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Date : 19981009


IMM-4058-97

E n t r e :

     AMTHULLAH IQBAL MUHAMMAD,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS


[1]      La Cour est saisie d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un agent des visas a refusé de délivrer un visa au demandeur. Le demandeur demande à la Cour d'annuler la décision de l'agent des visas et d'ordonner au défendeur d'examiner et de juger conformément à la loi la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur lui a soumise.


A.      Les faits

[2]      Le demandeur, un citoyen du Pakistan, a présenté au haut-commissariat canadien à Colombo, au Sri Lanka, une demande visée par la catégorie des parents aidés. Dans son formulaire de demande, il a déclaré que la profession qu'il entendait exercer au Canada était celle de " spécialiste en mini-ordinateurs/micro-ordinateurs (2183-158) ", laquelle profession figure dans la Classification canadienne descriptive des professions (CCDP), le système de classification des professions qu'utilise le défendeur. Une lettre écrite pour le compte du demandeur par un cabinet de consultants en immigration précisait que le demandeur travaillait présentement pour une société pétrolière à Oman en tant qu'assistant technique principal et qu'il faisait partie d'une équipe chargée d'informatiser des données sur les puits de pétrole et de gaz à l'aide d'un nouveau système informatisé basé sur le système Oracle (WICON), de manière à pouvoir recueillir des données de divers programmateurs d'applications. Le demandeur est titulaire d'un baccalauréat en physique, d'un diplôme en génie électrique et d'une maîtrise en ingénierie. Il a reçu une formation en " Basic AutoCAD ", c'est-à-dire en dessin assisté par ordinateur.


[3]      Le demandeur a été interrogé par l'agent des visas M. Nectoux le 5 mai 1997. Celui-ci s'est surtout appliqué à interroger le demandeur au sujet de son emploi actuel pour déterminer si son expérience de travail était pertinente à la profession qu'il prévoyait exercer au Canada. Dans son affidavit, le demandeur affirme avoir dit à M. Nectoux qu'il était chargé de l'aspect matériel du projet d'informatisation WICON et que son travail consistait à [TRADUCTION] " réviser et corriger les données codées par mes collègues et par moi-même " et que " nous mettons en oeuvre les logiciels que nous programmons selon les besoins de la compagnie ". Le demandeur a affirmé à l'agent des visas qu'il possédait par ailleurs de l'expérience avec le logiciel AutoCAD, ce qui lui permettait de dessiner des croquis pour les matériaux destinés à certains puits et gisements pétroliers.


[4]      Au cours de l'entrevue, l'agent des visas a conversé en français au téléphone avec une collègue au sujet du travail du demandeur et n'a pas révélé la teneur de cette conversation au demandeur qui, comme l'agent des visas le savait, n'a aucune connaissance de la langue française. L'agent des visas a déclaré dans son affidavit qu'il avait demandé à sa collègue, qui possédait une vaste expérience en informatique, notamment en ce qui concerne les compagnies pétrolières, si elle connaissait bien les systèmes qu'utilisait le demandeur ou tout autre perfectionnement apporté au matériel informatique qui aurait pu modifier les fonctions du " spécialiste en mini-ordinateurs/micro-ordinateurs " par rapport à celles qui étaient décrites dans la CCDP. L'agent affirme que sa collègue lui a répondu qu'elle ne connaissait pas les systèmes en question et qu'autant qu'elle le sache, les classifications actuelles contenues dans la CCDP/CNP étaient toujours valides et devaient être appliquées pour évaluer l'expérience du demandeur.


[5]      Après l'entrevue, les consultants en immigration dont les services avaient été retenus par le demandeur ont écrit une lettre portant la date du 8 mai 1997 au haut-commissariat canadien à Colombo pour essayer de dissiper tout malentendu que l'agent des visas pouvait avoir au sujet de la nature de l'expérience du demandeur et de la pertinence de celle-ci par rapport à sa profession envisagée. En conséquence, les consultants en immigration ont insisté dans leur lettre sur les années de scolarité du demandeur et sur ses compétences professionnelles. Ils ont également souligné le fait que la mission confiée à l'équipe de la compagnie pétrolière, dont le demandeur était un des principaux membres, visait notamment [TRADUCTION] " l'introduction et la modification du système et, dans un second temps, l'élaboration de l'automatisation informatisée des données concernant les puits ". La lettre portait également que [TRADUCTION] " même si on l'évalue en fonction de la classification CNP 2163.0 [programmeur d'ordinateur], M. Muhammad obtient 73 points d'appréciation, avant qu'on lui attribue des points pour ses qualités personnelles ". Les auteurs de la lettre exprimaient par ailleurs des réserves au sujet de la conversation téléphonique qui avait eu lieu entre l'agent des visas et sa collègue. Ils affirmaient que [TRADUCTION] " en toute justice ", on aurait dû donner au demandeur l'occasion de s'adresser à l'autre agent [TRADUCTION] " si tant est qu'elle était effectivement experte en la matière ".

B.      Décision de l'agent des visas

[6]      Dans une lettre datée du 22 juillet 1997, l'agent des visas a informé le demandeur que sa demande avait été rejetée, parce qu'il n'avait obtenu aucun point d'appréciation au chapitre de l'expérience et parce que le paragraphe 11(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoit qu'aucun visa d'immigrant ne doit être délivré à la personne qui entre dans la catégorie sous laquelle le demandeur avait présenté sa demande si le demandeur n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur énoncé à l'article 3 de la colonne 1 de l'annexe 1, en l'occurrence le facteur de l'" expérience ".


[7]      L'agent des visas a déclaré qu'il ressortait de la description de ses fonctions que le demandeur avait soumise à l'entrevue que son travail concernait principalement [TRADUCTION] " l'entrée et le traitement de données ", l'analyse des données pour s'assurer qu'elles soient compatibles avec le nouveau système et toute conversion nécessaires des données. La lettre précisait que l'expérience en question n'était pas pertinente à la profession envisagée par le demandeur, qui, selon la CCDP, exige que l'intéressé exécute l'une ou l'autre des fonctions suivantes : " évalue, programme, met à l'épreuve et modifie le matériel et le logiciel en matière de mini/micro-ordinateurs qui sont disponibles de sources externes et en planifie la mise en oeuvre ". Dans les notes SITCI qu'il a prises lors de l'entrevue, l'agent des visas conclut que le travail du demandeur : [TRADUCTION] " se rapproche davantage de celui d'un pupitreur-opérateur ou d'un dessinateur assisté par ordinateur, mais [qu']il ne recueillerait pas le nombre de points suffisants pour l'une ou l'autre de ces professions " en raison de la demande de main-d'oeuvre insuffisante.


[8]      L'agent des visas avait attribué cinq points d'appréciation au demandeur, sur un total possible de dix, sous la rubrique 9, " personnalité ". Dans son affidavit, M. Nectoux a justifié son appréciation en expliquant que le demandeur n'avait pas fait preuve d'initiative [TRADUCTION] " étant donné qu'il n'a pas entrepris de démarches personnelles pour obtenir des renseignements au sujet du marché du travail et des employeurs potentiels au Canada " (non souligné dans l'original). Il convient de signaler que les consultants en immigration du demandeur avaient joint à leur lettre du 8 mai 1998 des photocopies de coupures de journaux canadiens et d'autres documents dans lesquels se trouvaient des offres d'emploi invitant la candidature de personnes possédant l'expérience du demandeur, particulièrement comme analystes ou concepteurs possédant de l'expérience en matière de systèmes basés sur le logiciel Oracle.


C.      Questions en litige

[9]      Le demandeur a exprimé deux réserves au sujet de l'appréciation que l'agent des visas a faite de son expérience. La première concerne l'équité procédurale du processus de prise de décision, en l'occurrence le fait que l'agent a consulté une collègue sans divulguer la teneur de sa conversation au demandeur pour permettre à ce dernier de réponde. La seconde concerne le défaut de l'agent des visas d'apprécier la pertinence de son expérience relativement à la profession connexe de programmeur (CNP 2163.0).


[10]      En outre, le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur de droit dans la façon dont il a évalué le demandeur sous la rubrique 9, celle de la " personnalité ". Plus particulièrement, le demandeur affirme que l'agent des visas ne pouvait retenir contre lui le fait que c'était ses mandataires, les consultants en immigration, et non le demandeur lui-même qui avaient recueilli des renseignements au sujet des perspectives d'emploi au Canada pour les personnes possédant l'expérience du demandeur. Le demandeur a ajouté que, pour apprécier l'" esprit d'initiative " d'un demandeur sous la rubrique de la " personnalité ", l'agent des visas ne devrait pas exiger que le demandeur se renseigne lui-même personnellement au sujet du marché du travail plutôt que d'engager un cabinet pour le faire en son nom.


D.      Analyse

     Première question :          L'agent des visas a-t-il manqué à son obligation d'agir avec équité sur le plan procédural en discutant avec sa collègue, dans une langue qu'il savait que le demandeur ne comprenait pas, de l'expérience du demandeur sans lui révéler par la suite la teneur de cette conversation et sans offrir au demandeur la possibilité de répondre?

[11]      Il est de jurisprudence constante que, pour apprécier les demandes dont ils sont saisis, les agents des visas sont tenus d'agir avec équité et que le fait de faire reposer sa décision sur des éléments de preuve extrinsèques au sujet desquels le demandeur n'a pas eu l'occasion de faire valoir son point de vue constitue un manquement à ce devoir (voir, par exemple, l'arrêt Shah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.), qui concernait une demande de visa présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration pour des motifs d'ordre humanitaire, une affaire se situant dans le contexte d'un processus de prise de décisions qui, en raison de son caractère fortement discrétionnaire, est considéré comme donnant lieu à moins d'obligations procédurales que celles qui s'appliquent à un agent des visas, lorsqu'il examine le cas d'un demandeur indépendant ou d'un parent aidé, comme c'est le cas en l'espèce).

[12]      Une des principales failles que comporte la thèse du demandeur est toutefois que rien ne permet de penser que, par suite de la conversation téléphonique en question, l'agent a obtenu au sujet du demandeur ou de la pertinence de son expérience de travail des renseignements dont il s'est servi pour prendre sa décision. Dans son affidavit, M. Nectoux déclare en fait qu'il vérifiait simplement certains faits auprès d'une agente, qu'il savait compétente dans le domaine de l'informatique et de l'industrie pétrolière, pour voir si elle avait des éléments d'information complémentaires qui pourraient lui être utiles. Elle a répondu qu'elle n'en avait pas, et elle a conseillé à l'agent des visas d'appliquer les classifications professionnelles existantes, confirmant ainsi la conclusion à laquelle il affirme qu'il était déjà parvenu.

[13]      Le fait que l'autre agente ne connaissait pas très bien le système avec lequel le demandeur travaillait ne constitue pas un " élément de preuve extrinsèque " que l'agent des visas était tenu de divulguer. Dans ces conditions, aucun préjudice n'a été causé au demandeur, et il est difficile d'imaginer ce que le demandeur aurait logiquement pu répondre si la teneur de la conversation en question lui avait été divulguée.

[14]      L'avocat du demandeur, Me Chaudhary, a fait valoir que ce que l'agente avait dit avait pu créer une impression défavorable dans l'esprit de l'agent des visas, en ce sens qu'il a pu déduire du fait qu'une personne possédant l'expérience de sa collègue en informatique ne connaissait pas bien le système en cause nuisait à la crédibilité du demandeur ou à la qualité de son expérience professionnelle. Vu les faits de la présente affaire, je suis convaincu que ce n'est pas ce qui s'est produit. Non seulement l'agent des visas a-t-il témoigné que ce que l'autre agente lui avait dit l'avait renforcé dans la décision qu'il avait déjà prise, mais encore s'agissait-il de l'aspect le plus indirectement pertinent par rapport aux questions en litige, à savoir la " pertinence " de l'expérience du demandeur par rapport à la description d'emploi applicable de la CCDP. En conséquence, je rejette l'argument que l'agent des visas a manqué à l'équité procédurale en ne révélant pas au demandeur le contenu de la conversation téléphonique de manière à lui permettre d'y répondre.

     Seconde question :      L'agent des visas a-t-il manqué à ses obligations légales en n'appréciant pas l'expérience du demandeur relativement à la profession de programmeur?

[15]      Le demandeur aborde sa thèse en affirmant que les agents des visas sont légalement tenus d'évaluer les demandeurs en fonction de la profession pour laquelle ils demandent d'être évalués (voir, par exemple, l'arrêt Uy c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 172 (C.A.F.) et le jugement Issaeva c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] F.C.J. No. 1679 (C.F. 1re inst., 18 décembre 1996)). Bien que le demandeur n'ait pas initialement désigné la profession de " programmeur " comme étant sa profession envisagée, il y avait une demande implicite en ce sens dans la lettre du 8 mai 1997 que les consultants en immigration ont écrite au nom du demandeur après avoir fait faire au demandeur un compte rendu oral de son entrevue avec M. Nectoux. Dans cette lettre, les consultants déclarent : [TRADUCTION] " même si on l'évalue en fonction de la classification CNP 2163.0 [programmeur], M. Muhammad obtient 73 points d'appréciation, avant qu'on lui attribue des points pour ses qualités personnelles ".

[16]      Cette affirmation se trouve à la fin d'un paragraphe de la lettre dans lequel les consultants exhortaient l'agent des visas à réexaminer la nature de l'emploi du demandeur, ce qui l'amènerait à confirmer l'appréciation des consultants selon laquelle l'expérience et la désignation de l'emploi du demandeur lui convenaient bien pour sa profession envisagée de " spécialiste en mini-ordinateurs/micro-ordinateurs ". Un examen de la description d'emploi du programmeur (CNP 2163.0) révèle que les tâches associées à cet emploi impliquent une série de fonctions moins importante que celles du CNP 2162, " analyste de systèmes informatiques ", qui est l'équivalent du CCDP 2183-158, " spécialiste en mini-ordinateurs/micro-ordinateurs ".

[17]      Il m'est impossible d'interpréter ce passage de la lettre en question comme une demande adressée à l'agent des visas pour qu'il évalue l'expérience du demandeur relativement à la profession de " programmeur ". Il semble plutôt que l'auteur de la lettre ait fait allusion à cet élément dans le but d'appuyer pour la forme l'argument que l'expérience que le demandeur avait accumulée le rendait apte à exercer les fonctions de sa profession envisagée, en démontrant qu'elles le rendaient facilement apte à la profession différente mais connexe de programmeur.

[18]      Me Chaudhary soutient à titre subsidiaire que, même si le demandeur n'a pas demandé que son expérience soit évaluée en fonction de la profession de programmeur, l'agent des visas était légalement tenu de le faire. Il invoque à cet égard le jugement rendu par le juge Mackay dans l'affaire Parmar c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-3177-96, C.F. 1re inst., 12 novembre 1997), dans lequel le juge déclare que, même si un demandeur n'a pas affirmé qu'il possédait les qualités requises pour d'autres professions que celles qu'il a expressément désignées :

             Selon moi, l'agent des visas doit tenir compte de l'ensemble de l'expérience professionnelle du requérant et des professions inhérentes à ses antécédents; il doit en outre donner au requérant l'occasion de faire la preuve de ses compétences.             

Toutefois, comme l'avocate de l'intimé l'a souligné, le juge MacKay a poursuivi en déclarant, dans la phrase suivante :

             Lorsque le requérant ne présente aucune preuve relative à une profession différente ou inhérente, l'agent ne commet aucune erreur en ne tenant pas compte d'autres professions que celles désignées par le requérant.             

[19]      La question à se poser est donc celle de savoir si le demandeur a présenté suffisamment d'éléments de preuve dans sa demande, à l'entrevue et dans la correspondance subséquente provenant de ses consultants en immigration, pour démontrer que la profession de programmeur décrite dans le CNP 2163 était " inhérente " à l'expérience de travail du demandeur. Une des sources de difficulté de la présente demande de visa est son manque de clarté et de précision en ce qui concerne la façon dont le demandeur décrit les fonctions qu'il a exercées dans le cadre de son emploi. Une lettre de l'employeur du demandeur aurait pu éclaircir les choses. Toutefois, bien qu'il ne soit pas loisible à l'agent des visas d'adopter une attitude passive lors de l'examen d'une demande, c'est en dernière analyse au demandeur qu'il incombe de porter à la connaissance de l'agent des visas des renseignements complets au sujet de son expérience d'une façon qui soit facilement compréhensible.

[20]      Le CNP 2163 prévoit notamment ce qui suit, dans sa description des fonctions du programmeur :

             rédiger des programmes ou des logiciels constitués d'instructions ou d'algorithmes assimilables par la machine.             

Dans son affidavit, le demandeur affirme avoir dit à l'agent des visas lors de l'entrevue que son travail l'appelait notamment à coder l'aspect matériel du programme et à coder des données.

[21]      On ne sait pas avec certitude si les tâches en question correspondent à la description précitée des fonctions du programmeur : programmer des données en vue de les transférer dans une autre base de données n'équivaut pas à rédiger des programmes ou des logiciels constitués d'instructions ou d'algorithmes assimilables par la machine. Le demandeur affirme également que " nous mettons en oeuvre les logiciels que nous programmons selon les besoin de la compagnie ". Je dois avouer que je trouve cette explication fort insatisfaisante. L'avocat n'a pas réussi non plus à éclairer ma lanterne au sujet du sens de cette affirmation.

[22]      Les consultants en immigration mentionnent par ailleurs dans leur lettre que le travail du demandeur comportait également [TRADUCTION] " l'introduction et la modification du logiciel ", une fonction qui ne correspond à aucune de celles que la CNP 2163 attribue aux programmeurs. Il se peut que la description que la CCDP donne de certaines professions, notamment en matière d'informatique, soit périmée. Toutefois, tant qu'elle n'est pas modifiée, elle lie légalement les agents des visas et la Cour (voir, à cet effet, le jugement Haughton c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1996] F.C.T. No. 421 (IMM-1310-95, C.F. 1re inst.), 29 novembre 1996).

[23]      Malgré l'argument contraire qu'a formulé l'avocate du ministre, Me Hendriks, je suis disposé à présumer que l'agent des visas a l'obligation de tenir compte de tout élément permettant de mieux comprendre l'expérience du demandeur qui a été soumis après l'entrevue mais avant que ne soit rédigée la lettre informant le demandeur de la décision par laquelle sa demande de visa était rejetée. Je suis également prêt à présumer que l'agent des visas aurait dû tenir compte de la lettre des consultants pour décider si le fait que le demandeur possédait les qualités requises pour obtenir un emploi comme programmeur faisait partie intégrante de l'ensemble de son expérience professionnelle. Je suis également disposé, dans le cadre de la présente décision, d'inférer de sa lettre et de son affidavit, que l'agent des visas n'a pas évalué la pertinence de l'expérience du demandeur en fonction de la profession de programmeur.

[24]      J'en viens néanmoins à la conclusion que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur en n'évaluant pas le demandeur en fonction de la classification CNP 2163. Les explications fournies par le demandeur au sujet de la nature de ses fonctions étaient tout simplement trop vagues et imprécises pour obliger l'agent des visas à procéder à une évaluation en fonction d'une autre profession que celle que le demandeur avait précisée dans sa demande. Ainsi que je l'ai déjà dit, il incombe aux personnes qui demandent un visa de présenter des éléments d'information pertinents au sujet de la nature de leur emploi et ce, de manière complète et claire. Il serait à mon avis tout à fait condamnable d'obliger les agents des visas à essayer de deviner, à partir de renseignements incomplets, vagues ou difficiles à comprendre, les professions non désignées qui sont " inhérentes " à l'expérience du demandeur.

[25]      J'estime donc que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur de droit en n'évaluant pas le demandeur en fonction d'autres professions que celle qui était visée par sa demande, en l'occurrence celle de " spécialiste en mini-ordinateurs/micro-ordinateurs " (CCDP 2183-158) et son équivalent CNP, 2162. Il convient par ailleurs de noter que l'agent des visas a effectivement évalué le demandeur en fonction de deux autres professions, celle de dessinateur CAD et celle de pupitreur-opérateur, et qu'il a conclu que la demande de main-d'oeuvre n'était pas assez forte pour lui attribuer le nombre de points suffisant.

[26]      Troisième question :

         a)      Était-il interdit à l'agent des visas de ne pas attribuer de points pour l'esprit d'initiative sous la rubrique 9, " personnalité ", parce que le demandeur avait recouru aux services de consultants en immigration pour recueillir des renseignements au sujet de la demande de main-d'oeuvre au Canada dans son domaine?
         b)      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en exigeant comme preuve de son " esprit d'initiative " que le demandeur recueille personnellement des renseignements au sujet de la demande de main-d'oeuvre au Canada dans son domaine?

[27]      Me Chaudhary soutient qu'il était interdit à l'agent des visas de juger défavorablement le fait que le demandeur avait recouru aux services de consultants en immigration pour préparer sa demande de visa, notamment en leur demandant de recueillir des offres d'emploi visant à démontrer qu'il y avait des perspectives d'emploi au Canada pour les personnes ayant une expérience de travail semblable à celle du demandeur. L'agent des visas était parfaitement conscient du fait que les consultants agissaient au nom du demandeur et il n'y a rien dans le cadre législatif ou la politique publiée du défendeur au sujet du bien-fondé du recours à des consultants dans ce contexte. Il s'ensuit, selon Me Chaudhary, que l'agent des visas était tenu d'aviser le demandeur qu'il lui enlèverait des points sous la rubrique 9 s'il engageait d'autres personnes pour recueillir des renseignements qu'il aurait recueillis lui-même s'il avait fait preuve d'esprit d'initiative.

[28]      Je ne puis retenir cet argument. Je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement prétendre que le droit et la pratique en matière de recours à des consultants en immigration permettent de conclure qu'on ne s'attend pas à ce que les demandeurs fassent des démarches concrètes en vue d'explorer les perspectives d'emploi au Canada dans leur domaine. En l'espèce, il semble que les consultants aient recueillis les offres d'emploi, non pas dans le but de permettre au demandeur de se renseigner au sujet des emplois annoncés ou de poser sa candidature à l'un d'eux, mais bien comme simple élément de preuve visant à convaincre l'agent des visas que l'expérience particulière que le demandeur possédait était en demande sur le marché du travail canadien.

[29]      Ainsi, faute de déclaration explicite ou implicite ou de paroles ou d'agissements de l'agent des visas que le demandeur invoquerait, l'argument de l'interdiction frappant l'agent est mal fondé. Qui plus est, je rejetterais toute affirmation suivant laquelle le fait que le demandeur avait engagé des consultants en immigration pour l'aider à préparer sa demande de visa démontre en soi son esprit d'initiative, d'ingéniosité ou tout autre qualité analogue qui aiderait le demandeur à s'établir avec succès au Canada. Une telle façon de penser nuirait à ceux qui ne disposent pas des ressources financière nécessaires pour retenir les services de consultants en immigration, dont les honoraires pourraient augmenter encore plus si les demandeurs se voyaient attribuer des points d'appréciation pour avoir retenu leurs services. De surcroît, cette façon de voir enracinerait encore davantage sur l'idée que la délivrance de visas d'immigrant est tellement " bureaucratisée " et " légalisée " que certaines personnes ne réussissent pas à accéder au système sans l'aide de l'" industrie de l'immigration ".

[30]      Le demandeur affirme finalement que l'agent des visas a commis une erreur en interprétant les termes " esprit d'initiative " et " ingéniosité " qui, selon la rubrique 9, constituent des qualités personnelles permettant de juger si le demandeur est en mesure de réussir son installation au Canada, en exigeant que le demandeur fasse des " démarches personnelles " pour s'enquérir au sujet des perspectives d'emploi au Canada. Il m'est facile d'imaginer des cas dans lesquels il serait abusif de la part d'un agent des visas de refuser d'attribuer des points d'appréciation sous la rubrique 9 du simple fait que le demandeur a recouru à l'assistance d'un mandataire. Ainsi, si le demandeur a donné pour instructions à son mandataire d'envoyer son curriculum vitae à des bureaux d'emploi ou de recueillir des renseignements au sujet d'emplois convenables et de soumettre au besoin le curriculum vitae du demandeur et une lettre d'accompagnement, il serait abusif de la part d'un agent des visas de faire fi de ces démarches, du simple fait que le demandeur n'a pas personnellement participé directement à chaque étape du processus.

[31]      Je ne suis cependant pas convaincu, eu égard aux faits de la présente affaire, que l'agent des visas a commis une erreur en concluant que le demandeur n'a pas fait preuve du genre d'esprit d'initiative qui l'aiderait à réussir dans son installation au Canada. Pour autant que la preuve me permette de le constater, le demandeur a simplement retenu les services de consultants pour l'aider à remplir sa demande de visa, et la cueillette de renseignements sur le marché du travail visait uniquement à préparer cette demande. Il n'y a rien au dossier qui permettre de penser que le demandeur ou ses représentants se sont renseignés au sujet des perspectives d'emploi en communiquant avec des employeurs éventuels ou des bureaux de placement pour s'informer des perspectives d'emploi du demandeur.

[32]      Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.



     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 22 juillet 1998 par laquelle un agent des visas a refusé de délivrer un visa d'immigrant au demandeur est rejetée.

" John M. Evans "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 9 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-4058-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              AMTHULLAH IQBAL MUHAMMAD

                             - et -

                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MERCREDI 7 OCTOBRE 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE              LE JUGE EVANS

EN DATE DU                      VENDREDI 9 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :                     

                             M e Max Chaudhary

                                 pour le demandeur

                             M e Lori Hendriks

                                 pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER             

                             Chaudhary Law Office

                             avocats et procureurs
                             812-255 Duncan Mill Road
                             North York (Ontario)
                             M3B 3H9

                                 pour le demandeur

                              Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada         

                                 pour le défendeur

                    

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19981009

                        

         IMM-4058-97

                             E n t r e :

                             AMTHULLAH IQBAL MUHAMMAD,

     demandeur,

                             - et -

                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS ET ORDONNANCE

                            


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