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     T-323-97

     OTTAWA, LE JEUDI 25 SEPTEMBRE 1997

     EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

E n t r e :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO

     MERCHANTS LTD., EMPRESSA CUBANA DEL TABACO,

     faisant affaires sous la raison sociale de

     CUBATABACO et HABANOS, S.A.,

     demanderesses,

     et

     MARINO NAEINI, faisant affaires sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO & CIGARS et OREX COMMUNICATIONS LTD.,

     faisant affaires sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO & CIGARS,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR la demande présentée par les demanderesses en vue d'obtenir une ordonnance infirmant l'ordonnance prononcée le 2 juin 1997 par le protonotaire adjoint Giles; LECTURE FAITE des pièces versées au dossier; APRÈS AUDITION des avocats de toutes les parties à Toronto (Ontario) le 9 juin 1997 et pour les motifs de l'ordonnance prononcés ce jour :

     REJETTE la demande.

     " James A. Jerome "

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-323-97

E n t r e :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO

     MERCHANTS LTD., EMPRESSA CUBANA DEL TABACO,

     faisant affaires sous la raison sociale de

     CUBATABACO et HABANOS, S.A.,

     demanderesses,

     et

     MARINO NAEINI, faisant affaires sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO & CIGARS et OREX COMMUNICATIONS LTD.,

     faisant affaires sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO & CIGARS,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

     J'ai entendu le 9 juin 1997 à Toronto (Ontario) la présente requête soumise par les demanderesses en vue d'obtenir une ordonnance infirmant l'ordonnance prononcée le 9 juin 1997 par le protonotaire adjoint Giles. À la clôture des débats, j'ai sursis au prononcé du jugement et j'ai précisé que des motifs écrits suivraient.

     Après avoir reçu signification de la déclaration des demanderesses, les défendeurs ont préparé une défense et demande reconventionnelle dans laquelle ils affirment que les demanderesses ont eu un comportement allant à l'encontre de l'article 45 de la Loi sur la concurrence et qu'elles sont en conséquence responsables, aux termes de l'article 36 de cette loi, du préjudice qu'elles ont causé. Les demanderesses ont présenté une requête visant à faire biffer les mentions de la Loi sur la concurrence que l'on trouve dans les actes de procédure des défendeurs au motif que la contravention susmentionnée équivaut à un acte criminel et que, comme aucune instance criminelle n'a été introduite, la Cour ne peut connaître de tels moyens. Le protonotaire adjoint Giles a rejeté cette requête dans les termes suivants :

     [TRADUCTION]         
     Il résulte du rapprochement des articles 36 et 45 de la Loi sur la concurrence que la loi en question ouvre un droit de recours civil pour l'exercice duquel une condamnation criminelle ne constitue pas une condition préalable. En conséquence, les moyens tirés des articles 26, 28 et 29 et de l'alinéa 30c) de la Loi sur la concurrence n'ont pas à être radiés de l'acte de procédure.         

La question qui a été débattue devant moi est celle de savoir si l'article 36 de la Loi sur la concurrence permet à une partie d'engager une action civile pour contravention à l'article 45, indépendamment de toute instance criminelle.

     Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

     36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :         
         a) soit d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI;         
         b) soit du défaut d'une personne d'obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,         
     peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n'a pas obtempéré à l'ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu'elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n'excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l'affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.         
     (2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu du paragraphe (1), les procès-verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré cette personne coupable d'une infraction visée à la partie VI ou l'a déclarée coupable du défaut d'obtempérer à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, ou qui l'a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve contraire, la preuve que la personne contre laquelle l'action est intentée a eu un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI ou n'a pas obtempéré à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l'effet de ces actes ou omissions sur la personne qui intente l'action constitue une preuve de cet effet dans l'action.         
     (3) La Cour fédérale a compétence sur les actions prévues au paragraphe (1).         
     Partie VI         
     45. (1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de cinq ans et une amende maximale de dix millions de dollars, ou l'une de ces peines, quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou un arrangement avec une autre personne :         
         a) soit pour limiter, indûment, les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de négoce d'un produit quelconque;         
         b) soit pour empêcher, limiter ou réduire, indûment, la fabrication ou production d'un produit ou pour en élever déraisonnablement le prix;         
         c) soit pour empêcher ou réduire, indûment, la concurrence dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente, l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un produit, ou dans le prix d'assurances sur les personnes ou les biens;         
         d) soit, de toute autre façon, pour restreindre, indûment, la concurrence ou lui causer un préjudice indu.         

Les demanderesses soutiennent qu'il résulte nécessairement des mots " comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI " que l'on trouve à l'article 36, et de l'accent qui est mis à la partie VI sur les actes criminels, que l'article 36 ne confère pas un droit de recours indépendant et qu'aucune réparation ne peut être demandée en vertu de cet article en l'absence de poursuites criminelles antérieures ou simultanées. L'avocat des demanderesses affirme que, comme l'article 45 porte sur les activités criminelles, un tribunal ne peut conclure à l'existence d'un comportement allant à l'encontre de cet article si aucune condamnation n'a été prononcée.

     L'avocat des défendeurs soutient que l'article 36 n'exige pas qu'il y ait eu une condamnation criminelle. Il invoque deux arrêts au soutien de sa thèse. Dans l'affaire General Motors du Canada Limitée c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, la Cour était appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 36 et, partant, sur la question de savoir s'il n'y avait ouverture à un recours civil que si une condamnation criminelle avait déjà été prononcée. Le juge en chef Dickson, qui écrivait au nom d'une Cour unanime, a examiné toute la Loi et a conclu qu'elle prévoyait des sanctions civiles, administratives et pénales visant à décourager les comportements allant à l'encontre de la libre concurrence. Il a fait remarquer que la loi antérieure ne prévoyait que des sanctions pénales et que les dispositions civiles et administratives avaient été insérées afin que la Loi sur la concurrence dépende moins du droit criminel pour atteindre ses objectifs. Le juge en chef a ensuite cité les motifs prononcés par le juge MacGuigan dans une affaire associée : l'affaire Pilote Ready Mix Inc. et autres c. Rocois Construction Inc., (1985) 8 C.P.R. (3d) 145. Dans cet arrêt, le juge MacGuigan s'est dit d'avis que la Loi " visait manifestement à mettre en place un mécanisme de sanction beaucoup plus complet et efficace qui permette de conjuguer les initiatives publiques et privées en vue d'inciter au respect de la Loi et, le cas échéant, de l'assurer ". Ainsi, l'ancien juge en chef a reconnu que la Loi sur la concurrence avait dépassé l'époque où le droit de la concurrence s'en remettait fortement au droit criminel et avait évolué de telle sorte que des actions civiles pouvaient désormais être engagées pour atteindre des objectifs de principe semblables.

     Bien que le juge Dickson n'ait pas déclaré explicitement que l'article 36 permet d'intenter une action civile indépendante, le fait qu'il a fait siens les motifs exposés par le juge MacGuigan dans l'arrêt Pilote Ready Mix, précité, permet de le penser. Le juge MacGuigan a été moins ambigu lorsqu'il a écrit :

     Cet article confère à toute personne qui a subi un préjudice par suite de la perpétration d'un acte prohibé par la partie V [maintenant la partie VI], le droit d'intenter, en Cour fédérale, indépendamment de toute procédure criminelle, une action en indemnisation contre les auteurs de cet acte.         
                             [Mots non mis en italiques dans l'original.]

Ainsi, il est évident que la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question précise qui m'est soumise en l'espèce et qu'elle s'est prononcée de façon convaincante sur la question. Je ne vois aucune raison d'établir une distinction entre les affaires précitées et la présente espèce.

     L'avocat des demanderesses soutient en outre que le paragraphe 63(7) de la Loi sur la concurrence confère aux cours supérieures de juridiction criminelle la compétence sur les instances introduites en vertu de la partie VI. Il ajoute que la Cour fédérale ne fait pas partie de ces tribunaux et qu'elle n'est donc pas compétente pour trancher les questions prévues aux articles 36 et 45. À mon avis, cet argument contredit le texte même de la Loi. L'article 67 traite de toute évidence de la procédure à suivre relativement aux sanctions pénales prévues par la Loi. Même si elle mentionne l'article 45, la procédure prévue à l'article 36 constitue un recours civil et elle n'est donc pas assujettie à l'article 67. En outre, le paragraphe 36(3) dispose dans les termes les plus nets que la Cour fédérale a compétence sur les questions prévues au paragraphe 36(1). Ce moyen des demanderesses est par conséquent mal fondé.


     Par ces motifs, je ne vois aucune raison d'infirmer la décision rendue le 2 juin 1997 par le protonotaire adjoint Giles. La présente requête est rejetée.

O T T A W A

Le 25 septembre 1997      " James A. Jerome "

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-323-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD. c. MARINO NAEINI et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :          9 juin 1997

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge en chef adjoint le 25 septembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Timothy Lowman                      pour la demanderesse
     Me Sheldon Hamilton                      pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Sim, Hughes, Ashton & McKay                  pour la demanderesse
     Toronto
     Smart & Biggar                          pour les défendeurs
     Vancouver

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