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Date : 19980717

Dossier : T-698-97

ENTRE :

                                              DOUBLE N EARTH MOVERS LTD.,

                                                                                                                                      demanderesse,

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                       défenderesse.

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE CAMPBELL

1           Quelle est la bonne façon d'interpréter les mots « récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert » de la définition de l'expression « opérations minières » figurant au paragraphe 69(1) de la Loi sur la taxe d'accise? Cette question a une importance vitale pour le présent litige et Double N Earth Movers Ltd. soutient à cet égard que ses activités d'extraction de gravier sont visées par les mots précités et que, par conséquent, elle a droit à une ristourne de taxe sur le carburant[1].

A.         Les dispositions de l'article 69 de la Loi sur la taxe d'accise

2           Pour interpréter correctement les mots en litige, il convient d'examiner ensemble les dix paragraphes de l'article 69, dont voici le texte :

Art. 69 : Définitions.

(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« admissible » Qualificatif attribuable à un agriculteur, à un pêcheur, à un chasseur, à un piégeur ou à une autre personne titulaire d'un permis d'achat en vrac délivré en application de règlements pris en vertu du paragraphe (10). ("qualified")

« en vrac » Qualificatif applicable à la vente d'essence ou de combustible diesel :

                a)d'une quantité d'au moins cinq cents litres livrée à l'acheteur à un point de vente au détail du vendeur;

                b)de n'importe quelle quantité en tout autre cas. ("in bulk")

« opérations forestières » L'abattage, l'ébranchage, le tronçonnage et le marquage des arbres, la construction de routes forestières, le transport de billes hors des grandes routes jusqu'au bassin de réserve ou à la cour du moulin, la récupération du bois et le reboisement, à l'exclusion des activités de production à partir du bassin de réserve ou de la cour du moulin survenant après le transport. ("logging")

« opérations minières » L'extraction de minéraux d'une ressource minérale, le traitement, jusqu'au stade du métal primaire ou son équivalent, des minerais, autres que le minerai de fer, provenant d'une ressource minérale, le traitement, jusqu'au stade de la boulette ou son équivalent, du minerai de fer provenant d'une ressource minérale et la récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert, à l'exclusion des activités relatives à l'exploration en vue de la découverte de ressources minérales ou à la mise en valeur de celles-ci. ("mining")

« ressource minérale »

                a)Gisement de métaux communs ou précieux;

                b)gisement de charbon;

                c)gisement minéral à l'égard duquel :

(i)le ministre des Ressources naturelles a certifié que le principal minéral extrait est un minéral industriel contenu dans un gisement non stratifié,

(ii)            le principal minéral extrait est la sylvine, l'halite ou le gypse,

(iii)le principal minéral extrait est de la silice extraite du grès ou du quartzite. ("mineral resource")

« vendeur enregistré » La personne enregistrée en vertu de règlements pris en application du paragraphe (10). ("registered vendor")

Ristourne de taxe sur le carburant au vendeur

(2) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu par un fabricant titulaire de licence ou par un marchand en gros titulaire de licence à :

                a)[Abrogé, L.R. (1985), ch. 42 (2e suppl.), art. 9]

                b)un pêcheur admissible à des fins de pêche commerciale;

                c)un chasseur admissible à des fins de chasse commerciale;

                d)un piégeur admissible à des fins de piégeage commercial;

                e)une personne admissible à des fins d'opérations forestières;

                f)une personne admissible à des fins d'opérations minières,

pour l'usage exclusif de l'acheteur et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI sont payables relativement à la vente, le fabricant ou le marchand en gros peut, selon les circonstances et les modalités et conditions que le ministre peut prescrire, déduire, dans les deux ans qui suivent la vente, une ristourne de taxe sur le carburant d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8) et (8.01) du montant de tout paiement de taxe, de pénalité, d'intérêts ou d'une autre somme que le fabricant ou le marchand en gros est tenu de verser, ou sur le point de l'être, en application de ces parties ou en vertu de la présente partie à l'égard des taxes prévues à ces parties.

Cas où le vendeur vend à un agriculteur

(2.1) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu par un fabricant titulaire de licence ou par un marchand en gros titulaire de licence à un agriculteur admissible pour son usage exclusif à des fins agricoles et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI sont payables relativement à la vente, le fabricant ou le marchand en gros peut, selon les circonstances et les modalités et conditions prescrites par le ministre, déduire, dans les deux ans suivant la vente, une ristourne de taxe sur ce carburant, d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8.1) et (8.2), du montant de tout paiement de taxe, de pénalité, d'intérêts ou d'une autre somme que le fabricant ou le marchand en gros est tenu de verser, ou est sur le point de l'être, en application de ces parties ou en vertu de la présente partie à l'égard des taxes prévues par ces parties.

Condition

(3) Un fabricant titulaire de licence ou un marchand en gros titulaire de licence ne peut pas effectuer la déduction prévue aux paragraphes (2) ou (2.1) sans réduire le montant exigé de l'acheteur pour l'essence ou le combustible diesel d'un montant égal à celui de la déduction et sans indiquer séparément le montant de la réduction sur la facture remise à l'acheteur à l'occasion de la vente.

Ristourne de taxe sur le carburant au vendeur enregistré

(4) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu en vrac par un vendeur enregistré à :

                a)[Abrogé, L.R. (1985), ch. 42 (2e suppl.), art. 9]

                b)un pêcheur admissible à des fins de pêche commerciale;

                c)un chasseur admissible à des fins de chasse commerciale;

                d)un piégeur admissible à des fins de piégeage commercial;

                e)une personne admissible à des fins d'opérations forestières;

                f)une personne admissible à des fins d'opérations minières,

pour l'usage exclusif de l'acheteur et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI ont été payées ou sont payables sur l'essence ou le carburant, une ristourne de taxe sur le carburant d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8) et (8.01) doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payée à ce vendeur enregistré, s'il en fait la demande dans les deux ans suivant la vente de l'essence ou du carburant.

Cas où le vendeur enregistré vend à un agriculteur

(4.1) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu en vrac par un vendeur enregistré à un agriculteur admissible pour son usage exclusif à des fins agricoles et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI ont été payées ou sont payables sur l'essence ou le carburant, une ristourne de taxe sur ce carburant d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8.1) et (8.2) doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payée à ce vendeur enregistré, s'il en fait la demande dans les deux ans suivant la vente de l'essence ou du carburant.

Condition

(5) La ristourne de taxe sur le carburant prévue aux paragraphes (4) ou (4.1) ne peut pas être payée au vendeur enregistré si celui-ci n'a pas réduit le montant exigé de l'acheteur pour l'essence ou le combustible diesel d'un montant égal à celui de la ristourne de taxe sur le carburant qui fait l'objet de la demande et si le vendeur enregistré n'a pas indiqué séparément le montant de la réduction sur la facture remise à l'acheteur à l'occasion de la vente.

Ristourne de taxe sur le carburant à l'acheteur ou à l'importateur

(6) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu à une des personnes suivantes, ou importé par l'une d'elles :

                a)[Abrogé, L.R. (1985), ch. 42 (2e suppl.), art. 9]

b)un pêcheur à des fins de pêche commerciale;

c)un chasseur à des fins de chasse commerciale;

d)un piégeur à des fins de piégeage commercial;

e)une personne à des fins d'opérations forestières;

f)une personne à des fins d'opérations minières,

pour l'usage exclusif de l'acheteur ou de l'importateur et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI ont été payées ou sont payables sur l'essence ou le combustible diesel et, dans le cas d'une vente, le montant exigé n'a pas été réduit conformément aux paragraphes (3) ou (5), une ristourne de taxe sur le carburant d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8) et (8.01) doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payée à cet acheteur ou à cet importateur, s'il en fait la demande dans les deux ans suivant l'achat ou l'importation de l'essence ou du carburant.

Ristourne à l'agriculteur

(6.1) Dans les cas où de l'essence ou du combustible diesel a été vendu à un agriculteur, ou importé par lui, pour son usage exclusif à des fins agricoles et non pour la revente, et où les taxes imposées en vertu des parties III et VI ont été payées ou sont payables sur l'essence ou le combustible diesel et, dans le cas d'une vente, le montant exigé n'a pas été réduit conformément aux paragraphes (3) ou (5), une ristourne de taxe sur ce carburant d'un montant calculé conformément aux paragraphes (8.1) et (8.2) doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payée à cet agriculteur, s'il en fait la demande dans les deux ans suivant l'achat ou l'importation de l'essence ou du carburant.

Restriction

(7) Les paragraphes (2), (2.1), (4), (4.1), (6) et (6.1) ne s'appliquent pas à l'essence ni au combustible diesel :

a)soit destiné à servir à la propulsion d'un véhicule sur le chemin public;

b)soit destiné à servir à des fins autres que commerciales;

c)soit vendu ou importé_:

(i)à compter du 1er janvier 1990 pour ce qui est de la taxe imposée en vertu de la partie III,

(ii)à compter du 1er janvier 1991 pour ce qui est de la taxe imposée en vertu de la partie VI.

Ristourne de taxe sur le carburant_: partie VI

(8) Pour l'application des paragraphes (2), (4) et (6), le montant de la ristourne relative à la taxe imposée en vertu de la partie VI sur le carburant est calculé au taux, non supérieur à cinq cents le litre d'essence ou de combustible diesel vendu ou importé, que le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre des Finances, prescrire par décret ou, si aucun taux n'est prescrit, au taux de trois cents le litre d'essence ou de combustible diesel vendu ou importé.

Ristourne de taxe sur le carburant : partie III

(8.01) Pour l'application des paragraphes (2), (4) et (6), le montant de la ristourne relative à la taxe imposée sur le carburant en vertu de la partie III est calculé :

a)dans le cas de l'essence vendue ou importée à compter du 1er janvier 1988 et avant le 1er avril 1988, au taux d'un cent le litre, et à compter du 1er avril 1988 et avant le 1er janvier 1990, au taux de deux cents le litre;

b)dans le cas du combustible diesel vendu ou importé à compter du 1er janvier 1988 et avant le 1er janvier 1990, au taux d'un cent le litre.

Taux pour les agriculteurs - partie VI

(8.1) Pour l'application des paragraphes (2.1), (4.1) et (6.1), le montant de la ristourne relative à la taxe imposée en vertu de la partie VI sur le carburant est calculé au taux, non supérieur à cinq cents le litre d'essence ou de combustible diesel vendu ou importé, que le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre des Finances, prescrire par décret ou, si aucun taux n'est prescrit, au taux de trois cents et demi le litre d'essence ou de combustible diesel vendu ou importé.

Taux pour les agriculteurs - partie III

(8.2) Pour l'application des paragraphes (2.1), (4.1) et (6.1), le montant de la ristourne relative à la taxe imposée en vertu de la partie III sur le carburant est calculé :

a)dans le cas d'essence :

(i)vendue ou importée à compter du 1er janvier 1987 et avant le 1er janvier 1988, au taux de trois cents le litre,

(ii)vendue ou importée à compter du 1er janvier 1988 et avant le 1er avril 1988, au taux de quatre cents le litre,

                (iii)vendue ou importée à compter du 1er avril 1988 et avant le 1er janvier 1990, au taux de cinq cents le litre;

b)dans le cas de combustible diesel :

(i)vendu ou importé à compter du 1er janvier 1987 et avant le 1er janvier 1988, au taux de trois cents le litre,

(ii)vendu ou importé à compter du 1er janvier 1988 et avant le 1er janvier 1990, au taux de quatre cents le litre.

Détournement

(9) Dans le cas où le montant exigé pour de l'essence ou du combustible diesel d'un acheteur est réduit conformément aux paragraphes (3) ou (5) ou un paiement est effectué en vertu des paragraphes (6) ou (6.1) à un acheteur ou à un importateur d'essence ou de combustible diesel et où cette personne vend l'essence ou le combustible diesel ou l'utilise à une fin qui n'aurait pas pu donner lieu, à la date de l'achat ou de l'importation, à la réduction ou au paiement, le montant de la réduction ou du paiement est réputé être une taxe payable par cette personne en application de la présente loi :

a)lorsqu'elle vend l'essence ou le carburant, à la date de la livraison de celui-ci à celui qui l'achète d'elle;

b)lorsqu'elle utilise l'essence ou le carburant, à la date de l'utilisation.

Règlements

(10) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a)autoriser la délivrance de permis d'achat en vrac aux agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, piégeurs ou autres personnes utilisant de l'essence ou du combustible diesel à une fin visée aux paragraphes (2) ou (2.1) et fixer les modalités et conditions des permis;

b)déterminer les registres que doivent tenir et les déclarations que doivent produire les agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, piégeurs ou autres titulaires de permis d'achat en vrac;

c)déterminer les dates auxquelles les déclarations visées à l'alinéa b) doivent être produites;

d)autoriser l'annulation d'un permis d'achat en vrac lorsqu'une de ses modalités n'est pas respectée ou lorsque n'est pas observée une disposition de la présente loi ou de ses règlements applicable au titulaire du permis;

e)établir un système permettant au ministre d'enregistrer les personnes qui vendent régulièrement de l'essence ou du combustible diesel en vrac aux agriculteurs admissibles, aux pêcheurs admissibles, aux chasseurs admissibles, aux piégeurs admissibles ou aux personnes admissibles s'adonnant à des opérations forestières ou minières, notamment :

(i)prévoir les modalités de la demande d'enregistrement et de l'attribution de celui-ci,

(ii)fixer les conditions d'attribution de l'enregistrement,

(iii)autoriser le ministre à annuler l'enregistrement dans les cas où n'est pas observée une condition de celui-ci ou une disposition de la présente loi ou de ses règlements se rapportant à l'enregistrement.

B.         Le fondement du litige

3           Les dispositions de l'article 69 qui intéressent particulièrement Double N sont l'alinéa 69(6)f), qui lui permettrait d'être admissible à une ristourne de taxe sur le carburant à titre d'acheteur de combustible diesel qu'elle utilise à des fins d'opérations minières, et le paragraphe 69(8.01), qui précise le montant de la ristourne. Toutefois, pour avoir droit à la ristourne, Double N doit prouver que le combustible diesel acheté a été utilisé pour des « opérations minières » selon la définition de cette expression.

4           Le 17 novembre 1988, Double N a demandé une ristourne, convaincue qu'elle y avait droit. Le 14 août 1990, le sous-ministre du Revenu national a rejeté cette demande. Toutefois, en réponse à un avis d'opposition concernant cette décision, le ministre du Revenu national a accueilli l'objection en partie le 10 septembre 1993, au motif qu'une petite partie des activités de Double N sont admissibles à la ristourne. Le 21 février 1995, Double N a porté cette décision en appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE), qui a rejeté l'appel le 19 décembre 1996. Le présent appel a donc été formé au moyen d'une action intentée sous le régime de l'article 81.28 de la Loi.

5           Dès le début du présent appel engagé au moyen d'une action de novo, les parties ont convenu que la décision sous examen est celle du ministre du Revenu national et non celle du TCCE. Elles ont également convenu que la décision du ministre est présumée bien fondée et qu'il appartient à Double N de prouver le contraire.

C.         Activités de Double N

6           Double N exploite une entreprise de terrassement dont les activités consistent à décaper et à remettre en place les sols pour les propriétaires-exploitants de gravières de l'agglomération d'Edmonton. Les propriétaires-exploitants utilisent des techniques d'exploitation de surface pour extraire le gravier de mines à ciel ouvert qui sont en réalité des carrières. Ils soumettent ensuite le gravier à différents traitements de concassage, de criblage, de lessivage et de mise en dépôt pour produire des agrégats commercialisables.

7           Les mots et expressions qui suivent sont pertinents quant à la description générale des activités de décapage et de remise en place de Double N :

Couche arable : couche supérieure de sol organique fertile.

Rhizosphère : couche supérieure du sous-sol se trouvant immédiatement sous la couche arable. Lorsque l'utilisation finale de la terre est l'agriculture, une meilleure récupération sera obtenue si cette couche supérieure du sous-sol est préservée séparément et remise en place.

Terre glaise (recouvrement) : terre minérale ou till glaciaire se trouvant directement au-dessus du dépôt de gravier et sous la rhizosphère.

Décapage : opération qui consiste à charger et à transporter les matières des trois couches supérieures de recouvrement à l'extérieur du dépôt de gravier.

Exploitation à ciel ouvert : extraction du gravier par des méthodes d'exploitation de surface.

Terrains exploités à ciel ouvert : gravières dont le gravier a été extrait à l'aide de techniques d'exploitation de surface[2].

8           Les gravières exploitées par Double N dans les régions de Fort Saskatchewan, Onoway et Villeneuve sont des gravières qui ont atteint le stade de maturité et qui ont constitué une source d'agrégats pendant plusieurs décennies. Dans ces régions, le sol non encore exploité se compose habituellement de la couche de fond du dépôt de gravier, de la couche arable, de la rhizosphère et du recouvrement d'argile. La méthode d'exploitation de Double N, appelée remise en état progressive, consiste à extraire les matières de la couche arable, de la rhizosphère et du recouvrement d'un lieu donné et à les transporter directement vers des sites de récupération adjacents. Les matières des trois couches de terre sont extraites et traitées séparément de façon à pouvoir être remises en place dans le même ordre en vue de la remise en état des terrains exploités à ciel ouvert. Dans le cadre de cette méthode, la terre arable extraite est disposée sur un terrain préparé adjacent qui a été exploité à ciel ouvert et qui a déjà reçu une couche de matières de la rhizosphère et du recouvrement.

9           Une gravière ayant atteint le stade de maturité a fait l'objet de plusieurs excavations ou creusages au fil des années et comporte à l'intérieur de ses limites des parties exploitées entièrement remises en état ainsi que des zones épuisées et partiellement remises en état; ainsi, dans une partie, une couche de recouvrement d'argile aura été disposée, tandis qu'une autre comportera en plus une couche de rhizosphère.

10         Les matières extraites de la zone d'excavation initiale sont mises en dépôt de façon que la terre arable ne soit pas mélangée avec le recouvrement d'argile. Ces matières ainsi extraites demeurent habituellement inchangées jusqu'à ce qu'elles soient utilisées pour la remise en état finale du site. L'exploitation des gravières est conçue de manière à favoriser la remise en état progressive et à maximiser l'efficience découlant de l'utilisation des matières mises en dépôt depuis la première excavation jusqu'à la dernière[3].

11         La demande de Double N est fondée sur le fait qu'elle a utilisé sa machinerie alimentée au combustible diesel pour poursuivre les activités de récupération suivantes à différents endroits de la gravière exploitée :

[TRADUCTION] Décaper la couche arable supérieure à l'aide de décapeuses automotrices qui ont servi à transporter et à disposer la terre arable directement dans une zone exploitée à ciel ouvert qui avait précédemment reçu une couche de rhizosphère et de recouvrement;

Décaper la rhizosphère à l'aide de décapeuses automotrices qui ont servi à transporter et à disposer les matières ainsi extraites dans un endroit exploité à ciel ouvert qui avait précédemment reçu une couche de recouvrement d'argile;

Décaper le recouvrement d'argile à l'aide de décapeuses automotrices qui ont servi à transporter et à disposer les matières du recouvrement sur le fond d'une zone précédemment épuisée[4].

12         Dans le cadre de ce processus, Double N a décapé les couches de terre et disposé les matières extraites à l'aide de décapeuses automotrices Caterpillar de modèle 631 qui avaient une capacité nominale de 31 verges cubes et qui comportaient des lames de terrassement et des lames niveleuses. Les décapeuses automotrices servent essentiellement à creuser. Une benne suspendue est inclinée vers l'avant pour que sa lame racleuse puisse extraire une mince couche de matières du sol. La benne se remplit au fur et à mesure que l'engin avance; lorsqu'elle est pleine, elle est relevée et un tablier est abaissé pour la fermer. La benne est ensuite inclinée vers le bas pour permettre le déversement des matières du sol à l'aide d'un éjecteur qui pousse les matières en question et les étend en une couche mince au fur et à mesure que l'engin avance[5].

D.         La décision du ministre

13         Par définition, l'expression « opérations minières » du paragraphe 69(1) concerne une activité touchant « une ressource minérale » . Toutefois, dans la décision sous appel, même si le gravier n'est pas une ressource minérale, le ministre a conclu que la récupération des terrains exploités à ciel ouvert dans le cas du gravier est assimilée à une opération minière aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant. Pour que cette conclusion soit bien fondée, le ministre doit avoir admis qu'il est nécessaire d'interpréter les mots « la récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert » de l'expression « opérations minières » définie au paragraphe 69(1) sans tenir compte des autres dispositions de la définition.

14         Cependant, le ministre a conclu que certaines activités de Double N ne constituent pas des activités de « récupération » au sens où ce mot est employé dans la définition de l'expression « opérations minières » du paragraphe 69(1), essentiellement parce qu'elles font partie de la mise en valeur du gravier. Ainsi, en ce qui a trait à la ristourne de Double N, le ministre

[TRADUCTION]

.a refusé la demande relative au carburant utilisé pour le décapage et la mise en dépôt de la couche arable à des carrières d'emprunt;

.a fait droit à la demande à l'égard du carburant utilisé pour ramasser et transporter la couche arable depuis les carrières d'emprunt et la disposer dans la zone épuisée;

.a refusé la demande à l'égard du carburant utilisé pour ramasser et transporter la couche arable, la rhizosphère et le recouvrement d'argile des gravières jusqu'à un [TRADUCTION] « point de déversement minimal » ;

.a accordé une ristourne de taxe sur le carburant utilisé au-delà du point de déversement minimal aux gravières au motif que la remise en place du recouvrement ou de la couche arable à des endroits qui avaient été utilisés comme carrières d'emprunt est admissible à la ristourne en question[6].

15         Le concept du point de déversement minimal (PDM) a été inventé par le ministre et sert à décrire le point au-delà duquel il est nécessaire de déplacer les matières des couches de terre décapées afin de garder suffisamment d'espace pour la poursuite des opérations minières.

16         Le ministre a joint à l'avis de décision qu'il a fait parvenir à Double N quatre pages de notes écrites à la main dont la lecture me permet de conclure qu'il a consacré beaucoup de temps et d'énergie à la mise au point d'une stratégie qui l'a amené à considérer certaines parties des activités de Double N comme des activités de mise en valeur plutôt que de récupération. Toutefois, même si la décision du ministre est raisonnée, il faut savoir si elle est fondée sur une bonne interprétation du mot « récupération » du paragraphe 69(1).

E.          Principes d'interprétation

17         Pour répondre à cette question, il convient de reproduire les extraits suivants de l'ouvrage intitulé Driedger on the Construction of Statutes[7], qui illustrent les critères d'interprétation législative bien reconnus et pertinents en l'espèce :

[TRADUCTION]

                ...

Résumé de la règle du sens ordinaire : les propositions fondamentales. La règle du sens ordinaire que les tribunaux appliquent aujourd'hui se compose des propositions suivantes :

(1) Il est présumé que le sens ordinaire d'un texte législatif est le sens voulu ou le sens qui convient le mieux. À moins qu'il n'existe une raison de le rejeter, le sens ordinaire l'emporte.

(2) Même lorsque le sens ordinaire d'un texte législatif semble clair, le tribunal doit examiner l'objet et l'économie du texte et les conséquences découlant de l'adoption de ce sens. Il doit tenir compte de tous les indicateurs pertinents du sens législatif.

(3) À la lumière de ces facteurs supplémentaires, le tribunal peut adopter une interprétation ayant pour effet de modifier ou de rejeter le sens ordinaire. Cependant, cette interprétation doit être plausible, c'est-à-dire qu'il doit s'agit d'une interprétation que les mots peuvent raisonnablement supporter[8].

                ...

Définition du sens ordinaire. Le « sens ordinaire » d'un texte est le sens que comprend le lecteur ayant une bonne connaissance de la langue en lisant les mots dans leur contexte immédiat. Le contexte immédiat correspond généralement à l'article ou au paragraphe de la loi dans lequel les mots se trouvent. Dans certains cas, il peut comprendre davantage, une série de dispositions connexes peut-être. Toutefois, il ne couvre pas l'ensemble de la loi, mais seulement les parties dont le lecteur a besoin pour avoir une bonne idée du contenu du texte.

Selon cette définition, le sens ordinaire n'est pas le sens qui découle de l'interprétation, c'est-à-dire le sens accepté à la lumière de tous les facteurs pertinents. Il s'agit du sens découlant de l'idée première qu'un lecteur averti s'est faite après avoir pris en compte l'information immédiatement accessible. Ce sens traduit l'expérience réelle des lecteurs, qui ne lisent habituellement pas l'ensemble d'un texte pour comprendre la signification de chacune des phrases dont il se compose[9].

                ...

                SENS ORDINAIRE ET SENS TECHNIQUE

Termes techniques. Les termes techniques ou scientifiques n'ont pas un sens habituel ou populaire; leur seul sens découle de leur utilisation spécialisée par un groupe distinct de la collectivité. Lorsque les termes techniques ou scientifiques sont employés dans une loi, ils prennent nécessairement leur sens technique ou scientifique[10].

                ...

Présomption en faveur du sens ordinaire et non technique. Lorsque les mots sont ambigus, c'est-à-dire qu'ils pourraient avoir à la fois un sens technique et un sens non technique dans le contexte dans lequel ils figurent, les tribunaux présument que le législateur voulait leur donner leur sens ordinaire et non technique[11]. ...

...

Présomption applicable à toutes les lois. La présomption en faveur du sens ordinaire et non technique des mots s'applique à tous les textes législatifs, y compris ceux qui concernent des questions techniques ou scientifiques[12]. ...

                ...

Restriction. La présomption en faveur du sens ordinaire et non technique des mots est assujettie à une restriction importante que Lord Esher a expliquée comme suit dans l'affaire Unwin v. Hanson :

[TRADUCTION] Lorsque la Loi a pour but de régir des questions qui touchent tout le monde en général, les mots qu'elle emploie ont le sens courant et ordinaire que lui confère la langue. Si la Loi vise un commerce, une entreprise ou une affaire en particulier et si les mots qu'elle emploie ont un sens que chacun, dans ce commerce, cette entreprise ou cette affaire, connaît et comprend, ces mots doivent alors être interprétés à l'aide de cette définition particulière, même si elle s'éloigne du sens courant et ordinaire des mots[13].

Des propos semblables ont été tenus dans un extrait que la Cour d'appel fédérale a accepté dans l'arrêt Olympia Floor and Wall Tile Co. c. Sous-ministre du Revenu national (Douanes et Accise) :

Je souscris au principe selon lequel le sens courant d'un mot doit être utilisé dans l'interprétation des Lois, sauf dans le cas d'un mot couramment utilisé dans le « commerce » , et dont on reconnaît qu'une signification particulière lui est attribuée dans l'industrie ou le commerce; il faut alors se servir de l'interprétation donnée au mot dans ce dernier contexte.

Se fondant sur cette restriction ou exception, les tribunaux ont adopté un sens technique du mot « sex » du règlement pris en application de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Horse Racing Act, des mots « profession d'opticien d'ordonnances » de la Loi sur les opticiens d'ordonnances de l'Ontario, des mots « tissu sous-cutané du pied » de la Loi sur les podologues de l'Ontario, des mots « carreaux en terre cuite » d'un poste tarifaire découlant du Tarif des douanes, des mots « dispositif de concentration » de la Loi sur l'évaluation foncière de l'Ontario et du mot « pipeline » du Règlement de l'impôt sur le revenu[14].

                ...

... L'élément clé à examiner pour savoir si les mots devraient recevoir leur sens ordinaire ou technique n'est pas tant l'objet traité que la perception qu'en ont les personnes visées par la loi. Comme Lord Diplock l'a dit dans l'affaire Black-Clawson International Ltd. v. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg A.G.,

... la Cour doit donner effet au sens raisonnable qui serait donné aux mots par les personnes dont elle régit la conduite.

... En d'autres termes, lorsqu'ils interprètent un texte législatif, quel qu'en soit l'objet, les tribunaux doivent se demander comment les personnes connaissant bien cette question comprendraient les termes utilisés dans la loi. Lorsqu'il est prouvé qu'un sens technique serait retenu, ce sens sera accepté; dans le cas contraire, le tribunal préférera le sens ordinaire ou populaire des termes[15].

Preuve du sens technique. La question de savoir quel est le sens technique d'un terme donné, le cas échéant, est une question de fait. Si l'existence de ce sens ou ce sens lui-même est incontestable, la Cour peut l'admettre d'office; si tel n'est pas le cas, ce sens devra être établi de la façon habituelle, soit par le témoignage de témoins experts.

Pour établir le sens technique des termes, il est possible d'utiliser les dictionnaires, les encyclopédies, les recueils de texte, les publications d'organismes de réglementation et ainsi de suite. Ces documents peuvent être présentés par des témoins experts ou portés à l'attention de la Cour par les avocats[16]. [Renvois omis]

18         Dans l'extrait susmentionné, le mot « populaire » est utilisé d'une façon qui pourrait prêter à confusion. Toutefois, cette confusion disparaît lorsque l'objet se limite à décider quelles sont les personnes visées par un texte de loi donné. S'il s'agit des intervenants d'un secteur industriel ou commercial, le sens « populaire » pour ceux-ci devrait être accepté. Si la loi vise le grand public, c'est le sens ordinaire qui devrait être retenu. Ainsi, pour le profane, le mot « populaire » signifie « ordinaire » tandis que, pour les intervenants d'un secteur précis, le mot « populaire » signifie « technique » .

19         Par conséquent, le premier objectif consiste à décider quelles sont les personnes visées par un texte de loi donné. S'il s'agit des intervenants d'un secteur commercial ou industriel, ce sont ces intervenants qu'il faudra consulter pour connaître le sens à donner aux termes précis de la loi.

20         À ce sujet, le juge Ryan, J.C.A., s'est exprimé comme suit dans l'arrêt Olympia Floor and Wall Tile Company c. Sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise[17]:

Je reconnais, bien sûr, que l'expression « carreaux en terre cuite » n'a pas un caractère aussi « technique ou scientifique » que le mot « tétracycline » . Mais, M. Martin a néanmoins raison lorsqu'il affirme que si le commerce confère à l'expression « carreaux en terre cuite » une définition reconnue, c'est à partir de celle-ci que l'expression doit être interprétée. Le législateur pourrait sûrement préciser qu'un terme mentionné par une loi doit être interprété en faisant abstraction de la définition particulière que lui confère le commerce visé par cette loi; si cela peut se faire de façon expresse, cela peut certainement se faire de façon implicite. Or, je ne crois pas que le numéro tarifaire 28415-1, interprété soit seul, soit dans le contexte, entende conférer à l'expression « carreaux en terre cuite » un sens autre que celui prévu par le commerce, lorsque, comme en l'espèce, il est prouvé que le commerce lui donne une signification particulière. Ici, la preuve est concluante quant au fait que, dans l'industrie concernée, l'expression « carreaux en terre cuite » , dans le domaine des carreaux de parquet et des carreaux muraux en céramique, désigne les carreaux non vitreux, et non les carreaux vitreux ou semi-vitreux.

21         De la même façon, dans l'arrêt Nova, An Alberta Corporation c. Ministre du Revenu national[18], le juge Urie donne la directive suivante :

En ce qui concerne les moyens invoqués dans la présente affaire, il s'agit maintenant de savoir quel est le sens grammatical et ordinaire du mot « pipeline » et sur quoi ou sur qui devrait s'appuyer un tribunal pour dégager le sens grammatical et ordinaire des mots employés dans un texte législatif.

...

À mon avis, le problème d'interprétation en l'espèce n'exige pas uniquement que l'on décide si un mot employé dans une loi est utilisé selon son sens ordinaire ou suivant son sens strictement technique, comme dans l'affaire Canterra Energy, précitée, par exemple. La question est plus fondamentale. Il s'agit d'un mot assez courant, employé en l'espèce dans une annexe à un règlement pris en vertu d'une loi applicable à toutes les sociétés pouvant avoir droit à une déduction pour amortissement fiscal relativement à divers de leurs biens. La Loi de l'impôt sur le revenu elle-même vise tous les contribuables ayant des revenus imposables. La catégorie 2 de l'annexe B ne régit certainement pas seulement l'industrie du gaz naturel. Elle s'applique aussi au matériel générateur d'électricité, aux pipelines pour le pétrole et au matériel de distribution d'eau et de chaleur. L'alinéa b) se rapporte aux pipelines sans égard à l'objet transporté par ce moyen, qu'il s'agisse de gaz, de pétrole, d'eau, de vapeur ou de solides. Selon moi, pour donner son sens ordinaire à ce terme, il aurait fallu lui reconnaître le « sens que [lui] attribueraient les personnes versées dans la question [en l'espèce, celles qui utilisent le pipeline pour le transport du gaz, du pétrole, de l'eau, de la vapeur ou de solides] dont traite la loi » plutôt que le sens habituel perçu par l'homme de la rue qui ne connaît bien ni les industries utilisatrices ni les pipelines. Même dans le cas contraire, il est difficile de penser que cet homme considérerait la station de compression ou les installations de comptage comme des éléments constitutifs du pipeline dans son sens le plus fondamental.

[Renvois omis]

F.          Interprétations proposées

            1. L'optique du ministre

22         L'avocat de la défenderesse convient que le ministre a utilisé en l'espèce une interprétation fondée sur le sens ordinaire des mots utilisés dans la définition de l'expression « opérations minières » du paragraphe 69(1), plus précisément le sens ordinaire du mot « récupération » . En effet, le ministre percevait le processus d'exploitation minière comme un processus linéaire comportant différentes étapes successives. Par conséquent, il a présumé l'existence de différents points de rupture entre les activités de mise en valeur, de traitement et de récupération.

23         Dans cette optique, le ministre a jugé que les activités de Double N se composaient des trois étapes suivantes :

a.enlever le recouvrement du gravier à extraire;

b.transporter le recouvrement à un endroit suffisamment éloigné pour l'empêcher de nuire à l'extraction de gravier;

c.remettre le recouvrement en place sur le terrain d'où le gravier a été extrait[19].

24         Partant de cette optique, la défenderesse soutient que l'extraction et le déplacement du recouvrement au PDM ne font pas partie de la récupération des terrains miniers exploités, mais plutôt de la mise en valeur et de l'exploitation du gravier et que, par conséquent, seule la dernière étape constitue nettement une opération de « récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert » . Elle fait donc valoir qu'une ristourne doit être versée et a effectivement été versée aux termes de l'article 69 à l'égard de la taxe acquittée relativement au diesel utilisé pour la poursuite des activités de la dernière étape, mais non en ce qui a trait au combustible diesel utilisé dans le cadre des deux premières étapes.

            2.L'optique de Double N

25         L'avocat de Double N se fonde sur des témoignages d'experts pour soutenir que le mot « récupération » devrait recevoir le sens technique qui lui a été donné dans le contexte juridique et professionnel des activités de l'entreprise. Afin d'établir le régime juridique en question et ses répercussions sur les activités semblables à celles de Double N, une preuve verbale et écrite a été présentée devant le TCCE et cette preuve a été versée par consentement dans le dossier du présent appel.

26         Les activités de Double N sont assujetties à un règlement strict de l'Alberta qui exige la remise en état des terrains exploités. Le principal témoin entendu à ce sujet est M. Len Knapik, qui est un consultant principal dans le secteur minier et celui de l'industrie pétrolière et gazière et bénéficie d'une grande expérience dans le domaine de la récupération des terrains en Alberta. Au cours de l'audience tenue devant le TCCE, M. Knapik a été admis à témoigner en qualité de témoin expert en matière de récupération des terrains miniers exploités à ciel ouvert.

27         Au cours de son interrogatoire principal, M. Knapik a précisé que chacun des termes "restoration" (récupération), "reclamation" (remise en état) et "rehabilitation" (revalorisation) décrit une intensité différente des activités : la « récupération » est le retour du terrain et de tous ses éléments à l'état dans lequel ils se trouvaient avant les modifications, la remise en état est le retour du terrain à un état qui en permet l'utilisation et la revalorisation est le retour du terrain à un état planifié. Toutefois, au cours de l'audience tenue devant le TCCE, l'avocat de la défenderesse a admis qu'aux fins de la ristourne de taxe sur le carburant, ces termes pouvaient être considérés comme des synonymes et qu'ils décrivaient tous l'état désiré des terrains au sens des mots « récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert » du paragraphe 69(1). La même admission s'applique dans le présent appel.

28         M. Knapik a déclaré que, aux termes de la loi intitulée Alberta Land Surface Conservation and Reclamation Act[20]et son règlement d'application, la norme prescrite est celle de la « remise en état » et a dit ce qui suit au sujet du respect de cette norme au cours de son interrogatoire principal :

[TRADUCTION]

Q.             Monsieur Knapik, existe-t-il en Alberta un régime juridique au sujet de la remise en état des gravières ou de la récupération des gravières?

R.             Oui. Au début des années 1970, la loi intitulée Land Surface Conservation Reclamation Act exigeait la remise en état des terrains des gravières et obligeait l'entreprise à faire approuver un plan de mise en valeur et de remise en état avant de débuter ses activités. Cette loi a été remplacée en 1993 par la loi actuellement en vigueur.

Q.             Quelle est la norme définitive à respecter aux termes de cette loi sur le plan de la qualité des terrains?

R.             C'est la norme de la potentialité équivalente.

Q.             Sans vous attarder aux détails, pourriez-vous expliquer brièvement au Tribunal les éléments que vous devriez trouver dans les plans de remise en état que le gouvernement exige.

R.             Il y aura un inventaire des sols, tant en ce qui a trait à l'épaisseur de la couche arable qu'aux volumes et, lorsqu'il s'agit d'aménagement paysager, il y aura une indication de l'épaisseur et des volumes du sous-sol et de la rhizosphère. Il y aura un inventaire du reste des matières du recouvrement depuis cette zone jusqu'au gravier obtenu par le forage.

                Il y aura vérification d'éléments comme la teneur en sel ou les niveaux de sodium, qui peuvent constituer un problème en ce qui a trait à l'aménagement paysager des terrains récupérés.

                Il y a ensuite un plan indiquant comment la matière sera extraite, comment le nouvel aménagement et le nouveau profil du sol seront formés et comment le drainage sera effectué; il indiquera aussi la forme de la surface des terrains ainsi que la gestion de la végétation, si les terrains ne sont pas destinés à être réutilisés pour l'exploitation agricole.

Q.             Ces plans donneraient-ils des indications concernant la gestion des couches de recouvrement?

R.             Oui, c'est l'une des exigences.

Q.             De façon générale, quels sont les éléments qui devraient figurer dans le plan au sujet des couches de recouvrement?

R.             Il faut traiter séparément la couche arable, la rhizosphère et le reste des matières du recouvrement et les replacer dans le bon ordre dans le nouvel aménagement paysager.

Q.             Existe-t-il une méthode de récupération que le gouvernement privilégie dans le cadre de la préparation de ces plans?

R.             Le gouvernement veut que l'opération demeure aussi restreinte que possible de façon que la remise en état se fasse rapidement, compte tenu du concept de la remise en état progressive; en fait, il s'agit de suivre de très près vos opérations actives afin de ramener les terrains à l'état de production utile le plus rapidement possible.

Q.             Pourriez-vous expliquer brièvement en quoi consiste la remise en état progressive dans le contexte de l'exploitation d'une gravière?

R.             De façon générale, la remise en état progressive consiste à remettre en place les matières du recouvrement dans la gravière épuisée et à reformer votre aménagement paysager final. À cette étape, vous obtenez vos tracés du réseau de drainage pour le drainage des eaux de surface.

                Vous disposez ensuite vos matières de la rhizosphère sur les recouvrements, ce qui représente une épaisseur d'environ 30 à 50 centimètres, et vous recouvrez le tout de la terre arable.

                Vous devez vous assurer de bien compacter et éviter de mélanger les matières au fur et à mesure que vous procédez à l'excavation ou à la remise en place.

...

Q.             Quelle serait l'attitude des autorités de l'environnement de l'Alberta si l'exploitant déversait simplement les matières du recouvrement ensemble, qu'il mélangeait les matières des trois zones et utilisait le terrain de cette manière? Cette façon de procéder serait-elle acceptable?

R.             Non. Les autorités ne vous donneraient aucun permis d'exploitation et ne vous autoriseraient pas à continuer, si vous tentiez de le faire.

Q.             Si l'exploitant enlevait simplement les matières du recouvrement et les jetait dans le trou au milieu de la gravière, cette façon de procéder serait-elle plus acceptable?

R.             Il faut traiter séparément la terre arable, la rhizosphère et le reste des matières. Vous ne pouvez les traiter ensemble. Lorsque vous remettez les matières en place, vous formez votre aménagement paysager final et vous devez donc savoir où se trouvent vos niveaux, vous devez vous situer au-dessus de la surface de saturation, afin de permettre le drainage de la dernière couche. Vous ne pouvez simplement déverser les matières.

...

Q.             Monsieur Knapik, lorsque vous faites de la remise en état progressive dans le cas d'une gravière ayant atteint le stade de maturité, à quel moment la remise en état commence-t-elle à votre avis?

R.             Nous disons toujours que la remise en état commence lorsque les activités préliminaires sont planifiées et que la demande de mise en valeur et de remise en état est préparée. En ce qui a trait aux opérations minières proprement dites, la remise en état débute par l'extraction de la terre arable.

Q.             Elle débute donc au moment où vous retirez la couche verte.

R.             Vous préservez une ressource valable oui.

Q.             Le gouvernement exige-t-il que vous préserviez cette terre arable?

R.             Définitivement[21].

[non souligné dans l'original]

...

29         La loi intitulée Alberta Surface Conservation and Reclamation Act prévoit la création d'un conseil chargé d'assurer le respect des objectifs qu'elle vise à atteindre. Dans le cadre de cette mission, le conseil doit veiller à ce que les activités d'exploitation des gravières soient poursuivies de façon à préserver les ressources du sol et à ramener le terrain à un état de potentialité équivalente[22]. Au soutien de son interprétation, Double N a produit une lettre en date du 19 novembre 1990 dans laquelle M. J.M. King, président du conseil, formule les déclarations suivantes au sujet des activités de remise en état associées aux carrières de sable, de gravier et de terre glaise :

[TRADUCTION] La remise en état est nécessaire et comprend la préservation distincte et, dans les cas opportuns, la mise en dépôt de la terre arable, des matières du recouvrement et des matières rejetées, la remise en place de toutes les matières du recouvrement après l'excavation, l'établissement de tracés de contour, la remise en place de la terre arable, le ramassage des pierres, au besoin, et la stabilisation de la surface du sol au moyen d'un couvert végétal indépendant.

De plus, pour assurer la remise en état à un niveau de potentialité équivalente, il peut être nécessaire de préserver les matières du sous-sol séparément de ce qui est généralement appelé le « recouvrement » dans l'industrie.

Le ministère cherche à promouvoir la remise en état « progressive » ou « séquentielle » dans la mesure du possible. ... En conclusion, le ministère estime que la préservation et la remise en place de la terre arable, du sous-sol et du recouvrement font partie intégrante de la remise en état[23].

[Non souligné dans l'original]

G.         Analyse

30         Le témoignage d'expert que M. Knapik a présenté et qui est cité ci-dessus n'est pas contredit. Il est même clairement appuyé par le témoignage de M. King, également précité. J'accorde donc une très grande importance au témoignage de M. Knapik.

31         La définition technique du mot « reclamation » (remise en état) que propose M. Knapik devrait-elle être considérée comme la bonne interprétation du mot "restoration" (récupération) de l'article 69? De l'avis de Double N, le Parlement devait connaître les aspects techniques des « opérations minières » ; par conséquent, les mots utilisés à l'article 69 sont adaptés à ces connaissances et les englobent. Lorsque j'examine à fond l'article 69, je n'ai aucun doute sur le bien-fondé de cet argument. À mon avis, l'article 69 respecte la restriction que Lord Esher a énoncée dans le jugement Unwin v. Hanson, précité.

32         Il est évident que l'article 69 a été adopté relativement à certaines opérations menées dans certains secteurs précis de l'industrie des ressources de l'économie canadienne. Cette disposition concerne différents distributeurs d'essence ou de combustible diesel : les fabricants titulaires de licence, les marchands en gros titulaires de licence et les vendeurs enregistrés. Lorsque ces distributeurs vendent de l'essence ou du combustible diesel à des consommateurs spéciaux « admissibles » qui font de la pêche, de la chasse ou du piégeage ou qui poursuivent des opérations forestières ou minières, une ristourne de la taxe doit être versée au fabricant titulaire de licence, au marchand en gros titulaire de licence ou au vendeur enregistré.

33         De plus, dans le cas des personnes qui poursuivent l'une des activités énumérées, mais qui n'est pas jugée « admissible » aux termes de l'article 69, une ristourne de la taxe sur le carburant doit leur être versée lorsque ces personnes achètent ou importent de l'essence ou du combustible diesel pour l'utiliser dans le cadre d'une activité mentionnée. Par conséquent, l'article 69 touche un groupe restreint et particulier d'entités économiques.

34         En plus de décrire spécifiquement les personnes ou entreprises qui sont titulaires de permis, enregistrées, admissibles ou inadmissibles, l'article 69 impute des connaissances spécialisées aux personnes auxquelles il s'applique. Ainsi, les personnes qui poursuivent des opérations forestières sont présumées connaître les définitions des termes « abattage » , « ébranchage » , « tronçonnage » , « bassin de réserve » , « cour du moulin » et « récupération du bois » . Dans la même veine, il y a lieu de présumer que le mot « reboisement » de la définition de l'expression opérations forestières nécessite lui aussi une compréhension technique pour bien interpréter la nature et la portée de l'activité mentionnée. À mon avis, il est permis d'en dire tout autant dans le cas de l'expression « opérations minières » , au sujet de laquelle il est sans doute nécessaire d'avoir des connaissances techniques pour comprendre des termes comme « stade du métal primaire » et « stade de la boulette » .

35         Étant donné que l'article 69 touche un groupe restreint et particulier d'entités économiques et que des termes techniques sont fréquemment employés tout au long de la disposition, j'estime que cet article vise les intervenants du secteur industriel spécialisé concerné par les activités qui y sont énumérées. Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que la présomption en faveur de l'interprétation des termes selon leur sens ordinaire est réfutée.

36         Compte tenu de ce qui précède, la question qui se pose est celle de savoir quel est le sens que les personnes connaissant bien les opérations minières donneraient au mot « récupération » ? En ce qui a trait à la question de savoir qui connaît bien ces opérations, Lord Esher utilise les mots [TRADUCTION] « chacun, dans ce commerce, cette entreprise ou cette affaire... » . Toutefois, j'estime que, même si l'article 69 est une disposition d'une loi fédérale, les personnes qui connaissent bien la question et dont l'avis a une importance quant au sens des mots utilisés à l'article 69 en ce qui a trait à une activité spécifique sont les personnes très au courant du contexte juridique et pratique dans lequel cette activité est exercée. M. Knapik et ses avis respectent certainement ce critère dans le cas des activités que poursuit Double N en Alberta.

37         Par conséquent, ainsi que M. Knapik l'a expliqué au cours de son témoignage (précité), je suis d'avis que, dans la présente affaire, la récupération débute par l'extraction de la terre arable.

38         Le principal argument que la défenderesse invoque à l'encontre de cette conclusion est fondé sur une contradiction apparente découlant du fait que la « récupération » au sens de la définition constitue également une activité de « mise en valeur » , parce qu'elle permet de mettre en valeur une gravière en donnant accès à la couche de gravier située sous la couche arable et le recouvrement. Je n'accorde aucune importance à cet argument, compte tenu de la façon dont le mot « récupération » doit être examiné.

39         Comme je l'ai mentionné plus haut, le ministre doit avoir admis qu'il est nécessaire d'interpréter les mots « la récupération, en vue d'autres utilisations, des terrains miniers exploités à ciel ouvert » de la définition de l'expression « opérations minières » du paragraphe 69(1) sans tenir compte des autres dispositions de la définition. Par suite de cette admission, dès le début de l'audition de l'appel, l'avocat de la défenderesse a précisé que son argument concernant l'activité de Double N ne dépendrait pas des exclusions des activités d'exploration ou de mise en valeur mentionnées dans la définition de l'expression « opérations minières » du paragraphe 69(1), mais concernerait uniquement la question de savoir si l'activité de Double N est visée par la définition du mot « récupération » . Étant donné que j'ai répondu par l'affirmative à cette question, il n'y a aucune contradiction à examiner.

G.         Réparation

40         Pour les motifs exposés ci-dessus, conformément au paragraphe 81.31(1) de la Loi, j'accueille l'appel de Double N, je rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse et je fais droit à la demande de Double N en vue d'obtenir les réparations suivantes :

            a)un jugement déclaratoire portant que les activités de Double N visées par le présent appel constituent de la « récupération, en vue d'autres utilisations, de terrains miniers exploités à ciel ouvert » ;

            b)un jugement déclaratoire portant que Double N a droit à une ristourne de taxe sur le carburant à l'égard de ces activités de « récupération » ;

            c)une ordonnance enjoignant à la défenderesse, représentée par le ministre du Revenu national, de recalculer la ristourne de taxe sur le carburant à verser à Double N conformément aux présents motifs et à la réparation accordée et de verser sans délai à Double N toute ristourne impayée;

            d)les frais de la présente action.

                                                                                          Douglas R. Campbell           

                                                                                                Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               T-698-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :             DOUBLE N EARTH MOVERS LTD.

                                                            c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                17 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                                   17 juillet 1998

ONT COMPARU :

Me Frans F. Slatter                                            POUR LA DEMANDERESSE

Me Frederick B. Woyiwada                               POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McCuaig Desrochers

Edmonton (Alberta)                                           POUR LA DEMANDERESSE

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE



[1]La Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, est appelée dans les présents motifs « la Loi » et Double N Earth Movers Ltd. est appelée « Double N » .

[2]Mémoire de la demanderesse, page 1.

[3]Description adaptée à partir du mémoire de la demanderesse, page 2.

[4]Mémoire de la demanderesse, page 4.

[5]Ibid.

[6]Ibid, page 5.

[7]R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. (Toronto: Butterworths, 1994).

[8]Ibid, page 7.

[9]Ibid, pages 8 et 9.

[10]Ibid, page 16.

[11]Ibid, page 17.

[12]Ibid, page 19.

[13]Ibid, pages 19 et 20.

[14]Ibid, page 20.

[15]Ibid, page 21.

[16]Ibid, page 22.

[17]1983, 49 N.R. 66, pages 77 et 78.

[18]1988, 87 N.R. 101, pages 108 et 109.

[19]Mémoire de Sa Majesté La Reine, pages 7 et 8.

[20]Revised Statutes of Alberta 1980, chapitre L-3.

[21]Transcription de l'audience tenue devant le Tribunal canadien du commerce extérieur le 4 mars 1996, pages 94 à 100.

[22]Guidelines for Land Conservation and Reclamation in Alberta (normes de conservation et de récupération des sols en Alberta), volume de pièces justificatives de la demanderesse, onglet 7.

[23]Volume de pièces justificatives de la demanderesse, onglet 3.

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