998. Toutefois, il a conclu que le demandeur n"a plus de motifs valables de craindre d"être persécuté s"il retourne au Nigéria parce que la situation au Nigéria a connu, avant le prononcé de cette décision en 1999, des changements qui, de l"avis du tribunal, sont [Traduction] " suffisamment importants, réels et durables pour que la crainte du demandeur d"être persécuté soit maintenant déraisonnable et non fondée ".



[4]          Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis trois erreurs importantes en tirant cette conclusion. Premièrement, en rendant sa décision, le tribunal a statué que le gouvernement ne s"intéresserait plus au demandeur. Or, il aurait tiré cette conclusion sans apprécier la preuve établissant que le frère du demandeur, qui a été arrêté en raison de l"opposition apparente du demandeur au régime, même s"il a été libéré par la suite, doit toujours se présenter mensuellement au poste de police. Deuxièmement, le tribunal aurait fait un tri parmi les éléments de preuve documentaire cités et se serait reporté aux rapports favorables à ses conclusions, sans faire mention des rapports qui les contredisent. Troisièmement, le tribunal aurait censément commis une erreur en s"appuyant sur une décision d"un autre tribunal de la SSR statuant sur un autre litige pour tirer sa conclusion concernant les changements survenus au Nigéria.



[5]          Sans autres remarques sur les deux premiers moyens invoqués par le demandeur, je dirai que le troisième point soulevé, soit le fait que le tribunal se soit appuyé sur la décision d"un autre tribunal, me semble constituer la question la plus grave en l"espèce. C"est celle qui, dans les circonstances, justifie que la Cour intervienne et rende une ordonnance annulant la décision du tribunal.



[6]          La décision du tribunal s"appuie sur des documents concernant les nombreux changements survenus au Nigéria, en ce qui concerne le gouvernement et ses programmes, depuis que le demandeur a quitté le pays en janvier 1998. Il s"agit notamment du décès de l"ancien dictateur militaire en juin 1998 et de son remplacement par un autre général de l"armée, ainsi que du décès du chef Abiola, qui avait été élu en 1993 à titre de président, mais qui avait été empêché d"exercer ses fonctions et avait été emprisonné par les militaires. Le tribunal s"est aussi appuyé sur des documents relativement à plusieurs changements importants effectués, après son entrée en fonction en juillet 1998, par le nouveau président qui a mis fin à de nombreuses pratiques de répression politique et favorisé des élections locales libres ainsi que libéré des centaines de prisonniers politiques. Le tribunal a ensuite parlé du nouveau président et des changements opérés sous sa gouverne, en se reportant dans les termes suivants à une décision rendue par un autre tribunal dans une affaire différente :

     [Traduction] Le tribunal reconnaît que le général Abubakar est à la tête d"une dictature militaire. Toutefois, d"après la preuve documentaire, il conclut que les changements effectués dans le gouvernement et le passage à un régime civil ont eu des conséquences importantes pour ce qui est de la réduction des violations des droits de l"homme. Pour tirer ces conclusions, il fait sien le raisonnement retenu par le commissaire Sangmuah dans le dossier U98-00941.
Le fait que le Nigéria soit dirigé par des militaires n"est pas déterminant. C"est l"intention du chef d"État qui importe. S"il a l"intention de se succéder à lui-même et utilise l"appareil étatique à des fins de répression, comme l"a fait le général Abacha, les droits de la personne sont bafoués en conséquence. Si le chef d"État est sincère, comme l"était le général Obasanjo en 1979 et comme le général Abubakar semble l"être, on constate une progression des libertés civiles et on peut envisager une transition vers un régime civil de façon positive.
...
     Le tribunal a la certitude que des changements importants sont survenus au Nigéria. Il conclut que ces changements sont suffisamment durables pour écarter la crainte bien fondée du revendicateur d"être persécuté. Dans l"affaire précitée, le commissaire Sangmuah énonce un raisonnement concernant la durabilité, qui concorde avec celui du tribunal.
Quant à ce qui arriverait après le retour à un régime civil, on spéculerait en prédisant le retour à un régime militaire peu de temps après. La Section du statut de réfugié ne possède pas de boule de cristal et ne peut voir dans les astres ce qu"il adviendra des droits politiques ou des droits de la personne. Même si un général s"emparait du pouvoir plus tard, personne ne sait quelles personnes deviendraient la cible du nouveau régime ni si, en fait certaines personnes ou certains groupes auraient de bonnes raisons de craindre d"être persécutés pour un motif énoncé dans la Convention.
     Le tribunal conclut que la situation a changé de façon importante au Nigéria.
...



[7]          L"avocat du défendeur reconnaît qu"il n"a pas été fait mention, à l"audience tenue devant le tribunal ou à un autre moment avant le prononcé de sa décision, de la décision antérieure sur laquelle le tribunal s"est appuyé et dont il a adopté le raisonnement pour tirer sa conclusion relativement aux changements de la situation qui sont survenus au Nigéria depuis le départ du demandeur et en raison desquels sa crainte d"être persécuté n"est pas fondée. Le demandeur fait valoir que le processus suivi par le tribunal était inéquitable du fait qu"il ne lui a pas fourni la possibilité de lui exposer son point de vue sur la décision antérieure mentionnée en l"espèce ni sur le fait que le tribunal l"utilise pour fonder sa décision. Il soutient que cela est d"autant plus important lorsque les procédures des différents tribunaux de la SSR se déroulent à huis clos et qu"il n"existe pas de document public dans lequel est consignée la procédure ou la décision du tribunal, à moins que ses décisions fassent l"objet d"une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, le demandeur n"a pas la possibilité de contester la pertinence de la décision antérieure à partir de la preuve produite devant le tribunal qui a rendu la décision antérieure, comparée à la preuve produite devant le tribunal en l"espèce.



[8]          Le défendeur fait valoir que le tribunal s"est simplement appuyé sur le raisonnement énoncé par un autre tribunal dans une décision antérieure à l"appui de sa propre conclusion concernant le changement de la situation survenu au Nigeria, mais l"avocat du défendeur a aussi admis que le poids accordé à l"autre décision avait joué un rôle important dans la décision contestée du tribunal.



[9]          Je suis d"avis que le tribunal a commis une erreur en rendant sa décision en l"espèce parce qu"il s"est appuyé sur une décision non publiée rendue dans une instance antérieure, sans accorder au demandeur la possibilité de faire valoir son point de vue à son égard. Il a agi ainsi pour tirer une conclusion relative aux changements de la situation qui, selon la jurisprudence, constitue clairement une conclusion de fait. Bien que le tribunal affirme, dans sa décision, faire sien le raisonnement retenu par un autre tribunal, il le fait relativement à une conclusion de fait déterminante en l"espèce. Cela suffit, selon moi, pour justifier l"intervention de la Cour.




[10]          La Cour rend donc une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire, annulant la décision en cause et renvoyant l"affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué.





                                        

                                 " W. Andrew MacKay "

                                         JUGE


OTTAWA (Ontario)

20 janvier 2000.

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-2239-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Michael Osagie Osadolor c. M.C.I.
LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          17 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :          20 janvier 2000


ONT COMPARU :

Me Kingsley Jesuorobo          pour le demandeur
Me Ian Hicks                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kingsley Jesuorobo          pour le demandeur

North York (Ontario)

Me Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-Procureur général du Canada

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