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Date : 20041021

Dossier : T-1167-03

Référence : 2004 CF 1462

Ottawa (Ontario), le jeudi 21 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                             GORDON OLIVER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision datée du 11 juin 2003 dans laquelle un membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique siégeant conformément à l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, a rejeté le grief que le demandeur avait déposé par suite de son congédiement par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC).

[2]                Le demandeur conteste la décision au motif que l'arbitre a commis une erreur en admettant en preuve trois documents au cours de l'audience à la demande de l'ADRC. La disposition clé, soit l'article 17.04 de la convention collective intervenue entre l'Alliance de la fonction publique du Canada et l'ADRC, est ainsi libellée :

17.04    L'employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d'une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l'employé-e dont le contenu n'a pas été porté à la connaissance de celui-ci ou de celle-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable.

(Dossier de la demande du demandeur, vol. 1, onglet 3, à la page 296)

Il est convenu que l'article 17.04 est une norme d'équité procédurale. En conséquence, les questions à trancher sont les suivantes : compte tenu de la norme énoncée à l'article 17.04, l'arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision en admettant en preuve les documents et quel est l'effet de l'admission sur la décision par laquelle l'arbitre a rejeté le grief du demandeur?

[3]                Pour les raisons exposées ci-dessous, je suis d'avis que l'arbitre a commis une erreur susceptible de révision en admettant les documents en preuve, mais je suis également d'avis que cette erreur n'a eu aucun effet sur la décision concernant le congédiement.

A. Les faits à l'origine du litige et la décision de l'arbitre


[4]                En 1998, le demandeur a commencé à travailler comme examinateur des fiducies/agent d'assujettissement/recouvrement/RPC/AC à Revenu Canada, qui est devenu l'ADRC en 1999. Le demandeur a été nommé vérificateur, impôt sur le revenu/taxe d'accise PM-2 en 1999. Le 30 mai 2001, l'ADRC a mis fin à l'emploi du demandeur au motif que celui-ci avait préparé des déclarations de revenus contre rémunération alors qu'il travaillait pour l'ADRC, contrairement au Code régissant les conflits d'intérêts de celle-ci et malgré le fait que son employeur lui avait demandé de mettre fin à cette pratique (voir le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique et les Lignes directrices supplémentaires sur les conflits d'intérêts à l'intention des employés de Revenu Canada, en date de janvier 1995). Le demandeur a déposé un grief afin de contester son congédiement. La dernière réponse de l'employeur est datée du 6 mars 2002 et le grief a été soumis à l'arbitrage le 22 avril 2002.

[5]                En ce qui a trait à l'application de l'article 17.04 au cours de l'audience, l'arbitre a commenté trois documents précis comme suit :

[83]    Une question connexe consiste à savoir si les preuves contenues dans le dossier de M. Oliver dont il n'avait pas été informé devraient être introduites et prises en compte dans la présente décision. La disposition de la convention collective est ainsi libellée :

17.04    L'employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d'une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l'employé-e dont le contenu n'a pas été porté à la connaissance de celui-ci ou de celle-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable.


[84]    Les parties ne s'entendaient pas sur la présence ou l'absence de certains documents dans le dossier de M. Oliver, avant la cessation de son emploi. M. Oliver a témoigné qu'il n'avait pas vu un certain nombre des documents avant la présente audience. M. Oliver a reçu une copie du rapport d'enquête final préparé par M. Hunt, qui était la base principale de la décision de l'employeur de prendre une mesure disciplinaire à l'endroit de M. Oliver. Les notes au dossier préparées par Mme White, que M. Oliver a affirmé n'avoir jamais vues dans son témoignage, portaient sur les conversations qu'elle avait eues avec M. Oliver; on ne peut donc pas dire qu'il n'était pas au courant du contenu de ces notes. La note rédigée par M. Jones à propos de son enquête n'était pas une surprise pour M. Oliver, puisque M. Jones avait communiqué avec lui et M. Oliver savait qu'il faisait l'objet d'une enquête. Ainsi, M. Oliver était au courant du contenu général des documents qui étaient vraisemblablement dans son dossier. Certaines preuves présentées au cours de la présente audience ne figuraient pas à son dossier (par exemple, les notes d'entrevues menées dans le cadre de l'enquête). Il est regrettable que tous les documents concernant la décision de congédier M. Oliver ne lui aient pas été fournis peu de temps après le dépôt de son grief et certainement en prévision de la présente audience. Je considère également regrettable la déclaration de l'avocat de l'employeur suggérant qu'une demande d'accès à l'information aurait pu être faite pour obtenir ces documents. Toutefois, en l'absence d'exigences en matière de divulgation prévues dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), il n'y a aucune obligation de la part de l'employeur de divulguer des documents qu'il entend présenter en preuve en prévision d'une audience devant un arbitre.

(Décision en date du 11 juin 2003 de Ian R. Mackenzie, arbitre membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, dossier de la demande du demandeur, aux pages 34 et 35)

[6]                Il importe de souligner que, même s'il ne l'a pas dit en toutes lettres, l'arbitre a admis implicitement en preuve les documents dans le dossier de l'audience, mais il est convenu qu'il n'y a pas fait explicitement allusion dans les motifs qu'il a invoqués pour rejeter le grief du demandeur. Comme l'indiquent les motifs, l'arbitre a rejeté le grief parce qu'il a conclu que le demandeur avait contrevenu au Code régissant les conflits d'intérêts, qu'il devait respecter.

B. Les normes de contrôle

[7]                Le plus récent jugement de la Cour suprême du Canada qui donne des éclaircissements sur la norme de contrôle applicable est l'arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, section locale 92, [2004] 1 R.C.S. 609, où le juge Major s'exprime comme suit :


A. Détermination de la norme de contrôle applicable

¶ 15        Il ressort clairement de la jurisprudence canadienne que le juge chargé de contrôler la décision d'un arbitre doit procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable : U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, 2001 CSC 36; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63. Le but de cette démarche est de vérifier l'intention du législateur quant à l'étendue du contrôle judiciaire auquel doit être soumise une décision particulière du tribunal administratif en cause : Pushpanathan, précité, par. 26; Dr Q, précité, par. 21; S.C.F.P., section locale 79, précité, par. 13.

¶ 16        L'analyse pragmatique et fonctionnelle exige l'examen de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; (2) l'expertise relative du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l'objet de la loi et de la disposition particulière en cause; (4) la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de droit et de fait : Pushpanathan, précité, par. 29-38; Dr Q, précité, par. 26; Ryan, précité, par. 27. Aucun de ces facteurs n'est à lui seul déterminant : Mattel, précité, par. 24.

¶ 17       Trois normes de contrôle sont admises -- la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable et la décision correcte : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 30; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 55; Ryan, précité, par. 24.

¶ 18       Dans l'arrêt Dr Q, précité, notre Cour a confirmé que, dans la détermination de la norme de contrôle applicable à la décision d'un tribunal administratif, l'intention du législateur est la considération centrale (étant entendu que le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires -- assurer le respect de la primauté du droit -- continue de primer). Si le législateur n'exige que peu ou pas de déférence envers la décision du tribunal administratif, il faut alors que celui-ci ait rendu une décision correcte. S'il exige une grande déférence, la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique. Aucun facteur ne détermine à lui seul l'application de cette norme. Lorsque la décision émane d'un tribunal spécialisé habilité par une loi solidement ancrée dans des politiques d'intérêt général et que la nature de la question relève clairement de l'expérience relative du tribunal, lequel bénéficie de la protection d'une clause privative absolue, il s'agit là de circonstances commandant l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable. En raison de sa nature même, cette norme est rarement appliquée. Il est difficile de définir l'expression _ décision manifestement déraisonnable _, mais on peut affirmer qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde. Entre la décision correcte et la décision manifestement déraisonnable, là où le législateur demande une certaine déférence envers la décision du tribunal, la norme appropriée est celle de la décision raisonnable. Dans chaque cas, la détermination de la norme de contrôle applicable exige la prise en compte de tous les facteurs pertinents : voir Pushpanathan, précité, par. 27.


¶ 19       Ce n'est qu'une fois qu'a été déterminée la norme de contrôle applicable que la décision du tribunal administratif peut être contrôlée. Il est important de reconnaître que la même norme de contrôle ne s'appliquera pas nécessairement aux diverses décisions rendues par l'arbitre au cours de l'arbitrage : voir S.C.F.P., section locale 79, précité, par. 14.

[8]                Compte tenu des motifs que le juge Major a exprimés dans Voice Construction, notamment de la directive donnée au paragraphe 19 précité, les parties ont convenu de ce qui suit au cours de l'audition de la présente demande : d'abord, une norme de contrôle « globale » doit être déterminée quant à la façon d'évaluer la décision de l'arbitre de rejeter le grief du demandeur et, en second lieu, une norme de contrôle relative à chacune des décisions doit être établie, notamment en ce qui concerne la décision que l'arbitre a rendue pendant l'arbitrage au sujet du sens de l'article 17.04.

[9]                Il est admis qu'au cours de l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle globale est celle de la décision raisonnable et la norme de contrôle applicable aux différentes décisions est celle de la décision correcte.

C. La décision de l'arbitre au sujet de l'article 17.04 et la norme de la décision correcte


[10]            Selon l'admission des parties, l'arbitre a reconnu que le demandeur n'avait pas vu les trois documents en question avant que ceux-ci soient présentés en preuve au cours de l'audience. Il appert clairement de ses motifs que l'arbitre ne croyait pas que ce fait l'empêchait, en droit, d'admettre les documents en preuve, c'est-à-dire qu'il n'a pas considéré l'article 17.04 comme une norme d'équité procédurale impérative dont la violation empêcherait l'admission des documents.

1. L'argument du demandeur

[11]            Sur ce point, l'avocate du demandeur, qui a mis en doute l'équité du traitement accordé à son client en l'espèce ainsi qu'à d'autres employés visés par la convention collective pour l'avenir, a formulé des observations écrites détaillées qui sont résumées comme suit :

[TRADUCTION] Le demandeur soutient humblement que l'article 17.04 est une norme impérative qui ne peut être contournée et qu'une contravention à cette norme ne peut être corrigée par une communication subséquente. En conséquence, pour les motifs exposés ci-après, le demandeur rejette la position que la défenderesse a formulée aux paragraphes 62 à 73 de son mémoire, où elle fait valoir qu'il est possible de corriger un manquement à l'article 17.04 au moyen d'une divulgation subséquente.

De l'avis du demandeur, l'article 17.04 fixe le seuil de l'équité procédurale à laquelle l'employé a droit lorsqu'il fait l'objet d'une mesure disciplinaire, soit la communication en temps opportun du contenu des documents que l'employeur tient et invoque au soutien de la mesure en question. Le demandeur ajoute que cet article impose également une obligation de responsabilité stricte, de sorte qu'une contravention à la norme empêche l'employeur de présenter en preuve le document en question.

Selon le demandeur, le libellé de l'article 17.04 est impératif et ne souffre aucune exception. Il interdit à l'employeur défendeur de présenter en preuve, au cours d'une audience relative à une mesure disciplinaire, un document tiré du dossier d'un employé dont celui-ci n'était pas au courant à la date du dépôt ou dont il n'a pas été informé dans un délai raisonnable par la suite. Ainsi, le texte de l'article 17.04 constitue une preuve claire de la nature impérative de la norme qu'il impose.

Les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, ch. P-35, et ses modifications) ont pour effet de renforcer les exigences de l'article 17.04. Plus précisément, l'article 59 de la LRTFP confirme que l'article 17.04 lie les parties à titre de disposition faisant partie de la convention collective qu'elles ont signée.


De plus, le paragraphe 96(2) de la LRTFP a également pour effet de renforcer l'article 17.04, puisqu'il interdit à l'arbitre appelé à interpréter et à appliquer une convention collective de rendre une décision « qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention collective... » .

De l'avis du demandeur, l'ajout d'exceptions à l'article 17.04 va à l'encontre des dispositions explicites de celui-ci et a pour effet de violer l'article 59 et le paragraphe 96(2) de la LRTFP.

Lorsqu'il interprète l'article 17.04, l'arbitre doit décider si les exigences de cette disposition sont en cause et si elles ont été violées ou non. Cette décision relève carrément de l'arbitre désigné en vertu de la LRTFP et concerne une question de droit (Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004], 1 R.C.S. 609, A.C.S. no 2 (CSC) (QL), au paragraphe 29).

En droit, la norme imposée par l'article 17.04 obligeait l'arbitre à se demander

a. si le document est invoqué au soutien de la décision d'imposer une mesure disciplinaire;

b. si le document se trouvait dans le dossier de l'employé et, dans la négative, s'il aurait dû l'être;

c. si l'employé a reçu communication en temps opportun de la tenue du document à son sujet;

d. si l'employé a été mis au courant du contenu du document.

Le demandeur soutient que, pour répondre à ces questions, l'arbitre aurait dû tenir compte du contexte de l'emploi, de l'ensemble de la convention collective et de l'objet de la disposition en cause [...]. Ainsi, l'avis à l'employé du fait que l'employeur a en main un document dont le contenu concerne une conduite insatisfaisante a pour but de prévenir l'employé et de lui permettre de corriger cette conduite ainsi que d'assurer la transparence.

Le demandeur fait valoir qu'à sa face même, l'article 17.04 envisage un lien entre l'individu, le document et la décision de l'employeur de conserver des copies de ces documents à des fins disciplinaires.

Par conséquent, les mots « dossier d'un employé » qui se trouvent à l'article 17.04 renvoient aux documents et renseignements que l'employeur tient au sujet de l'employé relativement à la conduite ou aux activités de celui-ci. Selon le demandeur, l'expression « dossier d'un employé » n'est pas une expression technique, mais doit plutôt être interprétée selon son sens habituel et s'entend des documents que l'employeur tient au sujet des personnes à son emploi.


En revanche, les documents généraux qui énoncent la politique de l'employeur ou les normes applicables au milieu de travail, comme les lignes directrices régissant les conflits d'intérêt ou les politiques concernant l'utilisation de l'Internet et ainsi de suite, ne concernent pas l'individu lui-même. Par conséquent, ces documents n'appartiendraient pas à la catégorie de documents qui seraient assujettis à l'article 17.04.

(Observations supplémentaires du demandeur, aux pages 2 à 5)

2. L'argument de la défenderesse

[12]            En réponse, l'avocat de la défenderesse fait valoir que le demandeur n'a nullement été lésé par suite de l'admission des trois documents en preuve et invoque les motifs suivants dans des observations écrites :

[TRADUCTION] L'article 17.04 n'énonce pas que l'auteur du grief doit voir chaque document ou qu'il a le droit d'en recevoir une copie.

Le mot « dossier » n'est pas défini à l'article 17.04 ni ailleurs dans la convention collective. L'employeur tient des documents au sujet des employés à certaines fins. Aucune preuve n'a été présentée à l'audience quant au sens à attribuer au mot dossier qui se trouve dans la convention collective.

[...]

La défenderesse soutient que la possibilité que le demandeur n'ait pas vu chaque document ne change rien au fait qu'il était au courant des renseignements qui s'y trouvaient. Les renseignements contenus dans les documents visés par la plainte du demandeur faisaient partie du rapport d'enquête de M. Hunt ainsi que d'autres documents dont il était au courant et dont il avait pris connaissance. Les renseignements contenus dans ces documents révélaient certaines activités auxquelles le demandeur se serait livré. M. Oliver était au courant de ces renseignements, soit parce qu'ils lui ont été communiqués par les personnes qui ont rédigé les documents en question, soit parce qu'il en a été informé pendant l'enquête au cours de laquelle M. Hunt l'a interrogé. Bien que les notes d'entrevue de M. Hunt n'aient pas été versées au dossier, le demandeur en connaissait le contenu pour les raisons suivantes :

1. il avait eu une discussion à ce sujet avec M. Hunt;

2. son représentant syndical avait tenu ses propres notes au sujet de la rencontre;

3. il a reçu une copie du rapport d'enquête, qui comportait un résumé.


Il n'y a aucune raison pour laquelle les notes personnelles de M. Hunt auraient été consignées dans le dossier de M. Oliver, puisqu'il s'agissait des notes de M. Hunt. Le même raisonnement s'applique aux notes qu'ont prises Mme White et M. Jones.

(Mémoire supplémentaire de la défenderesse, aux pages 2 et 3 et 5 et 6)

3. Conclusion

[13]            Je souscris tout à fait à l'avis de l'avocate du demandeur quant à l'interprétation à donner à l'article 17.04.

[14]            Tel qu'il est mentionné, les parties conviennent que l'article 17.04 est une norme d'équité procédurale; en conséquence, elle impose une obligation d'équité. En effet, étant donné que cette norme concerne la communication, au cours d'une procédure disciplinaire, d'un avis pouvant donner lieu au congédiement d'un employé, elle impose un degré élevé d'équité. C'est ce que dit en toutes lettres le juge Beetz dans Singh c. M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177, au paragraphe 103, où il s'exprime comme suit :

Les facteurs les plus importants lorsqu'il s'agit de déterminer le contenu de la justice fondamentale sur le plan de la procédure dans un cas donné sont la nature des droits en cause et la gravité des conséquences pour les personnes concernées. À la même page de l'arrêt Inuit Tapirisat, le juge Estey cite également lord Denning, maître des rôles, dans Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), à la p. 19 :

[TRADUCTION] ...les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre.

[15]            À mon sens, l'article 17.04 a manifestement pour objet de donner à l'auteur d'un grief un avis du contenu d'un document avant que celui-ci puisse être admis en preuve, de façon que cette personne soit au courant non seulement de la teneur générale du document en question, mais de l'ensemble de son contenu. En temps normal, cela signifierait que l'auteur du grief devrait avoir reçu copie du document avant l'audition de l'arbitrage ou, à tout le moins, que le contenu de celui-ci devrait lui avoir été présenté d'une façon qui lui permettrait d'en comprendre tous les éléments.

[16]            Je suis également d'avis que le mot « dossier » de l'article 17.04 doit recevoir un sens élargi de façon à respecter l'objet d'équité de la disposition. La proposition est très simple : au cours d'un arbitrage, les documents qui concernent l'employé ayant déposé le grief, qui se trouvent en la possession de l'employeur et que celui-ci désire invoquer au soutien d'une mesure disciplinaire contre l'employé en question doivent être produits à l'avance.

[17]            En conséquence, dans des circonstances semblables à celles qui sont exposées en l'espèce, la norme d'équité établie par l'article 17.04 oblige l'employeur à donner à l'auteur du grief une chance équitable de connaître le contenu précis des documents qui seront présentés en preuve contre lui lors de l'arbitrage, et ce, dans un laps de temps suffisant avant l'audience afin qu'il puisse préparer la réponse jugée nécessaire.


[18]            Par conséquent, lorsque les trois documents en question ont été présentés en vue d'être admis en preuve, l'arbitre devait répondre à deux questions au sujet de chacun d'eux avant de décider s'il devait les admettre ou les exclure : les documents se trouvaient-ils en la possession de l'employeur et le demandeur en connaissait-il le contenu exact? À moins que la réponse à ces deux questions ne soit affirmative, les documents ne peuvent être admis en preuve.

[19]            Dans la présente affaire, l'arbitre n'a pas tenté d'examiner l'admission des documents de la façon que je viens de décrire. Il semble que l'arbitre n'ait pas interprété l'article 17.04 comme une norme d'équité procédurale impérative. En conséquence, je suis d'avis que, compte tenu de la norme de la décision correcte, l'arbitre a commis une erreur de droit susceptible de révision.

D. Le rejet du grief du demandeur par l'arbitre

[20]            Il appert clairement des motifs de la décision de l'arbitre que l'admission des trois documents en preuve n'a eu aucune répercussion sur le résultat final de l'arbitrage. Effectivement, la conclusion principale de l'arbitre selon laquelle le grief devrait être rejeté parce que le demandeur a contrevenu au Code régissant les conflits d'intérêts n'est pas contestée en l'espèce.

[21]            Cependant, dans ses observations écrites initiales, l'avocate du demandeur a allégué que le manquement à l'équité procédurale commis par l'arbitre devrait, en soi, entraîner l'annulation de la décision de celui-ci. Au soutien de cette proposition, l'avocate cite l'arrêt Cardinal et Oswald c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, 24 D.L.R. (4th) 44.


[22]            Dans l'arrêt Cardinal, la Cour suprême du Canada a examiné une situation dans laquelle deux détenus d'un pénitencier n'ont pas eu la possibilité de formuler des observations au sujet du maintien de leur ségrégation. Cette décision a été prise par le directeur suivant la recommandation du Conseil d'examen des cas de ségrégation qui était composé de membres du personnel du pénitencier.

[23]            En ce qui a trait à l'omission d'assurer un traitement équitable aux détenus, le juge LeDain s'est exprimé comme suit aux pages 56 et 57 :

... Je suis d'accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d'appel qu'à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l'équité dans la procédure exigeait qu'il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s'il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l'ordre et la discipline dans l'établissement. Avec égards, je ne crois pas que l'on ait satisfait à l'exigence d'avis et d'audition incombant au directeur, comme le suggère le juge Macdonald, parce que les appelants savaient par suite de leur comparution devant le Conseil d'examen des cas de ségrégation pourquoi ils avaient été mis en ségrégation. Ils avaient le droit de savoir pourquoi le directeur n'avait pas l'intention de suivre la recommandation du Conseil et d'avoir la possibilité d'exposer devant lui leurs arguments en faveur de leur réintégration dans la population générale de l'établissement. Je ne crois pas que le directeur ait eu l'obligation de tenir une enquête indépendante sur la participation des appelants à la prise d'otage. Il pouvait se fier aux renseignements relatifs à l'incident qui lui avaient été communiqués par le directeur de l'établissement de Matsqui et le personnel du bureau central régional. En même temps, il avait l'obligation d'entendre les appelants et de tenir compte de ce qu'ils avaient à dire à propos de leur participation alléguée à l'incident, de même que de tout autre sujet qui pouvait avoir trait à la question de savoir si la levée de leur ségrégation pouvait introduire un élément perturbateur dans la population carcérale générale et avoir ainsi des conséquences néfastes sur le maintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement.


Ce sont là, à mon avis, les exigences minimales ou essentielles de l'équité dans la procédure dans les circonstances et elles sont tout à fait compatibles avec le souci de ne pas indûment alourdir ou bloquer le processus de l'administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l'imposition d'exigences de procédure déraisonnables ou impropres. Rien n'indique que l'obligation du directeur en matière d'avis et d'audition, lorsqu'il n'entend pas donner suite à une recommandation d'un Conseil d'examen des cas de ségrégation de lever la ségrégation d'un détenu, imposerait un fardeau excessif à l'administration carcérale ou mettrait la sécurité en danger.

    [...]

...j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition. [non souligné à l'original]

Au cours des plaidoiries verbales, j'ai dit que le principe énoncé dans l'arrêt Cardinal, souligné en caractères gras dans l'extrait précité, doit désormais être examiné à la lumière des exigences plus récentes que la Cour suprême a établies en ce qui concerne la détermination d'une norme de contrôle. Cela signifie que, si la Cour qui procède au contrôle est d'avis que le tribunal dont elle révise la décision a contrevenu à la norme d'équité procédurale lorsqu'il en est arrivé à sa décision finale, elle devrait décider si le manquement touchera la conclusion finale en fonction de la norme de contrôle globale.

[24]            J'aimerais ajouter que, tout en admettant les normes globales et spécifiques applicables dans un arbitrage semblable à celui qui fait l'objet du présent contrôle, l'avocate du demandeur a souligné que le manquement à l'équité procédurale est tellement grave en l'espèce qu'il y a lieu de lui donner le même effet que celui qui a été donné au manquement examiné dans l'arrêt Cardinal, c'est-à-dire que le manquement en l'occurrence devrait justifier une conclusion portant que la décision finale est devenue déraisonnable.


[25]            De toute évidence, la situation examinée dans l'arrêt Cardinal est très différente de la présente affaire; par conséquent, le même résultat n'est pas justifié en l'espèce. Néanmoins, je conviens que le manquement à l'équité procédurale dont il est question ici justifie une conclusion favorable au demandeur.

[26]            À titre de réparation, l'avocate du demandeur demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire conforme à l'argument qu'elle a exposé quant à l'interprétation à donner à l'article 17.04. J'ai fait droit à cette demande dans mes conclusions énoncées dans les présents motifs au sujet de l'article 17.04. Par souci de précision, je conclus que, compte tenu de l'alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, l'arbitre en l'espèce a omis de respecter un principe d'équité procédurale en interprétant l'article 17.04 comme il l'a fait. Étant donné que j'en suis arrivé à cette décision, j'ai compétence pour rendre une ordonnance fondée sur le paragraphe 18.1(3) afin d'annuler la décision de l'arbitre; cependant, je ne puis le faire à mon sens que si j'estime que cette décision ne satisfait pas à la norme de contrôle globale, soit la norme de la décision raisonnable.

[27]            Même si j'ai souscrit à l'argument du demandeur quant à la décision relative à la preuve, étant donné que l'admission des documents en question n'a eu aucune répercussion apparente sur le résultat de l'arbitrage, j'en arrive à la conclusion que cette admission n'a pas pour effet de rendre déraisonnable le rejet du grief par l'arbitre. Je conclus donc que, eu égard à la norme de contrôle globale, l'arbitre n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.


                                        ORDONNANCE

Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande est rejetée.

Je ne rends aucune ordonnance au sujet des dépens.

                                                                       « Douglas R. Campbell »            

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-1167-03

INTITULÉ :                            Oliver Gordon

c.

Agence des douanes et du revenu du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 20 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            Monsieur le juge Campbell

DATE DES MOTIFS :           le 21 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Jacquie de Aguayo                                            POUR LE DEMANDEUR

John Jaworski                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alliance de la fonction publique du Canada                     POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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