Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990310

Dossier : T-1945-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 MARS 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

GORDON ALCORN, de l'établissement William Head,

DARRELL BATES, de l'établissement de Kent,

DANNY BOLAN, de l'établissement d'Elbow Lake,

JON BROWN, de l'établissement de Matsqui,

SHAWN BUTTLE, du Centre régional de santé,

GARY FITZGERALD, de l'établissement de Ferndale,

ANGUS MacKENZIE, de l'établissement Mountain, et

FABIAN PICCO, de l'établissement de Mission,

demandeurs,

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL et

LE SOUS-COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL,

RÉGION DU PACIFIQUE, SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

défendeurs.

ORDONNANCE

            VU la demande de contrôle judiciaire déposée le 4 septembre 1997 au nom des demandeurs et sollicitant de la Cour un bref de certiorari ou une mesure analogue portant annulation de la décision des défendeurs de mettre en service le système téléphonique Millennium dans la région du Pacifique du Service correctionnel du Canada;

            LA COUR ORDONNE :

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

                                                                                                                 J. Richard

                                                                                                    ____________________________

                                                                                                                              Juge en chef adjoint          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19990310

Dossier : T-1945-97

ENTRE :

GORDON ALCORN, de l'établissement William Head,

DARRELL BATES, de l'établissement de Kent,

DANNY BOLAN, de l'établissement d'Elbow Lake,

JON BROWN, de l'établissement de Matsqui,

SHAWN BUTTLE, du Centre régional de santé,

GARY FITZGERALD, de l'établissement de Ferndale,

ANGUS MacKENZIE, de l'établissement Mountain, et

FABIAN PICCO, de l'établissement de Mission,

demandeurs,

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL et

LE SOUS-COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL,

RÉGION DU PACIFIQUE, SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge en chef adjoint RICHARD :

NATURE DE LA PROCÉDURE ENGAGÉE

[1]         Les demandeurs sont des détenus, chacun d'entre eux étant incarcéré dans l'un des huit pénitenciers de Colombie-Britannique relevant de la région du Pacifique du Service correctionnel du Canada.

[2]         Le 4 septembre 1997, les demandeurs déposaient un avis de requête introductif d'instance dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire afin d'obtenir un bref de certiorari ou la prise d'une mesure analogue pour faire annuler la décision des défendeurs de poursuivre la mise en service du système téléphonique Millennium dans la région du Pacifique du Service correctionnel du Canada et, si besoin est, une ordonnance de la Cour sur le fondement du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[3]         La demande s'appuie sur les motifs suivants :

            1.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs agiront sans compétence, ou en outrepassant celle-ci, en opérant une discrimination à l'encontre de ceux qui, parmi les demandeurs, n'ont pas, en raison du milieu socio-économique auquel ils appartiennent, les moyens d'absorber les coûts supplémentaires du nouveau système, discrimination qui est contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés;

            2.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs opéreront, à l'encontre des demandeurs, une discrimination fondée sur leur état de détenus, et ce contrairement à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés;

            3.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs porteront atteinte aux droits qu'ont les demandeurs d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, allant en cela à l'encontre de l'alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés;

            4.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs agiront sans compétence, ou en outrepassant celle-ci, car ils empêcheront les demandeurs de planifier leur libération, ce qui entraînera un allongement de leur période de détention hors de toute procédure équitable, contrairement au devoir d'équité qu'impose la common law, contrairement à ce qu'exigent les principes de justice naturelle et les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés;

            5.En ne donnant pas aux détenus de la région du Pacifique l'occasion de participer à la décision concernant le système téléphonique Millennium, les défendeurs n'ont pas satisfait aux exigences de l'article 74 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) et ont, par conséquent, commis une erreur de droit;

            6.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs interdiront aux demandeurs un contact raisonnable avec leur famille, leurs amis ou autres personnes extérieures au pénitencier, contacts qui ne peuvent être restreints que dans des limites raisonnables et pour assurer la sécurité du pénitencier ou des personnes, contrairement aux paragraphes 71(1) et 96(z.11) de la LSCMLC, commettant en cela une erreur de droit;

            7.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs n'ont pas recours aux mesures les moins restrictives et ne permettront pas aux demandeurs de continuer à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui leur a été infligée, contrairement à ce que prévoient les alinéas 4d) et e) de la LSCMLC, commettant par là même une erreur de droit;

            8.En introduisant le système téléphonique Millennium, les défendeurs empêcheront les demandeurs de communiquer par téléphone avec l'extérieur, pour des motifs autres que ceux qui sont prévus à l'article 95 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC), commettant en cela une erreur de droit.

[4]         En l'espèce, contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Hunter[1], les demandeurs ne contestent pas globalement l'introduction du système téléphonique. À l'audience, la principale question portait sur le fait qu'en raison de la mise en service du système téléphonique Millennium en Colombie-Britannique les détenus ne peuvent plus, comme ils le pouvaient auparavant, placer des appels téléphoniques locaux, soit gratuitement soit au prix de 25 ¢ l'appel. L'avocate des demandeurs a reconnu que le problème ne se poserait pas pour ses clients si les appels locaux coûtaient 25 ¢ ou si les détenus pouvaient, pour téléphoner, utiliser une carte de débit.

[5]         Le 4 septembre 1997, les demandeurs ont déposé, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, une requête en injonction interlocutoire, demandant à la Cour d'interdire au défendeur de mettre en service le système téléphonique Millennium avant que ne soit tranchée la demande de contrôle judiciaire.

[6]         Par ordonnance en date du 22 septembre 1997, la requête en injonction interlocutoire est rejetée et, le 27 mars 1998, la Cour d'appel fédérale rejetait l'appel interjeté.

[7]         Le 2 février 1998, la Cour accordait aux demandeurs une prorogation des délais, leur donnant jusqu'au 16 février 1998 pour déposer des documents et affidavits complémentaires, autorisant en outre les demandeurs à déposer un dossier supplémentaire et leur accordant l'ajournement sine die de l'audience.

LE CONTEXTE

[8]         L'affidavit de Richard Montminy, gestionnaire de projet des services techniques et de gestion de l'information au siège national du Service correctionnel, retrace l'évolution dans les pénitenciers canadiens de l'utilisation du téléphone par les détenus :

            a)Avant le milieu des années 70, ce n'est qu'exceptionnellement que les détenus avaient accès au téléphone et, là encore, seulement sous le contrôle et la surveillance d'un agent du Service correctionnel du Canada (SCC). Ce système devint impossible à gérer.

            b)Déjà, en 1994, 80 p. 100 de tous les établissements avaient adopté l'un de plusieurs systèmes de téléphone non payant qui permettaient aux détenus de placer des appels à frais virés. (Les téléphones publics ne permettant que les appels à frais virés étaient vraiment le seul moyen de permettre aux détenus des établissements à sécurité maximale d'utiliser le téléphone car ils n'ont pas le droit d'avoir en leur possession des pièces de monnaie, l'argent étant, dans les établissements, considéré comme un objet interdit. Voir l'article 2 de la LSCMLC et l'alinéa 42(2)b) du RSCMLC.)

            c)Au début des années 90, la déréglementation de l'industrie du téléphone et les progrès de la technique permirent au SCC d'envisager des moyens à la fois plus sûrs et plus équitables d'installer des systèmes téléphoniques dans les établissements.

            d)Le SCC a étudié les divers services offerts aux États-Unis, décidant, en novembre de 1994, d'introduire au Canada un nouveau système téléphonique à l'échelle nationale. Il s'agissait d'améliorer à la fois la sécurité des établissements et celle du public.

            e)Le commissaire du SCC, agissant conformément à l'article 97 du LSCMLC, a émis la Directive du commissaire (DC) no 085 en avril 1996 après que le nouveau système eut été installé en Ontario.

[9]         Le nouveau système téléphonique devint opérationnel en Ontario en avril 1996.

[10]       Suite à la décision rendue par la Cour dans l'affaire Hunter, le nouveau système téléphonique Millennium entre en service selon un calendrier échelonné.

[11]       Selon les demandeurs, la décision qui est à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire a été prise par le défendeur le 13 janvier 1997 et communiquée par une lettre en date du 15 août 1997. Le 6 janvier 1997, l'avocate des demandeurs envoya au défendeur une lettre concernant l'entrée en service du nouveau système téléphonique, lettre à laquelle il lui fut répondu le 27 janvier 1997.

[12]       Dans une lettre en date du 6 janvier 1997, l'avocate des demandeurs s'exprimait en ces termes :

[traduction]

Il nous a été notifié que le nouveau système téléphonique sera, d'ici le 24 janvier 1997, en état de fonctionnement dans au moins un pénitencier de Colombie-Britannique. On me demande de solliciter de la Cour fédérale une ordonnance enjoignant au Service correctionnel du Canada de ne pas mettre en service le système téléphonique, et compte tenu des délais que m'imposent les Règles de la Cour fédérale, je vous demande de me transmettre votre réponse au plus tard le 13 janvier 1997. Si, à cette date, nous n'avons pas encore reçu de réponse à la présente lettre, nous prendrons pour acquis que vous avez décidé de ne pas donner aux détenus de la région du Pacifique la possibilité de participer à cette décision et que vous avez, en outre, décidé de mettre en service le système téléphonique Millennium dans la région du Pacifique, nonobstant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et le Règlement.

[13]       Selon les défendeurs, le système téléphonique est entré en service dans les huit pénitenciers cités plus haut, à des dates différentes, en l'occurrence :

                        L'établissement William Head :               le 8 décembre 1997

                        L'établissement de Kent :                       le 11 février 1998

                        L'établissement d'Elbow Lake :              le 16 février 1998

                        L'établissement de Mission :                   le 18 décembre 1997

                        L'établissement de Matsqui :                  le 24 février 1997

                        Le Centre régional de santé :                  le 13 février 1998

                        L'établissement de Ferndale :                 le 20 novembre 1997

                        L'établissement Mountain :                     janvier 1997

[14]       Dans son affidavit, Monsieur Richard Montminy expliquait également les principales caractéristiques du nouveau système téléphonique :

[TRADUCTION]

            17.Afin d'améliorer la sécurité du public ainsi que celle de l'établissement, tout en assurant, de manière équitable et efficace, le contrôle et la surveillance des communications téléphoniques des détenus, le nouveau système possède les caractéristiques suivantes :

                        a)le détenu se voit attribuer, pour ses appels téléphoniques, un numéro d'identification personnel (NIP), qui lui facilite l'accès au réseau téléphonique, à l'instar des autres NIP utilisés, à l'extérieur, par les banques, les compagnies de téléphone ou la location de vidéos;

                        b)les détenus donnent jusqu'à vingt (20) numéros de téléphone de personnes qu'ils peuvent vouloir contacter, et ces numéros constituent leur « liste d'appels personnels » ou « liste d'appels autorisés » . C'est ainsi que la liste des appels personnels comprendra les numéros de téléphone de membres de la famille, d'amis ou encore de correspondants de la presse écrite ou parlée. Cette liste est examinée par l'équipe de gestion des cas affectée à chaque détenu afin de vérifier que les communications avec les correspondants indiqués sont effectivement conformes au plan correctionnel de l'individu en question ainsi qu'aux objectifs généraux que sont la sécurité des personnes, la sécurité du pénitencier et la protection de la société. C'est la même procédure d'examen utilisée et acceptée par tous pour les visites dans l'établissement par des membres de la famille du détenu, des amis ou d'autres personnes venant de l'extérieur. Est joint au présent affidavit, à titre de pièce « D » , un formulaire de demande et de renseignements concernant les visites, et tout détenu qui n'est pas satisfait d'une décision touchant la liste des appels autorisés peut le remplir et présenter ses observations ou, éventuellement, formuler un grief;

                        c)chaque établissement dresse une liste des numéros appelés régulièrement, y compris, par exemple, le Bureau de l'aide juridique de l'Ontario, l'enquêteur correctionnel, le Law Project de l'Université Queen's, à Kingston. Cette liste de numéros que tous les détenus peuvent appeler ne peut, pour des raisons technologiques, contenir que trente-cinq (35) numéros;

                        d)la liste des appels personnels peut comprendre des numéros d'avocat. Il convient de noter que, sur demande, les détenus peuvent également utiliser les téléphones de l'administration pour leurs entretiens privés avec leurs avocats. Notons également que, dans certaines circonstances, et conformément à l'article 97 du RSCMLC, le Règlement donne aux détenus la possibilité de recourir sans délai à l'assistance d'un avocat. À l'heure actuelle, les détenus peuvent contacter leur avocat en utilisant le téléphone de l'administration sans que leurs conversations soient surveillées ou interceptées, sous réserve d'une éventuelle autorisation judiciaire. Le nouveau système téléphonique permettra, sous réserve d'autorisation judiciaire en sens contraire, aux détenus de parler à un avocat figurant sur la liste des appels autorisés sans que sa conversation soit surveillée ou interceptée. Les téléphones de l'administration continueront d'être à la disposition des détenus voulant contacter leur avocat, sous réserve des restrictions ci-dessus indiquées;

                        e)les listes en question peuvent être modifiées dans les 14 jours suivant la demande en ce sens d'un détenu;

                        f)en raison des contraintes de temps et du nombre même des téléphones, l'accès à ceux-ci peut être, aux heures de forte utilisation, contrôlé en fonction des besoins. Aux heures de pointe, les appels téléphoniques sont soumis à une limite de temps;

                        g)jusqu'à l'entrée en service du système de carte de débit, les détenus continueront à pouvoir placer des appels à frais virés, au tarif prévu par les compagnies de téléphone en matière d'appels locaux et d'appels interurbains. Le téléphone est à clavier, pour plus de facilité, et les appels aux numéros 611, 411, 911 ainsi que les appels automatiques, l'utilisation de la carte d'appel, de la Carte Invitation (MC), de la facturation à un troisième numéro ainsi que certains appels outre-mer demeurent interdits à partir des téléphones payants de l'établissement;

                        h)les améliorations apportées au système téléphonique pour les détenus portent sur la qualité des transmissions, l'introduction d'un système d'autodiagnostic qui porte automatiquement toute panne à l'attention du service des réparations de la compagnie de téléphone, la possibilité de joindre, au moyen d'un clavier, des services dans l'une ou l'autre des langues officielles, un bouton qui permet de moduler le volume et des fils pivotants;

                        i)le nouveau système est relié à un dispositif informatique permettant de générer des rapports qui peuvent alors être examinés et analysés par des spécialistes du renseignement de sécurité de chaque établissement ainsi qu'aux sièges national et régional afin de contribuer à prévenir et à contrer les activités criminelles ou interdites auxquelles les détenus pourraient se livrer par téléphone.

[15]       Dans l'affaire Hunter, sauf en ce qui concerne le commentaire hors champ, la légalité et la constitutionnalité du nouveau système téléphonique ont été confirmées.

[16]       La raison d'être du nouveau système téléphonique a également été expliquée par M. Montminy, à la fois dans le cadre de l'affaire Hunter et dans le cadre de la présente procédure :

            LA RAISON D'ÊTRE DU NOUVEAU SYSTÈME TÉLÉPHONIQUE

            [traduction]

            14.Mes fréquents déplacements dans les établissements m'ont permis d'examiner les rapports d'observation et d'incident préparés par les établissements, les rapports d'enquête préparés aux échelons national et régional ainsi qu'au niveau des établissements, et les rapports personnels d'agents du SCC. Ces rapports font ressortir un certain nombre de préoccupations en matière de sécurité, de sûreté et d'administration, préoccupations découlant de l'accès relativement libre que les détenus ont au téléphone. Il peut ainsi s'agir :

            a) de communications visant à introduire dans l'établissement de l'arsenic, de la nitroglycérine, des munitions, des armes de poing, des armes automatiques et autres types d'armement;

            b) de communications en vue d'organiser des actes de violence et des évasions;

            c) de communications avec des trafiquants de stupéfiants et d'autres conspirateurs afin d'introduire des drogues dans l'établissement;

            d) de communications portant menace et/ou harcèlement de personnes victimes ou témoins de certains agissements;

            e) de communications contraires à des ordonnances de justice interdisant tout contact avec d'ex-conjoints, ou de personnes ayant été victimes ou témoins de certains agissements;

            f) de communications à des services de boîte vocale ou à des correspondants, alors que les personnes contactées ne savent pas que l'appel provient d'une personne détenue dans un pénitencier fédéral;

            g) de communications en vue d'organiser des assassinats ou autres « règlements de compte » ;

            h) de communications dont ne veut absolument pas la personne à qui elles sont destinées;

            i) de détenus forcés de patienter lorsqu'ils veulent donner des coups de téléphone, avec les disputes et les incidents que peuvent provoquer les questions de priorité ou de durée des appels;

            j) du recours à des moyens d'intimidation et d'extorsion à l'égard de détenus vulnérables qui voudraient utiliser le téléphone;

            k) de l'utilisation de moyens d'intimidation et d'extorsion afin d'obliger la famille et les amis à accepter des appels à frais virés.

[...]

            LE PROBLÈME DE LA DROGUE EN MILIEU CARCÉRAL

32. Un des objectifs du nouveau système téléphonique est de lutter contre la consommation par les détenus de drogues et d'autres substances interdites. Le problème a pris de plus en plus d'ampleur aux yeux du SCC.

33. Avant leur incarcération, de nombreux détenus consommaient des substances illicites. Les recherches et l'expérience ont démontré que, après leur incarcération, ces personnes continuent à vouloir consommer de telles substances. Le SCC estime que la drogue alimente maintenant une économie parallèle dans les pénitenciers. Cela serait vrai de tous les pénitenciers, quel que soit leur niveau de sécurité. Cette activité est la principale source de problèmes disciplinaires et sécuritaires. Jointe au présent affidavit à titre de pièce « F » , copie de la « Stratégie du Service correctionnel du Canada en matière de drogues » en date du mois janvier 1995.

34. La consommation de drogue risque d'avoir, sur les détenus, un impact plus fort qu'elle n'en aurait sur le citoyen moyen. Parmi la population carcérale, un nombre sensible de personnes éprouvent de sérieuses difficultés à contrôler leur colère. Ajoutons que de nombreux délinquants ont montré la violence dont ils étaient capables. Ces deux facteurs, auxquels s'ajoutent les tensions découlant du code en vigueur parmi les détenus et le désir de consommer des drogues, amènent souvent la violence. Cette violence ne se limite d'ailleurs pas aux établissements pénitenciers.

35. Voici certains exemples d'agissements liés aux drogues :

            i) des visiteurs peuvent faire l'objet de menaces ou d'agressions physiques afin de les convaincre :

                        d'introduire des drogues dans un établissement;

                        de fournir de l'argent pour se procurer des drogues;

                        de régler, à l'extérieur, des dettes liées à des achats de drogues;

            ii) des bandes de détenus peuvent se faire la guerre pour tenter de contrôler le marché;

            iii) des bandes de détenus peuvent chercher à obliger par la force ou le chantage des visiteurs ou des agents du personnel correctionnel à introduire des drogues dans l'établissement;

            iv) des détenus revendeurs de drogues peuvent menacer ou agresser des détenus consommateurs qui n'ont pas réglé leurs achats; ou même la famille ou les amis des détenus consommateurs de drogues;

            v) des détenus consommateurs de drogues peuvent, lorsqu'ils ont besoin d'argent pour assurer leur approvisionnement, obliger des détenus plus faibles ou des membres de leur famille à payer pour éviter d'être agressés; voler les biens de détenus plus faibles; obliger des détenus plus jeunes ou plus faibles à se livrer à la prostitution; ou agresser un détenu « pour l'exemple » ;

            vi) des détenus sous l'influence de stupéfiants peuvent agresser d'autres détenus ou des membres du personnel.

            vii) souvent, l'une des revendications des preneurs d'otage porte sur la fourniture de drogues;

            viii) parfois, un détenu plus faible, soumis aux pressions d'un consommateur ou d'un revendeur de drogues plus agressif, cherche à s'évader ou ne revient pas après une absence temporaire;

            ix) des détenus plus faibles sont parfois obligés de demander d'être mis en isolement.

36. Les problèmes énumérés ci-dessus créent au sein des établissements, des tensions et un engrenage de violence. Devant l'accroissement de ces problèmes, le SCC a adopté une stratégie anti-drogue à l'échelle nationale. Cette approche comportait deux volets; le premier étant un programme d'initiation à la vie quotidienne et de déconditionnement, le second visant une amélioration des procédures de sécurité afin de prévenir l'entrée de drogues dans les établissements. Citons, à ce titre, les analyses d'urine, le recours à des chiens spécialement entraînés et à l'achat de scanners à ions.

37. Le nouveau système téléphonique à l'intention des détenus nous aidera à empêcher que des drogues soient introduites dans les établissements et contribuera donc aux objectifs définis par la stratégie nationale anti-drogue. Avec l'ancien système téléphonique, les détenus communiquaient assez librement avec l'extérieur. Ils pouvaient, par exemple, joindre à frais virés un marchand de drogues et demander qu'on lui livre des drogues dans l'établissement. La « liste des appels personnels » et le dispositif de contrôle intégré au nouveau système téléphonique permettront au SCC de mieux déceler et contrer ce type de communications.

[17]       L'entrée en service du nouveau système téléphonique Millennium a entraîné, pour les détenus de la région du Pacifique, la perte de la gratuité du service téléphonique pour les appels locaux. Les tarifs applicables à ces appels sont fixés par le CRTC et appliqués par BC Tel, la société locale de téléphone.

[18]       Dans son affidavit en date du 10 septembre 1997, Richard Montminy expliquait que :

            [traduction]

5. D'après le premier motif exposé dans l'avis de requête, dans la région du Pacifique, « les détenus qui peuvent actuellement téléphoner gratuitement à leurs amis, aux membres de leur famille, aux organismes d'entraide, à leurs avocats et à leurs appuis au sein de la communauté, devront appeler à frais virés, chaque appel coûtant maintenant de 1,75 $ et 2,75 $ » . Mes cinq années d'expérience dans le domaine des systèmes téléphoniques pour détenus et l'information qui me parvient concernant les pratiques en vigueur dans la région du Pacifique m'autorisent à répondre comme ceci :

a) Dans les établissements relevant du SCC (région du Pacifique), les détenus, selon l'établissement où ils se trouvent, vont avoir accès :

            i) à des « téléphones de l'administration » fournis par le SCC, aux fins de la gestion des cas, aux agents du Service correctionnel mais aussi aux détenus afin de leur permettre de consulter un avocat et d'entretenir, avec la communauté, des contacts divers. Pour les détenus, ces appels sont gratuits. Les appels font l'objet d'une surveillance des employés du SCC. Les détenus ont le droit de consulter un avocat et ils peuvent, en vertu de ce droit, demander à certains membres du personnel de faire en sorte qu'ils puissent prendre contact avec un avocat en utilisant les téléphones de l'administration;

            ii) certains établissements mettent à la disposition des détenus des téléphones permettant de placer des appels interurbains à frais virés.

            iii) certains établissements fournissent, pour les appels locaux, des téléphones gratuits (pour les détenus) avec la possibilité de passer au service à frais virés pour les appels interurbains. Ces téléphones ne sont pas vraiment « gratuits » étant donné que le SCC doit payer tous les mois 51,50 $ pour chaque téléphone. Dans d'autres régions du Canada, le SCC n'a pas à assumer cette dépense. Les détenus de la région du Pacifique sont les seuls au Canada à avoir ce genre de service téléphonique. Actuellement, avec ce système :

                        - les appels locaux des détenus sont gratuits;

                        - les numéros 1-800, 1-900, 411 et 911 sont bloqués;

                        - un mécanisme permet de passer au système à frais virés pour les appels interurbains.

b) Mon expérience m'a porté à conclure que l'utilisation actuelle, pour les appels locaux, de téléphones publics mais gratuits, dans le cadre du système décrit plus haut, entraîne des difficultés et que, notamment :

            i) Leur utilisation ne permet pas de régler les problèmes de sûreté, de sécurité et d'administration. Le système téléphonique Millennium répond à ces préoccupations en matière de sûreté, de sécurité et d'administration.

            ii) Leur utilisation ne permet pas la surveillance automatique des appels téléphoniques et leur maintient en service mobilise trop de ressources dans les établissements où les agents du SCC doivent, pour assurer une utilisation ordonnée et équitable des téléphones, surveiller les appels. Le système téléphonique Millennium permet d'affecter moins d'agents à la surveillance des détenus.

            iii) Leur maintien en service empêche le SCC d'augmenter le nombre de téléphones mis à la disposition des détenus dans la région du Pacifique, étant donné qu'une augmentation du nombre actuel de téléphones publics ne saurait s'accompagner d'un accroissement des ressources nécessaires pour assurer la sécurité. Étant donné que son exploitation exige moins d'agents, le système téléphonique Millennium permettra de mettre à la disposition des détenus de la région du Pacifique du SCC un nombre plus important de téléphones payants.

            iv) Leur maintien en service empêche le SCC de savoir facilement et de manière précise où se situent la plus forte demande et le plus fort besoin en matière de téléphone et le SCC ne peut pas, par conséquent, répartir de manière efficace et équitable les ressources téléphoniques dont il dispose. Le système téléphonique Millennium se prête à une analyse assez automatique du nombre des utilisateurs et de l'importance de l'utilisation des moyens téléphoniques. Cela permettra au SCC d'augmenter progressivement le nombre de téléphones dans certains établissements.

            v) Leur maintien en service empêche le SCC d'assurer aux détenus un environnement sûr. L'instauration d'un environnement sûr concerne aussi bien la sécurité que la réinsertion. Ainsi, le système téléphonique Millennium permet d'empêcher certains détenus de contacter des membres de la famille d'autres détenus afin de leur extorquer des services (car leurs numéros peuvent être bloqués sur la liste des appels des détenus qui ont recours à de telles manoeuvres). L'ensemble des détenus se sentiront donc plus en sécurité et mieux à même de travailler à leur réinsertion.

            vi) Leur maintien en service empêche le SCC de mettre en oeuvre une stratégie téléphonique nationale qui permettrait de répartir de manière équitable les moyens téléphoniques et financiers.

6. Je relève qu'il est question d'un prix de 1,75 $ à 2,75 $ par appel local effectué à frais virés. Ces prix échappent malheureusement au contrôle du SCC étant donné qu'ils sont fixés par BC Tel, la compagnie locale de téléphone, conformément aux barèmes fixés par le CRTC. Ce n'est aucunement en vertu d'une décision d'un agent du SCC que sont fixés ces tarifs approuvés par le CRTC.

7. Le SCC n'a pas eu la moindre intention d'opérer une discrimination à l'encontre des demandeurs ou des détenus qui n'ont pas l'argent pour acquitter les prix fixés par le CRTC.

8. S'agissant de l'atteinte au droit de recourir aux services d'un avocat et de pouvoir planifier sa libération, l'entrée en service du système téléphonique Millennium ne changera rien à l'usage qui met les téléphones de l'administration à la disposition des détenus pour cela.

9. Le SCC a toujours estimé qu'il n'était pas nécessaire de procéder à des consultations dans le cadre de la mise en service du système téléphonique Millennium étant donné que la décision de mettre un tel système en service relève de considérations sécuritaires. Cela est conforme à l'article 74 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC).

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]       En plus de la question touchant l'opportunité de la demande de contrôle judiciaire, deux grandes questions furent soulevées devant moi à l'audience : la première a trait à la Charte et la seconde à l'interprétation et à l'application des dispositions légales.

[20]       Ces questions se résument en ces termes :

            1.La demande est-elle hors délai, les temps prévus à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ayant été dépassés et, si cela est effectivement le cas, y a-t-il lieu pour la Cour d'accorder une prorogation?

            2.Le prix de 1,75 $ à 2,75 $ qui doit actuellement être acquitté pour passer un coup de téléphone local dans la région du Pacifique entraîne-t-il une violation de la Charte canadienne des droits et libertés et notamment de son article 7, de son alinéa 10b) et de son article 15? S'il y a effectivement atteinte aux droits en question, la mesure décrétée peut-elle se justifier au regard de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés?

            3.Au regard des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les défendeurs ont-ils agi sans compétence, ou outrepassé celle-ci, en faisant payer ou en imposant des frais supplémentaires pour les appels locaux (en raison de la mise en service du système téléphonique Millennium)?

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[21]       La Directive du commissaire no 085, en date du 5 septembre 1997 prévoit :

CORRESPONDENCE AND TELEPHONE COMMUNICATION:

POLICY OBJECTIVE

1. To encourage inmates to maintain and develop family and community ties through written correspondence and telephone communication, consistent with the principle of protection of the public, staff members and offenders.

                              [...]

INMATE TELEPHONE COMMUNICATION

12. National Headquarters shall be responsible for the selection, installation and maintenance of a national inmate telephone system.

13. Access to telephones, through an inmate telephone system. Should be provided, on a fair and consistent basis, to help maintain family and community ties and to provide a direct link with families in the event of an emergency. To ensure consistency, standards for inmates access to telephones and the use of an inmate telephone system are provided in Annex "B".

14. Telephone calls between inmates and members of the public may be intercepted (interception is defined as the listening to and/or recording of a conversation by some mechanical devices) if both of the criteria outlined in subsection 94(1) of the Corrections and Conditional Release Regulations are met, and in accordance with Commissioner's Directive 575, entitled "Interception of Communications Related to the Maintenance of Institutional Security".

15. The telephone monitoring system provides the institutional head or designate with the ability to manage, supervise and control inmate access to the inmate telephone system and its use for communication with members of the public.

16. Telephone communication is a part of the overall program of reintegration into the community, similar to visits and temporary absences.

17. Telephone calls for humanitarian purposes, such as illness, death in the family, or birth of a child, shall normally be provided without delay.

PREVENTION OF COMMUNICATIONS:

18. An inmate may be prevented from communicating with members of the public by mail or telephone when:

a. the institutional head or designate believes, on reasonable grounds, that the safety of any person, both in the institution and the community would be jeopardized; or

b. the institutional head or designate is satisfied that the intended recipient of the communication, or the parent or guardian of an intended recipient who is a minor, does not want to receive communications from the inmates.

19. Where an inmate's application to have a telephone number added to his or her call allow list is disallowed or an approved telephone number is blocked, pursuant to paragraph 18, the inmate shall be promptly advised of the reasons, in writing, by the institutional head or designate, and shall be given an opportunity to respond.

COMMUNICATION TO RETAIN LEGAL COUNSEL

20. Inmates shall be given the opportunity to retain legal counsel in accordance with Commissioner's Directives 084, entitled "Inmates' Access to Legal Assistance".

           

COMMUNICATIONS WITH PRIVILEGED CORRESPONDENTS

21. Telephone calls to those identified in annex "A" as authorized privileged correspondents, shall normally be granted. Such calls shall be provided, subject to operational constraints, during normal business hours. Inmates are required to provide reasonable notice, of no less than 24 hours, of their wish to communicate by telephone with privileged correspondents. However, the institutional head or designate may decide, depending on the circumstances, that the reasonable notice is not required.

22. Calls between inmates and privileged correspondents are normally confidential. They may however be subject to interception if both of the conditions stipulated in subsection 94(2) of the Corrections and Conditional Release Regulations are met and in accordance with Commissioner's Directive 575.

23. Should the institutional head or designate determine the need to restrict access to telephone communication with privileged correspondents, he or she shall communicate the rationale for the decision in writing to the inmate and to the person concerned. Copies shall be forwarded to Regional and National Headquarters.

24. Inmates shall normally be responsible for the cost of telephone calls.

25. The institutional head or designate may authorize the use of government telephone network lines by inmates for emergency situations such as serious family illness or death, or for any other special circumstances.

CORRESPONDANCE ET COMMUNICATIONS TÉLÉPHONIQUES

OBJECTIF DE LA POLITIQUE

1. Encourager les détenus à établir et à entretenir des liens avec des membres de leur famille et de la collectivité au moyen de lettres et de communications téléphoniques, conformément au principe relatif à la protection du public, des membres du personnel et des délinquants.

            [...]

COMMUNICATIONS TÉLÉPHONIQUES DES DÉTENUS

12. Il incombe à l'Administration centrale de procéder au choix, à l'installation et à l'entretien d'un système téléphonique national pour les détenus.

13. Il faut, par un système téléphonique pour les détenus, donner à ces derniers l'accès à des appareils téléphoniques de façon équitable et régulière pour les aider à conserver des liens avec les membres de leur famille et de la collectivité et assurer un lien direct avec leur famille en cas d'urgence. Afin d'assurer l'application uniforme de cette politique, des normes relatives à l'accès des détenus aux appareils téléphoniques et à l'utilisation d'un système téléphonique pour les détenus figurent à l'annexe « B » .

14. Les appels téléphoniques entre un détenu et un membre de la collectivité peuvent être interceptés (interception se définit par l'écoute et/ou l'enregistrement d'une conversation par des dispositifs mécaniques) si les deux conditions énoncées au paragraphe 94(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions sont présentes, et en conformité avec la Directive du commissaire n ° 575, intitulée « interception des communications relatives au maintien de la sécurité dans l'établissement »

15. Le « système d'interception téléphonique » donne au directeur ou à la personne désignée la capacité de gérer, de superviser et de contrôler l'accès des détenus au système téléphonique qui leur est destiné et son utilisation pour les communications avec le public.

16. Les communications téléphoniques font partie du programme global de réinsertion sociale au même titre que les visites et les permissions de sortir.

17. Les appels téléphoniques à des fins humanitaires, telles que la maladie, un décès dans la famille ou la naissance d'un enfant, doivent normalement être autorisés sans délai.

EMPÊCHEMENT DE COMMUNIQUER

18. Un détenu peut être empêché de communiquer avec des membres de la collectivité par correspondance ou par téléphone quant:

a. Le directeur ou la personne désignée a des motifs raisonnables de croire que la sécurité d'une personne, dans l'établissement ou dans la collectivité, serait compromise; ou

b. Le directeur ou la personne désignée est convaincu que le destinataire, ou le père, la mère ou le tuteur du destinataire s'il est un mineur, ne veut pas recevoir de communication du détenu.

           

           

19. Lorsque la demande d'un détenu de faire ajouter un numéro de téléphone à sa liste appels autorisés est refusée ou qu'un appel téléphonique approuvé est bloqué, conformément au paragraphe 18, le directeur ou la personne désignée doit l'informer promptement des motifs de la décision et lui donner la possibilité de présenter des observations.

COMMUNICATIONS POUR RETENIR LES SERVICES D'UN AVOCAT

20. Il faut donner au détenu la possibilité de communiquer avec un avocat pour retenir ses services, conformément à la Directive du commissaire n ° 084, intitulée « Accès des détenus aux services juridiques » .

APPELS AUX CORRESPONDANTS PRIVILÉGIÉS

21. Les appels téléphoniques aux personnes mentionnées à l'annexe « A » , à titre de correspondants privilégiés autorisés doivent normalement être accordés. Ces appels doivent, sous réserve des contraintes opérationnelles, être autorisés pendant les heures normales de bureau. Les détenus doivent donner un avis raisonnable, soit un maximum de 24 heures, de leur intention de communiquer par téléphone avec les correspondants privilégiés. Le directeur ou la personne désignée peut toutefois décider, selon les circonstances, que l'avis raisonnable n'est pas requis.

22. Les appels téléphoniques entre un détenu et des correspondants privilégiés sont normalement confidentiels. Ces appels peuvent toutefois être interceptés lorsque les deux conditions énoncées au paragraphe 94(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition sont présentes, et en conformité avec la Directive du commissaire n ° 575.

23. Si le directeur ou la personne désignée détermine qu'il est nécessaire de restreindre l'accès à la communication téléphonique avec les correspondants privilégiés, il doit justifier sa décision par écrit auprès de la personne concernée et du détenu. Des copies doivent être transmises aux Administrations régionales et nationale.

24. Les détenus doivent habituellement payer leurs appels téléphoniques.

25. Le directeur ou la personne désignée peut autoriser l'usage d'un téléphone relié au réseau téléphonique du gouvernement dans des situations d'urgence telle une maladie grave ou le décès d'un membre de la famille, ou dans toute autre circonstance spéciale.

[22]       Les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pertinentes en l'espèce sont les suivantes :

[23]       L'article 3 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

[24]       L'article 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

(b) that the sentence be carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, other information from the trial or sentencing process, the release policies of, and any comments from, the National Parole Board, and information obtained from victims and offenders;

(c) that the Service enhance its effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system, and through communication about its correctional policies and programs to offenders, victims and the public;

(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

(f) that the Service facilitate the involvement of members of the public in matters relating to the operations of the Service;

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

(h) that correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and be responsive to the special needs of women and aboriginal peoples, as well as to the needs of other groups of offenders with special requirements;

(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration; and

(j) that staff members be properly selected and trained, and be given

(i) appropriate career development opportunities,

(ii) good working conditions, including a workplace environment that is free of practices that undermine a person's sense of personal dignity, and

(iii) opportunities to participate in the development of correctional policies and programs.

1992, c. 20, s. 4; 1995, c. 42, s. 2(F).

4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l'application du processus correctionnel;

b) l'exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment des motifs et recommandations donnés par le juge qui l'a prononcée, des renseignements obtenus au cours du procès ou dans la détermination de la peine ou fournis par les victimes et les délinquants, ainsi que des directives ou observations de la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui touche la libération;

c) il accroît son efficacité et sa transparence par l'échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d'orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu'au grand public;

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

f) il facilite la participation du public aux questions relatives à ses activités;

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

h) ses directives d'orientation générale, programmes et méthodes respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones et à d'autres groupes particuliers;

i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d'octroi des permissions de sortir, des placements à l'extérieur et des libérations conditionnelles ou d'office et qu'ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;

j) il veille au bon recrutement et à la bonne formation de ses agents, leur offre de bonnes conditions de travail dans un milieu exempt de pratiques portant atteinte à la dignité humaine, un plan de carrière avec la possibilité de se perfectionner ainsi que l'occasion de participer à l'élaboration des directives d'orientation générale et programmes correctionnels.

1992, ch. 20, art. 4; 1995, ch. 42, art. 2(F).

[25]       L'article 5 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

5. There shall continue to be a correctional service in and for Canada, to be known as the Correctional Service of Canada, which shall be responsible for

(a) the care and custody of inmates;

(b) the provision of programs that contribute to the rehabilitation of offenders and to their successful reintegration into the community;

(c) the preparation of inmates for release;

(d) parole, statutory release supervision and long-term supervision of offenders; and

(e) maintaining a program of public education about the operations of the Service.

1992, c. 20, s. 5; 1997, c. 17, s. 13.

5. Est maintenu le Service correctionnel du Canada, auquel incombent les tâches suivantes :

a) la prise en charge et la garde des détenus;

b) la mise sur pied de programmes contribuant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale;

c) la préparation des détenus à leur libération;

d) la supervision à l'égard des mises en liberté conditionnelle ou d'office et la surveillance de longue durée de délinquants;

e) la mise en oeuvre d'un programme d'éducation publique sur ses activités.

1992, ch. 20, art. 5; 1997, ch. 17, art. 13.

[26]       L'article 71 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

(2) At each penitentiary, a conspicuous notice shall be posted at the visitor control point, listing the items that a visitor may have in possession beyond the visitor control point.

(3) Where a visitor has in possession, beyond the visitor control point, an item not listed on the notice mentioned in subsection (2) without having previously obtained the permission of a staff member, a staff member may terminate or restrict the visit.

                       

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier.

(2) Dans chaque pénitencier, un avis donnant la liste des objets que les visiteurs peuvent garder avec eux au-delà du poste de vérification doit être placé bien en vue à ce poste.

(3) L'agent peut mettre fin à une visite ou la restreindre lorsque le visiteur est en possession, sans son autorisation ou celle d'un autre agent, d'un objet ne figurant pas dans la liste.

[27]       L'article 74 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

74. The Service shall provide inmates with the opportunity to contribute to decisions of the Service affecting the inmate population as a whole, or affecting a group within the inmate population, except decisions relating to security matters.                    

74. Le Service doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité.

[28]       Le paragraphe 96 (z.11) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

96. The Governor in Council may make regulations

                              [...]

(z.11) prescribing anything that by this Part is to be prescribed; and

96. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

                              [...]

z.11) portant toute mesure d'ordre réglementaire prévue par la présente partie;

[29]       L'article 97 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

(a) for the management of the Service;

(b) for the matters described in section 4; and

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

            a) la gestion du Service;

b) les questions énumérées à l'article 4;

c) toute autre mesure d'application de cette partie et des règlements.

                       

[30]       Les dispositions du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pertinentes en l'espèce sont les suivantes :

[31]       L'article 94 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

94. (1) Subject to subsection (2), the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize, in writing, that communications between an inmate and a member of the public, including letters, telephone conversations and communications in the course of a visit, be opened, read, listened to or otherwise intercepted by a staff member or a mechanical device, where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

(a) that the communications contain or will contain evidence of

(i) an act that would jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) a criminal offence or a plan to commit a criminal offence; and

(b) that interception of the communications is the least restrictive measure available in the circumstances.

(2) No institutional head or staff member designated by the institutional head shall authorize the opening of, reading of, listening to or otherwise intercepting of communications between an inmate and a person set out in the schedule, by a staff member or a mechanical device, unless the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

(a) that the grounds referred to in subsection (1) exist; and

(b) that the communications are not or will not be the subject of a privilege.

(3) Where a communication is intercepted under subsection (1) or (2), the institutional head or staff member designated by the institutional head shall promptly inform the inmate, in writing, of the reasons for the interception and shall give the inmate an opportunity to make representations with respect thereto, unless the information would adversely affect an ongoing investigation, in which case the inmate shall be informed of the reasons and given an opportunity to make representations with respect thereto on completion of the investigation.

94. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut autoriser par écrit que des communications entre le détenu et un membre du public soient interceptées de quelque manière que se soit par un agent ou avec un moyen technique, notamment que des lettres soient ouvertes et lues et que des conversations faites par téléphone ou pendant les visites soient écoutées, lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire :

a) d'une part, que la communication contient ou contiendra des éléments de preuve relatifs :

(i) soit à un acte qui compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(ii) soit à une infraction criminelle ou à un plan en vue de commettre une infraction criminelle;

b) d'autre part, que l'interception des communications est la solution la moins restrictive dans les circonstances.

(2) Ni le directeur du pénitencier ni l'agent désigné par lui ne peuvent autoriser l'interception de communications entre le détenu et une personne désignée à l'annexe par un agent ou par un moyen technique, notamment l'ouverture, la lecture ou l'écoute, à moins qu'ils n'aient des motifs raisonnables de croire :

a) d'une part, que les motifs mentionnés au paragraphe (1) existent;

b) d'autre part, que les communications n'ont pas ou n'auront pas un caractère privilégié.

(3) Lorsqu'une communication est interceptée en application des paragraphes (1) ou (2), le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui doit aviser le détenu, promptement et par écrit, des motifs de cette mesure et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet, à moins que cet avis ne risque de nuire à une enquête en cours, auquel cas l'avis au détenu et la possibilité de présenter ses observations doivent être donnés à la conclusion de l'enquête.

[32]       L'article 95 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

95. (1) The institutional head or a staff member designated by the institutional head may prevent an inmate from communicating with a person by mail or telephone if

(a) the institutional head or staff member believes on reasonable grounds that the safety of any person would be jeopardized; or

(b) the intended recipient of the communication, or the parent or guardian of the intended recipient where the intended recipient is a minor, submits a request in writing to the institutional head or staff member that the intended recipient not receive any communication from the inmate.

(2) Where an inmate is prevented under subsection (1) from communicating with a person, the institutional head or staff member designated by the institutional head, as the case may be, shall promptly inform the inmate, in writing, of the reasons and shall give the inmate an opportunity to make representations with respect thereto.

95. (1) Le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut empêcher le détenu de communiquer, par lettre ou par téléphone, avec quiconque lorsque, selon le cas :

a) il a des motifs raisonnables de croire que la sécurité de quiconque serait menacée;

b) le destinataire, ou le père, la mère ou le tuteur du destinataire, si celui-ci est mineur, en fait la demande par écrit au directeur du pénitencier ou à l'agent désigné par lui.

(2) Lorsque le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui empêche le détenu de communiquer avec une personne en application du paragraphe (1), il doit aviser le détenu des motifs de cette mesure, promptement et par écrit, et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet.

[33]       L'article 97 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que :

97. (1) The Service shall ensure that each inmate is given, on arrest, an opportunity to retain and instruct legal counsel without delay and that every inmate is informed of their right thereto.

(2) The Service shall ensure that every inmate is given a reasonable opportunity to retain and instruct legal counsel without delay and that every inmate is informed of the inmate's right to legal counsel where the inmate

(a) is placed in administrative segregation; or

(b) is the subject of a proposed involuntary transfer pursuant to section 12 or has been the subject of an emergency transfer pursuant to section 13.

(3) The Service shall ensure that every inmate has reasonable access to

(a) legal counsel and legal reading materials;

            (b) non-legal materials, including

(i) Commissioner's Directives, and

(ii) regional instructions and institutional standing orders, except those relating to security matters; and

(c) a commissioner for taking oaths and affidavits.

97. (1) Le Service doit veiller à ce que, dès son arrestation, le détenu ait la possibilité d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et de lui donner des instructions et que le détenu soit informé de ce droit.

(2) Le Service doit veiller à ce que le détenu ait la possibilité, dans des limites raisonnables, d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et de lui donner des instructions et que le détenu soit informé de ce droit :

a) soit lorsqu'il est mis en isolement préventif;

b) soit lorsqu'il fait l'objet d'un projet de transfèrement imposé en application de l'article 12 ou d'un transfèrement d'urgence, en application de l'article 13.

(3) Le Service doit veiller à ce que le détenu ait accès, dans des limites raisonnables :

a) à un avocat et à des textes juridiques;

b) à des textes non juridiques, y compris :

(i) les Directives du commissaire,

(ii) les instructions régionales et les ordres permanents du pénitencier, sauf ceux qui portent sur les questions de sécurité;

c) à un commissaire aux serments.

ANALYSE

Prorogation des délais

[34]       Les défendeurs prétendent que les demandeurs ont déposé leur avis de requête introductif d'instance en dehors du délai de trente (30) jours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[35]       L'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que :

Application for judicial review

Time limitation

18.1(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

Demande de contrôle judiciaire

Délai de présentation

18.1(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

[36]       Les demandeurs prétendent que le délai prévu pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire commence le 15 août 1997, date à laquelle les défendeurs ont communiqué aux demandeurs leur décision de mettre en service le système téléphonique Millennium dans les pénitenciers de la Colombie-Britannique.

[37]       Les demandeurs font également valoir que les renseignements concernant le système téléphonique Millennium leur ont été distillés sur une période de plusieurs mois. Ils relèvent que la Directive du commissaire no 085 a été modifiée le 5 septembre 1997, c'est-à-dire le jour après que les demandeurs eurent déposé leur avis de requête introductif d'instance.

[38]       J'estime que la décision de mettre en service le système téléphonique Millennium dans l'ensemble du pays a créé une situation se prolongeant dans le temps et j'estime également que la correspondance échangée par les parties explique le retard intervenu dans le dépôt de l'avis de requête introductif d'instance. Il a été démontré que les parties avaient convenu de remettre à plus tard le dépôt de la présente demande, en attendant qu'une décision intervienne dans l'affaire Hunter.

[39]       Les demandeurs affirment que la demande de contrôle judiciaire a en l'espèce été déposée dans les trente jours suivant la dernière décision communiquée aux demandeurs en ce qui concerne l'entrée en service du système téléphonique Millennium.

[40]       Quoi qu'il en soit, j'estime qu'au regard de la jurisprudence de la Cour[2], les demandeurs ont satisfait aux conditions qu'exige une prorogation des délais si tant est qu'une telle prorogation soit nécessaire.

[41]       Les demandeurs ont en l'espèce démontré, par leurs griefs et les lettres adressées aux autorités, leur intention constante d'intenter des procédures contre les défendeurs.

[42]       Pour dire s'il y a lieu ou non d'accorder une prorogation des délais, la Cour doit décider si les arguments invoqués sont défendables. Or, j'ai déjà décidé, dans le cadre de la demande d'injonction interlocutoire, que l'affaire posait effectivement une question méritant d'être tranchée.

[43]       Les demandeurs ont démontré leur intention de contester la décision de mettre en service le système téléphonique Millennium dans la région du Pacifique dès qu'ils eurent connu les premiers détails de ce projet. Le dossier est soutenable et il est dans l'intérêt de la justice d'accorder une prorogation des délais. Cette prorogation n'entraîne aucun préjudice pour les défendeurs.

La Charte canadienne des droits et libertés

Article 32

[44]       Avant de me pencher sur les questions ayant trait à la Charte, je dois examiner la thèse des défendeurs, selon laquelle il ne s'agit pas en l'espèce d'une décision susceptible d'être contestée au regard de la Charte.

[45]       Selon les défendeurs, les détenus ne sauraient invoquer le droit de disposer, pour leurs appels locaux, de téléphones publics gratuits et, cela étant, le Service correctionnel du Canada est en droit de supprimer ce système.

[46]       Selon les défendeurs, ce problème précis ne relève aucunement du gouvernement, qui n'a aucune prise sur lui car le prix des services locaux est fixé par la compagnie téléphonique avec l'aval du CRTC.

[47]       Selon les défendeurs, le fait, en l'espèce, de ne pas fournir aux détenus un tel système téléphonique constitue, de la part du gouvernement, une inaction, ce qui n'est nullement prévu dans la Charte. Ils se fondent pour cela sur le jugement rendu en Division générale de la Cour dejustice de l'Ontario par le juge O'Driscoll qui, dans l'affaire Masse[3], a déclaré au nom des juges majoritaires :

[traduction]

            « Conclusion

            [1] Les demandeurs se plaignent, en l'espèce, de la pauvreté et de l'inaction gouvernementale, faisant valoir l' « insuffisance » de l'aide sociale générale et des prestations familiales. Mais, en l'absence des prestations d'aide sociale, même réduites, les demandeurs se trouveraient confrontés à un problème encore plus grave en raison du montant des loyers et du coût des aliments, deux secteurs qui ne relèvent pas du gouvernement.

            J'estime que les règlements contestés en l'espèce n'ont pas pour effet d'accroître mais au contraire de soulager les charges des demandeurs (d'une manière, il est vrai, qui ne les satisfait pas). J'estime donc que ce dont se plaignent les demandeurs c'est de l'inaction gouvernementale et non pas d'une action gouvernementale au sens de l'article 32 de la Charte. L'inaction gouvernementale ne saurait faire l'objet d'une contestation fondée sur les dispositions de la Charte.

                        Article 32.(1) La présente charte s'applique

          a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

          b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

                        Voir :

     McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, à la page 318.

     Adler c. Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 1, 18 (C.A. Ont.)

     En l'espèce, la plainte ne porte pas en réalité sur l'action gouvernementale mais sur l'inaction gouvernementale qui, en l'occurrence, ne saurait faire l'objet d'une contestation fondée sur des dispositions de la Charte.

            [2] J'estime que l'article 7 n'accorde aux demandeurs aucune garantie juridique de percevoir un minimum au titre de l'aide sociale. La législature pourrait abroger les lois sur l'aide sociale (LPF et LASG); il ne fait aucun doute que le lieutenant-gouverneur en conseil a toute compétence pour accroître ou diminuer les niveaux de l'aide sociale.[...] »

[48]       Ce n'est pas dire qu'il y ait eu en l'occurrence inaction gouvernementale. En l'espèce, le gouvernement a mis en oeuvre une politique positive fondée sur des considérations de sécurité. Je n'entends donc pas trancher cette affaire sur la base de ce motif, mais passer plutôt à l'analyse des arguments développés à l'audience par les demandeurs sur le fondement de la Charte.

[49]       Les défendeurs ont également fait valoir qu'il s'agissait en l'espèce d'une question d'ordre économique et que la Charte n'offre aucune garantie en matière de droits économiques. Les demandeurs ont, cependant, soulevé d'autres questions méritant d'être examinées par la Cour.

[50]       Les demandeurs ont invoqué des arguments fondés sur l'article 9 de la Charte dans leur avis de requête introductif d'instance mais ne les ont pas développés à l'audience. Leur revendication sur ce point est donc rejetée.

Article 7

[51]       Les demandeurs font valoir que la décision des défendeurs de mettre en service le système téléphonique Millennium nuit à leur droit d'être transférés dans un établissement d'un moindre niveau de sécurité et de planifier leur libération, et que cette décision a pour effet de prolonger leur période d'incarcération sans qu'interviennent des procédures équitables, contrairement au devoir d'équité qu'impose la common law, contrairement aussi aux principes de justice naturelle ainsi qu'à l'article 7 de la Charte.

[52]       Pour eux, le fait de pouvoir moins facilement placer des appels téléphoniques locaux les gênera dans l'établissement et le maintien de liens positifs avec leurs familles et, plus largement,


avec la collectivité et nuira à leurs efforts pour réintégrer la société en tant que citoyens respectueux des lois.

[53]       Dans l'affaire Operation Dismantle Inc.[4], la Cour suprême du Canada a décidé que la violation d'un droit protégé par la Charte ne peut pas être purement éventuelle. Se prononçant au nom de la majorité, le juge Dickson a déclaré à la p. 449 :

Dans les motifs qu'elle a rédigés, madame le juge Wilson résume ainsi les principes pertinents [à la p. 486] :

Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s'ils révèlent une cause raisonnable d'action, c.-à-d. une cause d'action « qui a quelques chances de succès » (Drummond Jackson v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme dit le juge Le Dain dans l'arrêt Dowson c. Gouvernement du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est-il « évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir » ?

Je conviens avec le juge Wilson qu'indépendamment du fondement qu'invoquent les appelants pour faire valoir leur demande de jugement déclaratoire ­- que ce soit le par. 24(1) de la Charte, l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou la common law­ - ils doivent à tout le moins être à même de démontrer qu'il y a menace de violation, sinon violation réelle, de leurs droits garantis par la Charte.

En bref donc, pour que les appelants aient gain de cause dans ce pourvoi, ils doivent montrer qu'ils ont quelques chances de prouver que l'action du gouvernement canadien a porté atteinte à leurs droits en vertu de la Charte ou menace de le faire.

[54]       Sur ce point, les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer qu'ils risquaient réellement de voir violer les droits que leur garantit l'article 7 de la Charte. Les arguments développés par les demandeurs à l'appui de leur thèse sont purement hypothétiques et ne reposent pas sur des faits.

[55]       J'estime qu'en soi la mise en service du système téléphonique Millennium n'est pas contraire à l'article 7 de la Charte. Ainsi que le font valoir les défendeurs, le principal problème en l'espèce est de nature économique, c'est-à-dire le coût des appels locaux placés dans le cadre du système téléphonique Millennium.

[56]       Dans l'affaire Irwin Toy Ltd[5], la Cour suprême du Canada a décidé que la Charte ne confère aucune protection en matière économique :

À notre avis, l'exclusion intentionnelle de la propriété de l'art. 7 et son remplacement par la « sécurité de sa personne » a un double effet. Premièrement, cela permet d'en déduire globalement que les droits économiques, généralement désignés par le terme « propriété » , ne relèvent pas de la garantie de l'art. 7. Cela ne signifie pas cependant qu'aucun droit comportant un élément économique ne peut être visé par l'expression « sécurité de sa personne » . Les tribunaux d'instance inférieure ont conclu que la rubrique des « droits économiques » couvre un vaste éventail d'intérêts qui comprennent tant certains droits reconnus dans diverses conventions internationales - tels la sécurité sociale, l'égalité du salaire pour un travail égal, le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats - que les droits traditionnels relatifs aux biens et aux contrats. Ce serait agir avec précipitation, à notre avis, que d'exclure tous ces droits alors que nous en sommes au début de l'interprétation de la Charte. À ce moment-ci, nous ne voulons pas nous prononcer sur la question de savoir si ces droits économiques, fondamentaux à la vie de la personne et à sa survie, doivent être traités comme s'ils étaient de la même nature que les droits économiques des sociétés commerciales. Ce faisant, nous concluons que l'inclusion de l'expression « sécurité de sa personne » à l'art. 7 a comme deuxième effet de n'accorder aucune protection constitutionnelle aux droits économiques d'une société.

[57]       Dans son ouvrage Constitutional Law of Canada, 3e édition (suppl.) (1992), aux pages 44-9 et 44-10, le professeur Peter Hogg, au sujet de la « fenêtre » percée par la Cour suprême du Canada sur la question de savoir si l'article 7 de la Charte garantit des droits économiques essentiels à la vie ou à la survie des être humains, écrivait [traduction] « Ainsi que l'avait fait remarquer Oliver Wendell Holmes, il s'agit là de questions qui font perdre ou gagner des élections; pour intervenir dans ce domaine, le juge a besoin d'un mandat explicite, ce que ne lui donne pas l'article 7 » .

[58]       Ayant conclu qu'il n'a pas été porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des demandeurs, tel que garanti par la Charte, il n'y a pas lieu de procéder à l'étape suivante prévue à l'article 7, c'est-à-dire à la question de savoir si cette atteinte aurait été contraire aux principes de justice fondamentale.

[59]       La mise en service du système téléphonique Millennium n'entraîne, ainsi que l'a établi le juge McLachlin dans l'affaire Cunningham c. Canada[6], aucun changement substantiel dans les conditions d'incarcération des détenus :

La Charte n'assure pas une protection contre les restrictions insignifiantes ou « négligeables » à l'égard des droits: R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 759 (le juge en chef Dickson); R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, à la p. 314; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, à la p. 259; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 168 et 169. Il en découle que la restriction de l'attente d'un détenu en matière de liberté ne fait pas nécessairement intervenir l'application de l'art. 7 de la Charte. La restriction doit être suffisamment importante pour justifier une protection constitutionnelle. Exiger que toutes les modifications apportées à la manière dont une peine est purgée soient conformes aux principes de justice fondamentale aurait pour effet de banaliser les protections conférées par la Charte. Selon le juge Lamer dans l'arrêt Dumas, précité, à la p. 464, il doit y avoir une « modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté » .

L'alinéa 10b)

[60]       D'après les éléments présentés devant la Cour, la décision de mettre en service le nouveau système téléphonique n'entraîne aucune atteinte à l'alinéa 10b) de la Charte. C'est pure conjecture que d'affirmer que cette décision entraînerait effectivement une violation des droits en question. Toute allégation en ce sens devrait être examinée au cas par cas.

[61]       Il ressort du dossier que les pénitenciers ont adopté des politiques précises visant à assurer que les détenus auront accès au téléphone et que leurs droits seront protégés.

[62]       Cela étant, je ne peux conclure à une atteinte à l'alinéa 10b).

L'article 15

[63]       Les demandeurs prétendent qu'en mettant en service le système téléphonique Millennium, les défendeurs agiront sans compétence, ou en outrepassant celle-ci, puisqu'ils opéreront une discrimination à l'encontre des demandeurs qui n'ont pas les moyens d'acquitter les frais supplémentaires du nouveau système en raison de leur appartenance à une tranche socio-économique défavorisée. Ils estiment qu'en cela la décision est contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[64]       Les demandeurs prétendent qu'au regard de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, les détenus constituent un groupe analogue, c'est-à-dire le groupe des « prisonniers et/ou détenus pauvres » . À titre de preuve, ils invoquent l'analyse de M. Michael Jackson, professeur de droit à l'Université de Colombie-Britannique et spécialiste des droits des Autochtones et des détenus[7].

[65]       Ils prétendent que de nombreuses études, enquêtes et textes universitaires démontrent qu'il y a, au sein de la population carcérale du Canada, surreprésentation des pauvres et des autres groupes socialement défavorisés.

[66]       Ils prétendent que le système téléphonique Millennium aura un effet disproportionné sur les prisonniers pauvres par rapport aux prisonniers dont la famille peut se permettre de payer 1,75 $ par appel téléphonique ou aux prisonniers qui ont les moyens de rembourser leurs familles et leurs amis pour les frais ainsi occasionnés.

[67]       Les proches de certains demandeurs ont fait, sur ce point, des déclarations sous serment, affirmant qu'ils s'entretiennent plusieurs fois par jour avec leurs proches qui sont incarcérés afin de maintenir des liens bienfaisants. Même au rythme d'un seul coup de téléphone par jour, il leur en coûtera environ 50 $ par mois pour accepter de recevoir un appel quotidien d'un proche incarcéré. Or, cela est impossible étant donné le montant de l'aide sociale actuellement accordé en Colombie-Britannique.

[68]       S'il en coûte 1,75 $ l'appel pour recevoir les coups de téléphone des demandeurs en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec ce coût n'est que de 0,75 $ plus taxes. En moyenne, les prisonniers en Colombie-Britannique sont moins payés que les personnes incarcérées en Ontario et au Québec et elles sont moins à même de rembourser leurs proches et leurs amis pour les appels à frais virés.

[69]       Il a été avancé devant la Cour que les détenus pauvres de la région du Pacifique souffrent des stéréotypes et des préjugés sociaux et que, depuis longtemps, ils sont défavorisés par l'histoire et victimes de préjugés politiques. Ils estiment avoir été l'objet de discrimination pour des motifs analogues aux motifs de discrimination énumérés à l'article 15. En général, les détenus risquent de faire l'objet de préjugés politiques et sociaux. En tant que sous-groupe, les détenus de la région du Pacifique gagnent moins d'argent et payent plus cher que les prisonniers détenus ailleurs au Canada leurs articles de toilettes et autres marchandises.

[70]       Il a même été dit que, dans la région du Pacifique, l'utilisation du système téléphonique Millennium a entraîné depuis sa mise en service une restriction de l'accès que les détenus ont à leurs proches, à leurs amis et à leurs avocats, uniquement du fait que les détenus ne sont pas en mesure de payer les frais exorbitants du système téléphonique Millennium qui ne permet que de placer des appels à frais virés.

[71]       Les défendeurs affirment pour leur part que la plainte déposée soulève deux autres questions. D'abord, les personnes les plus touchées par les frais de téléphone, c'est-à-dire les personnes qui reçoivent les appels téléphoniques locaux, ne sont pas parties à la présente instance. Deuxièmement, en ce qui concerne le coût : le coût des appels locaux ne relève aucunement du SCC mais, plutôt, du CRTC et de BC Tel.

[72]       Les demandeurs ont reconnu qu'ils n'invoqueraient pas la violation des droits que leur garantit l'article 15 si on ne leur facturait que 25 ¢ les appels locaux ou si on leur permettait d'utiliser une carte de débit.

[73]       Les défendeurs font pour leur part valoir que, cela étant, il s'agit d'une question d'ordre économique alors que la Charte canadienne des droits et libertés ne se prononce aucunement sur les droits économiques.

[74]       Ainsi que le juge MacKay l'a noté dans l'affaire Forrest c. Canada (Solliciteur général)[8], en matière de violation de l'article 15 de la Charte, le critère qui s'applique a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Andrews c. Law Society of British-Columbia[9], et interprété depuis par la Cour dans l'affaire Miron c. Trudel[10]. La démarche à deux volets retenue par quatre juges dans l'affaire Miron a depuis été adoptée par une Cour suprême unanime dans l'arrêt Benner c. Canada (Secrétariat d'État)[11]. Plus récemment, la Cour, à la majorité, s'est prononcée sur l'article 15 dans le cadre de l'arrêt Vriend c. Alberta[12] :

Les exigences essentielles établies dans ces affaires sont respectées si l'on se demande premièrement s'il y a une distinction entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi ou dans la loi ou la négation du droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi et, deuxièmement, si cette négation constitue une discrimination fondée sur un motif énuméré au par. 15(1) ou sur un motif analogue.

[75]       Le sens qu'il convient d'attribuer à la discrimination telle que décrite par le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews est le suivant :

J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.[13]

[76]       En fonction des éléments produits devant la Cour, je ne suis pas persuadé que les demandeurs se sont vu refuser la même protection et le même bénéfice de la loi tel que cela leur est garanti par l'article 15 de la Charte.

[77]       Ainsi que la Cour l'a relevé plus haut, les demandeurs reconnaissent qu'ils n'invoqueraient pas la violation des droits que leur garantit l'article 15 si les appels téléphoniques locaux coûtaient 25 ¢ ou s'ils avaient la possibilité de les placer au moyen d'une carte de débit.

[78]       En ce qui concerne la situation qui prévaut dans les pénitenciers, il semble que, dans certains cas, les détenus peuvent utiliser les téléphones de l'administration.

[79]       En ce qui concerne la seconde exigence, c'est-à-dire la question de savoir « si cette négation constitue une discrimination fondée sur un motif énuméré au par. 15(1) ou sur un motif analogue » , je ne suis pas persuadé que la discrimination dont font état les demandeurs est « fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus » .

[80]       Il ressort des éléments produits devant la Cour concernant la situation des « pauvres » dans les pénitenciers, que la distinction qui est faite en l'espèce, et qui découle de la Directive du commissaire contestée en l'occurrence, est liée à la situation économique des détenus.

[81]       Dans le cadre d'une opinion dissidente exposée dans l'arrêt Egan c. Canada[14], le juge l'Heureux-Dubé a rappelé que :

« Ainsi que je l'ai signalé précédemment, la Charte n'est pas un document de droits et de libertés économiques. Elle ne protège les « droits économiques » que lorsqu'il est nécessaire de le faire pour protéger la valeur et la dignité de la personne. »

[82]       J'estime, en l'espèce, que le droit économique n'est pas nécessaire à la protection d'un autre droit directement lié à la valeur et à la dignité de la personne humaine.

[83]       Il semble bien que les détenus conservent le droit d'utiliser le téléphone pour communiquer avec leur famille. En tout état de cause, ils continuent à pouvoir recevoir et envoyer des lettres et à recevoir des visiteurs.

[84]       Je reconnais qu'en Colombie-Britannique les frais d'utilisation du système téléphonique Millennium sont plus élevés pour les détenus et leurs familles que dans d'autres parties du pays mais je ne suis pas persuadé que le tarif de 1,50 $ ou 1,75 $ par appel soit exorbitant au point de constituer un obstacle aux contacts. Il est possible que ce tarif impose une baisse du nombre des coups de téléphone ou une augmentation des visites ou du courrier. À l'heure actuelle, et compte tenu des considérations de sécurité, je ne suis pas disposé à dire que le tarif de 1,50 $ ou 1,75 $ l'appel est prohibitif.

[85]       Outre que la situation économique d'un groupe de personnes ne constitue pas un motif relatif à des caractéristiques personnelles, je dois également conclure que le groupe décrit comme étant un groupe de « pauvres prisonniers » n'est pas un groupe analogue au regard de l'article 15 de la Charte.

[86]       En faisant valoir que les « pauvres » constituent un groupe analogue au regard de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, le demandeur se fondait sur un arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique[15]selon lequel les prestataires d'un complément de revenu constituent une minorité discrète et insulaire au regard de l'article 15 de la Charte.

[87]       Qu'il me soit permis de dire que je ne partage pas la décision du juge Parrett lorsque celui-ci déclare :

[traduction]

Au vu du critère permettant de préciser la portée de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, il est clair que les personnes bénéficiant d'un complément de revenu constituent une minorité discrète et insulaire au regard de l'article 15. On peut raisonnablement conclure que les prestataires de l'aide sociale n'ayant en général guère d'influence politique, ils constituent, au sein de la société, « ces groupes que les élus ne semblent avoir ni la nécessité ni la volonté de prendre en compte » [16].

[88]       J'adopte, plutôt, l'analyse développée dans l'affaire Masse[17]par le juge O'Driscoll de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) :

[traduction]

            g) L'article 15 de la Charte protège les minorités discrètes et insulaires. Il ne protège pas les groupes disparates et hétéroclites.

            L'affidavit de Gerard Kennedy démontre que la catégorie des prestataires de l'aide sociale est hétérogène et que leur statut ne constitue pas une caractéristique personnelle aux fins du paragraphe 15(1) de la Charte. Cette catégorie n'est fondée ni sur les mérites ni sur la capacité. Les statistiques démontrent qu'il ne s'agit pas d'une catégorie immuable.

            J'estime que les personnes qui bénéficient de l'aide sociale ne constituent pas, aux fins du paragraphe 15(1), un groupe protégé énuméré ou un groupe analogue.

           

            J'estime que la pauvreté englobe beaucoup plus de personnes que celles bénéficiant de l'aide sociale.

            Ayant conclu que les demandeurs ne forment pas un groupe analogue protégé au regard du paragraphe 15(1) de la Charte, il n'y a pas lieu d'examiner les autres arguments invoquant cette disposition.

[89]       Il convient de préciser que s'il est difficile en l'espèce de déceler un motif relatif à des caractéristiques personnelles, c'est essentiellement parce que la distinction en cause est fondée sur la situation de proches qui ne sont pas à même d'accepter les appels à frais virés. On peut facilement imaginer une situation où le détenu est pauvre mais où sa famille a les moyens financiers lui permettant d'accepter les appels à frais virés. En pareille situation, il ne serait pas possible d'affirmer que la Directive du commissaire no 085 opère une distinction en fonction de la situation économique des détenus.

[90]       En fait, la discrimination dont il est fait état en l'espèce dépend plus de la situation financière des personnes auxquelles sont destinés les appels téléphoniques du détenu qu'à la situation financière propre à ce dernier.

[91]       Quoi qu'il en soit, je rappelle la position qui est celle de la Cour et selon laquelle les prisonniers et/ou les détenus ne constituent pas un groupe analogue aux fins de l'article 15 de la Charte, comme la Cour l'a d'ailleurs précisé dans l'affaire Sauvé c. Canada (Directeur général des élections)[18] :

« Les prisonniers, en tant que catégorie, n'ont généralement pas été considérés comme un groupe analogue aux termes de l'article 15 de la Charte. Dans l'arrêt Jackson c. Pénitencier de Joyceville, précité, aux pages 111 à 113, le juge MacKay a statué que les prisonniers ne constituaient pas un groupe analogue visé par l'article 15. Dans cette affaire, la Cour a examiné l'article 41 du Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C., ch. 1251 (mod. par DORS/80-462, art. 1)], qui prévoyait un traitement différent des détenus comparativement à celui qui était réservé à d'autres personnes au Canada. Le juge MacKay a décidé que la disposition attaquée n'établissait pas à l'encontre des détenus une discrimination fondée sur des motifs analogues. Il a même précisé que l'article 15 n'était pas en jeu dans cette affaire, parce que le traitement différent des détenus comme groupe découlait, non pas de leurs caractéristiques personnelles, mais de leur conduite antérieure qui s'est traduite par des crimes à l'encontre de la société.

L'article premier

[92]       C'est dans l'arrêt RJR MacDonald Inc[19]que l'on trouve, dans le cadre de l'analyse à laquelle se livre le juge McLachlin, le plus récent exposé de la Cour suprême sur le critère applicable au regard de l'article premier de la Charte.

[93]       Le juge McLachlin se livra à un examen des facteurs à retenir pour dire si une loi qui porte atteinte à certains droits constitutionnels est néanmoins « raisonnable » et si « la justification [de cette atteinte] [peut] se démontrer » :

Si l'objectif d'une loi qui restreint les droits garantis par la Constitution n'est pas suffisamment important, l'atteinte ne peut être ni raisonnable ni justifiée. De même, si le bien visé par la loi perd de son importance par rapport à la gravité de l'atteinte aux droits qui s'ensuit, on ne peut considérer que cette loi soit raisonnable ou justifiée.

                                                                           [...]

Premièrement, pour qu'une disposition puisse être sauvegardée en vertu de l'article premier, la partie qui défend la loi (en l'espèce le procureur général du Canada) doit établir que la loi qui porte atteinte au droit ou à la liberté garantis par la Charte est « raisonnable » . En d'autres termes, la mesure attentatoire doit être justifiable par application de la raison et de la rationalité. La question n'est pas de savoir si la mesure est populaire ou compatible avec les sondages d'opinion publique. Elle est plutôt de savoir si cette mesure peut être justifiée par l'application du processus de la raison. Dans le contexte juridique, la raison comporte la notion d'inférence à partir de la preuve ou des faits établis. Il ne s'agit pas d'éliminer le rôle de l'intuition, ni d'exiger chaque fois une preuve répondant aux normes scientifiques, mais bien d'insister sur une défense rationnelle et raisonnée.

                                                                           [...]

Deuxièmement, pour s'acquitter du fardeau que lui impose l'article premier de la Charte, l'État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à l'intérieur de limites « dont la justification puisse se démontrer » . Le choix de l'expression « puisse se démontrer » est important. Il ne s'agit pas de procéder par simple intuition, ou d'affirmer qu'il faut avoir de l'égard pour le choix du Parlement. Il s'agit d'un processus de démonstration. Cela renforce la notion propre au terme « raisonnable » selon laquelle il faut tirer une inférence rationnelle de la preuve ou des faits établis.

                                                                           [...]

Si important que puisse sembler l'objectif du Parlement, si l'État n'a pas démontré que les moyens qu'il utilise pour atteindre son objectif sont raisonnables et proportionnels à la violation des droits, la loi doit alors par nécessité être déclarée non valide.

[94]       Le juge McLachlin se livre ensuite à l'examen du facteur à retenir aux fins de l'article premier :

Les facteurs énoncés dans l'arrêt Oakes demeurent les facteurs généralement pertinents pour déterminer si une limite prévue dans une loi est une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Premièrement, l'objectif de la loi qui restreint un droit ou une liberté garantis par la Charte doit être suffisamment important pour justifier sa suppression. Deuxièmement, les moyens choisis pour atteindre cet objectif doivent être proportionnels à l'objectif et à l'effet de la loi -- en bref, proportionnels au bien qu'elle vise. Dans la détermination de la proportionnalité, il faut tenir compte de trois points: les mesures choisies doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif; elles doivent restreindre aussi peu que cela est raisonnablement possible le droit ou la liberté garantis (atteinte minimale), et il doit exister une proportionnalité globale entre les effets préjudiciables des mesures et les effets salutaires de la loi.

                                                                           [...]

Bref, l'évaluation en vertu de l'article premier est un exercice fondé sur les faits de la loi en cause et sur la preuve de sa justification, et non sur des abstractions.

[95]       Elle ajoute :

Il ne faudrait pas annuler une limite prescrite par une règle de droit tout simplement parce que le tribunal peut concevoir une autre solution qui lui semble moins restrictive.

[96]       Elle conclut :

Le Parlement a son rôle : choisir la réponse qui convient aux problèmes sociaux dans les limites prévues par la Constitution. Cependant, les tribunaux ont aussi un rôle : déterminer de façon objective et impartiale si le choix du Parlement s'inscrit dans les limites prévues par la Constitution.

[97]       En ce qui concerne la norme de preuve, elle déclare :

Comme l'établit la jurisprudence relative à l'article premier, la norme de preuve qui convient, à toutes les étapes de l'analyse de la proportionnalité, est celle qui s'applique en matière civile, c'est-à-dire la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[98]       En l'occurrence, j'estime qu'il n'y a pas lieu de se livrer à une analyse approfondie de l'application en l'espèce de l'article premier de la Charte et j'admets, en raison des éléments produits devant la Cour, que la mise en service du nouveau système téléphonique est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique aux fins de l'article premier de la Charte. L'objectif visé par ce système est suffisamment important et les moyens employés sont proportionnés.

Dispositions légales

[99]       Les demandeurs faisaient valoir que, contrairement à l'article 74 de la LSCMLC, les détenus n'ont pas eu la possibilité de présenter leurs observations avant l'entrée en service du nouveau système téléphonique.

[100]     Mais, l'obligation légale de consulter les détenus, inscrite dans cet article, est limitée et ne s'applique pas aux décisions touchant des questions de sécurité. J'estime, en l'occurrence, que les défendeurs n'étaient pas tenus de consulter les détenus avant de mettre en service le système téléphonique Millennium.

[101]     De plus, il ressort des éléments produits devant la Cour, que les défendeurs ont essayé de faire participer autant de détenus que possible à la mise en service du système, en consultant des comités de détenus afin de savoir quels étaient les numéros de téléphone qui devraient figurer sur la liste des numéros d'accès général.

[102]     Il a également été démontré devant la Cour que le responsable du comité des détenus avait envoyé une lettre aux autorités, soulevant un certain nombre de problèmes et expliquant la position du comité concernant l'entrée en service du système dans la région du Pacifique. Ilressort des éléments produits devant la Cour que le comité a reçu une réponse du Service correctionnel du Canada.

[103]     Les demandeurs ont invoqué une décision rendue par le juge Rothstein dans l'affaire Comité des détenus de l'établissement Williams Head c. Canada (Service correctionnel) (1993)[20], affaire dans laquelle le pénitencier avait décidé, sans procéder à des consultations, de mettre fin à un programme universitaire. Contrairement à ce qu'il en est en l'espèce, il s'agissait d'une question ayant trait à l'éducation. En l'occurrence, il s'agit d'une question de sécurité, ainsi que M. Montminy l'a expliqué dans son affidavit.

[104]     Le paragraphe 71(1) de la LSCMLC, l'article 95 du RSCMLC et la Directive du commissaire no 085 ne contiennent aucune disposition obligeant les défendeurs à offrir aux détenus la possibilité de faire gratuitement des appels téléphoniques locaux.

[105]     La mise en service du système n'est aucunement contraire à l'article 95 du RSCMLC. Cette disposition ne porte pas uniquement sur l'accès au téléphone mais sur la communication avec une personne. Le système téléphonique Millennium n'empêche pas de contacter les gens par courrier.

[106]     La Directive du commissaire no 085 n'empêche pas les détenus de placer des appels téléphoniques.

[107]     J'estime que la décision de mettre en service le système téléphonique Millennium n'autorise ni n'entraîne l'interception ou le blocage des communications, sauf dans les cas correspondant aux critères prévus aux articles 94 et 95 du RSCMLC.


[108]     J'en conclus que la décision de mettre en service le système téléphonique Millennium n'est pas contraire au RSCMLC.

CONCLUSION          

[109]     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

                                                                                                                 J. Richard

                                                                                                    ____________________________

                                                                                                                               Juge en chef adjoint          

Ottawa (Ontario)

Le 10 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-1945-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :GORDON ALCORN, ET AUTRES

ET

LE COMMISSAIRE DU SERVICE

CORRECTIONNEL ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :LE 24 SEPTEMBRE 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE EN CHEF ADJOINT RICHARD

DATE :LE 10 MARS 1999

ONT COMPARU :

Mme Sasha PawliukPOUR LES DEMANDEURS

Mme Donnaree NygardPOUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legal Services Society

Abbotsford (Colombie-Britannique)POUR LES DEMANDEURS

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)POUR LES DÉFENDEURS



           [1]Hunter et autres c. Canada (Commissaire du Service correctionnel) et autre, [1997] 3 C.F. 936.

                           [2]Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.); Skycharter Ltd c. Canada (Ministre des Transports), (1997) 125 F.T.R. 307 (1re inst.); Leblanc c.Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81 (1re inst.).

                               

                           [3]Massev. Ontario (Ministère des Services sociaux et communautaires) (1996), 40 Admin. L.R. (2d) 87 (Ct. Div. Ont.).

                           [4]     Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441.

                           [5]     Irwin Toy Ltd.c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 1003.

                           [6]     Cunninghamc. Canada,[1993] 2 R.C.S. 143.

                           [7]     Affidavit de Michael JACKSON, en date du 18 août 1997, dossier des demandeurs, p. 118.

                           [8]     Forrestc. Canada (Solliciteur général), [1998] A.C.F. no 1483.

                           [9]     Andrewsc. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.

                           [10]    Mironc. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418.

                           [11]    Bennerc. Canada (Secrétariat d'État), [1997] 1 R.C.S. 358.

                           [12]    Vriendc. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

                            [13]    Supra, note 9.

                           [14]    Eganc. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

           [15]Federated Anti-Poverty Groups of British Columbiav. British Columbia (Attorney General) (1991), 70 B.C.L.R. (2d) (C.S.C.-B.), à la p. 325.

           [16]        Ibid.à la p. 344.

           [17]        Supra, note 3.

           [18]        Sauvéc. Canada (Directeur général des élections), [1996] 1 C.F. 857 (1re inst.).

           [19]        RJR MacDonald Inc.c. Canada (Procureur général) et autres, [1995] 3 R.C.S. 199.

           [20]Comité des détenus de l'établissement Williams Head c. Canada (Service correctionnel)(1993), 66 F.T.R. 262 (1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.