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Date : 20190430


Dossier : IMM-3871-18

Référence : 2019 CF 542

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MONIQUE NGAMBU NSIMBA

BENEDICTE DIAZUNA DIAYELE

JESSICA KUZIMBU DIAYELE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Monique Ngambu Nsimba [la demanderesse principale] et ses deux filles mineures, Benedicte Diazuna Diayele et Jessica Kuzimbu Diayele [ensemble, les demanderesses] sont citoyennes de la République Démocratique du Congo. Elles contestent une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] ayant confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant leur demande d’asile et leur refusant le statut de réfugiées et de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 au motif qu’elles n’ont pas établi de façon crédible qu’elles seraient à risque au Congo. Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire des demanderesses doit être rejetée.

I.  Faits

[2]  Monique Mgambu Nsimba est mariée à Bernard Watekedila Diayele, résidant au Congo. En plus de leurs deux filles, ils ont un fils, Emmanuel Bankazi Diayele, citoyen congolais, qui depuis 2014 est étudiant au Canada.

[3]  En juin 2016, les demanderesses arrivent au Canada. Le 9 septembre 2016, elles déposent une demande d’asile.

[4]  Mme Nsimba allègue que son mari, M. Diayele, a travaillé pour la Société nationale d’électricité au Congo. En 2011, il aurait obtenu un emploi à la Banque mondiale comme consultant au ministère de l’Énergie à Kinshasa, et par la suite, de 2013 à 2015, il aurait occupé le poste de coordonnateur du projet Inga-3, un projet de centrale hydroélectrique financé par la Banque mondiale.  En 2014, un nouveau ministre de l’Énergie entre en fonction et M. Diayele aurait été remplacé dans son poste de coordonnateur du projet Inga-3 par un membre du parti au pouvoir. Selon Mme Nsimba, suite au refus de son mari, M. Diayele aurait refusé de détourner des fonds du projet Inga-3, le Président du Sénat ainsi que le Premier ministre auraient cherché à se débarrasser de lui à cause de sa droiture et de son honnêteté.

[5]  Conséquemment, le 29 mars 2015, M. Diayele quitte définitivement son travail. Dans la nuit du 30 mars 2015, quatre militaires congolais, prétextant enquêter sur le projet Inga-3, auraient saisi des ordinateurs et des documents de travail de M. Diayele. Le lendemain, M. Diayele et Mme Nsimba auraient déposé une plainte auprès de la police.

[6]  Un an plus tard, dans la nuit du 22 mai 2016, six militaires congolais forcent la porte de la résidence de Mme Nsimba. Les militaires l’aurait amenée dans le salon alors qu’elle était nue en la menaçant de la tuer devant ses enfants. Elle aurait évité d’être violée grâce à une somme de 600$ que M. Diayele aurait offert aux militaires.  Néanmoins, ces derniers auraient emporté des biens de la maison et ils auraient menacé de revenir car ils cherchaient toujours des documents du projet Inga-3. Les militaires auraient fui après avoir attiré l’attention du voisinage.

[7]  En août 2016, Mme Nsimba, M. Diayele et leurs filles sont venus au Canada visiter leur fils. Les demanderesses ont choisi de rester au Canada afin d’éviter d’autres mauvais traitements de la part du gouvernement congolais. M. Diayele a, quant à lui, retourné par la suite au Congo pour reprendre son emploi auprès de la Société nationale d’électricité.

[8]  Lors de l’audience devant la SPR, Mme Nsimba a témoigné avoir été informée par son mari que des personnes se sont présentées à nouveau à leur résidence au Congo pendant la nuit du 28 août 2016 et du 18 septembre 2016. Toutefois, Mme Nsimba aurait seulement présenté ce nouveau fait à son avocat la veille de l’audience devant la SPR.

[9]  La SPR a rejeté la demande d’asile des demanderesses en raison de différentes contradictions, omissions et incohérences relativement à la description qu’elles ont présentées des invasions de domicile. De plus, la SPR n’a pu déterminer dans quelle mesure ces invasions de domicile sont véritablement liées au projet Inga-3. La SPR a noté également des contradictions lui permettant de douter de la véracité du récit de Mme Nsimba dans la description du comportement des demanderesses suite aux invasions de domicile alléguées. Enfin, la SPR a également noté que, sans être déterminant, le témoignage laborieux de Mme Nsimba, ainsi que le manque de détails au sujet de ses échanges avec M. Diayele, et la décision de ce dernier de retourner au Congo, renforce sa conclusion quant au manque de crédibilité de Mme Nsimba.

[10]  La SAR a rejeté l’appel des demanderesses et a conclu que la SPR n’a pas erré dans son analyse de la preuve et qu’elle a correctement conclu que les demanderesses n’avaient pas établi un risque de retour au Congo.

II.  Question en litige, norme de contrôle et analyse

[11]  La Cour doit déterminer si la SAR a, ou non, erré dans son évaluation de la preuve et de la crédibilité des demanderesses. Je suis d’accord avec les parties que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et la Cour n’interviendra pas en autant que la décision soit justifiée, transparente et intelligible, et que le résultat se situe dans la gamme des conclusions pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47). Par conséquent, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SAR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35), sauf en cas d’erreur de révision de la crédibilité de la SAR, tel que décrit dans Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 aux para 60, 107).

A.  La SAR a-t-elle erré dans son évaluation de la preuve et de la crédibilité des demanderesses?

[12]  Les demanderesses plaident que la SPR et la SAR ont manqué de sensibilité et de compréhension à l’égard de Mme Nsimba, une mère de famille agressée sexuellement par des militaires. Les demanderesses prétendent aussi que la SPR s’est contredite en acceptant la véracité des incidents allégués à l’audience, mais en la mettant en doute dans ses motifs. De plus, les demanderesses reprochent à la SAR de ne pas avoir appliqué la Directive numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié et la Directive numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe dans son analyse de la preuve. Enfin, les demanderesses soutiennent que la SAR a accordé une importance indue au fait que Mme Nsimba ait omis de mentionner le lien entre l’invasion de domicile et le projet Inga-3 dans la plainte qu’elle a présentée à la police.

[13]  Le défendeur répond que la SAR explique de façon raisonnable dans ses motifs les raisons pour lesquelles les demanderesses ne sont pas crédibles quant aux éléments centraux de leur demande. Le manque de crédibilité de celles-ci permet de rejeter leur demande. Le défendeur soutient de plus que la SAR n’a commis aucune erreur dans son analyse de la preuve, que les demanderesses cherchent, en fait, à ce que la Cour réévalue la preuve alors que ce n’est pas son rôle.

[14]  Dans sa décision, la SAR relève plusieurs éléments problématiques qui lui font douter de la crédibilité du récit des demanderesses. Les huit principaux sont cités ci-après :

  1. Les demanderesses sont venues au Canada en 2015 sans y demander l’asile. Mme Nsimba a décidé de rester au Canada avec ses filles en août 2016 plutôt que de rentrer au Congo avec son mari. La SAR retient de ces actions que Mme Nsimba n’a pas fait la preuve d’une crainte subjective puisqu’elle a indiqué ne pas avoir l’intention de rester au Canada lorsqu’elle y est venue et qu’elle n’a pas parlé de ce projet avec son mari.
  2. La SAR conclut que Mme Nsimba a donné des dates incohérentes dans la description des invasions de domicile alléguées. Tout d’abord, lorsqu’elle a été questionnée pendant son audience au sujet de la date à laquelle sa première plainte à la police a été déposée, elle a indiqué que la plainte avait été déposée le 31 mars 2015, soit le lendemain de l’invasion de domicile. Or, plus tard durant l’audience, elle a indiqué ne pas se souvenir à quelle date la plainte avait été déposée. Lorsque la SPR lui a indiqué que la plainte était en fait datée du 2 avril 2015, Mme Nsimba n’a pas été en mesure d’expliquer cette divergence.
  3. Cette plainte à la police ne fait aucunement référence aux demandes des bandits d’obtenir des renseignements sur le projet Inga-3, le supposé mobile de l’invasion de domicile. Sans cet élément important, la SAR conclut que la plainte ne relate rien de plus qu’un vol aléatoire.
  4. La SAR considère que le comportement des demanderesses après la première invasion de domicile ne démontre aucune crainte subjective de persécution. Les demanderesses n’ont pris aucune mesure spéciale pour se protéger d’un autre évènement semblable, alors qu’elles allèguent que les individus impliqués les auraient menacées de revenir.
  5. La SAR n’a pas été convaincue par l’affirmation de Mme Nsimba qu’elle a su que les mêmes individus étaient impliqués dans les deux invasions de domicile car elle aurait reconnu leur voix. La SPR a retenu qu’il était invraisemblable que Mme Nsimba ait reconnu la voix des bandits. Or, pour la SAR, même s’il était vrai que Mme Nsimba ait pu reconnaître les voix, il s’agit d’un élément important qu’elle a omis de mentionner avant son témoignage à l’audience, ce qui nuit à sa crédibilité.
  6. La SAR a confirmé le rejet par la SPR d’un courriel envoyé à Mme Nsimba par son mari. Aucune valeur probante n’est accordée au courriel en raison des nombreuses contradictions entre le contenu de celui-ci et le témoignage de Mme Nsimba.
  1. La SAR a conclu que le comportement des demanderesses à la suite du deuxième incident allégué ne cadrait pas avec une crainte subjective de persécution. De plus, les filles de Mme Nsimba ont contredit cette dernière dans leurs témoignages.

  2. Les demanderesses ont prétendu qu’elles devraient être considérées à titre de réfugiées en dépit de leur manque de crédibilité. Toutefois, la SAR a conclu qu’elles n’avaient pas établi que le gouvernement congolais avait un intérêt particulier envers elles ou que la criminalité au Congo les assujettissait personnellement à un risque accru d’agression sexuelle.

[15]  À mon avis, la SAR pouvait tirer les conclusions de fait mentionnées ci-haut. Pour la SAR, aussi bien que pour la SPR, la crédibilité a été le facteur déterminant. Une conclusion de ce type est du ressort de ces deux tribunaux administratifs. Les omissions, contradictions et incohérences dans un récit peuvent constituer le fondement de conclusions défavorables sur la crédibilité (Akzibekian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 278 au para 18). En l’espèce, les omissions, contradictions et incohérences dans le récit des demanderesses concernent des éléments centraux de celui-ci, notamment la question de savoir si les évènements allégués sont survenus et si les demanderesses ont adopté un comportement compatible avec la crainte subjective de persécution alléguée.

[16]  Finalement, les demanderesses soutiennent que la SPR et la SAR ont omis de mentionner et de suivre les directives 3 et 4 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, et Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe).

[17]  L’absence de mention des directives 3 et 4 dans la décision de la SAR ne peut à elle seule combler les lacunes dans la preuve des demanderesses (Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37 aux para 16-20). Le simple fait de ne pas les mentionner dans la décision n’est pas une erreur déterminante, compte tenu des conclusions sur le manque de crédibilité de Mme Nsimba (Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 598 aux para 33-34).

[18]  Même s’il aurait été souhaitable que les directives soient mentionnées expressément dans les motifs de la SAR, les demanderesses n’ont pas démontré en quoi la SPR ou la SAR ont manqué de se conformer aux principes établis dans ces directives. En l’espèce, la SPR a offert d’amples opportunités à Mme Nsimba d’expliquer les contradictions dans son témoignage. En outre, la SPR est demeurée sensible à la nature potentiellement traumatisante des faits allégués. De même, la SPR a tenu compte de l’âge des filles de Mme Nsimba lors de leur témoignage. Je suis d’avis que ces conclusions tirées suite au témoignage des enfants, ne relèvent pas d’une analyse sélective de la preuve, mais plutôt du processus normal de l’évaluation de la preuve.

[19]  Dans les circonstances, la SAR a jugé l’appel en conformité avec les instructions de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica et n’a commis aucune des erreurs d’évaluation de la crédibilité décrites dans Rozas del Solar. Je suis donc d’avis que la SAR a tiré ses conclusions d’une manière raisonnable et en conformité avec l’arrêt Dunsmuir, c’est-à-dire que la conclusion du tribunal se situe à l’intérieur des conclusions possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

III.  Conclusion

[20]  Les demanderesses requièrent essentiellement de la Cour qu’elle substitue sa propre opinion sur leur crédibilité à celle de la SAR. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de réévaluer la preuve et la crédibilité des demanderesses afin de substituer sa décision à celle de la SAR. En l’espèce, la SAR n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. Compte tenu des nombreuses omissions, contradictions et incohérences dans le témoignage des demanderesses, il était raisonnable pour la SAR de conclure comme elle l’a fait. Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3871-18

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée;

  3. Aucun dépens n’est accordé.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3871-18

INTITULÉ :

MONIQUE NGAMBU NSIMBA ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 mars 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 30 avril 2019

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

Pour les demanderesses

Elsa Michel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François Kasenda Kabemba

Ottawa (Ontario)

Pour les demanderesses

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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