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Date : 20040415

Dossier : T-3197-90

Référence : 2004 CF 574

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER                                

ENTRE :

                                            APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD.

                                                                                                                              demanderesses

                                                                            et

                                       THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

                                                                                                                                  défenderesse

                                                                                                                       Dossier : T-2624-91

ET ENTRE :

                                     THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED et

                                                      GLAXO WELLCOME INC.

                                                                                                                              demanderesses

                                                                            et

                                             INTERPHARM INC. et APOTEX INC.

                                                et ALLEN BARRY SHECHTMAN

                                                                                                                                       défendeurs


                                                                                                                       Dossier : T-2983-93

ET ENTRE :

                                       THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

                                                    et GLAXO WELLCOME INC.

                                                                                                                              demanderesses

                                                                            et

                                                            NOVOPHARM LTD.

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une requête présentée par la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) en vue de faire radier les alinéas 2c)(i) et 2c)(ii) de l'ordonnance rendue par le protonotaire Lafrenière le 11 février 2004 (l'ordonnance).

[2]                La demande d'ordonnance a été formulée le 3 février 2004 lors d'une conférence portant sur la gestion de l'instance convoquée par le protonotaire Lafrenière en vue d'établir l'échéancier de l'instruction d'un renvoi portant sur la détermination du montant des dommages-intérêts dans les présentes instances.


[3]                Après avoir accepté l'échéancier proposé pour la production des exposés des questions en litige et des affidavits de documents, The Wellcome Foundation Limited et Glaxo Wellcome Inc. (Glaxo) ont réclamé le prononcé d'une ordonnance enjoignant à Apotex et d'autres intimées d'inclure certaines catégories précises de documents dans leurs affidavits.

[4]                Malgré l'opposition énergique d'Apotex à la réparation sollicitée, le protonotaire Lafrenière a accédé à la demande de Glaxo et a ordonné notamment ce qui suit :

            c) Les parties devront chacune remettre une liste des documents pertinents au plus tard le vendredi 4 juin 2004. Les documents peuvent être produits sous forme électronique.

(i) Il est expressément ordonné aux défenderesses d'énumérer et de produire tout document établi ou conservé dans le cours normal et habituel des affaires qui atteste la fabrication, l'utilisation, la vente ou autre mode d'aliénation de tout produit contenant de la zidovudine au Canada ou ailleurs entre 1990 (ou la date de première fabrication, si elle est antérieure) et la date des présentes.

(ii) Il est en outre expressément ordonné à Apotex Inc. de produire tout document appartenant à Interpharm Inc. attestant l'acquisition, la fabrication, l'utilisation, la vente ou tout autre mode d'aliénation de tout produit contenant de la zidovudine au Canada ou ailleurs entre 1990 (ou la date de première fabrication, si elle est antérieure) et la date des présentes.


ANALYSE

[5]                Il est de jurisprudence constante que le juge saisi de l'appel d'une décision d'un protonotaire ne peut exercer son propre pouvoir discrétionnaire à la place du protonotaire que s'il conclut que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par ce dernier était « fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits [...] » . Lorsque le protonotaire a « commis une erreur de droit » , le juge saisi de l'appel n'est pas tenu de faire preuve de retenue envers la décision du protonotaire (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F)).

[6]                Apotex affirme que l'ordonnance qui a été rendue était prématurée. En premier lieu, l'exposé des questions en litige n'avait pas encore été versé au dossier, de sorte que les questions à débattre lors du renvoi n'avaient pas encore été circonscrites. En second lieu, la date limite à laquelle les parties doivent produire leurs affidavits n'est que le 4 juin 2004. Selon les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles), c'est à la partie qui produit les documents qu'il incombe de choisir les documents qu'elle entend produire. Je suis d'accord avec l'avocat d'Apotex pour dire que ce volet de l'ordonnance est prématuré.


[7]                L'article 223 des Règles précise bien que c'est à la partie qui signifie l'affidavit de documents qu'il appartient d'en préciser le contenu. L'article 224 impose des obligations tant à l'auteur de l'affidavit qu'à son avocat. L'auteur de l'affidavit est tenu, avant de signer celui-ci, de se renseigner dans la mesure du raisonnable au sujet de toute question en litige dans l'instance. L'avocat est pour sa part tenu de lui expliquer « l'obligation de divulguer tout ce qui est visé à la règle 223 et les conséquences possibles d'un manquement à cette obligation » .

[8]                Dans le jugement Bande indienne de Montana c. Canada, [2001] A.C.F. no 991 (C.F. 1re inst.), le juge Hugessen confirme que les Règles précisent bien que c'est à la partie qui produit les documents qu'il revient d'exprimer le jugement initial sur la pertinence de documents aux fins de production :

Je ne peux pas ne pas commenter l'argument dénué de tout fondement de Sa Majesté selon lequel on ne peut se fier aux demandeurs et àleurs avocats pour l'examen des documents en possession des demandeurs et pour l'expression d'un jugement sur la pertinence de ces documents. À mon avis, les avocats ont droit à leur opinion, mais celle-ci est erronée. La règle est très claire. Elle exige que la partie, avec l'assistance de son avocat, exprime le jugement initial sur la pertinence de documents aux fins de production et que l'avocat certifie l'affidavit de son client en attestant que celui-ci a étécorrectement informé de l'obligation qui lui incombe en vertu des règles.

[9]                 Ainsi, comme l'affidavit de documents n'a pas encore été signifié, il était de toute évidence prématuré de la part du protonotaire Lafrenière de préciser les catégories de documents qu'Apotex devait énumérer et produire en l'espèce.


[10]            Qui plus est, il faut présumer qu'un affidavit de documents comprend une liste complète des documents pertinents et que ce n'est qu'une fois que la partie a soumis son affidavit de documents que la partie qui le reçoit peut chercher à démontrer qu'il est incomplet. À ce moment-là, c'est à la partie qui reçoit l'affidavit qu'il incombe de prouver que le document qu'elle réclame existe, qu'il se trouve en la possession et sous le contrôle de la partie qui a produit l'affidavit et que ce document est utile pour résoudre les questions en jeu (Bande indienne de Montana, précité, Poitras c. Bande indienne de Sawridge, [2001] A.C.F. no 714 (C.F. 1re inst.)).

[11]            Par conséquent, en accédant à la demande formulée par Glaxo en vue d'obtenir la production des documents à cette étape-ci, le protonotaire Lafrenière n'a pas tenu compte de la procédure appropriée à suivre en pareil cas.

[12]            Apotex affirme aussi que le protonotaire Lafrenière a commis une erreur de droit en faisant droit à la demande de Glaxo alors que celle-ci ne lui avait soumis aucune requête en bonne et due forme. Là encore, j'abonde dans le sens d'Apotex.


[13]            Le paragraphe 47(1) des Règles permet à la Cour d'exercer d'office ou sur requête tout pouvoir discrétionnaire que lui confère les Règles. Toutefois, suivant le paragraphe 47(2) des Règles, lorsqu'une disposition des Règles prévoit « l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sur requête, la Cour ne peut exercer ce pouvoir que sur requête » . À cet égard, les articles 225, 227 et 229 des Règles prévoient explicitement que la Cour peut, sur requête, exiger la production d'un affidavit de documents exact et complet si elle est convaincue que l'affidavit de documents produit est inexact ou incomplet.

[14]            Le protonotaire Lafrenière a estimé qu'il était compétent pour rendre une telle ordonnance en vertu des pouvoirs conférés à l'arbitre par les articles 156 et 157 des Règles. En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec lui. En tant que protonotaire chargé de la gestion de l'instance, M. Lafrenière est appelé à se prononcer sur des questions préliminaires qui doivent être tranchées avant la tenue du renvoi lui-même. Ainsi, lors de l'instruction du renvoi, les mesures procédurales appropriées auront déjà été prises, puisque l'exposé des questions en litige et les affidavits de documents auront été versés au dossier et que la question de savoir si l'affidavit est exact et complet aura été résolue.

[15]            Il s'ensuit que, comme le protonotaire n'avait aucun pouvoir discrétionnaire en la matière, les arguments invoqués par Glaxo sur la nécessité d'accorder une certaine latitude au protonotaire pour lui permettre de résoudre les questions interlocutoires et sur le degré élevé de retenue judiciaire à laquelle a droit le protonotaire agissant à titre de juge chargé de la gestion de l'instance ne s'appliquent pas.

[16]               Qui plus est, je conclus que l'ordonnance a pour effet de porter atteinte aux droits d'Apotex. Voici à cet égard les propos qu'a tenus le juge Strayer dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003), 28 C.P.R. (4th) 491 (C.A.F), au paragraphe 13 :


[...] Selon mon interprétation, l'article 385 des règles n'autorise pas un juge responsable de la gestion de l'instance ou un protonotaire, dans les directives nécessaires qu'il donne pour permettre « d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » , à refuser à une partie le droit que lui confère la loi d'obtenir, dans un interrogatoire préalable, des réponses pertinentes à l'égard des questions soulevées dans les actes de procédure. Ce droit n'est pas seulement « théorique » (comme le dit le protonotaire), mais il est expressément prévu à l'article 240 des règles et, à mon avis, les termes généraux de l'alinéa 385(1)a) ou de l'article 3 des règles ne sont pas suffisants pour permettre de passer outre à ce droit spécifique. Je fais également observer que le mot « juste » , qui figure dans ces deux articles des règles sur lesquels s'appuient les intimées et les auteurs des décisions visées, confirme que la justice ne doit pas être subordonnée au caractère expéditif de l'instance. Toute personne qui est partie à une action civile a le droit de formuler en interrogatoire préalable toute question pertinente à l'égard de l'objet du litige : il s'agit d'une question de justice à l'endroit de cette personne, naturellement assujettie au pouvoir discrétionnaire du protonotaire ou du juge de refuser la question dans le cas où elle constitue un abus de procédure pour l'une des raisons mentionnées ci-dessus. Dans la présente affaire, il n'a été tiré aucune conclusion de cette nature. (Soulignement ajouté.)

[17]            Bien que j'estime louables les efforts déployés par le protonotaire Lafrenière pour agir de façon diligente de manière à assurer le bon déroulement du renvoi, le droit d'une partie de formuler des observations et de soumettre des éléments de preuve ne saurait être contrecarré par la volonté de diriger l'instance de la façon la plus simple et la plus expéditive possible. Le souci de sauver du temps ne peut l'emporter sur les droits matériels des parties. À mon avis, l'article 385 des Règles n'a pas pour effet d'attribuer au juge ou au protonotaire responsable de la gestion de l'instance le pouvoir de rendre une ordonnance qui ne peut être prononcée que sur requête, au risque de porter ainsi atteinte au droit d'Apotex de recevoir des observations écrites et de préparer une réponse adéquate à la requête.

[18]            En outre, comme la Cour d'appel fédérale l'a signalé dans l'arrêt Merck, précité, agir ainsi par souci de célérité risque de faire plus de mal que de bien. Ordonner la production de documents avant que l'exposé des questions en litige et que l'affidavit de documents n'aient été déposés et que les parties n'aient eu l'occasion de rationaliser la communication des pièces risque de donner lieu à la production de documents dépourvus de pertinence.

[19]            Pour ces motifs, la requête est accueillie avec dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie avec dépens.

                                                                 « Danièle Tremblay-Lamer »   

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-3197-90

INTITULÉ:               APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD.

et

THE WELLCOME FOUNDATION LTD.

DOSSIER :               T-2624-91

INTITULÉ:               THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED et GLAXO WELLCOME INC.

et

INTERPHARM INC. et APOTEX INC. et ALLEN BARRY SHECHTMAN

DOSSIER :               T-2983-93

INTITULÉ:               THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED et GLAXO WELLCOME INC.

et

NOVOPHARM LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 13 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 AVRIL 2004


COMPARUTIONS:

Andrew Brodkin                                             POUR LES DEMANDERESSES

Jason Markwell                                              POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GOODMANS s.r.l.                                          POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

OGILVY RENAULT                                        POUR LES DÉFENDERESSES

Toronto (Ontario)                                           


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