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     T-187-95

         AFFAIRE INTÉRESSANT une demande d'ordonnance fondée sur le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et sur l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).                 

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     requérantes,

     et

     NOVOPHARM LIMITÉE et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

     ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

         La présente affaire découle d'une requête présentée par Eli Lilly and Company et Eli Lilly Canada Inc. (les requérantes) en application du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC). Les requérantes veulent obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de donner à l'intimée Novopharm Ltée (l'intimée) des avis de conformité à l'égard de son médicament sous forme de poudre appelé chlorhydrate de vancomycine et présenté en formats de 500 mg, 1 g et 10 g pour administration intraveineuse jusqu'à l'expiration du brevet qui leur appartient. Après avoir examiné attentivement les observations écrites déposées par les parties et entendu les arguments qu'elles ont invoqués à l'audience, j'ai rendu jugement en l'espèce dans une ordonnance datée du 30 juillet 1997 par laquelle j'ai fait droit à la demande d'interdiction à l'égard des formats de 1 g et de 10 g du médicament et je l'ai rejetée dans le cas du format de 500 mg. Voici les motifs de mon jugement.

     Il ne m'apparaît pas nécessaire de revenir sur les faits entourant le litige. À mon avis, il suffit de rappeler que, dans le cadre de la démarche visant à commercialiser au Canada les formes de posologie attaquées du médicament chlorhydrate de vancomycine, l'intimée a présenté au ministre une demande d'avis de conformité dans laquelle elle a allégué que la fabrication, l'utilisation ou la vente de ces trois formes de posologie n'irait pas à l'encontre du brevet des requérantes. Un avis de ces allégations a été signifié aux requérantes ainsi qu'une déclaration détaillée faisant état du fondement factuel et juridique des allégations de l'intimée.

     Les requérantes ont contesté les allégations de l'intimée, soutenant qu'elles n'étaient pas justifiées. Deux arguments ont été portés à l'attention de la Cour.

     Le premier concerne uniquement les formes de posologie de 1 g et de 10 g. Selon les requérantes, les allégations de l'intimée quant à l'absence de contrefaçon s'y rapportant ne sont pas justifiées et les avis de conformité sont invalides, car les allégations ne sont pas fondées selon les faits. Les requérantes invoquent ici l'absence de matériel se rapportant aux formes de posologie de 1 g et de 10 g dans la présentation de drogue nouvelle que Novopharm a déposée auprès du ministre pour obtenir l'approbation nécessaire afin de vendre et d'annoncer le médicament au Canada. Si j'ai bien compris l'argument des requérantes, le Règlement AC exige qu'il y ait, pour chaque avis d'allégations concernant une forme de posologie spécifique à l'égard d'un médicament donné, une présentation de drogue nouvelle renfermant des renseignements liés à cette posologie. En d'autres termes, la mention d'une forme de posologie dans la présentation de drogue nouvelle ne suffit pas pour couvrir les autres formes.

     À l'audition de la requête, l'intimée a répliqué que, étant donné que toutes les formes de posologie sont préparées à l'aide des mêmes méthodes et procédés, la mention d'une forme de posologie dans la présentation de drogue nouvelle suffit pour respecter les exigences du Règlement AC. Je ne suis pas d'accord. À mon sens, selon les dispositions réglementaires qui régissent la procédure d'approbation des nouveaux médicaments en vue de leur vente au Canada, soit les dispositions du Règlement AC et du Règlement sur les aliments et drogues, la présentation de drogue nouvelle, l'avis d'allégations et l'avis de conformité sont des procédures étroitement liées entre elles. Selon ma collègue, Madame le juge McGillis, elles sont "inextricablement liées"1. Cela signifie que, pour obtenir un avis de conformité à l'égard duquel un avis d'allégations peut être signifié au titulaire de brevet, le fabricant de produits génériques doit soumettre une présentation de drogue nouvelle2. Le ministre ne peut délivrer d'avis de conformité à moins d'être convaincu de l'efficacité et de l'innocuité de la drogue nouvelle. C'est l'ensemble des renseignements et des documents se trouvant dans la présentation de drogue nouvelle qui permettent au ministre d'en arriver à cette conclusion. Par conséquent, en l'absence d'une présentation de drogue nouvelle, il ne peut y avoir d'avis d'allégations et, qui plus est, aucun avis de conformité ne peut être délivré.

     Cependant, la question se pose encore : la mention du médicament sous une forme de posologie dans la présentation de drogue nouvelle respecte-t-elle les exigences du Règlement et permet-elle de protéger les autres formes de posologie du produit? Je ne le crois pas. Si tel était le cas, les fabricants de produits génériques pourraient obtenir l'approbation à l'égard d'autres formes de posologie pour lesquelles un avis de conformité a déjà été délivré, même si les méthodes utilisées sont différentes. Non seulement cette proposition soulève-t-elle un problème évident pour les titulaires de brevet qui veulent protéger leurs droits de propriété, mais elle peut créer un problème encore plus grave pour le public, qui pourrait à bon droit se demander comment le ministre peut vérifier l'innocuité et l'efficacité d'un médicament en l'absence des renseignements pertinents qui se trouvent habituellement dans la présentation de drogue nouvelle.

     Enfin, si l'intimée veut inclure d'autres formes de posologie dans la présentation de drogue nouvelle, le Règlement sur les aliments et drogues prévoit également le mécanisme à suivre. En fait, chaque fois qu'un avis de conformité est délivré à l'intimée relativement à son médicament, celle-ci peut se prévaloir du paragraphe C.08.003(1) du Règlement et déposer auprès du ministre un document supplémentaire renfermant des renseignements détaillés au sujet de ses nouvelles formes de posologie.

     Par conséquent, dans la présente affaire, il semble que le ministre ne peut délivrer qu'un avis de conformité à l'égard du produit de 500 mg. Cette conclusion m'amène à examiner le second argument que les requérantes ont soulevé. Dans leur avis de requête introductive d'instance, les requérantes ont soutenu que, contrairement à ce que l'intimée alléguait, leur brevet renfermait effectivement des revendications touchant le médicament lui-même ainsi que l'utilisation de celui-ci et que les méthodes que Novopharm employait pour fabriquer le chlorhydrate de vancomycine allaient à l'encontre de leur brevet. Cependant, il y a également lieu de souligner que, dans leur mémoire, les requérantes n'ont commenté cette question qu'au passage. Plus précisément, elles ont mentionné que leur brevet faisait état d'une revendication relativement à la formulation qui, dans le passé, avait été considérée comme une revendication valable pour le médicament en soi3. L'intimée a répondu à son tour en alléguant que la revendication divulguée dans le brevet des requérantes est une revendication relative au procédé, qui n'est manifestement pas visée par la définition législative de l'expression "revendication pour le médicament en soi4".

     Que leur brevet se rapporte à la formulation ou à un procédé, j'estime que les requérantes ne se sont pas acquittées du fardeau de preuve qui leur incombait. Dans des procédures de cette nature, la Cour présume toujours au départ que les allégations de fait énoncées dans l'avis d'allégations du fabricant de produits génériques sont vraies, sauf si la partie requérante prouve le contraire. Il appartient à cette dernière de prouver que son brevet renferme une revendication pour le médicament en soi et que la délivrance d'un avis de conformité donnerait lieu à une contrefaçon de ce brevet. Dans la présente affaire, les requérantes ne se sont pas acquittées de ce fardeau. Elles ont déposé des affidavits incomplets et elles n'ont pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que leur brevet renferme une revendication pour le médicament lui-même et qu'il y aurait contrefaçon de ce brevet si le ministre délivrait un avis de conformité à l'intimée.

     À tout événement, la Cour n'est pas saisie de la question concernant les formes de posologie de 1 g et 10 g et ne peut se prononcer à ce sujet pour l'instant. Par conséquent, la demande d'interdiction est accueillie dans le cas des formes de posologie de 1 g et de 10 g et rejetée dans le cas de la forme de posologie de 500 mg. Quant aux frais, il n'y a aucune raison spéciale d'en accorder.

                         L.-Marcel Joyal

                             JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 11 août 1997

Traduction certifiée conforme         

                             Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-187-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELI LILLY AND COMPANY et

                     ELI LILLY CANADA INC.

                     c.

                     NOVOPHARM LIMITÉE et

                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                     NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          30 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE JOYAL

EN DATE DU :              11 août 1997

ONT COMPARU :

Me Anthony Creber                  POUR LES REQUÉRANTES

Me Jennifer Wilkie

Me Douglas N. Deeth              POUR L'INTIMÉE NOVOPHARM

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson          POUR LES REQUÉRANTES

Avocats

Ottawa (Ontario)

Deeth Williams Wall              POUR L'INTIMÉE NOVOPHARM

Avocats

Toronto (Ontario)

Me George Thomson              POUR L'INTIMÉ, LE MINISTRE

Sous-procureur général              DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU

du Canada                      BIEN-ÊTRE SOCIAL

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 114 (C.F. 1re inst.), p. 116.

2      L'article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues énonce qu'il est interdit de vendre une drogue nouvelle à moins que le fabricant n'ait déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle et que le ministre n'ait délivré un avis de conformité relativement à celle-ci. De plus, l'article C.08.004 exige que le ministre délivre un avis de conformité uniquement après avoir examiné la présentation de drogue nouvelle et être convaincu que celle-ci respecte les dispositions pertinentes du Règlement.

3      Voir Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1995), 62 C.P.R. (3d) 58.

4      Voir Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1995) 60 C.P.R. (3d) 510 (C.A.F.).

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