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Date : 19991210


Dossier : T-1571-99


OTTAWA (Ontario), le vendredi 10 décembre 1999

DEVANT : MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :


ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD.

et

BENGAL SEAFOODS INC.


demanderesses


et


HYUNDAI MERCHAND MARINE CO. LTD.

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " HYUNDAI EMPEROR "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " KOTA CAHAYA "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " HYUNDAI GENERAL "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " MSC BOSTON "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " MSC NEW YORK "


défendeurs



     ORDONNANCE


     Un avis de requête daté du 8 novembre 1999 ayant été déposé pour le compte des demanderesses en vue de l"obtention :

     1.      D"une ordonnance infirmant l"ordonnance rendue par le protonotaire le 1er novembre 1999 et autorisant l"audition de la présente action;
     2.      De toute autre réparation que les avocats peuvent juger bon de demander et que cette cour peut juger bon d"accorder.

     La requête ayant été entendue à Toronto (Ontario), le 22 novembre 1999;

     Pour les motifs prononcés en ce jour.

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ CE QUI SUIT :

     L"ordonnance mentionnée au premier paragraphe est accordée.





                             B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.




Date : 19991210


Dossier : T-1571-99


ENTRE :


ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD.

et

BENGAL SEAFOODS INC.


demanderesses


et


HYUNDAI MERCHAND MARINE CO. LTD.

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " HYUNDAI EMPEROR "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " KOTA CAHAYA "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " HYUNDAI GENERAL "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " MSC BOSTON "

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " MSC NEW YORK "


défendeurs



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE REED

[1]      Les demanderesses ont interjeté appel contre la décision par laquelle le protonotaire a suspendu la réclamation qu"elles avaient déposée contre les défendeurs (ci-après parfois appelés " Hyundai "). L"affaire était suspendue pendant qu"elle était plaidée devant la Cour civile du district de Séoul, à Séoul, en Corée.

[2]      Les demanderesses sollicitent un montant de 150 000 $ à titre d"indemnité à l"égard des dommages résultant du transport d"une cargaison de poisson par les défendeurs du Bangladesh à New York à bord des navires des défendeurs. Il est allégué que la cargaison qui a été livrée était avariée (elle était impropre à la consommation humaine) parce que le produit s"était décongelé en cours de route, et ce, contrairement aux instructions précises que les demanderesses avaient données à Hyundai.

[3]      Le poisson était destiné à des clients de la demanderesse Bengal, l"acheteur de la cargaison, à New York. La cargaison a été inspectée à son arrivée à New York; la preuve concernant l"état du poisson et le fait qu"il était impropre à la consommation humaine sera fournie par des témoins venant de New York. L"événement qui aurait censément occasionné les dommages s"est produit en France.

[4]      La demanderesse, Bengal, est une société de l"Ontario. L"autre demanderesse est l"expéditeur, au Bangladesh. Le contrat avec Hyundai, c"est-à-dire la remise du connaissement, a été passé au bureau de Toronto de Hyundai. Bengal était la [TRADUCTION] " partie à aviser " désignée dans le connaissement; elle a remis le connaissement au bureau de Toronto de Hyundai afin d"obtenir la livraison de la cargaison à New York. Hyundai est une société coréenne, mais elle a des bureaux partout au monde, notamment trois bureaux au Canada, dont l"un est situé à Toronto.

[5]      Il est clair que le droit coréen ne s"applique pas à l"affaire ici en cause. C"est probablement le droit américain qui s"applique. Le connaissement renferme une clause de compétence stipulant que [TRADUCTION] " toute action concernant la garde ou le transport visés par le présent connaissement [...] sera intentée devant la Cour civile du district de Séoul, en Corée ".

[6]      Hyundai se fonde sur cette clause pour obtenir une suspension de l"instance devant cette cour.

[7]      Le litige, en Corée, coûterait cher. Il faudrait traduire les documents et la preuve en coréen. La Cour devrait tenir un certain nombre de séances, avec les frais de déplacement en résultant pour les témoins qui viennent de New York, ainsi que ceux des témoins qui viennent de France et du Canada. La procédure coréenne est semblable à la procédure européenne de droit civil; elle a récemment été décrite par le protonotaire Hargrave dans la décision Iotchu Canada Ltd. c. Le " Fu Ning Hai ", (17 août 1999), T-1102-98.

[8]      Selon l"affidavit du propriétaire de Bengal, Yakub Shiekh, Bengal est une petite société canadienne qui fait le commerce de poisson et de fruits de mer exclusivement du Bangladesh en Amérique du Nord; elle n"a pas les moyens d"aller en Corée pour intenter une action en justice contre Hyundai. M. Shiekh déclare que, si Bengal devait intenter une action en Corée, elle se verrait obligée d"abandonner sa réclamation parce qu"elle n"a pas les moyens d"engager pareils frais. La cargaison n"était pas assurée et les frais seraient directement supportés par Bengal.

[9]      Il est soutenu qu"il n"existe aucun lien factuel entre l"affaire ici en cause et la Corée et que Hyundai invoque la clause de compétence uniquement en vue de bénéficier d"un avantage sur le plan de la procédure, c"est-à-dire de faire en sorte que la poursuite de la réclamation occasionne à Bengal des frais exorbitants.

[10]      En suspendant la réclamation, le protonotaire a cité avec raison le jugement Eleftheria, [1969] 1 Lloyd"s L.R. 337, dans lequel est énoncé le principe de droit applicable : lorsque le connaissement renferme une clause de compétence, le fardeau de la preuve est renversé de façon qu"il incombe au demandeur d"établir une " preuve forte " militant contre la prétention du défendeur selon laquelle l"affaire en cause devrait être plaidée devant le tribunal désigné dans le connaissement.

[11]      Le jugement Eleftheria énonce un certain nombre de facteurs qui sont pertinents lorsqu"il s"agit de déterminer s"il existe une " preuve forte " : (1) le pays dans lequel on peut trouver ou se procurer facilement la preuve des questions de fait et les conséquences en résultant en ce qui concerne les coûts relatifs du procès dans chaque ressort; (2) la question de savoir si le droit du tribunal étranger s"applique et, dans l"affirmative, s"il est différent, sur des points importants, du droit qui s"applique dans l"autre pays, soit dans ce cas-ci le droit canadien; (3) le pays avec lequel chaque partie a des liens et la nature de ces liens; (4) la question de savoir si le défendeur souhaite vraiment que le procès ait lieu dans le pays étranger ou s"il recherche uniquement un avantage sur le plan de la procédure; (5) la question de savoir si le demandeur peut subir un préjudice s"il doit engager des poursuites devant le tribunal étranger.

[12]      Le protonotaire estimait : (1) que les demanderesses pouvaient faire face à de graves complications si elles devaient engager des poursuites en Corée, en particulier en ce qui concerne les frais qu"elles devraient engager, mais cela ne suffisait pas en soi pour ne pas accorder la priorité à la clause de compétence; (2) que le système judiciaire coréen n"empêcherait pas les demanderesses de bénéficier d"un procès équitable; (3) que le Canada n"était pas le pays dans lequel on peut trouver la preuve relative aux questions de fait; (4) qu"on ne saurait dire que les défendeurs recherchaient simplement un avantage sur le plan de la procédure -- l"existence d"une clause de compétence constitue un avantage pour les deux parties puisqu"elle évite, ou du moins réduit, la multiplicité des procédures.

[13]      Le critère applicable, lorsqu"une décision rendue par un protonotaire est examinée, est énoncé dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. , [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.) : les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient pas être modifiées en appel à moins d"être fondées sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits, ou à moins de porter sur des questions ayant une influence déterminante sur l"issue de la cause.

[14]      Il est soutenu que la conclusion du protonotaire selon laquelle Bengal ferait face à de " graves complications " si elle devait engager des poursuites en Corée constitue une mauvaise appréciation des faits. M. Shiekh a déclaré dans un affidavit qui n"a pas été contesté et au sujet duquel M. Shiekh n"a pas été contre-interrogé qu"à cause des coûts, la demanderesse Bengal ne pourrait pas déposer une réclamation en Corée. Je reconnais que l"exactitude d"une preuve par affidavit n"a pas à être reconnue, mais il reste que la preuve présentée par M. Shiekh n"a pas été contestée et qu"elle renferme, à l"appui des assertions qui sont faites, des motifs qui semblent crédibles. De plus, la preuve qui a été présentée devant le protonotaire, visant à démontrer les coûts relatifs d"une action intentée au Canada et d"une action intentée en Corée, se rapporte uniquement aux frais judiciaires et ne fait pas entrer en ligne de compte les frais additionnels tels que les frais de déplacement des témoins et les frais de traduction.

[15]      En l"espèce, le droit applicable n"est pas le droit coréen. C"est probablement le droit américain qui s"applique. Le seul lien qui existe entre Hyundai et la Corée résulte du fait que cette dernière y a son siège social. Les défendeurs n"ont aucun lien avec ce pays. Fait encore plus important, il n"y a pas de lien entre les faits de cette affaire et la Corée. De plus, Hyundai exerce ses activités partout au monde; elle a des bureaux dans de nombreux pays, dont trois au Canada.

[16]      Certains faits pertinents se sont produits au Canada (la remise du connaissement) et l"on peut trouver une partie des éléments de preuve (soit ceux qui sont présentés par Bengal) dans notre ressort. Il n"a pas été démontré que les témoins qui doivent venir de France pourraient plus facilement et à moindre frais se rendre en Corée plutôt qu"au Canada. À mon avis, il est certain qu"entre le Canada et la Corée, c"est le Canada qui est le ressort dans lequel on peut se procurer la preuve facilement et dans lequel les frais seraient moindres.

[17]      Je suis convaincue que le protonotaire a commis une erreur en mettant l"accent sur le fait que le Canada n"est pas le pays dans lequel on trouve la preuve relative aux questions de fait. Selon le jugement Eleftheria, il devrait également être tenu compte de l"endroit ou l"on peut se procurer la preuve facilement et où les frais seraient moindres . Il est certain que Toronto est l"endroit où l"on peut se procurer facilement la preuve des témoins qui viennent de New York, non seulement à cause de la proximité géographique de cette ville, mais aussi parce que l"on y parle la même langue. Compte tenu de cette proximité géographique, les frais seront inférieurs à ceux qui devraient être engagés si l"affaire était plaidée en Corée.

[18]      J"ai conclu que le protonotaire a commis une erreur en ce sens qu"il n"a pas appliqué au complet le critère énoncé dans le jugement Eleftheria . Il a mis l"accent sur une partie du critère, le lien factuel restreint existant avec le Canada, sans se demander dans quel ressort on peut se procurer la preuve facilement et dans quel ressort la poursuite du litige coûterait le moins cher.

[19]      Pour les motifs susmentionnés, je suis convaincue que l"appel doit être accueilli et que la décision ici en cause doit être infirmée.





                             B. Reed

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 décembre 1999


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  T-1571-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD. ET AUTRE c. HYUNDAI MERCHANT MARINE CO. LTD. ET AUTRES

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 22 NOVEMBRE 1999

LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE REED EN DATE DU 10 DÉCEMBRE 1999.


ONT COMPARU :

GEORGE STRATHY              POUR LES DEMANDERESSES
DAVID COLFORD                  POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STRATHY & RICHARDSON          POUR LES DEMANDERESSES

TORONTO (ONTARIO)

BRISSET BISHOP                  POUR LES DÉFENDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

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