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Date : 19990503


Dossier : IMM-3586-98

ENTRE :

     MUSTAFA MANIRUZZAMAN,

     demandeur,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le demandeur cherche à faire annuler une décision par laquelle une agente des visas a refusé de lui accorder la résidence permanente au Canada. Le demandeur a revendiqué le droit d'établissement en vertu de la catégorie de parents aidés, en mentionnant le poste de commis de banque polyvalent. L'agente des visas lui a accordé 62 points. Il lui en fallait 65.

[2]      Les deux avocates sont d'accord pour dire qu'une erreur a été commise dans l'évaluation du nombre de points qu'il aurait dû obtenir pour son niveau d'études. L'agente des visas lui a accordé 15 points, alors qu'il aurait dû en obtenir 16.

[3]      Il appert également que l'agente des visas n'a pas évalué correctement son aptitude à la lecture. Elle a accordé au demandeur 3 points pour son habileté en expression orale parce qu'elle a estimé qu'il parlait anglais couramment. Elle lui a accordé 2 points pour chacune de ses aptitudes à lire et à écrire parce qu'elle a estimé qu'il lisait et écrivait bien l'anglais. Elle a apparemment évalué son aptitude à écrire et à lire en lui demandant de lire son curriculum vitae, qu'il avait rédigé en anglais, et de relever les erreurs que contenait ce texte. Elle avait relevé 14 erreurs (dont l'une n'est pas en fait une erreur). Il a trouvé trois erreurs. Ce n'est pas un test pour évaluer son aptitude à la lecture, mais un test pour évaluer son habileté à réviser un texte qu'il a écrit. Rien dans le dossier ne prouve que son aptitude à la lecture a été évaluée.

[4]      Je passe maintenant à l'évaluation que l'agente des visas a faite des qualités personnelles du demandeur. Elle a accordé au demandeur 4 points sur une possibilité de 10. C'est un domaine d'évaluation dans lequel les agents des visas ont un grand pouvoir discrétionnaire. Néanmoins, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon motivée et raisonnable. La Cour suprême dans l'arrêt Chen c. Canada (M.E.I.), [1995] 1 R.C.S. 725, a approuvé la décision rendue par le juge Strayer et publiée dans (1991), 13 Imm.L.R. (2d) 172 (C.F. 1re inst.), qui a précisé que l'évaluation des qualités personnelles qui est exigée par le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, doit être effectuée de manière à déterminer si la personne a des chances de pourvoir subvenir à ses besoins au Canada. L'adjudication des points sous cette rubrique est prévue dans la Colonne II de l'Annexe I du Règlement :

     pour déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.         

[5]      La lettre de refus de l'agente des visas est rédigée ainsi :

     [traduction]. . . J'ai conclu que vous éprouveriez des difficultés à vous établir au Canada . . . Vous avez effectué peu de recherches au sujet des exigences professionnelles du secteur que vous visez au Canada et vous avez fait peu d'efforts pour vous renseigner sur le Canada. De plus vous avez été incapable de montrer que vous vous étiez préparé de façon significative en vue du départ que vous projetez pour le Canada . . .         
     . . . Vous m'avez dit avoir déjà commencé à solliciter des postes de commis de banque au Canada et vous m'avez montré votre curriculum vitae personnel.         

[6]      Le demandeur travaille depuis 1990 pour la banque d'Australie/Nouvelle-Zélande, la ANZ Gindlays Bank Ltd., à Dhaka. Il décrit cette banque comme étant l'un des plus grands et plus modernes groupes bancaires étrangers en Asie du Sud. Il déclare que la succursale à laquelle il travaille est celle que préfèrent plusieurs diplomates occidentaux à Dhaka, dont des membres du Haut-commissariat du Canada, et qu'elle est informatisée, qu'elle utilise un réseau d'autoguichets et suit les systèmes modernes de gestion bancaire occidentaux.

[7]      Je passe maintenant aux descriptions que l'agente des visas et le demandeur ont faites de l'entrevue de l'agente avec le demandeur. Il n'y a pas de désaccord important en ce qui concerne les questions posées lors de l'entrevue.

[8]      Dans les notes de l'agente des visas consignées dans le CAIPS (Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration), il est mentionné ce qui suit :

     [traduction]         
     Personnalité -      Demandeur incapable de montrer qu'il a fait quelque effort pour se renseigner au sujet du secteur bancaire au Cda (le secteur qu'il vise) ou de se renseigner au sujet du Cda. [Soulignement ajouté.]         

Selon l'affidavit du demandeur :

     [traduction]         
     8.      Elle [l'agente des visas] m'a demandé comment je m'étais préparé en vue de mon immigration au Canada. J'ai mentionné que j'avais correspondu avec des parents au Canada et recueilli un lot de renseignements auprès d'eux. Je lui ai montré plusieurs numéros du Canadian Banker Magazine que j'avais obtenus et examinés, principalement les listes d'emplois, en plus de plusieurs pages de listes d'emplois pertinents que j'ai obtenues de journaux canadiens et de l'internet. En me fondant sur les compétences requises dans les annonces au sujet des postes, j'étais confiant de pouvoir satisfaire aux exigences professionnelles concernant mon métier au Canada. Je lui ai dit avoir déjà sollicité plusieurs emplois, mais ne pas avoir reçu de réponses, ce que je trouvais normal dans les circonstances. Quel employeur au Canada engagerait quelqu'un qui n'a pas encore de statut juridique au Canada? La réaction de l'agente des visas a été négative en ce qui concerne mes efforts; elle a déclaré qu'ils n'étaient pas suffisants et que j'aurais dû chercher un emploi plus activement pendant une plus longue période. Cela n'avait pas de sens pour moi puisque le processus d'immigration lui-même avait pris plus de deux ans et je sais que les employeurs au Canada ne répondent probablement pas à quelqu'un qui n'a pas encore de statut juridique au Canada ou n'engagent pas une telle personne.         

[9]      Selon les notes de l'agente :

     Il [le demandeur] n'a pas pu nommer les 5 banques à charte du Cda.         

Selon l'affidavit du demandeur :

     6.      Au tout début de l'entrevue, elle m'a demandé de nommer les cinq grandes banques du Canada. J'ai pu en nommer seulement quatre : la Banque Royale du Canada, CIBC, la Banque Toronto Dominion et la Banque de Nouvelle-Écosse.         

[10]      Selon les notes de l'agente :

     Il n'a pas pu me dire qui fixe le taux d'intérêt préférentiel pour le Cda. Quel rôle joue la Banque du Cda dans le secteur bancaire.         

Selon l'affidavit du demandeur :

     . . . Elle a demandé quels étaient les taux d'intérêt courants des banques, et j'ai répondu que cela varie mais que je n'étais pas sûr exactement des taux d'intérêt préférentiels courants au Canada.         

[11]      Selon les notes de l'agente :

     . . . [il] n'avait pas entendu parler de la rue Bay . . .         

Selon l'affidavit du demandeur :

     . . . Elle m'a ensuite demandé où les banques étaient situées. J'ai été quelque peu surpris par la question et n'ai pas pu y répondre, mais elle a indiqué que leurs sièges sociaux étaient situés rue Bay à Toronto. Il semblait important à l'agente des visas que je ne connaisse pas la rue Bay.         

[12]      En fait, aucune des cinq banques à charte n'a son siège social rue Bay et les sièges sociaux de deux d'entre elles se trouvent à Montréal.

[13]      Selon les notes de l'agente :

     [Il] me dit que, après son arrivée au Cda, il aura besoin d'étudier et d'obtenir un diplôme en sciences bancaires, mais il n'a pas pu me dire quel établissement scolaire lui donnerait un tel diplôme. Il n'a pas fait d'efforts pour se renseigner au sujet des exigences requises pour le poste qu'il vise au Cda. [Italiques ajoutés.]         

Selon l'affidavit du demandeur :

     . . . Elle m'a demandé quel enseignement supplémentaire il me faudrait pour travailler comme commis de banque polyvalent au Canada. La question a été posée en laissant entendre qu'en effet je devrais suivre un enseignement supplémentaire au Canada. Je n'étais pas au courant de l'obligation de suivre un enseignement supplémentaire et j'ai répondu que, comme au Bangladesh, les employés sont souvent tenus d'obtenir un diplôme en sciences bancaires.         

[14]      En fait, la question de l'agente des visas était trompeuse, car le demandeur ne doit se soumettre à aucun enseignement supplémentaire. De plus, il est tout à fait inexact de dire qu'il " n'avait fait aucun effort pour se renseigner au sujet des exigences requises pour le poste qu'il visait " lorsqu'il en avait fait même un peu plus et avait sollicité des emplois.

[15]      Selon les notes de l'agente :

     Il déclare que le taux de chômage à Toronto est de 5 à 7 % seulement . . .         

Selon l'affidavit du demandeur :

     Elle m'a demandé pourquoi j'avais choisi Toronto comme destination au Canada, et j'ai indiqué que j'avais appris de plusieurs sources, dont ma belle-soeur, que l'économie allait très bien dans cette ville. Elle m'a demandé quel était le taux de chômage à Toronto, et j'ai répondu que je me souvenais avoir entendu dire qu'il se situait entre 5 et 7 %, mais elle a déclaré que le taux de chômage à Toronto est de 10 %. J'ai ensuite lu que le taux de chômage se situait entre 8 et 9 % à Toronto.         

[16]      L'avocate du demandeur laisse entendre que, à l'époque en cause, le taux de chômage était en effet de 7 %. Je ne dispose d'aucune preuve à cet effet. Mais il n'y a aucune preuve non plus à l'appui de l'affirmation de l'agente des visas selon laquelle il était de 10 %. Il se peut très bien qu'il ait été plus près de 7 % que de 10 %.

[17]      L'agente des visas a posé au demandeur des questions de connaissance générale au sujet du Canada. Elle a écrit dans ses notes :

     Il a pu nommer seulement quelques autres villes [que Toronto], VCR, MTL, OTTAWA.         
         . . .         
             
     Il a pu nommer seulement une autre province du Cda, la Colombie-Britannique. Mais n'était pas certain si elle était située sur la côte est ou sur la côte ouest. Me dit que VCR se trouve sur la côte est du Cda.         

Selon l'affidavit du demandeur :

     . . . Elle m'a demandé de nommer les grandes villes du Canada, et j'ai nommé Toronto, Montréal, Ottawa et Vancouver. Je ne connais toutefois pas très bien la géographie du Canada, mais, à la suite de la question, j'ai pu indiquer que Vancouver était une ville côtière, mais je n'étais pas certain s'il s'agissait de la côte est ou de la côte ouest du Canada.         
         . . .         
     7.      Elle m'a posé très peu de questions sur mon emploi actuel et mon expérience de travail. Elle a orienté l'entrevue sur la connaissance détaillée du Canada et sur le secteur bancaire canadien.         
         . . .         
     13.      Des détails tels que le taux d'intérêt préférentiel au Canada, le lieu des sièges sociaux des grandes banques, les distinctions entre divers types de services bancaires au Canada, etc. pourraient être appris très facilement et très rapidement après mon arrivée au Canada. Le point principal est que je possède une expérience de travail pertinente pour trouver un poste de commis de banque polyvalent au Canada et en remplir les fonctions. Je pense que l'agente des visas a trop mis l'accent sur la question de savoir si je possédais une connaissance très détaillée du Canada et du secteur bancaire canadien et non pas sur mon expérience de travail pertinente et mes compétences, ma recherche prudente de renseignements sur les possibilités d'emploi dans mon métier au Canada, la présence de membres de ma famille au Canada et les fonds dont je disposais pour ma réinstallation, etc. Je crois également que ma capacité à travailler dans plus d'une langue et à prendre en compte certaines questions culturelles peut être considérée comme un avantage pour un employeur éventuel au Canada.         

[18]      L'agente des visas ne conteste pas dans son affidavit la description que le demandeur fait des questions posées lors de l'entrevue. Elle déclare que les questions avaient été posées " afin d'évaluer la préparation et les recherches que le demandeur avait effectuées pour se renseigner sur les conditions de vie au Canada et sur les exigences requises pour le poste qu'il visait, c'est-à-dire celui de commis de banque polyvalent ".

[19]      Elle mentionne également dans son affidavit qu'il lui avait montré " certaines offres d'emploi dans des journaux qu'il étudiait " et qu'elle avait noté que " toutes ces offres d'emploi concernaient des " commis de banque " et non pas le poste qu'il visait " (italiques ajoutés). Un examen des descriptions d'emplois figurant dans la CCDO relativement au commis de banque polyvalent (4135-182) et au commis de banque (4133-110) révèle qu'il existe très peu de différences entre ces deux postes. On peut se demander pourquoi l'intention du demandeur de tenir compte du poste de commis de banque ne dénote pas une bonne faculté d'adaptation, plutôt qu'une préparation inadéquate.

[20]      En outre, l'accent mis par l'agente des visas sur le fait qu'il ne s'était pas renseigné davantage sur le Canada doit être pris en considération dans le contexte dans lequel le demandeur lui-même se trouvait. Il avait demandé la résidence permanente deux ans auparavant. Il avait fait l'objet d'une sélection administrative et avait été dissuadé d'aller plus loin. Il a toutefois persisté et insisté afin d'obtenir une entrevue. Il a eu ensuite une entrevue, alors qu'il avait été activement dissuadé de donner suite à sa demande et qu'il ne pouvait pas s'attendre assurément à ce que sa demande de résidence permanente soit acceptée.

[21]      Il ressort de l'examen ci-dessus que l'agente des visas a accordé trop d'importance à des facteurs pertinents mais non primordiaux (par ex. sa connaissance de la géographie du Canada). Au même moment, elle semble ne pas avoir tenu compte de domaines pertinents ou de ne pas les avoir examinés. Lors de l'évaluation de la personnalité, il faut évaluer " la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative [et] son ingéniosité ". Bien que la connaissance que le demandeur a actuellement du Canada et du système bancaire soit pertinente, une évaluation plus vaste est requise pour apprécier les caractéristiques décrites ci-dessus. C'est particulièrement vrai dans un cas comme en l'espèce où le demandeur a obtenu un ou deux points de moins que le total requis.

[22]      L'agente des visas a peut-être mal compris ce que la fonction de commis de banque polyvalent nécessite. Elle a peut-être pensé que c'est un poste plus élevé dans le système bancaire qu'il semble l'être à partir de la description de la CCDP.


[23]      Pour ces motifs, la décision en cause a été annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour examen.

     B. Reed

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 3 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-3586-98
INTITULÉ :                  Mustafa Maniruzzaman c. La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 29 avril 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      MADAME LE JUGE REED
DATE DE L'ORDONNANCE :      le 3 mai 1999

COMPARUTIONS :

Mira J. Thow                      POUR LE DEMANDEUR
Cynthia Myslicki                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mira J. Thow                      POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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