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     Date : 19990715

     T-805-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ

E n t r e :

     MONSANTO COMPANY et G.D. SEARLE & CO.,

     demanderesses,

     - et -

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     défendeur,

     - et -

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     La requête présentée par les demanderesses en vue d'obtenir la prorogation du délai qui leur est imparti pour signifier leur demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en vertu du paragraphe 410(2) des Règles de la Cour fédérale.


    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.





Date : 19990715


T-805-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ


E n t r e :

     MONSANTO COMPANY et G.D. SEARLE & CO.,

     demanderesses,

     - et -

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     défendeur,

     - et -

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     défenderesse.


     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses est rejetée avec dépens.

    

     Juge


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.




Date : 19990715


T-805-99


E n t r e :

     MONSANTO COMPANY et G.D. SEARLE & CO.,

     demanderesses,

     - et -

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     défendeur,

     - et -

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     défenderesse.



     MOTIFS DES ORDONNANCES


LE JUGE DUBÉ


[1]      La Cour est saisie de deux requêtes distinctes. La première a été présentée par les demanderesses (Monsanto/Searle) en vue d'obtenir la prorogation du délai qui leur est imparti pour signifier leur avis de demande de contrôle judiciaire. La seconde requête a été présentée par la défenderesse (Merck Frosst) en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire en question. Les deux requêtes sont étroitement liées. Elles ont été entendues ensemble et font l'objet des présents motifs d'ordonnances.

1. Les faits

[2]      Chacune des parties a déposé sa propre demande de brevet canadien, en l'occurrence la demande no 2 152 792 (la demande de brevet de Searle) et la demande no 2 176 974, (la demande de brevet de Merck Frosst). L'examinateur de l'Office des brevets a, le 18 mars 1999, rendu une décision finale au sujet de la demande de brevet de Searle. L'examinateur a conclu que certaines des revendications du brevet étaient acceptables, mais il a confirmé son refus en ce qui concerne les autres revendications portant sur des composés de furanone. Ces composés avaient été divulgués dans la demande de brevet de Merck Frosst avant la date de revendication de la demande de brevet de Searle. En ce qui concerne ces furanones précis, l'examinateur a conclu que Merck Frosst avait droit aux dates de revendications les plus anciennes.

[3]      Le 7 avril 1999, le commissaire aux brevets (le commissaire) a signifié à Merck Frosst une notification d'acceptation de sa demande de brevet. Le 13 avril 1999, Monsanto/Searle ont répondu à la décision finale rendue au sujet de leur demande de brevet en demandant le réexamen de leur demande ou, à titre subsidiaire, le renvoi de l'affaire devant la Commission d'appel des brevets. (Une audience a eu lieu le 12 mai 1999 devant la Commission, qui n'a pas encore rendu sa décision.)

[4]      Le 7 mai 1999, Monsanto/Searle ont déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la notification d'acceptation relative à la demande de brevet de Merck Frosst. Monsanto/Searle avaient l'intention de ne pas signifier leur avis de demande avant que le commissaire fasse connaître sa décision au sujet de leur propre demande de brevet. D'où la demande de prorogation de délai qu'elles ont déposée.

[5]      La délai fixé pour la signification de l'avis de demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle a expiré le 17 mai 1999. Le 8 juin 1999, le juge Lemieux a rejeté (pour vice de procédure) la requête présentée par Monsanto/Searle en vue d'obtenir la suspension pour une période indéfinie du délai de signification qui leur était imparti. Le juge Lemieux les a autorisées à déposer une nouvelle requête avant la fin de juin 1999.

[6]      La présente demande de Merck Frosst, qui a été déposée le 16 juin 1999, vise à obtenir une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle principalement au motif que la notification d'acceptation que le commissaire a envoyée à Merck Frosst le 7 avril 1999 ne constitue pas une " décision " susceptible d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi)1.

[7]      Peu de temps avant la présente audience, Monsanto/Searle ont décidé de signifier à Merck Frosst leur avis de demande de contrôle judiciaire.

2. Question en litige

[8]      La question fondamentale à trancher en l'espèce est celle de savoir si une notification d'acceptation constitue ou non une " décision " susceptible d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi. Dans la négative, la demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle est de toute évidence irrecevable et n'a pas la moindre chance d'être accueillie et devrait, par conséquence, être rejetée sans délai.

3. Prétentions et moyens de Merck Frosst

[9]      Il est de jurisprudence constante que les actes administratifs ne sont pas tous des " décisions " au sens de l'article 18.1 susmentionné de la Loi. Il faut que la " décision " ait été prise dans le cadre de l'exercice des pouvoirs conférés par une loi fédérale. Il doit s'agit d'une " décision " qui " a pour effet juridique de régler l'affaire ou [...] prétend[re] avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa "compétence ou ses pouvoirs" en rendant une "décision", la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir2 ".

[10]      L'objet de la notification d'acceptation est précisé au paragraphe 30(1) des Règles sur les brevets3 :

30.(1) Lorsque l'examinateur qui a examiné une demande a des motifs raisonnables de croire que celle-ci est conforme à la Loi et aux présentes règles, le commissaire avise le demandeur que sa demande a été jugée acceptable et lui demande de verser la taxe finale applicable prévue aux alinéas 6a) ou b) de l'annexe II dans les six mois suivant la date de l'avis.

[11]      Le commissaire envoie une notification d'acceptation au requérant pour l'informer que sa demande de brevet satisfait aux critères de la Loi sur les brevets4 et pour lui demander de régler la taxe finale en vue de la délivrance du brevet. Le requérant ne possède aucun droit de propriété, ni même de droit acquis, tant que le brevet n'est pas délivré. Une fois que la notification d'acceptation a été envoyée, la demande n'est pas encore tranchée de façon définitive : il est toujours possible de modifier la demande avant de payer la taxe finale. De fait, le paragraphe 30(7) des Règles sur les brevets prévoit qu'il est loisible au commissaire de révoquer avant la délivrance du brevet une notification d'acceptation, même après que la taxe finale a été payée :

30.(7) Lorsque, après l'expédition de l'avis visé aux paragraphes (1) ou (5) mais avant la délivrance d'un brevet, le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la demande n'est pas conforme à la Loi et aux présentes règles, il en avise le demandeur, renvoie la demande à l'examinateur pour qu'il en poursuive l'examen et, si la taxe finale a été versée, la rembourse.

[12]      Ainsi, une notification d'acceptation ne constitue pas une décision finale qui tranche la demande. Elle constitue simplement une des étapes administratives conduisant à la délivrance d'un brevet. C'est n'est pas une " décision " au sens de l'article 18.1 de la Loi. La " décision " finale est la délivrance du brevet.

[13]      Pour ce qui est de leur propre demande de brevet, Monsanto/Searle n'ont pas encore épuisé tous les recours, réparations et appels qui leurs sont ouverts, y compris l'appel devant notre Cour qui est prévu à l'article 41 de la Loi sur les brevets :

41. Dans les six mois suivant la mise à la poste de l'avis, celui qui n'a pas
réussi à obtenir un brevet en raison du refus ou de l'opposition du commissaire peut interjeter appel de la décision du commissaire à la Cour fédérale qui, à
l'exclusion de toute autre juridiction, peut s'en saisir et en décider.

[14]      Monsanto/Searle ne peuvent demander le contrôle judiciaire d'une notification d'acceptation envoyée à Merck Frosst en réponse à sa demande de brevet de manière à faire contrôler indirectement la décision finale par laquelle leur propre demande a été rejetée. L'article 18.5 de la Loi les empêche de procéder ainsi en raison de la procédure d'appel prévue à l'article 41 de la Loi sur les brevets5.

[15]      Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (P.G.)6, la Cour d'appel a déclaré qu'en principe, les demandes de contrôle judiciaire prématurées devraient être évitées et qu'elles peuvent être rejetées dans les cas les plus patents. Suivant un principe bien accepté en droit administratif, les recours extraordinaires prévus à l'article 18.1 de la Loi ne doivent pas être exercés lorsque des recours légaux plus appropriés sont ouverts ou que les recours prévus par la loi n'ont pas été épuisés7. Lorsque d'autres recours valables sont ouverts, la Cour peut radier une demande de contrôle judiciaire au motif qu'elle n'a pas la moindre chance d'être accueillie8.

[16]      En l'espèce, si un brevet était délivré à Merck Frosst, un recours légal serait ouvert à Monsanto/Searle sous la forme d'une action intentée devant notre Cour en vertu de l'article 60 de la Loi sur les brevets dans laquelle Monsanto/Searle peuvent faire valoir tous les moyens d'invalidité y compris celui de l'antériorité :

60.(1) Un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être
déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale, à la diligence du procureur
général du Canada ou à la diligence d'un intéressé.

[17]      Qui plus est, la demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle repose sur des faits qui sont survenus après la " décision " contestée. Pour obtenir gain de cause, Monsanto/Searle doivent alléguer que, le 7 avril 1999, il était déraisonnable pour le commissaire de conclure que la demande de brevet de Merck Frosst avait droit à la date de revendication la plus ancienne en ce qui concerne les composés de furanone9. Les faits postérieurs à la décision administrative contestée ne peuvent être invoqués dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire10.

[18]      Finalement, Monsanto/Searle n'ont pas la qualité pour agir. Elles ne sont pas " directement touchées par l'objet de la demande " au sens de l'article 18.1 de la Loi. Leur intérêt est un simple intérêt commercial concurrentiel. Il est de jurisprudence constante qu'un tel intérêt ne saurait équivaloir à l'intérêt requis pour contester une décision administrative touchant un rival11. Le paragraphe 18.1(1) dispose :

18.1(1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

4. Prétentions et moyens de Monsanto/Searle

[19]      Monsanto/Searle affirment que le droit que la loi leur confère d'obtenir un brevet en réponse à leur demande de brevet canadien est compromis en raison de l'envoi prématuré et irrégulier de la notification d'acceptation qui a été envoyée à Merck Frosst avant que le commissaire ait eu l'occasion de déterminer si cette demande satisfaisait aux exigences de la Loi sur les brevets.

[20]      Sous le régime de l'ancienne Loi sur les brevets, les demandes étaient examinées en fonction du principe du " premier inventeur " plutôt que selon le principe du " premier déposant ". Dans le cas des revendications se chevauchant et faisant l'objet de demandes distinctes, l'ancienne Loi sur le brevets comportaient, à son article 43, des dispositions procédurales qui permettaient de surseoir à la délivrance d'un brevet en réponse aux deux demandes jusqu'à ce que le différend soit résolu par le commissaire ou par la Cour fédérale.

[21]      Depuis l'adoption du système du " premier déposant ", il n'existe plus de mécanisme de résolution des différends permettant de surseoir à la délivrance de l'une ou l'autre demande en attenant une décision finale. Ainsi, Merck Frosst est en mesure d'obtenir un monopole sur son brevet sur paiement de la taxe exigée, malgré le fait que l'examinateur estime maintenant que les revendications de Monsanto/Searle pourraient englober l'objet revendiqué pour lequel il existe un chevauchement.

[22]      La notification d'acceptation constitue une décision finale. Elle a une incidence sur les droits que la loi confère sur l'objet brevetable au sens du paragraphe 30(1) des Règles sur les brevets. Le simple fait que la décision peut être modifiée, en raison de la survenance de circonstances qui sont pour le moment inconnues, ne change rien au fait que la décision de délivrer un brevet a été prise. Il y a " décision " lorsque la mesure prise touche le fond du droit et qu'elle a un caractère obligatoire. Le fait qu'un recours puisse être exercé à un autre niveau n'enlève rien au caractère définitif et obligatoire de la décision du simple fait qu'elle pourrait être infirmée à l'étape suivante12. C'est une " décision " finale en ce sens qu'elle constitue " une étape au sein d'un processus statutaire [sic] qui mène à une décision qui influe sur des droits "13.

[23]      Qui plus est, Monsanto/Searle ont effectivement la qualité pour agir en ce sens qu'elles sont directement touchées par la " décision " contestée au sens de l'article 18.1 de la Loi. Monsanto/Searle sont intéressées à protéger leurs intérêts commerciaux qui sont " directement touchés " par la délivrance, par le commissaire, d'une notification d'acceptation à Merck Frosst. On ne peut permettre que deux brevets soient délivrés pour le même objet. En conséquence, Monsanto/Searle ne peuvent obtenir de notification d'acceptation pour leur propre objet brevetable qui, selon ce que l'examinateur a reconnu, fait double emploi avec l'objet visé par la demande de brevet de Merck Frosst14.

[24]      La Loi sur les brevets n'offre aucun autre recours à Monsanto/Searle pour contester la délivrance de la notification d'acceptation à Merck Frosst. Il n'y a ouverture au recours prévu à l'article 60 de la Loi sur les brevets qu'une fois qu'un brevet est délivré à Merck Frosst. Pour protéger leurs droits, un recours doit être ouvert à Monsanto/Searle avant la délivrance du brevet. Qui plus est, une fois que le brevet est délivré à Merck Frosst, le fardeau dont il faut s'acquitter en vertu de l'article 60 de la Loi sur les brevets est plus onéreux, car il attache une présomption de validité au brevet.

[25]      La Loi sur les brevets n'accorde aucun droit d'appel qui permettrait à Monsanto/Searle de contester la " décision " de délivrer la notification d'acceptation. Elles se retrouveraient sans aucun recours si elles étaient irrecevables à présenter leur demande de contrôle judiciaire15. Les demandes de contrôle judiciaire ne sont radiées que dans des circonstances exceptionnelles. Il faut que la demande soit " manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] [...] Ces cas [...] ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations [...]16.

[26]      En règle générale, les avis de demande de contrôle judiciaire devraient être contestés lors de l'audience elle-même et pas avant17. La demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle repose sur le fait que la " décision " d'envoyer une notification d'acceptation le 7 avril 1999 était injuste. Il était déraisonnable de la part du commissaire de juger que Monsanto/Searle n'avaient pas droit à une date de revendication antérieure à celle de la demande de brevet de Merck Frosst.

5. Analyse

[27]      À mon avis, une notification d'acceptation ne constitue pas une " décision " au sens de l'article 18.1 de la Loi. Il s'agit simplement d'une mesure administrative prise par le commissaire en vue de l'éventuelle délivrance d'un brevet en vertu du paragraphe 30(1) des Règles sur les brevets . Aux termes du paragraphe 30(7) des Règles sur les brevets, le commissaire peut, après avoir envoyé une notification d'acceptation en vertu du paragraphe (1) mais avant qu'un brevet ne soit délivré, décider que la demande n'est pas conforme à la Loi ou au Règlement et renvoyer la demande à l'examinateur pour qu'il en poursuive l'examen. Ainsi, la décision contestée du commissaire qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire n'est pas la dernière étape. La dernière étape est la délivrance des lettres patentes par le commissaire.

[28]      La personne qui n'a pas réussi à obtenir un brevet du commissaire peut interjeter appel de la décision du commissaire devant la Cour fédérale en vertu de l'article 41 de la Loi sur les brevets. Si le commissaire délivre un brevet, le tiers qui souhaite le contester peut le faire en introduisant une action devant notre Cour en vertu de l'article 60 de la Loi sur les brevets. Voilà le mécanisme prévu par la Loi sur les brevets et par les Règles sur les brevets. Il n'existe pas de décision portant sur une notification d'acceptation contestée par voie de contrôle judiciaire.

[29]      En l'espèce, Monsanto/Searle ne demandent pas le contrôle judiciaire de la décision prise par l'examinateur au sujet de leur propre demande de brevet. Elles contestent la notification d'acceptation visant la demande de brevet de Merck Frosst. Ainsi que je l'ai déjà précisé, Monsanto/Searle ont répondu à la décision finale par laquelle leur propre demande de brevet a été rejetée en s'adressant à la Commission d'appel des brevets en conformité avec la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets. Si elles n'obtiennent pas gain de cause, elles peuvent interjeter appel devant la Cour fédérale. Voilà la procédure que tout requérant doit suivre au sujet de sa propre demande.

[30]      Qu'est-ce qu'une personne peut faire, en respectant l'économie de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets, au sujet de la demande de brevet présentée par quelqu'un d'autre ? Elle peut protester contre la délivrance du brevet en vertu de l'article 10 des Règles sur les brevets ou déposer un dossier d'antériorité en vertu de l'article 34.1 de la Loi sur les brevets, ou, après que le brevet a été délivré, introduire une action devant la Cour fédérale en vertu de l'article 60 de la Loi sur les brevets pour faire invalider ou annuler le brevet. À l'étape du procès, tous les moyens d'invalidité peuvent être invoqués devant la Cour, notamment l'antériorité, l'évidence et l'ambiguïté. L'économie de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets constitue un code complet, en ce sens qu'une personne ne peut introduire une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'un acte administratif intermédiaire, étant donné qu'on créerait ainsi une procédure parallèle au régime créé par le législateur, procédure qui serait sanctionnée par voie judiciaire.

[31]      Une confusion que crée manifestement les tentatives faites en l'espèce pour obtenir un contrôle judiciaire est le fait qu'on ne sait pas avec certitude si la décision contestée est celle de l'examinateur ou celle du commissaire. S'il s'agit de la décision de l'examinateur, il convient de noter qu'il n'est pas un office fédéral au sens de l'article 18.1 de la Loi. S'il s'agit de la décision du commissaire, il y a lieu de souligner qu'il n'a pas terminé son travail tant qu'il n'a pas délivré (ou refusé de délivrer) un brevet.

[32]      L'objectif transparent et reconnu du présent contrôle judiciaire est d'empêcher le commissaire de prendre une décision qui favoriserait Merck Frosst tant que Monsanto/Searle n'auront pas obtenu de la part de la Commission d'appel des brevets une décision au sujet de leur propre demande de brevet. Cela reviendrait à prononcer une injonction contre le commissaire, ce qui peut ou non simplifier les choses, selon la décision que rendra la Commission d'appel des brevets. La célérité ne constitue pas à elle seule un motif suffisant pour introduire une instance en contrôle judiciaire en dépit des mécanismes législatifs et réglementaires qui existent déjà.

[33]      Dans le même ordre d'idées, si la demande de brevet de Merck Frosst avait été rejetée, Merck Frosst aurait été tenue de s'adresser à la Commission d'appel des brevets puis, au besoin, à la Cour fédérale. La Cour n'aurait pas permis à Merck Frosst de contester une notification d'acceptation favorable à Monsanto/Searle au moyen d'une demande de contrôle judiciaire.

[34]      Dans le jugement Cangene Corp. c. Eli Lillly and Co.18, le juge en chef adjoint Jerome était saisi d'une demande d'ordonnance prorogeant le délai imparti pour présenter une demande de contrôle judiciaire d'une décision du commissaire aux brevets. Bien que la situation soit différente de celle de la présente affaire, les propos que le juge a tenus sont pertinents (à la page 379) :

La Cour n'est pas disposée à accueillir la demande. Il ressort des dispositions de la Loi sur les brevets que le législateur a prévu un ensemble complet de mécanismes qui permettent de contester une décision du commissaire aux brevets. La procédure énoncée dans la Loi et ses règles d'application ne prévoit pas le genre de contrôle judiciaire que la requérante cherche à obtenir en l'espèce.
(Non souligné dans l'original.)

[35]      Plus loin, le juge en chef adjoint Jerome cite l'article 42, qui correspond à l'article 41 actuel, et poursuit en disant :

Le droit d'appel n'est accordé qu'à la personne qui n'a pas réussi à obtenir un brevet en raison du refus ou de l'opposition du commissaire, c'est-à-dire, en
l'occurrence, l'intimée Eli Lilly. Cangene, qui est un tiers, n'a pas un tel droit.
(Non souligné dans l'original.)

[36]      Dans le jugement Pharmascience Inc. c. Canada (commissaire aux brevets)19, le juge Pinard était saisi d'une demande présentée par Pharmascience en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets avait autorisé la participation tardive de la défenderesse G.D. Searle & Co. Le juge Pinard a rejeté la demande au motif que Pharmascience n'avait pas expliqué de façon satisfaisante le délai d'un an qu'elle avait laissé s'écouler avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire. Il a en outre statué que Pharmascience n'avait pas la qualité pour agir, étant donné qu'elle n'était pas directement touchée par la décision. Voici ce qu'il a déclaré aux pages 6, 7, 9 et 10 :

Pharmascience n'a pas la qualité pour agir. Aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée que par " quiconque est directement touché par l'objet de la demande ". À mon avis, la seule personne qui est " directement touchée " par les décisions qui sont prises au cours de l'examen d'une demande de brevet par le Bureau canadien des brevets est, en règle générale, le " demandeur " de brevet, au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets.
     [...]
L'article 10 des Règles sur les brevets permet de protester contre la délivrance d'un brevet au motif que la demande de brevet contrevient au paragraphe 38.2(1) de la Loi sur les brevets, lorsqu'un nouvel élément a été ajouté à la demande ou que la modification va au-delà de ce qui pourrait raisonnablement être présumé avoir été inclus dans la demande originale. À mon avis, l'article 10 des Règles constitue une voie de recours subsidiaire acceptable que Pharmascience aurait dû épuiser avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire, du moins pour ce qui est de la décision relative à la modification volontaire de la demande de brevet. Pour ce qui est du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, je suis d'avis qu'il permet à un tiers, une fois qu'un brevet a été délivré, de contester le droit de quiconque de revendiquer la priorité par voie de procédure en invalidité (voir, par exemple, l'affaire Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co., (1996), 68 C.P.R. (3d) 8). Comme Searle l'a fait remarquer, le contrôle judiciaire pourrait devenir un outil efficace permettant de retarder la délivrance d'un brevet pendant que la demande d'homologation réglementaire présentée par un tiers est examinée et accueillie. Dans le jugement Novapharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra, (1996), 68 C.P.R. (3d) 117, à la page 122, la Cour a statué que le pouvoir discrétionnaire d'instruire une demande de contrôle judiciaire sera refusé lorsque le tribunal administratif procède par étapes pour en arriver à une conclusion au sujet de la véritable question en litige et que le contrôle judiciaire de chacune des décisions préliminaires ou interlocutoires pourrait interrompre le déroulement de l'instance.
(Non souligné dans l'original.)

[37]      En conséquence, la notification d'acceptation ne constitue pas une décision susceptible d'un contrôle judiciaire à l'initiative du requérant ou d'un tiers. La notification d'acceptation a simplement pour effet d'informer le requérant que sa demande de brevet répond aux critères prévus par la Loi sur les brevets ; elle ne confère pas ipso facto au requérant le droit d'obtenir le brevet demandé. Monsanto/Searle doivent, pour ce qui est de leur propre demande, suivre la procédure prévue par la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets. Elles ne peuvent entraver le rôle du commissaire en ce qui concerne la demande de brevet de Merck Frosst pour protéger leur propre demande de brevet. À cette étape-ci de l'instance, elles n'ont pas la qualité pour introduire une instance en contrôle judiciaire pour contester une mesure administrative conduisant à la délivrance ou au refus de délivrer un brevet visé par la demande de brevet d'une autre personne. Elles ne sont pas " directement touchées par l'objet " de la demande, si l'on fait abstraction de leurs propres intérêts commerciaux qu'elles possèdent de toute évidence en tant que concurrents oeuvrant dans le même domaine.

6. Dispositif

[38]      Il s'ensuit que la demande de prorogation de délai présentée par Monsanto/Searle est rejetée avec dépens en vertu du paragraphe 410(2) des Règles de la Cour fédérale et que la demande de contrôle judiciaire de Monsanto/Searle est rejetée avec dépens.


OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 julllet 1999

    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-805-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Monsanto Company & G.D. Searle & Co. c.
                     Commissaire aux brevets & Merck Frosst Canada Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      Le 24 juin 1999

     MOTIFS DES ORDONNANCES DU JUGE DUBÉ

     EN DATE DU 15 JUILLET 1999

ONT COMPARU :

Mes J. Bruce Carr-Harris              pour la demanderesse

et M.D. Crinson

Ottawa (Ontario)

Mes Patrick Kierans                  pour la défenderesse
Leigh D. Crestohl                  Merck Frosst Canada Inc.

Toronto (Ontario)

Personne n'a comparu              pour le défendeur,
                         le commissaire aux brevets

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Scott & Aylen                  pour la demanderesse

Ottawa (Ontario)

Ogylvy Renault                  pour la défenderesse
Toronto (Ontario)                  Merck Frosst Canada Inc.
Me Morris Rosenberg              pour le défendeur,
Sous-procureur général du Canada          le commissaire aux brevets

Ottawa (Ontario)

__________________

1      S.R.C. (1985), ch. F-7.

2      Canada (P.G.) c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.F.), le juge en chef Jackett ; Singh c. Canada (Secrétaire d'Etat), (1994), 82 F.T.R. 68, le juge Tremblay-Lamer et Cyanamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commissaire aux brevets, (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.).

3      (1996) SOR/96-423.

4      L.R.C (1985), ch. P-4.

5      Cangene Corp. c. Eli Lily and Ca., (1995), 63 C.P.R. (3d) 377 (C.F. 1re inst.).

6      Apotex Inc. c. Canada (A.G.), [1994] 1 C.F. 742, à la page 771 (C.A.F.), conf. à [1994] 3 R.C.S. 1100.

7      Anderson c. Canada (Forces armées), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.F.), Pharmascience Inc. c. Commissaire aux brevets, [1998] F.C.J. No. 1735 (QL)(C.F. 1re inst.) et Cangene, supra, no 4.

8      Bast c. Canada (P.G.), [1998] F.C.J. No. 1250, au par. 23 (QL).

9      Arduengo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468, aux pages 480 et 482 (C.F. 1re inst.).

10      Arduengo c. Canada, supra, no 9, à la page 480.

11      Glaxo Canada Inc. c. Canada (1990), 31 C.P.R. (3d) 29 (C.A.F.), conf. (1987), 18 C.P.R. (3d) 206, Pfizer Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1986), 12 C.P.R. (3d) 438 (C.A.F.), Apotex Inc. c. Canada (P.G.), (1986), 9 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.) et Apotex Inc. c. Canada (P.G.), (1993), 48 C.P.R. (3d) 296 (C.F. 1re inst.).

12      Anderson c. Canada (Forces armées), supra, à la page 286 (C.A.F.), Mahabir c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 133, à la page 140 (C.A.F.) et Pfeiffer c. Canada (surintendant des faillites), [1996] F.C.J. No. 585, au par. 17 (C.F. 1re inst.).

13      Tomlinson c. Canada (procureur général), [1996] F.C.J. No. 70, au par. 4 (C.F. 1re inst.).

14      Consolboard Inc. c. Macmillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., (1981), 56 C.P.R. (2d) 145 (C.S.C.) et Whirlpool Corporation et al. c. Camco Inc. et al., (1997), 76 C.P.R. (3d) 150 (C.F. 1re inst.).

15      Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes - CRTC), [1992] F.C.J. No. 926, à la page 3 (C.A.F.).

16      David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 F.C. 588, à la page 600 (C.A.F.).

17      Bast c. Canada (procureur général), [1988] F.C.J. No. 1250, au par. 13 (C.F. 1re inst.), David Bull, supra, no 16, aux pages 596 et 597 et Lazar c. Canada (P.G.), T-459-98, 16 juin 1998 (C.F. 1re inst.).

18      (1995), 63 C.P.R. (3d) 377.

19      [1988] F.C.J. No. 1735 (QL) (C.F. 1re inst.).

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