Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 1997.12.30

     IMM-4812-96

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 30 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

E n t r e :

     ABIODUN AYODELE,

     requérant,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente de demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     FREDERICK E. GIBSON

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     Date : 1997.12.30

     IMM-4812-96

E n t r e :

     ABIODUN AYODELE,

     requérant,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention au sens que le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1 donne à cette expression. Cette décision est datée du 21 novembre 1996.

[2]      Le requérant est citoyen du Nigéria. Il fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur sa présumée crainte justifiée d'être persécuté s'il est obligé de retourner au Nigéria, pour des motifs liés entre eux, à savoir son appartenance à un groupe social déterminé, sa famille et les opinions politiques qui lui sont attribuées.

[3]      Les faits sur lesquels la revendication du requérant est fondée et au sujet desquels le requérant a témoigné peuvent être résumés comme suit. Le père du requérant travaillait au bureau de l'ancien Premier ministre du Nigéria. À la mi-mars 1995, le gouvernement militaire nigérien a arrêté une foule de personnes en liaison avec ce qu'il estimait être une tentative de coup d'État. L'employeur du père du requérant était au nombre des personnes qui ont été arrêtées. À la fin de l'après-midi du 21 mars 1995, le père du requérant a disparu. Cette nuit-là, des militaires se sont présentés à la maison de la famille du requérant. Le requérant, qui était âgé de 19 ans, a été interrogé et a été incarcéré dans une installation militaire. À cet endroit, il a été interrogé au sujet de son père et a été " giflé ". Le cinquième jour de sa détention, on lui a permis de quitter l'installation militaire en compagnie d'un ami de son père. À la demande de son ami, le requérant s'est caché dans un village. Il s'est caché pendant quatre mois. À la fin de cette période, l'ami a remis au requérant un passeport et un billet d'avion, a dit au requérant qu'il serait plus en sécurité s'il quittait le Nigéria et a accompagné le requérant au Canada, où le requérant a revendiqué le statut de réfugié.

[4]      Dans les motifs de sa décision, la SSR a commencé son analyse relativement brève par les paragraphes suivants :

     [TRADUCTION]         
     Le tribunal estime que le crédibilité et le bien-fondé de la crainte du revendicateur constituent les principales questions auxquelles il faut répondre pour trancher la présente revendication.         
     Pour les motifs qui suivent, le tribunal ne croit pas le récit des événements du revendicateur.         

[5]      La SSR n'a pas cru l'assertion que le père du revendicateur était associé à l'ancien Premier ministre. À l'appui de cette conclusion, elle a cité les [TRADUCTION] " détails peu abondants " que le requérant avait pu fournir au sujet du travail de son père et de la nature de l'entreprise au sein de laquelle il travaillait. Elle a souligné que le requérant avait de la difficulté à se souvenir des antécédents professionnels de son père. À cet égard, elle a cité deux exemples de ce qu'elle estimait être les contradictions que renfermait le témoignage du requérant, sans lui donner l'occasion d'expliquer ces présumées contradictions. La SSR n'a tout simplement pas cru le témoignage du requérant suivant lequel des militaires s'étaient présentés chez lui et l'avaient arrêté. Après avoir examiné les éléments de preuve documentaire portant sur les gestes accomplis par l'État à la suite de la tentative de coup d'État, la SSR a conclu qu'il était tout simplement invraisemblable que des militaires se présentent chez le requérant à la recherche de son père et de documents qui auraient permis d'établir un lien entre son père et la présumée tentative de coup d'État. La SSR a en outre jugé invraisemblable que la détention du requérant se soit prolongée après la remise en liberté de l'ancien Premier ministre, malgré le fait que ce dernier continuait à être détenu à domicile. Il vaut la peine de signaler que le requérant a témoigné qu'il avait remédié à sa sortie de prison dès les premiers jours qui ont suivi la remise en liberté de l'ancien Premier ministre. La SSR a conclu que le témoignage du requérant au sujet de sa sortie de son lieu de détention était également invraisemblable.

[6]      La SSR a cité deux autres aspects " préoccupants " du témoignage du requérant. Ainsi, le requérant était incapable de nommer le nom du village où il prétendait s'être caché pendant quelque quatre mois. De plus, la SSR avait des réserves au sujet des explications données par le requérant sur la façon dont il avait obtenu son certificat de naissance.

[7]      En conséquence, la SSR a conclu :

     [TRADUCTION]         
             
     Par ces motifs, le tribunal n'est pas convaincu que les événements relatés par le revendicateur se soient jamais produits. En conséquence, ces événements ne peuvent constituer un fondement objectif justifiant la prétendue crainte de persécution du revendicateur au Nigéria.         

[8]      L'avocat du requérant insiste pour dire que les motifs invoqués par la SSR pour conclure que le récit des événements du requérant n'était pas crédible sont tellement viciés que la décision devrait être annulée. En revanche, l'avocat de l'intimé souligne que, bien que les motifs exposés par la SSR pour justifier sa décision ne soient peut-être pas un modèle de perfection, pris dans leur ensemble, ils s'accordent avec les témoignages qu'elle a entendus et les autres éléments dont elle disposait et sont entièrement suffisants pour permettre de conclure qu'il était raisonnablement loisible à la SSR de rendre la décision qu'elle a rendue.


[9]      J'abonde dans le sens de l'intimé et je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]      Ceci étant dit, il y a deux moyens qui ont été invoqués devant moi qui, à mon avis, méritent d'être commentés.

[11]      L'avocat du requérant m'a cité l'arrêt Gould c. Yukon Order of Pioneers2, dans lequel le juge Iacobucci écrit, à la page 585 :

     Mais en l'espèce, je note que le conseil d'arbitrage n'a entendu aucun témoignage. Hormis deux faits admis oralement à l'audience, tous les éléments de preuve étaient sous forme écrite. De plus, la preuve des parties a été présentée entièrement par voie d'admissions. Dans les circonstances, lorsque le litige ne porte pas sur les faits eux-mêmes mais plutôt sur les déductions qu'on peut tirer de faits admis, les considérations de principe qui militent ordinairement en faveur de la retenue sont sensiblement atténuées [...] [Renvoi omis] [Non souligné dans l'original.]         

[12]      L'avocat du requérant affirme que cet extrait expose les conclusions d'invraisemblance à un examen plus rigoureux en cas de contrôle judiciaire que ce qui était visé dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration3, dans lequel le juge Décary écrit :

     Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de " plausibilité " ou de " crédibilité ".         
     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans      la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à mon avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.         

[13]      Il convient en premier lieu de noter que, dans l'affaire Gould, la Cour suprême était saisie d'une cause dans laquelle tous les éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance du tribunal administratif étaient sous forme écrite. Le litige ne portait pas sur les faits eux-mêmes, mais plutôt sur les déductions qu'on pouvait tirer des faits admis. Compte tenu de ces éléments, je conclus que les extraits précités des arrêts Gould et Aguebor ne se contredisent pas et que l'arrêt Aguebor demeure l'arrêt de principe en ce qui concerne le contrôle judiciaire des conclusions d'invraisemblance.

[14]      Deuxièmement, l'avocat du requérant soutient que, dans la mesure où la SSR a fondé sa conclusion sur la crédibilité sur les contradictions que renfermait le témoignage du requérant sans porter ses contradictions à l'attention du requérant et sans lui fournir l'occasion de les expliquer, la SSR a commis une erreur de droit et que, pour ce seul motif, sa décision devrait être annulée. À l'appui de sa thèse, l'avocat cite à titre d'exemple de jurisprudence actuelle l'arrêt Guo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, dans lequel le juge Heald écrit :

     La jurisprudence pertinente établit que les incohérences présentes dans la déposition d'un demandeur du statut qui pourraient amener un tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible doivent être signalées au demandeur, à qui il faut donner l'occasion de se justifier [...] Le dossier indique que la requérante n'a pas été confrontée aux incohérences que le tribunal aurait trouvées dans sa déposition et qu'elle n'a pas eu l'occasion de se justifier, comme l'exigent les règles de justice naturelle. Plus particulièrement, la requérante aurait dû avoir l'occasion d'expliquer les incohérences alléguées en rapport avec la carte d'unité de travail chinoise et la liste des articles saisis par le BSP. Ne pas avoir donné cette occasion à la requérante constitue une erreur de droit. [Non souligné dans l'original.]         

[15]      Au soutien des principes susmentionnés, le juge Heald cite l'arrêt Gracielome c. Canada (M.E.I.)5.

[16]      En toute déférence, du moins vu les faits d'affaires comme la présente, je ne suis pas convaincu que l'arrêt Gracielome va aussi loin que ce que l'avocat du requérant voudrait que je le conclus. Dans cet arrêt, le juge Hugessen écrit :

     Il est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu'ils s'expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n'est pas plus privilégiée que la nôtre.         

[17]      Vu les éléments dont je dispose, il n'y a rien qui permette de penser qu'en l'espèce, les contradictions n'étaient pas révélées par " un examen minutieux des transcriptions de la preuve ". L'audition de la présente affaire a eu lieu en une seule séance vraisemblablement assez brève. Je n'ai pas réussi à trouver quoi que ce soit dans le dossier certifié du tribunal administratif qui permette de penser que les membres du tribunal se sont fondés sur une transcription. De plus, le requérant était représenté par un avocat. Je crois qu'on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l'avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l'avocat d'interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu'il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.

[18]      Ainsi que je l'ai déjà dit, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]      L'avocat du requérant a recommandé la certification d'une question en ce qui concerne les incidences de l'arrêt Gould sur l'arrêt Aguebor. L'avocat de l'intimé recommande que cette question ne soit pas certifiée. L'avocat de l'intimé recommande qu'une question soit certifiée en ce qui a trait à l'interprétation de l'arrêt Gracielome qui a été retenue dans l'arrêt Guo. L'avocat du requérant s'oppose à la certification d'une telle question. Aucune des questions proposées ne sont cruciales pour ma décision, qui repose entièrement sur ma conclusion qu'il était raisonnablement loisible à la SSR de rendre la décision qu'elle a rendue


en l'espèce, si l'on considère celle-ci dans son ensemble. Compte tenu de ce qui précède, aucune question ne sera certifiée.

    

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4812-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ABIODUN AYODELE c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      18 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Gibson le 30 décembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Michael Crane              pour le requérant
     Me Kevin Lunney              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Michael Crane              pour le requérant
     Toronto (Ontario)
     Me George Thomson              pour l'intimé
     Sous-procureur général
     du Canada
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      [1996] 1 R.C.S. 571.

     3      (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

     4      [1996] F.C.J. No. 1185 (QL).

     5      (1989), 9 Imm.L.R. (2d) 237 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.