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Date : 20000627

Dossier : T-1565-98

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

LE CONSEIL CANADIEN DES INGÉNIEURS PROFESSIONNELS

demandeur

- et -

APA - THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION

défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]         Il s'agit d'un appel de la décision de la Commission des oppositions du registraire des marques de commerce, rendue le 4 juin 1998, dans laquelle les oppositions soulevées par le Conseil canadien des ingénieurs professionnels (CCIP ou l'appelant) à l'enregistrement de deux marques de commerce projetées de APA - The Engineered Wood Association (APA ou l'intimé) ont été rejetées.

CONTEXTE

[2]         Le 29 avril 1994, l'APA a déposé des demandes pour l'enregistrement de deux marques de commerce, APA - THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION (numéro de demande 753 455) et THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION (numéro de demande 753 456). Les demandes étaient fondées sur leur emploi proposé au Canada en liaison avec les marchandises suivantes :

[TRADUCTION]

des produits de bois lamellé et du bois, incluant des produits utilisés comme pièces de charpente dans la construction immobilière, notamment des poutres lamellées-collées, des poutrelles, des fermes, du plaquage lamellé, du contreplaqué cintré et plat, des panneaux à revêtement travaillant, des poutres en contreplaqué, des panneaux sandwich, des panneaux de contreplaqué remplis de mousse expansée, des panneaux de copeaux longs et des pièces de charpente combinées utilisant ces produits.

et ainsi qu'avec les services suivants :

[TRADUCTION]

des services d'association, notamment pour la promotion des intérêts commerciaux communs des concepteurs et des fabricants de produits de bois de charpente, par exemple en établissant des normes de performance des produits, en effectuant des recherches de produits et de marché, en faisant de la publicité sur des systèmes de produits et leurs applications et en tenant des séminaires pour les acheteurs, les utilisateurs et les sélectionneurs dchantillons des produits des membres et en offrant de la formation aux concessionnaires et aux distributeurs.


Le déposant renonçait au droit d'utiliser exclusivement les mots « ENGINEERED WOOD » , relativement aux marchandises et « WOOD ASSOCIATION » relativement aux services. La demande est parue dans le Canadian Trade-marks Journal aux fins d'opposition le 18 septembre 1996.

[3]         En réponse à cette publication, le CCIP a déposé une déclaration d'opposition à l'enregistrement des marques projetées auprès du registraire des marques de commerce le 13 novembre 1996.

[4]         Le CCIP prétendait que les marques ntaient pas enregistrables pour plusieurs motifs, notamment le fait que le CCIP était propriétaire de différentes marques de commerce officielles. Le CCIP est propriétaire des marques de commerce officielles suivantes : ENGINEER ; ENGINEERING ; CONSULTING ENGINEER ; ING. ; CONSULTING ENGINEER ; PROFESSIONAL ENGINEER ; INGÉNIERIE ; INGÉNIEUR ; INGÉNIEUR CONSEIL ; P. ENG. ; GÉNIE. Ces marques sont utilisées par le CCIP depuis le début de 1989.

[5]         Les motifs détaillés de l'opposition soulevée par le CCIP devant le registraire sont les suivants :

[TRADUCTION]

1.                   L'APA ne peut pas être convaincue qu'elle a le droit d'utiliser ou d'enregistrer les marques de commerce projetées.


2.                   Les marques de commerce projetées ne sont pas enregistrables parce qu'elles donnent une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services à l'égard desquels on projette de les employer.

3.                   Les marques de commerce ne sont pas distinctives, en ce sens que les marques projetées ne peuvent servir à distinguer les marchandises ou les services de l'APA de ceux d'autres parties.

4.                   Les marques de commerce ne sont pas enregistrables parce que leur ressemblance avec les marques officielles du CCIP est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec elles.

5.                   Les marques de commerce laissent croire qu'elles sont produites en vertu d'une approbation ou d'un pouvoir gouvernemental et peuvent par conséquent tromper le public.

6.                   Les marques de commerce projetées ne sont pas enregistrables en raison du fait que le terme ENGINEERED est associé à des marchandises produites par une certaine catégorie de personnes (les ingénieurs professionnels inscrits) et que l'usage qu'en ferait la défenderesse est susceptible de tromper le public, étant donné que l'APA ne compte pas d'ingénieurs professionnels parmi ses membres.

7.                   Les marques de commerce donnent une description fausse et trompeuse des conditions ou des personnes qui produisent les marchandises et les services et sont donc susceptibles de tromper le public.

[6]         Dans une contre-déclaration déposée le 12 décembre 1996, l'APA a essentiellement nié les allégations du CCIP.

DÉCISION DE LA COMMISSION D'OPPOSITION DES MARQUES DE COMMERCE

[7]         Dans une décision écrite rendue le 4 juin 1998, l'agent d'audition de la Commission d'opposition du registraire des marques de commerce a rejeté tous les motifs d'opposition soulevés par le CCIP aux marques de commerce projetées de l'APA.


[8]         L'agent d'audition a statué que les premier, deuxième et septième motifs d'opposition invoqués par le CCIP alléguaient que les marques de commerce faisant l'objet de la demande supposaient la participation d'ingénieurs professionnels inscrits, alors que l'APA n'en compte pas parmi ses membres, et par conséquent qu'elles étaient susceptibles de porter à confusion et étaient trompeuses. L'agent d'audition a statué que l'expression « une description claire » signifie « facile à comprendre » . Par conséquent, l'agent a jugé que le CCIP prétendait qu'on devait facilement comprendre que l'expression THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION signifiait que des ingénieurs professionnels participaient à la production des marchandises et des services. L'agent d'audition a ensuite déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'expression THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION (dans sa totalité) peut laisser fortement suggérer qu'il s'agit de produits faits de bois de haute technologie (engineered wood), et qu'elle peut donner une description claire d'une association qui travaille à la promotion des intérêts des fabricants de produits de bois de haute technologie [...] D'après la prépondérance des probabilités, je conclus que la requérante a prouvé que la marque faisant l'objet de la demande ne contrevient pas à l'alinéa 12(1)b) de la Loi comme l'allègue la partie adverse. Bien entendu, je n'ai pas compétence pour décider si la marque faisant l'objet de la demande contrevient à l'alinéa 12(1)b) pour des motifs autres que ceux allégués dans la déclaration d'opposition.

[9]         Par suite de cette conclusion, l'agent a rejeté les premier, deuxième et septième motifs d'opposition.


[10]       En ce qui a trait au quatrième motif d'opposition, c'est-à-dire la possibilité que les marques de commerce projetées soient confondues avec les marques officielles du CCIP, l'agent d'audition a statué que le critère applicable se limite à la ressemblance entre la marque de l'opposant et la marque faisant l'objet de la demande. L'agent d'audition a conclu que si la marque faisant l'objet de la demande n'est pas identique à la marque de l'opposant, la Commission doit se demander si la ressemblance de la marque faisant l'objet de la demande avec celle de l'opposant est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec celle-ci. Comme aucune des marques faisant l'objet de la demande n'était identique à la marque de l'opposant, l'agent d'audition s'est demandé si la ressemblance des marques projetées avec celles de l'opposant était telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec celles-ci et il a conclu par la négative.

[11]       L'agent d'audition a conclu que le cinquième motif d'opposition n'était pas fondé, étant donné que les exigences provinciales concernant l'inscription des professionnels ne pouvaient être importées en droit fédéral de la manière dont le CCIP cherchait à le faire.

[12]       L'agent d'audition a conclu qu'aucune preuve n'avait été produite à l'appui du sixième motif d'opposition et a donc rejeté ce motif.

[13]       Le troisième motif d'opposition, selon lequel les marques faisant l'objet de la demande n'étaient pas distinctives, n'a pas été examiné étant donné que l'agent d'audition a statué que ce motif reprenait simplement le deuxième motif d'opposition - c'est-à-dire que les marques n'étaient pas enregistrables parce qu'elles donnaient une description claire ou une description fausse ou trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services à l'égard desquels on projetait de les employer.


[14]       Par suite de cette conclusion, l'agent d'audition a rejeté l'opposition à l'enregistrement des marques de commerce projetées.

[15]       La présente action a été déposée le 4 août 1998, c'est-à-dire dans le délai de soixante jours prévu par la loi pour la formation des appels.

MOYENS DE L'APPELANT

[16]       L'appelant, le CCIP, a soulevé cinq moyens d'appel. Il allègue que le registraire des marques de commerce a commis des erreurs de fait et de droit en agissant de la façon suivante :

[TRADUCTION]

1.                   En concluant que le troisième motif d'opposition fondé sur l'alinéa 38(2)d) [TRADUCTION] « reprend simplement les allégations du deuxième motif et ne peut exister par lui-même » .

2.                   En négligeant d'examiner et de trancher le troisième motif d'opposition énoncé au paragraphe 3(c) de la déclaration d'opposition et fondé sur l'alinéa 38(2)d) de la Loi, savoir que la marque de commerce faisant l'objet de la demande n'est pas distinctive.

3.                   En rejetant les deuxième et septième motifs d'opposition tels qu'ils sont énoncés aux paragraphes 3(b) et (g) de la déclaration d'opposition et fondés sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)b) de la Loi, savoir que les marques de commerce projetées donnent une description claire ou donnent une description fausse ou trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services.

4.                   En concluant [TRADUCTION] « qu'il n'avait pas compétence » pour décider si la marque faisant l'objet de la demande contrevenait à l'alinéa 12(1)b) pour des motifs autres que ceux allégués dans la déclaration d'opposition, alors que l'un des motifs d'opposition est fondé sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)b). Par conséquent, le registraire a le pouvoir discrétionnaire d'examiner si, d'après la preuve, la marque de commerce visée contrevient à l'alinéa 12(1)b) de la Loi.


5.                   En concluant que la ressemblance des marques de commerce visées avec les marques officielles de l'opposant n'est pas telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec celles-ci et en rejetant le motif d'opposition énoncé au paragraphe 3(d) de la déclaration d'opposition et fondé sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)e) et le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi.

[17]       Pour ce qui a trait au premier motif d'appel, l'appelant fait valoir que son deuxième motif d'opposition indiquait que les marques ne sont pas enregistrables parce qu'elles donnent une description fausse ou trompeuse des personnes qui produisent les marchandises ou les services (en ce sens que les intimés ne sont pas des ingénieurs professionnels). L'appelant prétend que son troisième motif affirme que les marques ne sont pas distinctives et qu'elles ne peuvent servir à distinguer les marchandises de l'intimé de celles d'autres parties. Étant donné que le caractère non enregistrable et le caractère non distinctif sont des éléments distincts, le registraire aurait dû se prononcer séparément sur chacun des motifs.

[18]       Pour ce qui a trait au deuxième motif, l'appelant soutient que c'est à l'intimée qu'il incombe de démontrer que sa marque de commerce est distinctive. L'appelant prétend que puisque les marques de commerce projetées conservent leur caractère descriptif, leur caractère distinctif n'a pas été établi et que les marques ne sont pas adoptées dans le but de distinguer les marchandises de l'intimé de celles d'autres parties. L'appelant soutient de plus que l'expression « APA » n'ajoute rien au caractère distinctif des marques projetées.


[19]       Pour ce qui a trait au quatrième motif, l'appelant fait valoir que la question de savoir si les marques donnent une description fausse ou trompeuse devrait être examinée et que le registraire n'aurait pas dû s'abstenir de faire cet examen. L'appelant prétend que l'intérêt public justifie que l'on s'assure que des marques de commerce non appropriées ne sont pas enregistrées.

[20]       Pour ce qui a trait au cinquième motif, savoir que les marques ne sont pas enregistrables, parce qu'elles sont composées des marques officielles de l'appelant, ou que leur ressemblance avec ces marques est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec celles-ci, l'appelant prétend qu'il y a deux critères distincts : il s'agit du critère de « composition » et du critère de « ressemblance » . L'appelant soutient que le registraire a commis une erreur soit en négligeant d'examiner le critère de « composition » , soit en interprétant à tort le critère de « composition » comme étant synonyme du critère « d'identité » . Voici ce que dit la décision du registraire :

[TRADUCTION]

Si la marque faisant l'objet de la demande n'est pas identique à la marque sur laquelle s'appuie l'opposant, alors la Commission doit examiner si la ressemblance de la marque du requérant avec les marques de l'opposant est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec une ou plusieurs d'entre elles.

Bien entendu, la marque du requérant n'est identique à aucune des marques officielles de l'opposant. Toutefois, il y a une certaine ressemblance entre les marques en question puisqu'elles ont en commun l'élément ENGINEER.


[21]       L'appelant cite les définitions que donne le dictionnaire des termes « composition » et « identité » , et note qu'il n'y a pas de lien entre eux. L'appelant soutient que si l'expression « composé de » signifie « identique à » , alors le critère de « ressemblance » est redondant, étant donné que la marque contestée ressemblerait nécessairement à la marque officielle et que, par conséquent, « composé de » devrait signifier « fait partie de » , ce qui permettrait au CCIP de faire valoir que les marques de l'APA ne sont pas enregistrables en raison de ce motif.

MOYENS DE L'INTIMÉ

[22]       L'intimé a formulé ses motifs d'appel de la façon suivante :

[TRADUCTION]

1.             L'agent d'audition a-t-il commis une erreur en n'examinant pas le critère distinctif.

2.              L'agent d'audition a-t-il commis une erreur en statuant que les marques ne donnait pas une description claire ou une description fausse ou trompeuse.

3.              L'agent d'audition a-t-il commis une erreur en statuant que la ressemblance des marques de commerce projetées avec les marques du requérant n'était pas telle qu'on pouvait vraisemblablement les confondre avec elles.

[23]       L'intimé prétend que, même si la Cour doit en venir à sa propre conclusion dans cette affaire, on doit néanmoins accorder beaucoup de poids à la décision du registraire et que l'appelant a le fardeau de démontrer que le registraire a agi de façon erronée.


[24]       L'intimé soutient que la compétence du registraire est clairement limitée à l'examen des motifs qui sont énoncés dans la déclaration d'opposition et que la présente Cour ne peut que revoir les questions soulevées devant le registraire. Il prétend que le troisième motif d'opposition paraphrase simplement la définition du terme distinctif qui se trouve à l'article 2 de la Loi et que, par conséquent, le registraire a eu raison de rejeter le troisième motif d'opposition.

[25]       L'intimé soutient également que les marques, dans leur totalité, ne peuvent être considérées comme donnant une description claire ou comme donnant une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises ou les services à l'égard desquels l'enregistrement est demandé. Il faut décider de la question du point de vue de l'utilisateur quotidien des marchandises et des services.

[26]       L'intimé prétend que, pour ce qui a trait au sous-alinéa 9(1)n)iii) concernant les marques officielles, le critère applicable est limité à une évaluation de la ressemblance entre les marques officielles et les marques projetées et que le registraire a correctement appliqué le critère et réglé la question en fonction du droit en vigueur.

[27]       L'intimé soutient qu'il n'y a pas entre les marques de ressemblance telle que les marques projetées ne soient pas enregistrables en vertu de l'alinéa 12(1)e) de la Loi, que la position de l'appelant n'est pas défendable et qu'elle aurait pour effet de retirer le mot « engineer » ", qui est une expression courante, du vocabulaire quotidien. L'intimé note que de nombreuses marques de commerce inscrites renferment le mot « engineer » .


ANALYSE

Norme de contrôle

[28]       Pour ce qui a trait à la norme de contrôle, bien que l'appelant soutienne que l'instance dont est saisie la présente Cour sera en fait un procès de novo, l'intimé s'appuie sur plusieurs causes statuant qu'il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de toute décision du registraire et que ces décisions ne doivent pas être modifiées à la légère. L'affaire Benson and Hedges Canada Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. [1969], R.C.S. 192, a statué qu'une décision du registraire ne pouvait être infirmée à la légère compte tenu de l'expertise que le registraire acquiert en tant que responsable des décisions prises en vertu de la Loi sur les marques de commerce. Cet arrêt a été suivi à de nombreuses reprises et il fait encore partie du droit en vigueur : voir McDonald's Corp. c. Silicorp. Ltd. [sic] (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.).

[29]       L'arrêt a également été appliqué dans la décision très récente Les Brasseries Molson c. John Labatt Limitée, (3 février 2000), dossier A-428-98. Dans cet arrêt, la Cour fédérale s'est demandé quelle norme de contrôle devait être appliquée à l'égard de la décision du registraire au vu des décisions récentes de la Cour suprême du Canada concernant les normes de contrôle applicables aux décisions des tribunaux administratifs. Le juge Rothstein a cité un passage rédigé par le juge Strayer tiré de l'arrêt McDonald's Corp., précité :


Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s'il avait simplement « eu tort » , il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui.

[30]       S'exprimant au nom de la majorité dans Les Brasseries Molson, précité, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

La décision McDonald's Corp. c. Silcorp, rendue en 1989, est bien antérieure à la jurisprudence récente de la Cour suprême établissant le continuum moderne des critères de contrôle, à savoir la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable [...] Du fait que le juge Strayer était disposé à faire preuve d'une certaine déférence à l'égard du registraire, je ne considère pas que l'utilisation qu'il fait du terme « correct » reflète la norme de contrôle sans retenue et rigoureuse qui est de nos jours associée aux termes « correct » ou « décision correcte » .

Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges c. St. Regis et McDonald c. Silcorp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.


[31]       Les citations qui précèdent doivent être considérées comme le droit en vigueur au sujet du contrôle des décisions du registraire des marques de commerce, quelle que soit cette décision, pourvu qu'elle relève du champ d'expertise du registraire. Je note que le juge Rothstein a formulé la même norme de contrôle pour toutes les décisions du registraire, qu'elles soient fondées sur le droit, sur les faits ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[32]       Toutefois, le dépôt d'une preuve supplémentaire en appel devant la présente Cour est autorisé en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce :


(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.


[33]       L'impact du dépôt d'une preuve supplémentaire sur la norme de contrôle a été discuté dans l'arrêt Molson, précité, au paragraphe 51 où il est dit que lorsqu'une preuve qui aurait pu avoir un effet important sur la décision du registraire est déposée, le juge de première instance siégeant en appel de la décision doit en venir à ses propres conclusions.


[34]       J'estime que ces observations doivent signifier que, pourvu qu'une nouvelle preuve importante soit déposée en appel, il en résulte effectivement un procès de novo et la décision du registraire ne peut être raisonnablement maintenue compte tenu de toute cette nouvelle preuve. À strictement parler, même si une nouvelle preuve considérable est déposée en appel, l'appel n'est pas un procès de novo : puisque la Cour est toujours saisie de la preuve qui a été produite au cours de l'audition devant le registraire. Toutefois, l'expression « procès de novo » a été utilisée pour décrire la procédure suivie quand une nouvelle preuve importante est déposée en appel.

[35]       En l'espèce, l'appelant, soit le CCIP, a déposé deux affidavits en appel (les affidavits de Quaile et Zheng) et l'intimé en a déposé un (l'affidavit de Pedro). Par la suite, l'appelant a déposé, en réponse, les affidavits de Cossette et de Roberts. Les affidavits portent sur l'emploi de l'expression « bois de haute technologie » (engineered wood) de même que sur l'enregistrement de diverses marques de commerce à cet égard. Je suis d'avis que cette preuve ne fait que compléter la preuve dont était saisi le registraire.

[36]       Dans des cas comme celui qui nous occupe, la retenue judiciaire dont il faut faire preuve, en appel, à l'égard de la décision du registraire s'applique toujours à moins que cette retenue doive nécessairement céder le pas compte tenu de la preuve supplémentaire. Le critère est un critère de qualité et non de quantité. Je note également que l'appelant n'a pas soulevé de nouveaux arguments dans son opposition aux marques de commerce projetées d'APA - en fait, son appel porte sur des erreurs alléguées dans la méthode utilisée par le registraire pour mener son enquête et dans son interprétation du droit attestée par les conclusions auxquelles il est parvenu. Il est bien entendu absurde de maintenir une décision qui peut fort bien avoir été correcte et raisonnable d'après la preuve dont était saisi le décideur, mais qui est remise en question par le dépôt d'une preuve supplémentaire importante ou lorsque de nouvelles questions sont soulevées.


[37]       Toutefois, il serait tout aussi absurde d'autoriser les parties à contrecarrer le régime bien équilibré de la retenue judiciaire en leur permettant simplement de produire une preuve supplémentaire de peu d'importance devant la Cour, ou même une preuve identique présentée sous une forme différente de celle dont était saisi le premier décideur. Je crois que la Cour devrait, en pareilles circonstances, examiner les différences de preuve et le régime de retenue judiciaire et ne permettre que la norme de contrôle existante ne soit modifiée que dans la mesure où cela est nécessaire compte tenu du dépôt de la preuve supplémentaire.

[38]       Par exemple, si une partie soulève plusieurs motifs d'appel, dont l'un est le caractère distinctif, et dépose une preuve supplémentaire ne traitant que du caractère distinctif (peut-être les résultats d'un sondage ou d'autres données), la norme de contrôle est modifiée uniquement pour ce qui concerne le motif d'appel concernant le caractère distinctif. Une telle démarche ne serait que logique au vu de l'ensemble de la nouvelle preuve. On ne peut s'attendre que la Cour agisse autrement. Il semblerait également qu'il n'est que logique qu'en l'absence d'une nouvelle preuve ou en présence d'une preuve de peu d'importance concernant les autres motifs, ceux-ci ne peuvent être examinés de novo, et la Cour doit examiner les arguments en tenant compte de la décision antérieure du registraire et en appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter pour décider de la retenue judiciaire dont il doit faire preuve.


[39]       Par conséquent, j'analyserai les arguments soulevés par l'appelant individuellement, en croyant que la norme de contrôle applicable à la décision du registraire est celle du caractère raisonnable. Je tiendrai compte de la nouvelle preuve déposée ; toutefois, je répète ma conviction que le dépôt de cette preuve n'a servi qu'à compléter la preuve dont était saisi le registraire.

Observations préliminaires

[40]       Pour commencer, je note que, à la fois dans ses observations devant la Cour et devant le registraire, le CCIP a allégué que les marques projetées n'étaient pas enregistrables parce qu'elles donnaient une description claire ou qu'elles donnaient une description fausse ou trompeuse des personnes produisant les marchandises et les services. Toutefois, il semble également que le CCIP dispose de renseignements indiquant que les intimés ne sont pas des ingénieurs professionnels de sorte qu'il a, à l'occasion, axé principalement ses arguments sur sa prétention que les marques projetées donnaient une description fausse ou trompeuse. Étant donné que la preuve concernant la nature de l'intimée et les qualités des personnes qu'elle emploie n'était pas importante dans l'affaire dont je suis saisi, j'examinerai les arguments du CCIP des deux points de vue : c'est-à-dire du point de vue de la description claire et de celui de la description fausse ou trompeuse.

[41]       Première question

Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 38(2)d) [TRADUCTION] « reprend simplement les allégations du deuxième motif et ne peut exister par lui-même » .


[42]       Le registraire s'est dit d'avis que l'opposition de l'appelant fondée sur le caractère non distinctif allégué des marques projetées répétait son opposition fondée sur le motif selon lequel les marques donnaient une description claire ou une description fausse ou trompeuse des personnes produisant les marchandises et les services, aux termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi.

[43]       Les motifs d'opposition qui peuvent être soulevés à l'encontre de l'enregistrement d'une marque de commerce projetée sont énumérés au paragraphe 38(2) de la Loi :


(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

(b) that the trade-mark is not registrable;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

(2) Cette opposition peut être fondée sur l'un des motifs suivants_:

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30;

b) la marque de commerce n'est pas enregistrable;

c) le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement;

d) la marque de commerce n'est pas distinctive.


[44]       Du point de vue de la disposition législative, il est clair que l'opposition fondée sur l'allégation selon laquelle la marque n'est pas enregistrable est distincte d'une opposition fondée sur une allégation de caractère non distinctif.


[45]       Le paragraphe 12(1) de la Loi énumère les différentes conditions d'enregistrabilité d'une marque de commerce :



12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

(c) the name in any language of any of the wares or services in connexion with which it is used or proposed to be used;

(d) confusing with a registered trade-mark;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication; and(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

a) elle est constituée d'un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

e) elle est une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption;

f) elle est une dénomination dont l'article 10.1 interdit l'adoption;

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d'une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d'origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l'indication;

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d'une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d'origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l'indication.


[46]       L'appelant s'est expressément opposé à l'enregistrement des marques de commerce de l'intimé en faisant valoir que ces marques donnent une description claire ou une description fausse ou trompeuse des « personnes affectées aux marchandises et aux services » [sic]. D'après le texte de l'alinéa 12(1)b) de la Loi, une marque de commerce est enregistrable si elle ne donne pas une description claire ou ne donne pas une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises ou services, ou des conditions de leur production ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services.

[47]       Le caractère distinctif d'une marque projetée est évalué au regard de la définition donnée par la Loi, de même qu'au regard de la jurisprudence qui a été élaborée sur la question :


"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.



[48]       Il est de droit constant que la raison d'être d'une marque de commerce, compte tenu de l'exigence qu'elle ait un caractère distinctif, est le message qu'elle envoie au public indiquant que les marchandises ou les services proviennent d'une source unique. Si une marque de commerce ne peut véhiculer cette idée de source unique, elle n'est pas enregistrable et en fait elle ne constitue pas une marque de commerce. En l'espèce, le registraire n'a tiré aucune conclusion quant au caractère distinctif des marques projetées, étant donné qu'il était d'avis que ce motif alléguait simplement que les marques donnaient une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisaient les marchandises ou les services.

[49]       Bien qu'il puisse être vrai qu'une marque de commerce qui donne une description claire ou une description fausse et trompeuse soit nécessairement sans caractère distinctif, il n'est pas exact de soutenir que, du simple fait qu'une marque de commerce est considérée comme ne donnant pas une description simple ou une description fausse et trompeuse, elle est par conséquent distinctive. Je suis d'avis que le registraire a commis une erreur en statuant que le troisième motif d'opposition soulevé par l'appelant, celui de son caractère non distinctif, était une simple répétition du deuxième motif. La question du caractère distinctif des marques projetées aurait dû être examinée de façon indépendante. En me prononçant sur cet aspect du droit, je ne peux faire mieux que de répéter les arguments de l'appelant qui se trouvent au paragraphe 27 de son mémoire :


[TRADUCTION]

Bien que le caractère distinctif soit souvent déterminé dans le cadre d'une évaluation visant à savoir si la marque de commerce projetée est enregistrable en tenant compte de la possibilité de confusion avec une autre marque de commerce, il est possible de refuser une demande d'enregistrement en s'appuyant sur le caractère non distinctif de la marque projetée indépendamment de la question de la confusion ou de tout autre motif d'opposition, pourvu que ce motif soit soulevé dans l'opposition.

[50]       Comme je viens de le dire, le registraire aurait dû examiner séparément l'argument du caractère distinctif. Comme il ne l'a pas fait, je le ferai à sa place.

[51]       Je suis d'avis que la marque de commerce projetée « APA - THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » est une marque distinctive et peut servir à distinguer les marchandises de l'intimé de celles d'autres parties. Le mot liminaire de la marque, « APA » , est apparemment un acronyme de l'expression « American Plywood Association » . Cet acronyme, placé au début de la marque, peut avoir pour effet de distinguer les marchandises et les services de l'intimé de ceux d'autres entités. À mon avis, le fait que le reste de la marque ait pour but de faire de l'intimé « L'association » pour la prestation des services en question n'est pas un empêchement à l'enregistrement ni un indice permettant de conclure au caractère non distinctif.

[52]       En parvenant à cette conclusion, je dois bien entendu me dissocier des observations faites par l'appelant au paragraphe 42 de son mémoire :


[TRADUCTION]

Non seulement les initiales « APA » n'ajoutent rien au caractère distinctif de la marque, mais le mot « APA » est également descriptif, comme on peut le constater dans les définitions suivantes :

apa, n. arbre, Eperua falcata, [en français, wapa] originaire d'Amérique tropicale, au bois rouge brun utilisé dans la construction de maisons.

APA, 1. American Psychological Association, 2. American Psychiatric Association.

A.P.A., 1. American Philological Association, 2. American Protective Association, 3. American Protestant Association, 4. American Psychological Association, 5. American Psychiatric Association, 6. Associate in Public Administration.

[53]       Pour ce qui a trait à la marque projetée « THE ENGINEERED WOOD

ASSOCIATION » , toutefois, je dois conclure qu'elle n'est pas distinctive et par conséquent qu'elle justifie l'opposition soulevée par l'appelant à son égard. Prise dans son ensemble, cette marque est une expression très générale qui pourrait s'appliquer à n'importe quelle organisation qui produit des marchandises et des services semblables. Cette marque ne peut donc servir à distinguer les marchandises et les services de l'intimé de ceux d'autres parties offrant des marchandises et des services semblables :

[TRADUCTION]

Ce qui est utilisé comme marque de commerce doit être caractéristique des marchandises ou des services particuliers qui sont produits, vendus ou offerts en liaison avec la marque de façon à les distinguer d'autres marchandises ou services d'autres parties et à les identifier à un commerçant particulier. Si le nom de la marque s'applique à la description générale de toutes les marchandises et de tous les services de cette catégorie fabriqués ou vendus par n'importe qui, la marque n'est pas distinctive, mais descriptive et, donc, elle ne peut bénéficier de la protection accordée aux marques de commerce.

(H. Fox, The Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 3e éd., (Toronto, Carswell, 1956))


[54]             Deuxième question

Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en rejetant les deuxième et septième motifs d'opposition tels qu'ils sont énoncés au paragraphe 3(b) et (g) de la déclaration d'opposition et fondés sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)b) de la Loi, savoir que les marques de commerce projetées donnent une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services.

[55]       L'appelant soutient que les marques de commerce projetées donnent une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services.

[56]       L'appelant a cité un grand nombre de causes dans le but de démontrer que les marques projetées ne sont pas enregistrables du fait qu'elles donnent une description claire ou qu'elles donnent une description fausse et trompeuse, en plus de ne pas être distinctives. Toutefois, aucune de ces causes ne s'approche même de près des circonstances de l'espèce. Les différentes causes citées, dans lesquelles l'appelant aux présentes, le CCIP, était partie, se rapportent toutes au nom « ENGINEER » :


CCIC c. Krebs Engineers (1996), 69 C.P.R. (3d) 267 (C.O.M.C.) enregistrement de KREBS ENGINEERS refusé ; l'alinéa 12(1)b) [...] donne une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises ou les services.

Lubrication Engineers Inc. c. CCIC (1992), 41 C.P.R. (3d) 243 (C.A.F.)

enregistrement de LUBRICATION ENGINEERS refusé ; motifs fondés sur l'alinéa 12(1)b).

[57]       Je note qu'en l'espèce le terme contesté ENGINEERED est un verbe (au participe passé) et fait référence à un processus qui a été utilisé sur un article (le bois). Il ne représente pas le nom « engineer » (ingénieur) - c'est un verbe et un participe passé du verbe, rien de moins. Par conséquent, je suis d'avis que la prétention de l'appelant selon laquelle la marque projetée donne une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services n'est pas fondée. La marque de commerce projetée n'est pas THE WOOD ENGINEER'S ASSOCIATION.

[58]       Je crois également qu'aucun des arguments soulevés par l'appelant concernant la perception que le public a du mot « ENGINEER » ou des interdictions contre l'emploi du terme ou du titre « ENGINEER » , à moins que cette perception soit en fait celle d'un ingénieur professionnel inscrit, n'a de fondement compte tenu des circonstances décrites ci-dessus.

[59]             Troisième question


Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant qu'il [TRADUCTION] « n'avait pas compétence » pour décider si la marque faisant l'objet de la demande contrevenait à l'alinéa 12(1)b) pour des motifs autres que ceux allégués dans la déclaration d'opposition, alors que l'un des motifs d'opposition est fondé sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)b). Par conséquent, le registraire a le pouvoir discrétionnaire d'examiner si, d'après la preuve, la marque de commerce visée contrevient à l'alinéa 12(1)b) de la Loi.

[60]       La jurisprudence concernant la compétence du registraire à entendre des arguments qui ne sont pas énoncés dans la déclaration d'opposition est assez équivoque. Dans Piattelli c. A. Gold & Sons Ltd. (1991), 35 C.P.R. (3d) 377 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué qu'elle était tenue d'examiner un nouveau motif de non-enregistrabilité qui avait été soulevé à l'instruction. Mais, dans Imperial Development Ltd. c. Imperial Oil Limited (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.), la Cour a infirmé la conclusion du registraire qui avait traité d'une question qui n'était pas énoncée dans la déclaration d'opposition.


[61]       Toutefois, les circonstances de l'espèce diffèrent des deux affaires précitées : le registraire n'a pas examiné un motif d'opposition qui n'était pas mentionné par l'opposant (l'appelant), et l'appelant n'a pas non plus soulevé de nouveau motif d'opposition dans son appel devant la présente Cour. Apparemment, la raison pour laquelle cette question est soulevée devant moi découle de la conviction que, puisque le registraire a déclaré que l'expression « THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » pouvait donner une description claire d'une association qui fait la promotion des intérêts des producteurs de cette industrie (voir le paragraphe 8 ci-dessus), il aurait accueilli l'opposition pour ce motif, s'il n'avait pas conclu qu'il n'avait pas compétence pour examiner un motif d'opposition autre que celui énoncé dans la déclaration d'opposition. L'appelant ne s'est opposé à l'enregistrement qu'en s'appuyant sur le fait que les marques projetées donnaient une description claire ou donnaient une description fausse et trompeuse des personnes qui produisaient les marchandises ou les services.

[62]       Je crois qu'il suffira de dire que le fait que « THE ENGINEERED WOOD

ASSOCIATION » peut décrire clairement une association qui fait la promotion des intérêts des producteurs de l'industrie ne donne pas naissance à un motif de non-enregistrabilité aux termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi. Une marque projetée non enregistrable doit donner une description claire des services offerts ( « nettoyage à sec » , « commercialisation » , « services de consultation » , « services d'association » ), ce que ne font pas les marques projetées de l'intimé.


[63]       Toutefois, je suis également d'avis que le registraire ne doit pas indûment limiter son analyse dans une procédure d'opposition. En l'espèce, l'appelant avait clairement formulé son opposition à l'enregistrement de la marque de commerce en vertu de l'alinéa 12(1)b) dans sa déclaration d'opposition. Il ne serait pas raisonnable que le registraire permette que ce qui, à son avis, est une marque non enregistrable soit enregistrée simplement parce que les motifs restreints de non-enregistrabilité prévus à l'alinéa 12(1)b) et soulevés par l'opposant n'ont pas été retenus. Cela dit, cette analyse élargie doit examiner la mesure dans laquelle le requérant subirait un préjudice du fait de ces mesures, et tenir compte de son droit d'être avisé des motifs d'opposition, de façon à pouvoir exercer effectivement ses droits de présenter des observations sous forme de contre-déclaration.

[64]             Quatrième question

Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la ressemblance des marques de commerce avec les marques officielles de l'opposant n'est pas telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec celles-ci et en rejetant le motif d'opposition énoncé au paragraphe 3(d) de la déclaration d'opposition et fondé sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)e) et sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi.

[65]       Les articles suivants de la Loi sont pertinents au règlement de cette question :


12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

. . .

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants:

. . .

e) elle est une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption;




9. (1) No person shall adopt in connexion with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

(d) any word or symbol likely to lead to the belief that the wares or services in association with which it is used have received, or are produced, sold or performed under, royal, vice-regal or governmental patronage, approval or authority;

(n) any badge, crest, emblem or mark

(i) adopted or used by any of Her Majesty's Forces as defined in the National Defence Act,

(ii) of any university, or

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for wares or services,

in respect of which the Registrar has, at the request of Her Majesty or of the university or public authority, as the case may be, given public notice of its adoption and use;

9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit_:

d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouvernementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouvernementale;

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème:

(i) adopté ou employé par l'une des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,

(ii) d'une université,

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,

à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;


[66]       L'appelant a fait valoir que puisque le mot « ENGINEERED » reproduit sa marque officielle, soit « ENGINEER » dans sa totalité, avec l'addition du suffixe « ED » , les marques projetées de l'intimé sont « composées » de sa marque officielle et ne sont donc pas enregistrables pour ce motif. Je ne peux accepter cet argument.


[67]       L'étendue de la protection accordée aux marques officielles adoptées par une autorité publique a été examinée dans l'arrêt Allied Corporation c. Association olympique canadienne, [1990] 1 C.F. 769 (C.A.). S'exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a interprété les dispositions concernant les marques officielles de façon plus restrictive que ne l'avait fait le juge de première instance : (1987), 16 C.P.R. (3d) 80. Le juge MacGuigan a expressément noté que les dispositions rendent une marque qui a déjà été utilisée, sans avoir été enregistrée, non enregistrable à tout jamais dès l'adoption d'une marque semblable par une autorité publique à titre de marque officielle. Par conséquent, même si la marque était utilisée en premier lieu par l'autre partie, l'adoption par l'autorité publique met fin aux droits de l'autre partie à l'enregistrement de la marque. Il a également été noté dans l'arrêt Allied, précité, que les marques officielles ne peuvent faire l'objet d'une radiation.

[68]       Je note que les marques officielles adoptées par une autorité publique jouissent d'une autre protection : elles sont apparemment enregistrables malgré le fait qu'elles peuvent créer de la confusion avec des marques enregistrées préalablement. Réciproquement, une marque que l'on chercherait subséquemment à faire enregistrer ou à utiliser ne pourrait l'être, en raison de l'existence de la marque officielle, même s'il ne peut y avoir aucune possibilité de confusion entre les deux marques au sens de l'article 6 de la Loi (c'est-à-dire qu'il s'agit de marchandises et de caractéristiques très différentes). Les marchandises ou les services à l'égard desquels on projette de faire enregistrer la marque peuvent être complètement différents, être vendus à des consommateurs tout à fait différents, dans des situations tout à fait différentes, dans un système de commercialisation et de distribution entièrement différent. Malgré cela, la marque ne peut être adoptée ou enregistrée en raison de l'existence d'une marque officielle.


[69]       Après avoir expliqué la protection dont jouissent les marques officielles, d'après les dispositions de la Loi, il faut maintenant déterminer quelle est l'étendue des marques interdites : c'est-à-dire plus spécifiquement le sens de l'expression « composé de » . Par suite de l'explication qui précède, qui démontre clairement la position privilégiée dont jouissent les marques officielles, je rejette l'interprétation que l'appelant propose du sous-alinéa 9(1)n)(iii) et déclare que l'interprétation donnée par le registraire est correcte. Pour contrevenir au sous-alinéa 9(1)n)(iii), et ne pas être enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)e), la marque projetée doit soit être identique à la marque officielle, soit avoir avec elle une ressemblance telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec elle. Les mots « composé de » utilisés au paragraphe de la Loi doivent être interprétés comme signifiant « identique à » , conclusion à laquelle en est apparemment venu le registraire.


[70]       Cette interprétation maintient la large portée de la protection offerte aux marques officielles, sans pour autant conférer une protection déraisonnablement grande aux marques officielles, ce que le législateur ne peut raisonnablement avoir envisagé de faire. Il est inconcevable que le législateur ait eu l'intention de donner une telle portée à la protection offerte aux marques officielles en adoptant l'article 9 de la Loi. Si la proposition avancée par l'appelant était correcte et que toutes les marques qui renfermaient, sous quelque forme que ce soit, la marque officielle ne pouvaient subséquemment être adoptées et seraient donc non-enregistrables, il s'ensuivrait que l'emploi de « ING » serait interdit. Cela signifierait que personne ne pourrait utiliser l'expression « shopping.com » , ou toute autre marque se terminant par « ING » , suivie par « .com » . Il n'est pas raisonnable de déclarer que ces marques sont interdites. C'est pourtant ce qui arrive si l'on pousse la logique de l'argument de l'appelant et le résultat de cet exercice donne lieu à un monopole beaucoup trop vaste et à une protection beaucoup trop grande. Tel n'est pas le but de la protection accordée aux marques officielles.

[71]       L'interprétation que j'ai adoptée conserve la large portée de la protection accordée aux marques officielles ce qui, je crois, est compatible avec le régime de la Loi dans son ensemble, avec les articles connexes de la Loi, de même qu'avec l'intention du législateur. Personne ne peut enregistrer ou employer une marque de commerce « ENGINEER » (ou une autre des marques officielles) en liaison avec toute marchandise ou service, malgré le fait qu'une telle marque de commerce ne puisse prêter à confusion avec les marques de l'appelant. Et personne ne peut enregistrer ou employer une marque de commerce qui est semblable aux marques officielles de l'appelant de sorte qu'on puisse les confondre avec elles (mistaken for), encore une fois malgré que l'on puisse chercher à employer la marque en liaison avec des marchandises ou des services qui peuvent fort bien ne pas « créer de la confusion » (confusing with) avec les marques officielles dans le sens où ce terme est utilisé à l'article 6 de la Loi. Les expressions anglaises « mistaken therefor » et « confusing with » ne sont pas synonymes.

Conclusion

[72]       L'appel est accueilli concernant la demande numéro 753 456, « THE


ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » au motif que la marque de commerce projetée n'est pas distinctive. Tous les autres motifs soulevés concernant cette marque de commerce projetée sont rejetés.

[73]       L'appel est rejeté dans sa totalité concernant la demande numéro 753 455,

« APA - THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » .

[74]       Comme elles ont eu chacune partiellement gain de cause, les parties assumeront leurs propres dépens.

ORDONNANCE

[75]       LA COUR ORDONNE que l'appel soit accueilli dans la demande numéro 753 456 « THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » .

[76]       LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté en totalité dans la demande numéro 753 455, « APA - THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » .


[77]       LA COUR ORDONNE que les parties assument leurs propres dépens, puisqu'elles ont eu partiellement gain de cause.

                                                                            « John A. O'Keefe »             

                                                                                                   JUGE                      

Ottawa (Ontario)

le 27 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             T-1565-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                LE CONSEIL CANADIEN DES

INGÉNIEURS PROFESSIONNELS c. APA -                                                                        THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 10 JANVIER 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

DATE :                                                             LE 27 JUIN 2000

ONT COMPARU :

JOHN MACERA

ELIZABETH ELLIOTT                                                            POUR LE DEMANDEUR

JENNIFER MacKAY                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MACERA & JARZYNA

OTTAWA                                                                                POUR LE DEMANDEUR

GOWLING, STRATHY & HENDERSON

OTTAWA                                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

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