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Date : 20020201

Dossier : T-491-00

OTTAWA (ONTARIO), le 1 février 2002

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

                                                CANPLAS INDUSTRIES LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                         - et -

                                                                 NOVIK INC.

                                                                                                                                  défenderesse

                                                              ORDONNANCE

VU l'ordonnance de la Cour en date du 2 octobre 2000 enjoignant à la défenderesse de comparaître devant la Cour :

a) pour se disposer à entendre la preuve de l'outrage au tribunal dont Novik est accusée, à savoir (1) Novik s'est soustraite au jugement de M. le juge Campbell en date du 14 juillet 2000, et (2) Novik a agi de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour; et

b) pour se disposer à produire toute défense que Novik pourrait avoir;

ET APRÈS audition de la preuve des parties;


ET APRÈS audition des arguments des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance rendue aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE QUE l'action de la demanderesse pour faire déclarer la défenderesse coupable d'outrage au tribunal soit rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

                                                                                                                     « Dolores M. Hansen »       

                                                                                                                                                    Juge                      


Date : 20020201

Dossier : T-491-00

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 124

ENTRE :                                                                                                               

                                                CANPLAS INDUSTRIES LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                         - et -

                                                                 NOVIK INC.

                                                                                                                                  défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

Introduction

[1]                 La présente instance fait suite à l'ordonnance de la Cour du 2 octobre 2000 qui enjoignait à la défenderesse, Novik Inc. (Novik), de comparaître devant la Cour pour répondre aux accusations d'outrage déposées par Canplas Industries Ltd. (Canplas).

[2]                 Canplas affirme que Novik a désobéi aux conditions d'une ordonnance décernée par la Cour le 14 juillet 2000 et a agi d'une manière qui a nui à la bonne administration de la justice ou qui a porté atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour.


Contexte

[3]                 Depuis 1992, Canplas fabrique et vend, sous sa marque de commerce déposée DURAFLO, une cheminée d'appel pourvue d'un dôme pyramidal tronqué qui le distingue des autres.

[4]                 Novik fabrique et vend des produits de plastique utilisés dans le bâtiment. En 1999, Novik a commencé la fabrication de deux nouvelles cheminées d'appel : un modèle de 45 pouces carrés, le AIRFLO 45, et un modèle de 50 pouces carrés, le AIRFLO 50. La forme du dôme du AIRFLO 50 est semblable, dans sa conception, à la forme du dôme de la cheminée d'appel DURAFLO de Canplas.

[5]                 Pour bien comprendre les positions adoptées par les parties dans la présente instance, il est nécessaire de revoir en détail le déroulement des négociations qui ont conduit à l'ordonnance du 14 juillet 2000.

[6]                 C'est à l'automne de 1999 que Canplas a eu connaissance de la nouvelle cheminée d'appel AIRFLO 50 de Novik. Le 26 janvier 2000, Canplas écrivait à Novik pour lui dire que la vente de la cheminée d'appel AIRFLO 50 portait atteinte à ses droits et lui demander de modifier radicalement la conception et le nom de son produit. Novik exprima l'avis que son produit ne portait pas atteinte aux droits de propriété intellectuelle de Canplas.


[7]                 Le 9 mars 2000, Canplas introduisait contre Novik un recours où elle alléguait contrefaçon de marque et commercialisation trompeuse. Un projet d'avis de requête en injonction interlocutoire était également transmis à l'avocat de Novik.

[8]                 Le 28 mars 2000, l'avocat de Novik écrivait à l'avocat de Canplas pour l'informer que Novik était disposée à modifier l'apparence de sa cheminée d'appel et à cesser l'emploi du nom AIRFLO. Un dessin de la nouvelle future cheminée d'appel de Novik était annexé. L'extrait suivant de la lettre est important pour la présente instance : [Traduction] « ... puisque Novik Inc. n'a pas encore livré une seule unité du dôme litigieux, cette proposition devrait dissiper totalement les inquiétudes de Canplas Industries Ltd. ... » .

[9]                 Le 11 avril 2000, Canplas répondait en se déclarant prête à régler le différend, sous certaines conditions. Les conditions de la proposition sont les suivantes :

1)         que Novik cesse immédiatement et en permanence d'utiliser la marque AIRFLO et adopte plutôt les marques NOVIK 45 et NOVIK 50 pour ses cheminées d'appel;

2)         que Novik cesse immédiatement et en permanence d'utiliser le dôme pyramidal tronqué et adopte plutôt la conception figurant dans l'annexe de la lettre du 28 mars 2000;

3)         que, avant de commencer de mettre en vente, d'exposer ou de vendre ou annoncer la nouvelle cheminée d'appel, Novik modifie en permanence, détruise ou remette à Canplas tous les moules utilisés pour fabriquer le produit contrefait et produise une déclaration assermentée attestant la modification ou la destruction des moules;


4)         que Novik s'engage à ne pas exposer, mettre en vente ou d'une autre manière aliéner un stock existant du produit contrefait et veille à ce que tout produit contrefait qui a été expédié soit récupéré et détruit sous serment ou remis à Canplas, et que Novik détruise toute brochure commerciale décrivant le produit contrefait;

5)         que Novik consente à ce que soit rendu un jugement l'obligeant à se conformer aux conditions de l'accord de transaction. Le jugement contiendra l'énoncé demandé aux paragraphes 1a) et b) de la déclaration, ainsi que l'injonction demandée aux paragraphes 1f) et g) de la déclaration.

[10]            Les avocats de Novik ont répondu ainsi le 14 avril 2000:

[TRADUCTION]

Suite à notre conversation téléphonique du 12 avril 2000, nous avons finalement obtenu les réactions de notre mandant à votre proposition du 11 avril 2000, rectifiée durant notre conversation téléphonique.

Notre cliente est en accord avec ladite proposition, telle qu'elle a été modifiée, à savoir :

·              au paragraphe 2, les mots « en permanence » seront remplacés par le mot « immédiatement » ;

·              au paragraphe 5, le jugement qui sera rendu sur consentement ne contiendra que les conclusions 1f) et 1g). La défenderesse reconnaîtra le droit exclusif de la demanderesse sur la marque DURAFLO ainsi que sur la forme « pyramidale tronquée » et s'engagera à ne jamais contester la validité ou la propriété de tels droits.

Cependant, s'agissant du paragraphe 4, la défenderesse demande que, à la troisième ligne, les mots « qui a été expédié soit récupéré et » soient supprimés et remplacés par les mots « en sa possession soit » .


[11]            Un accord de transaction et un consentement à jugement auquel étaient annexés une copie de l'accord de transaction et le projet d'ordonnance furent préparés par l'avocat de Canplas. Michel Gaudreau signa les documents au nom de Novik le 23 mai 2000. Jeff Bayley signa l'accord de transaction le 16 juin 2000 au nom de Canplas. Et, comme on l'a mentionné plus haut, un jugement fut rendu par consentement le 14 juillet 2000.

[12]            L'ordonnance prévoit que Novik se conformera aux conditions de l'accord de transaction annexé à l'ordonnance et que Novik devra s'abstenir en permanence d'utiliser les marques AIRFLO 45 et AIRFLO 50 et d'utiliser une forme de produit dont l'apparence pourrait prêter à confusion avec la cheminée d'appel de Canplas, y compris la forme utilisée par Novik pour le produit AIRFLO 50. Le préambule de l'accord de transaction contient l'énoncé suivant :

[TRADUCTION] Et attendu que Novik a fait savoir que, à la date du présent accord de transaction, elle n'a vendu aucune unité de la cheminée d'appel Novik illustrée à l'annexe « B » [AIRFLO 50];

[13]            L'accord de transaction prévoit entre autres choses que le préambule fera partie de l'accord, que Novik n'exposera pas, ni ne mettra en vente, ne vendra ou d'une autre manière n'aliénera un stock existant du produit AIRFLO 50, enfin que l'accord prend effet dès sa signature par les deux parties.

La preuve de Canplas concernant l'outrage au tribunal


[14]            Le 26 mai 2000, Eric Jakob, un représentant commercial indépendant de Canplas, se présenta comme il le fait régulièrement au magasin Matériaux Bonhomme Inc., à Hull (Québec). Ce magasin de Hull est l'un de huit points de vente appartenant à Les Entreprises P. Bonhomme Ltée. M. Jakob a témoigné qu'il avait remarqué des cheminées d'appel Novik parmi des cheminées d'appel DURAFLO. Le dôme des cheminées Novik avait une nouvelle forme, mais l'autocollant CUP fixé sous l'objet indiquait Novik Inc. et AIRFLO 50. Comme il croyait savoir à l'époque que Novik avait changé à la fois la forme et le nom de ses cheminées d'appel, et comme le produit qu'il voyait ne concordait pas avec ce qu'il savait, il acheta deux des cheminées Novik et les remit quelques jours plus tard à James McKee, directeur général des produits de ventilation de Canplas.

[15]            Le 15 août 2000, M. Jakob vit deux cheminées d'appel Novik exposées sur le mur du magasin Maple Building Products, à Richmond Hill (Ontario). L'une des cheminées était un modèle de 45 pouces carrés et l'autre un modèle de 50 pouces carrés. Il constata que ce dernier modèle était le produit AIRFLO 50 qui est en cause dans la présente instance. M. Jakob demanda s'il pouvait acheter l'une des cheminées AIRFLO 50, mais on lui répondit qu'il n'y en avait pas en stock. Durant son contre-interrogatoire, M. Jakob a déclaré qu'un employé lui avait dit que Maple Building Products ne vendait pas le modèle AIRFLO 50. Il n'a pas cherché à se renseigner sur le modèle AIRFLO 45.

[16]            Durant son contre-interrogatoire, M. Jakob a reconnu qu'en février 2000, il avait vu une cheminée d'appel AIRFLO 50 exposée au magasin Matériaux Bonhomme, à Hull (Québec). Il a déclaré ne pas s'être informé de l'origine de la cheminée et ne pas avoir cherché à en acheter une. Il a cependant signalé à M. McKee que la cheminée était exposée. M. Jakob a aussi reconnu avoir vu le modèle AIRFLO 50 exposé au magasin Maple Building Products à un certain moment au cours des quatre premiers mois de 2000.


[17]            Le 20 septembre 2000, au cours d'une visite commerciale au magasin Prefab Homes & Garden Sheds, à Stittsville (Ontario), M. Jakob remarqua plusieurs boîtes de carton contenant entre 600 et 1 000 cheminées d'appel. Il constata qu'il s'agissait du produit AIRFLO 50.

[18]            Greg Oakley, un représentant commercial de Canplas, a témoigné qu'il avait acheté deux cheminées d'appel AIRFLO 50 au magasin S & S TIM-BR Mart, à Flesherton (Ontario), le 17 juillet 2000.

[19]            James McKee, directeur général de Canplas, a produit comme preuve une brochure de Home Hardware qu'il avait reçue en septembre 2000. La brochure contenait une publicité pour les « CHEMINÉES D'APPEL AIRFLO » . Le document publicitaire contient des illustrations des cheminées d'appel AIRFLO 50 et 45.

La preuve de Novik

[20]            M. Gaudreau, président et propriétaire de Novik, a témoigné qu'au printemps de 1999, en réponse à la demande du marché, Novik avait développé deux nouveaux modèles de cheminée d'appel en plastique : l'un était de forme carrée, le modèle AIRFLO 50, et l'autre était de forme pentagonale, le modèle AIRFLO 45.


[21]            Les nouvelles cheminées d'appel de Novik furent d'abord exposées et offertes à la vente lors d'une exposition interprofessionnelle tenue à Toronto à l'automne de 1999. Le 15 décembre 1999, Novik faisait sa première livraison du modèle AIRFLO 50 à un distributeur. La dernière livraison du produit AIRFLO 50 a eu lieu le 7 avril 2000. Durant cette période, Novik a vendu 6 540 cheminées d'appel AIRFLO 50. Novik envoya aussi à divers distributeurs quelque 2 000 échantillons du modèle AIRFLO 50. À l'audience, M. Gaudreau a produit les commandes, les bordereaux d'expédition et de livraison et les factures concernant la totalité des ventes de Novik pour ce produit.

[22]            Dès réception de la lettre du 26 janvier 2000 de l'avocat de Canplas, M. Gaudreau soumit l'affaire à l'avocat de son entreprise pour qu'il y réponde. À la mi-mars, lorsqu'il reçut la déclaration et le projet d'avis de requête en injonction interlocutoire, son avocat le dirigea vers un autre avocat spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle. Après discussion de l'affaire avec son nouvel avocat le 27 mars 2000, M. Gaudreau arriva à la conclusion qu'il serait moins coûteux pour lui de modifier la forme du dôme du modèle AIRFLO 50 et de changer le nom des cheminées d'appel de Novik, plutôt que de s'engager dans un procès. Le 28 mars 2000, il communiqua sa décision à son avocat, ajoutant qu'il cessait la production du modèle AIRFLO 50.


[23]            Le 29 mars 2000, M. Gaudreau passa une commande à Italcan Precision Moulds Ltd. pour faire modifier le moule existant du modèle AIRFLO 50. Les modifications consistaient à changer la forme du dôme et à enlever les indications AIRFLO 50 et CSA® gravées dans le plastique au-dessous de l'objet. De nouvelles brochures furent commandées le 3 avril 2000 et, les 13 et 26 avril 2000, Novik envoya des lettres à ses distributeurs pour leur annoncer le changement de nom de ses cheminées d'appel en NOVIK 50 et NOVIK 45, ainsi que la nouvelle conception du produit.

[24]            M. Gaudreau a témoigné que, lorsqu'il a reçu la lettre du 11 avril 2000, il était pour l'essentiel d'accord avec le compromis proposé par Canplas, étant donné qu'il n'avait plus aucun stock du produit AIRFLO 50. Cependant, il n'était pas disposé à promettre de récupérer les produits qui avaient déjà été expédiés.

[25]            M. Gaudreau reçut au début de mai le projet d'accord de transaction et passa en revue par téléphone cet accord avec son avocat. Il informa son avocat que les mots du préambule [Traduction] « attendu que Novik a fait savoir que, à la date du présent accord de transaction, elle n'a vendu aucune unité de la cheminée d'appel Novik illustrée à l'annexe « B » ; » étaient inexacts et devraient être retranchés. À l'audience, il a produit son exemplaire du projet d'accord qui portait ses notes marginales. Il a témoigné que les notes marginales rendaient compte des directives qu'il avait données à son avocat. M. Gaudreau a écrit « non » dans la marge de son exemplaire de l'accord, près du paragraphe susmentionné. D'autres notes marginales apparaissent à côté d'autres paragraphes du texte de l'accord, mais elles n'intéressent pas la présente instance.


[26]            Deux semaines plus tard, M. Gaudreau reçut le texte final de l'accord de transaction. Il a témoigné qu'il a téléphoné à son avocat pour que celui-ci confirme que l'accord final reflétait leurs discussions antérieures. Son avocat l'informa que tel était le cas, et M. Gaudreau signa l'accord ainsi que le consentement à jugement sans relire l'accord. M. Gaudreau a déclaré que, à l'époque, il croyait que le différend avait été réglé et que la signature de l'accord de transaction officialisait simplement ce qui avait déjà été fait. Il n'avait plus de cheminées AIRFLO 50 dans ses stocks, la forme et le nom du produit avaient été changés, ses clients avaient été informés des changements, et la production du modèle NOVIK 50 avait commencé au début de mai.

[27]            Daniel Bissonnette, un acheteur travaillant pour Les Entreprises P. Bonhomme Ltée., a témoigné que, avant 2000, son entreprise avait acheté des cheminées d'appel à Canplas. Au début de janvier 2000, la décision fut prise d'acheter des cheminées d'appel de Novik plutôt que de Canplas. Cette décision, selon M. Bissonnette, fut communiquée à Eric Jakob. M. Bissonnette passa trois commandes à Novik pour le modèle AIRFLO 50. Il a déclaré avoir passé les trois commandes afin d'échelonner les dates de livraison. À la mi-février, le premier lot du modèle AIRFLO 50 était reçu. À la mi-avril, il reçut de Novik un avis de modification du modèle AIRFLO 50.

[28]            M. Bissonnette a témoigné que la première livraison des nouvelles cheminées d'appel Novik a été reçue à la mi-mai. À cette date, le magasin Matériaux Bonhomme, à Hull, avait dans ses stocks des cheminées d'appel de Canplas de l'année antérieure, des modèles AIRFLO 50 de Novik et des nouvelles cheminées d'appel de Novik.


[29]            Dino Giancola est le directeur du magasin Maple Building Products, à Richmond Hill (Ontario). Il a témoigné que ce magasin avait acheté des cheminées AIRFLO 45, mais qu'il n'avait pas acheté de cheminées AIRFLO 50. Il a déclaré avoir reçu un échantillon de la cheminée AIRFLO 50 de l'un des représentants commerciaux de Novik vers la fin de 1999 ou au début de 2000. L'échantillon était exposé dans son magasin.

[30]            John Dyksterhous, chef de produit chez Home Hardware, a lui aussi témoigné. Il a déclaré que, bien que la brochure contienne une publicité pour les cheminées d'appel « AIRFLO » et que l'illustration représente les cheminées AIRFLO 45 et 50, Home Hardware n'avait en magasin que les nouvelles cheminées Novik 50. Lui et l'un de ses collègues du service de la publicité étaient responsables du contenu de l'annonce. Il a témoigné que l'annonce avait été préparée sans l'autorisation de Novik et qu'elle était une erreur de sa part.

Analyse


[31]            Les alinéas b) et c) de la règle 466 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoient que « est coupable d'outrage au tribunal quiconque désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour » ou « agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour » . Dans l'arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217, à la page 225, le juge Sopinka disait qu'une allégation d'outrage au tribunal comporte « une dimension criminelle (ou du moins quasi criminelle) » . Par conséquent, « il est nécessaire que les éléments constitutifs de l'outrage soient démontrés... hors de tout doute raisonnable » . La règle 469 codifie le principe de common law d'une preuve hors de tout doute raisonnable.

[32]            Canplas a avancé plusieurs arguments à l'audience. Le premier concerne l'outrage au tribunal commis par Novik au regard de la vente de cheminées AIRFLO 50. Il peut être résumé ainsi.

[33]            Puisque Novik a déclaré qu'elle n'avait pas vendu de cheminées AIRFLO 50 avant qu'elle ne signe l'accord de transaction, les cheminées trouvées sur le marché ont dû être vendues après le 23 mai 2000. Si elles ont été vendues entre la signature de l'accord de transaction et du consentement à jugement et la date de l'ordonnance, Novik a agi de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Si les cheminées ont été vendues après la date de l'ordonnance, Novik a désobéi à une ordonnance de la Cour. Dans l'un ou l'autre cas, Novik est coupable d'outrage au tribunal.


[34]            Canplas avance qu'une contravention aux conditions de l'accord de transaction ou de l'ordonnance après la signature du consentement à jugement et de l'accord de transaction, mais avant que soit rendue une ordonnance de la Cour, trouve son équivalent dans l'affaire Baxter Laboratories of Canada Ltd. et al. c. Cutter (Canada) Ltd. 75 C.P.R. (2d) 1, où la conduite dont il a été jugé qu'elle constituait un outrage au tribunal avait eu lieu après la communication des motifs du tribunal et avant que le tribunal ne rende un jugement formel. Canplas affirme que, dès la signature d'un consentement à jugement, l'auteur de la signature sait parfaitement qu'une ordonnance sera rendue en temps utile. Toute contravention aux dispositions d'une ordonnance dont il sait qu'elle sera rendue revient à agir de façon à entraver la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Eu égard à la preuve produite par les parties, point qui sera débattu plus loin dans les présents motifs, il n'est pas nécessaire de se demander si le raisonnement suivi dans l'affaire Baxter, précitée, s'applique à la période qui sépare un consentement à jugement et la délivrance d'une ordonnance en règle.

[35]            Une autre observation s'impose avant l'examen de la preuve. L'argument de Canplas procède de l'idée que la date pertinente est le 23 mai 2000, c'est-à-dire le jour où Novik a signé l'accord de transaction. À mon avis, c'est inexact. Puisque l'accord de transaction prévoit qu'il prend effet dès sa signature par les deux parties, la date à retenir serait le 16 juin 2000.

[36]            L'argument de Canplas repose sur son affirmation selon laquelle les cheminées AIRFLO 50 trouvées sur le marché ont dû être vendues après le 23 mai 2000. Cependant, la preuve produite dans la présente instance n'autorise pas cette affirmation. En fait, il existe une preuve contraire abondante.


[37]            M. Gaudreau a témoigné que les ventes du modèle AIRFLO 50 avaient débuté en décembre 1999. Il a aussi témoigné qu'il n'y avait eu ni vente ni livraison du modèle AIRFLO 50 après le 7 avril 2000. Vu que Novik a faussement déclaré dans la lettre du 28 mars 2000 et dans l'accord de transaction qu'elle n'avait vendu aucune unité du produit contrefait, Canplas affirme que la preuve de M. Gaudreau selon laquelle il n'y a eu aucune vente du produit après le 7 avril 2000 ne devrait pas être jugée digne de foi. Je ne suis pas de cet avis.

[38]            La preuve de M. Gaudreau relative aux mesures qu'il a prises après sa décision d'abandonner le modèle AIRFLO 50 avait une logique interne. Il a d'ailleurs produit les dossiers commerciaux, ainsi que les factures provenant d'autres firmes, qui concordent avec sa version des diverses mesures qu'il a prises pour régler son différend avec Canplas. D'autres témoins ont également confirmé ses dires. M. Dyksterhous et M. Bissonnette ont tous deux affirmé qu'ils avaient reçu l'annonce de Novik concernant le changement de nom et de conception de ses cheminées. Le témoignage de M. Bissonnette selon lequel Les Entreprises P. Bonhomme Ltée. ont reçu à la mi-mai leur première livraison de la nouvelle cheminée Novik s'accorde avec la preuve de M. Gaudreau et il est d'une importance particulière. Si à la mi-mai 2000, Novik avait encore des cheminées AIRFLO 50 dans ses stocks, on peut imaginer que les commandes encore inexécutées du produit AIRFLO 50 ont dû être exécutées sur les stocks existants plutôt que sur le nouveau produit. D'ailleurs, la preuve produite par Canplas concernant les cheminées AIRFLO 50 trouvées à divers emplacements au cours de juillet, août et septembre 2000 n'est pas incompatible ni en contradiction avec la preuve de M. Gaudreau.


[39]            Même si la preuve de M. Gaudreau selon laquelle il n'y a eu ni vente ni livraison de cheminées AIRFLO 50 après le 7 avril 2000 est écartée, Canplas n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que Novik a exposé, mis en vente ou vendu des cheminées AIRFLO 50 après le 16 juin 2000. Canplas n'a produit aucune preuve de la date d'acquisition ou de l'origine des cheminées trouvées dans les magasins S & S TIM-BR Mart et Prefab Homes & Garden Sheds. S'agissant de la cheminée exposée dans le magasin Maple Building Products, la seule preuve présentée à la Cour est que le magasin Maple Building Products a reçu la cheminée d'un représentant commercial à la fin de 1999 ou au début de 2000. Quant à la brochure de Home Hardware, il apparaît clairement que Novik n'est pas intervenue dans la préparation de cette brochure et n'a pas non plus autorisé l'annonce.

[40]            Canplas affirme aussi que les cheminées d'appel portant l'indication AIRFLO 50 sur l'autocollant CUP et achetées le 26 mai 2000 prouvent une conduite qui équivaut à un outrage au tribunal. Là encore, je dois exprimer mon désaccord. Vu que la date de prise d'effet de l'accord de transaction est le 16 juin 2000, l'utilisation de la marque avant cette date ne contrevient pas aux conditions de l'accord de transaction ni à l'ordonnance.

[41]            Canplas avance aussi que, tout comme la rupture d'un engagement pris envers la Cour constitue un outrage au tribunal, de la même façon, lorsque les conditions d'un accord de transaction sont incorporées dans celles d'une ordonnance judiciaire, une contravention aux conditions de l'accord de transaction constitue un outrage au tribunal.


[42]            Canplas invoque les propos suivants du juge Reed dans l'arrêt Williams Information Services Corp. c. Williams Telecommunications Corp. (1998), 142 F.T.R. 76, à la page 79, conf. par (1999), 250 N.R. 67 (C.A.F.) :

Je ne vois pas comment une entente conclue entre les parties, qui a été signée pour leur compte par leurs avocats et qui n'a jamais été communiquée à la Cour, peut être définie comme étant un engagement pris envers la Cour. Il n'est pas possible non plus de considérer que cela gêne la bonne administration de la justice ou porte atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Les parties ont chacune convenu de prendre un engagement envers la Cour, mais elles ne l'ont jamais fait. Il est possible de faire une analogie avec une transaction, signée par les avocats pour le compte de leurs clients, qui n'est pas respectée. Si les conditions de la transaction ne font jamais partie de l'ordonnance de la Cour, que ce soit directement ou indirectement par renvoi, la violation de ces conditions ne peut pas devenir un motif permettant de conclure à un outrage au tribunal.

Je citerai Halbury's Laws of England, 4e éd., vol. 9, par. 75 :

[TRADUCTION]

Un engagement pris envers la Cour par une personne ou par une société dans une instance en cours, sur laquelle la Cour se fonde pour sanctionner une mesure particulière ou le fait qu'on a omis d'agir, a le même effet qu'une injonction rendue par la Cour et toute violation de l'engagement constitue une inconduite équivalant à un outrage.

[43]            Canplas soutient que l'énoncé de Novik, dans le préambule de l'accord de transaction, est un engagement de Novik selon lequel elle n'avait pas vendu de cheminées AIRFLO 50 avant qu'elle ne signe l'accord. Puisque l'accord prévoit que le préambule fait partie de l'accord, l'engagement est une condition de l'accord. Comme les conditions de l'accord de transaction ont été incorporées dans l'ordonnance du 14 juillet 2000, l'engagement de Novik contenu dans l'accord est un engagement pris envers la Cour. En manquant à son engagement, Novik a par le fait même commis un outrage.


[44]            Au coeur de cet argument se trouve la qualification de Canplas à propos de l'énoncé figurant dans l'accord de transaction. Selon Canplas, cet énoncé est un engagement selon le sens que lui donne l'arrêt Williams, précité. À mon avis, cet énoncé pourrait plus justement être qualifié de déclaration. Cependant, quel que soit le mot employé pour décrire l'énoncé, ce n'est rien de plus qu'un énoncé sur ce qui n'est pas arrivé.

[45]            Un engagement au sens de l'arrêt Williams, précité, est une parole donnée ou une promesse que l'on fera ou que l'on s'abstiendra de faire telle ou telle chose dans l'avenir. Lorsque le tribunal rend une ordonnance sur la foi de l'engagement, c'est le manquement à l'engagement après qu'a été rendue l'ordonnance qui donne lieu à l'accusation d'outrage. À mon avis, le raisonnement tenu dans l'arrêt Williams ne s'applique pas à l'énoncé dont il s'agit ici. Par conséquent, cet argument n'est pas recevable.

[46]            Canplas affirme aussi qu'une fausse déclaration faite à l'avocat adverse en vue d'obtenir non seulement un compromis mais également un jugement de la Cour incorporant la fausse déclaration revient à agir de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Canplas soutient que, en signant le consentement à jugement, Novik savait que la Cour s'en remettrait au contenu de l'accord de transaction y annexé lorsqu'elle rendrait l'ordonnance demandée. Canplas avance aussi qu'il n'est pas nécessaire de prouver que Novik avait l'intention de commettre un outrage. Une conduite imprudente, téméraire, négligente, inattentive et désinvolte peut donner lieu à un outrage. Canplas affirme que, en signant l'accord sans s'assurer que les changements qu'il avait demandés à son avocat de faire avaient bien été faits, M. Gaudreau a manifesté une conduite pour le moins imprudente, négligente ou téméraire.


[47]            Selon Novik, Canplas savait parfaitement, avant l'ordonnance du 14 juillet 2000, que Novik avait vendu des cheminées d'appel AIRFLO 50 avant de signer l'accord de transaction. Au soutien de cette affirmation, Novik signale la preuve suivante : le représentant commercial de Canplas a vu des cheminées AIRFLO 50 exposées et offertes à la vente à plusieurs endroits avant le 23 mai 2000; M. Bissonnette a fait part à Eric Jakob en janvier 2000 de sa décision de commander des cheminées Novik plutôt que des cheminées de Canplas; l'une des conditions de la proposition de compromis faite par Canplas le 11 avril 2000 obligeait Novik à récupérer toutes les cheminées AIRFLO 50 qui avaient été expédiées; le refus de Novik de s'engager à récupérer le produit expédié; enfin l'admission de Novik, dans la lettre du 7 juillet 2000, qu'il y avait eu des ventes du produit AIRFLO 50. Novik soutient que Canplas ne devrait pas être autorisée à invoquer le pouvoir de la Cour en matière d'outrage puisque Canplas savait avant que l'ordonnance ne soit rendue que la déclaration en question était inexacte.


[48]            Canplas admet que son représentant commercial a vu des échantillons du modèle AIRFLO 50 exposés à divers endroits avant le 23 mai 2000, mais elle maintient qu'elle ne savait pas que Novik avait vendu des unités de ce produit. J'accepte l'argument de Canplas selon lequel le refus de Novik de récupérer les cheminées AIRFLO 50 déjà expédiées s'accorde lui aussi avec le fait que Novik n'avait vendu au moment des négociations aucune unité du produit contrefait, mais le 7 juillet 2000 Canplas a eu connaissance des ventes antérieures. À ce moment-là, Canplas avait plusieurs options. Elle aurait pu se désister de sa requête en jugement sur consentement et continuer l'action engagée auparavant, et elle aurait pu introduire un recours pour fausse déclaration.

[49]            Je voudrais aussi ajouter que je ne trouve pas convaincant l'argument de Canplas selon lequel la déclaration inexacte de Novik constitue un outrage en raison du fait que Novik savait que la Cour s'en remettrait à cette déclaration au moment de rendre son ordonnance. Lorsqu'une requête est présentée en vue d'une ordonnance par consentement, et si la Cour est persuadée qu'elle est compétente pour accorder le redressement demandé, l'ordonnance est rendue sur la foi du consentement des parties et non sur la foi des déclarations réciproques faites par les parties en vue de régler leur différend. Cela ne signifie en aucune façon que la Cour ferme les yeux sur les fausses déclarations qu'a pu faire une partie, mais cela tient plutôt à la nature du redressement demandé.

[50]            Pour ces motifs, j'arrive à la conclusion que Canplas n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que Novik est coupable d'outrage au tribunal.


[51]            Les deux parties ont demandé que leurs dépens avocat-client leur soient adjugés. Vu les circonstances particulières de cette procédure d'outrage au tribunal, je ne suis pas persuadée que l'une ou l'autre a droit à ses dépens avocat-client. Cependant, ayant obtenu gain de cause, les dépens de la présente instance sont accordés à Novik.

                                                                              « Dolores M. Hansen »      

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

le 1 février 2002

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