Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                               Date :    20041018

                                                                                                                          Dossier :     T-954-01

                                                                                                              Référence :    2004 CF 1435

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                             DANIEL GRENIER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                Il s'agit d'une requête déposée par la défenderesse visant à en appeler de la décision de Me Richard Morneau, protonotaire, ayant accueilli en partie l'action intentée par le demandeur.

Mise en contexte et décision du protonotaire


[2]                Le demandeur est un détenu incarcéré à l'Établissement Donnaconna qui réclame par voie d'action des dommages-intérêts de l'ordre de 49 000 $ dont 24 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et 25 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires. Il allègue avoir subi un préjudice découlant de la décision du 29 mai 1998 de le placer en isolement préventif ayant duré 14 jours, décision qu'il apparente à un emprisonnement injustifié et illégal.

[3]                Exerçant sa compétence pour entendre une action simplifiée en vertu de la règle 50(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 ( « Règles » ) le protonotaire Morneau a, le 28 janvier 2004, accueilli en partie l'action du demandeur lui accordant une somme de 3 000 $ en dommages compensatoires et 2 000 $ en dommages exemplaires, à titre de dédommagement pour avoir été emprisonné de façon arbitraire du 29 mai au 11 juin 1998.

[4]                Le protonotaire a accepté l'argument du demandeur à l'effet que l'essentiel d'une action pour emprisonnement arbitraire est le simple fait d'être emprisonné et que l'exclusion d'un détenu de la population carcérale générale en vue de le transférer dans un lieu plus restrictif constitue un emprisonnement. Le protonotaire a également retenu l'argument à l'effet qu'une fois l'état d'emprisonnement établi par la preuve du demandeur, le fardeau incombe à la défenderesse de justifier la mise en isolement préventif. Le protonotaire a conclu en ces termes :

[85] Pour ces motifs, j'en conclus à l'instar de la Cour dans l'arrêt Brandon, supra, paragraphe [69] et de la Cour dans l'arrêt Saint-Jacques c. Canada (Solliciteur général) (1991), 45 F.T.R. 1 que la défenderesse ne s'est pas acquittée ici du fardeau qui lui incombait de convaincre la Cour que du 29 mai au 11 juin 1998 l'isolement préventif du demandeur était injustifié. Ainsi pour cette période, ma conclusion est que le demandeur fut emprisonné de façon arbitraire. Le demandeur a donc droit à cet égard à des dommages-compensatoires et exemplaires.

Questions en litige


[5]                Le défendeur soutient que le demandeur aurait du procéder par voie de contrôle judiciaire et soulève la question préliminaire à savoir, si le demandeur pouvait se prévaloir de l'action comme véhicule pour intenter son recours? Je traiterai de cette question avant de passer aux questions en litige qui se présentent comme suit dans le présent dossier :

a)         Quelle est la norme que cette Cour doit appliquer en appel d'une décision suivant un procès d'une action simplifiée présidée par un protonotaire?

b)         Est-ce que le test et les principes de Montambault c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [2001] J.Q. no 948, sur l'immunité d'un corps public en responsabilité s'appliquent en l'espèce?

c)         Le protonotaire a-t-il erré dans l'octroi des dommages-compensatoires et exemplaires ainsi que dans la détermination de leur quantum?

d)         Le protonotaire a-t-il commis une erreur en omettant de considérer le non-épuisement de la procédure de règlement des griefs mise en place par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch.20 ( « LSCMLSC » )?

Analyse

            Le demandeur pouvait-il se prévaloir de l'action comme véhicule pour intenter son recours?


[6]                La défenderesse s'est basée sur l'arrêt Canada c. Tremblay, 2004 CAF 172, pour soumettre qu'un demandeur ne peut pas choisir entre deux voies de procédures et qu'en l'espèce il doit agir par voie de contrôle judiciaire. Or, contrairement au présent litige, dans l'affaire Tremblay le demandeur devait nécessairement agir par voie de contrôle judiciaire pour obtenir la nullité de la décision ayant trait à sa mise à la retraite puisqu'il cherchait à obtenir la réintégration à son travail. Comme l'a expliqué la juge Desjardins dans l'affaire Tremblay, la Cour reconnaît qu'il peut y avoir des cas où un recours en contrôle judiciaire ne puisse être d'aucune utilité et que chaque cas en est un d'espèce qui doit être évalué selon ses propres mérites pour déterminer la procédure appropriée.

[7]                Je suis d'avis qu'en l'espèce, il serait inutile pour le demandeur de procéder par voie de contrôle judiciaire pour obtenir l'annulation d'une décision qui n'est de toute évidence plus opérante. J'en conclus que la seule procédure qui pourrait permettre d'éliminer ou de réparer le préjudice causé par la peine déjà purgée est celle d'une action en dommages. Pour ces motifs, je suis d'avis que les faits dans la présente affaire s'apparentent à ceux qui ont été examinés par le juge Létourneau dans l'arrêt Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070 en ligne : QL, et qu'ils n'entraînent pas les mêmes considérations que ceux considérés dans l'arrêt Tremblay. Je me permets donc de reprendre l'analyse tel qu'énoncée par le juge Létourneau dans l'arrêt Zarzour, au paragraphe 48 de sa décision, qu'il faut :

[48] (...) prendre une approche utilitaire et privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice découlant de la décision rendue. Il est inutile, par exemple, d'exiger d'un détenu qui a déjà purgé sa période d'isolement de 15 jours qu'il demande par voie de contrôle judiciaire l'annulation de la décision qui l'y a contraint. Par contre, lorsqu'une décision est toujours opérante, comme en l'espèce celle de la Commission imposant comme condition de libération une interdiction de contact, il est non seulement utile, mais nécessaire, de procéder par contrôle judiciaire pour la faire annuler. Sinon, tant la décision que ses effets perdurent et il y a même aggravation du préjudice pendant la période où l'action en dommages suit son cours.


[8]                Il transparaît de la jurisprudence applicable en la matière que, dans les cas où la décision à l'origine du préjudice est encore opérante au moment où le recours est intenté, la partie qui s'estime lésée ne peut avoir recours à une action mais doit plutôt se prévaloir de la demande de contrôle judiciaire : Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539, en ligne : QL; Zarzour, précité; Tremblay, précité. À l'inverse, dans l'éventualité où la décision ayant engendré le prétendu préjudice n'a plus d'effet dans le temps, il est possible pour le requérant d'intenter une action afin de réclamer des dommages : Creed c. Canada (Solliciteur général), [1998] A.C.F. no 199, en ligne : QL; Shaw c. Canada, [1999] A.C.F. no 657, en ligne : QL.

[9]                Comme la mise en isolement préventif avait pris fin au moment où les procédures judiciaires ont été intentées par le demandeur, il pouvait se prévaloir de l'action comme véhicule pour mener à bien sa contestation. La décision contestée n'était plus opérante dans le temps.

[10]            Tel que l'édicte le paragraphe 12(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, les pouvoirs du protonotaire sont fixés par les Règles. En l'espèce, le protonotaire pouvait être saisi du dossier en vertu de la règle 50(2) qui prévoit qu'il peut entendre toute action visant une réclamation pécuniaire de 50 000 $ ou moins.

            a)          Quelle est la norme que cette Cour doit appliquer en appel d'une décision suivant un procès d'une action simplifiée présidée par un protonotaire?

[11]            La règle 51 stipule que l'appel de l'ordonnance d'un protonotaire est porté devant la Cour fédérale. Cette Cour étant donc saisie du dossier sur la base d'un appel, je me dois de déterminer la norme applicable.


[12]            La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, veut que les ordonnances discrétionnaires du protonotaire soient révisées en appel si (1) elles sont manifestement erronées, c'est-à-dire, si l'exercice du pouvoir du protonotaire est fondé sur un mauvais principe ou une fausse appréciation des faits, ou (2) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur les questions en litige.

[13]            Je suis d'avis que cette norme ne peut s'appliquer en l'espèce puisque nous ne sommes pas en présence d'une décision interlocutoire ou fondée uniquement sur de la preuve écrite mais bien d'un jugement sur le fond dans le cadre d'une action.

[14]            La norme établie par la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, est celle qui, selon moi, devrait prévaloir dans les circonstances d'un appel d'une décision d'un protonotaire sur une action simplifiée, puisqu'il agit alors, à toute fins pratiques, en tant que juge de première instance.

[15]            Le principe qui se dégage de l'arrêt Housen est à l'effet que, sur des questions de droit, les cours d'appel appliquent la norme de la décision correcte. Cependant, en ce qui a trait aux questions de fait, une erreur manifeste et dominante doit être identifiée dans les conclusions du juge de première instance pour qu'une cour d'appel puisse intervenir. Enfin, sur des questions mixtes de fait et de droit, la norme d'intervention doit être taillée en fonction de l'ensemble des faits propre à chaque cas.

La norme de contrôle applicable aux pures questions de droit est celle de la décision correcte et, en conséquence, il est loisible aux cours d'appel de substituer leur opinion à celle des juges de première instance. (...)


Suivant la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, ces conclusions ne peuvent être infirmées que s'il est établi que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante. » (p. 237)

[16]            De façon plus précise, trois principes de base sont identifiés par la Cour suprême pour justifier la retenue à l'égard des conclusions de nature factuelle tirées par le juge de première instance.

Premièrement, vu la rareté des ressources dont disposent les tribunaux, le fait de limiter la portée du contrôle judiciaire a pour effet de réduire le nombre, la durée et le coût des appels. Deuxièmement, le respect du principe de la retenue envers les conclusions favorise l'autonomie et l'intégrité du procès. Enfin, ce principe permet de reconnaître l'expertise du juge de première instance et la position avantageuse dans laquelle il se trouve pour tirer des conclusions de fait, étant donné qu'il a l'occasion d'examiner la preuve en profondeur et d'entendre les témoignages de vive voix. (p. 239)

[17]            En somme, j'estime que la norme appropriée en l'espèce est celle établie dans l'arrêt Housen puisque nous nous retrouvons en appel d'une décision finale rendue après la tenue d'un procès.

            b)         Est-ce que le test et les principes de Montambault c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [2001] J.Q. no. 948, sur l'immunité d'un corps public en responsabilité s'appliquent en l'espèce?

[18]            Dans le cadre de l'affaire opposant la succession d'un médecin démis de ses fonctions à l'hôpital où il oeuvrait, la Cour d'appel du Québec a tranché que les hôpitaux sont des corps publics. Des dommages ont été octroyés parce que le pouvoir discrétionnaire du corps public en question avait été utilisé délibérément à une fin non prévue par la loi.


[19]            La Cour d'appel du Québec s'est penchée sur la question du pouvoir discrétionnaire parce que, dans le cadre de son appel incident, l'hôpital a plaidé qu'il jouissait d'une immunité et ne pouvait conséquemment être condamné à payer une indemnité en relation avec des décisions prises de bonne foi.

[20]            Pour résoudre cette question, la juge Deschamps a, au nom de la Cour, élaboré une procédure de qualification. Elle a conclu qu'en premier lieu, il est nécessaire de délimiter, selon la loi, le niveau de discrétion du corps public, ce qui déterminera s'il jouit d'une immunité et si les tribunaux judiciaires peuvent intervenir pour le rechercher en responsabilité civile. Si la décision ne se retrouve pas raisonnablement à l'intérieur de la discrétion accordée au corps public, il faut alors, en second lieu, examiner la norme civile pour décider si une faute génératrice de responsabilité a été commise.

[77] (...) Si le corps public viole sa loi ou excède sa discrétion, il y aura en droit public ouverture à intervention du pouvoir judiciaire. Lorsque, de l'exercice déraisonnable du pouvoir exécutif, résulte un préjudice, les tribunaux pourront le sanctionner s'il y a faute au sens du droit privé. S'il s'agit d'une décision ne reposant sur aucune discrétion, la seule vérification à faire est celle du droit privé. Entre les deux extrêmes, l'évaluation de l'ampleur de la discrétion guidera l'intervention. Plus la discrétion sera importante, plus la norme se rapprochera du déraisonnable.

[82] Une fois déterminée la possibilité d'intervenir en raison du caractère déraisonnable d'une décision ou parce que l'acte ne se situe pas à l'intérieur de la discrétion accordée au corps public, il reste que le tribunal doit vérifier si l'acte en question constitue une contravention à une norme civile.


[21]            La défenderesse fait valoir qu'en l'espèce le protonotaire n'avait pas compétence pour se prononcer sur la légalité de la décision; de ce fait, il ne rencontre pas la première partie du test établi dans Montambault. Subsidiairement, la défenderesse soutient que la décision n'était pas déraisonnable selon les faits au dossier. Enfin, selon elle, si on devait conclure qu'elle l'était, il n'était pas possible pour le protonotaire de conclure à l'existence d'une faute puisque la mauvaise foi des autorités n'a pas été démontrée.

[22]            Selon moi, la défenderesse fait erreur dans son interprétation de la décision de la Cour d'appel du Québec. J'estime qu'il s'agit d'un arrêt établissant un test pour déterminer si ce corps public jouit d'une immunité l'isolant de la responsabilité civile qui pourrait lui être imposée par intervention judiciaire dans le cadre d'une action. La défenderesse l'invoque plutôt pour faire entrer en jeu le concept du contrôle judiciaire. À mon avis, Montambault n'importe pas cette procédure dans la considération de la responsabilité civile d'un corps public.

[23]            D'ailleurs, la juge Deschamps spécifie que la méthode de Pushpanathan c. Canada, [1998] R.C.S. 982, ne devait pas être transposée intégralement dans cette analyse puisqu'il ne s'agit pas d'un contrôle judiciaire d'une décision d'un corps public. La Cour d'appel s'est toutefois inspirée du continuum de Pushpanathan pour déterminer la question de l'immunité d'une corps public recherché en responsabilité civile. Ainsi, à une extrémité, une décision discrétionnaire doit avoir une certaine teinte déraisonnable pour engendrer une intervention judiciaire; à l'autre extrémité, quand une décision n'est pas discrétionnaire, l'intervention judiciaire pourra se faire selon le caractère de l'exercice du pouvoir.

[78] Ces étapes d'analyse permettent d'intégrer toutes les nuances qui sont maintenant requises par la sophistication des actes administratifs. Cette approche rappelle aussi le continuum utilisé pour décider de l'intervention des tribunaux pour le contrôle de la légalité des décisions de l'État. Bien qu'une distinction nette ait été faite dans notre droit entre ces deux motifs d'intervention, il demeure que dans les deux cas il s'agit de relations entre l'État et le citoyen et que dans les deux cas, le citoyen reproche à l'État un manquement à une obligation.


[79] La méthode d'analyse de la norme de contrôle précisée par Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982 ne peut être transposée intégralement (...).

                                                                                                                                                                                         (Je souligne)                              

[24]            Comme nous ne sommes pas en présence d'une procédure de contrôle judiciaire, le protonotaire avait compétence pour être saisi du dossier de cette action simplifiée où il n'y a pas lieu de se pencher sur la légalité de la décision mais bien sur la détermination de la responsabilité civile de la défenderesse.

[25]            La jurisprudence qui émane du Québec, où Montambault a été appliqué, confirme que le principe se dégageant de ce jugement ne porte pas sur le contrôle judiciaire de la décision d'un corps public que l'on recherche en responsabilité. Plutôt, la Cour d'appel a développé un test pour déterminer l'immunité d'un corps public face à cette responsabilité, ce qui se fait selon le niveau de discrétion dont il bénéficie dans la prise de décision : Lagueux c. Collège d'électronique de Québec inc., [2004] J.Q. no 7516; Saint-Étienne-de-Bolton (Municipalité) c. Paradot, [2003] J.Q. no 4, en ligne : QL; Reliance Power Equipment Ltd. c. Montréal (Ville), [2002] J.Q. no 3812, en ligne : QL; Hatton c. Batshaw Youth and Family Centres, [2002] J.Q. no 2301, en ligne : QL; Finney c. Barreau du Québec, [2002] J.Q. no 1522, en ligne : QL; Ouimette c. Canada (Procureur général), [2002] J.Q. no 967, en ligne : QL; Cadieux c. Montréal (Communauté urbaine de Montréal), [2002] J.Q. no 363, en ligne : QL.

[26]            Somme toute, on ne contrôle pas la légalité de la décision, on considère si le décideur jouit d'une immunité.


[27]            En l'espèce, l'application de ces principes supporte la conclusion du protonotaire que l'officier avait la discrétion de placer le demandeur en détention mais non d'en prolonger la durée. Le protonotaire a examiné les dispositions de la LSCMLSC relatives à l'isolement préventif pour déterminer ni plus ni moins que les autorités ne jouissent pas d'une grande discrétion dans la décision de prolonger l'isolement préventif d'un détenu. Il a retenu de la LSCMLSC que l'isolement sera permis si la sécurité du pénitencier est mise en danger, que l'on tente d'empêcher les rapports avec les autres détenus et que le détenu doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus : para. 31(1), (2) et (3). Le protonotaire a conclu que la décision était légale dans la mesure où il était possible de la prendre en vertu de la LSCMLSC mais qu'elle était arbitraire parce que les autorités n'ont pas justifié leur position.

[84] (...) Il ressort de mon appréciation de la preuve que c'est essentiellement en raison du fait que le demandeur maintenait sa version des faits que l'on garde ce dernier en isolement préventif. Cette position du demandeur, hormis le fait qu'elle est logique, ne justifie en rien selon moi son maintien en isolement préventif. On a soulevé en preuve de la part de la défenderesse que cette attitude du demandeur indiquait qu'il y avait risque de récidive de sa part. Bien que je sois prêt à reconnaître aux autorités carcérales une grande déférence dans leur appréciation de la situation, je ne pense pas que cette affirmation soit appuyée et justifiée en l'espèce.

[28]            À l'instar du protonotaire, je ne peux retirer, ni de la loi ni des faits, que l'officier qui a décidé de continuer la détention du demandeur avait une immunité l'isolant de la responsabilité.

[29]            Je ne peux conclure que le protonotaire a commis une erreur déterminante. Selon moi, le résultat final n'aurait pas été différent même si les principes de Montambault avaient été appliqués. En effet, il m'apparaît évident que le protonotaire n'aurait pas procédé à déterminer si une faute génératrice de responsabilité avait été commise s'il avait tout d'abord constaté que le « corps public » en était abstrait parce qu'il jouissait d'une immunité.


[30]            À la lumière de la norme établie dans Housen, je conclus que mon intervention dans la décision rendue par le protonotaire n'est pas justifiée dans la mesure où il n'a pas commis d'erreur de droit méritant une révision ni d'erreur de fait manifeste et dominante. C'est à bon droit qu'il a appliqué les principes prévus à l'article 1457 du Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64, encadrant la détermination de la responsabilité civile au Québec.

c)         Le protonotaire a-t-il erré dans l'octroi des dommages compensatoires et exemplaires ainsi que dans la détermination de leur quantum?

[31]            Dans un premier temps, la défenderesse soutient que le protonotaire a erré en octroyant des dommages puisque le demandeur n'en a pas subis. En effet, la défenderesse estime que le demandeur avait déjà été condamné, par un tribunal disciplinaire dont la décision n'est pas contestée en l'espèce, à purger une peine d'isolement pendant 14 jours se rajoutant aux 14 jours déjà purgés en isolement préventif pour un total de 28 jours. La défenderesse avance que si le demandeur n'avait pas purgé ce temps en isolement préventif, le tribunal lui aurait imposé une peine de 28 jours, ce qui fait qu'il n'a subi aucun dommage.

[32]            Le demandeur fait seulement valoir que le protonotaire a jugé, selon les faits soumis en preuve, qu'un dommage avait été subi résultant de la décision arbitraire.


[33]            En tranchant l'action, le protonotaire a examiné les éléments de la responsabilité civile et il a conclu en l'espèce à la présence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité. Il a spécifié que la condamnation à une peine d'isolement de 14 jours par le tribunal est un acte nouveau dans la chaîne d'événements, sur lequel il n'a pas à se pencher. Puisqu'il a conclu que les 14 jours d'isolement préventif que le demandeur conteste lui ont été imposés de façon injustifiée, il a accordé les dommages appropriés et, en application de la norme de Housen, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans cette détermination.

[34]            De façon subsidiaire, la défenderesse conteste l'évaluation du quantum des dommages. Elle fait valoir que le protonotaire a erré en se basant sur la prétention du demandeur à l'effet qu'il faut, pour déterminer les dommages compensatoires, se fonder sur les arrêts Brandon c. Canada (Service correctionnel), [1996] A.C.F. no 1, en ligne : QL, et Saint-Jacques c. Canada, [1991] A.C.F. no 306, en ligne : QL, et, qu'ainsi, une somme de 20 $ par jour est appropriée. Pour les 14 jours d'isolement, ceci représente un total de 280 $. La défenderesse conteste le fait que le protonotaire a augmenté, sans justification, cette somme à 3 000 $.

[35]            Sur cette question, j'accepte l'argument du demandeur à l'effet que les dommages ont été évalués par le protonotaire en fonction de la preuve soumise. Compte tenu de la jurisprudence sur la question, les sommes accordées en l'espèce ne sont pas excessives : LeBar c. Canada, [1989] 1 C.F. 603; Brandon; Saint-Jacques; Abbott c. Canada, [1993] A.C.F. no 673, en ligne : QL. À la lumière du principe établi dans Housen, je n'estime pas nécessaire d'intervenir vu que l'évaluation qu'a fait le protonotaire du quantum des dommages n'est pas entachée d'une erreur manifeste et dominante.


d)         Le protonotaire a-t-il commis une erreur en omettant de considérer le non-épuisement de la procédure de règlement des griefs mise en place par la LSCMLSC?

[36]            Puisque la période d'isolement du demandeur était déjà purgée, je suis incapable d'écarter la jurisprudence telle qu'établie dans l'arrêt Zarzour et je partage l'avis que la procédure de grief tel que proposée par la défenderesse n'est pas utile car, la décision n'étant plus opérante, son annulation ne permettra pas d'éliminer ou de réparer le préjudice subi par le demandeur. Puisque la LSCMLSC et les règlements apparentés ne prévoient aucun moyen pour un détenu d'obtenir un remède en dommages-intérêts en cas d'isolement préventif qui n'opère plus, la seule option ouverte au demandeur était celle d'une action présentée devant cette Cour.    Je conclus donc, qu'en l'espèce, la procédure de règlement par voie de grief et éventuellement celle du contrôle judiciaire ne sont pas des recours alternatifs pour réclamer des dommages et intérêts.

Conclusion

[37]            Je suis d'avis que le protonotaire avait la compétence de décider de la détermination de la faute génératrice de responsabilité dans le cadre de cette action simplifiée, que la décision qu'il a rendue est justifiée à la lumière de la preuve présentée et qu'elle n'est pas entachée d'une erreur dominante.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête est rejetée avec dépens.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »          

                                                                                                                                                     Juge                 


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-954-01

INTITULÉ :                                        Daniel Grenier c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 25 août 2004

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 18 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Me Julie Gagné                                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labrecque Robitaille Roberge & Asselin                                    POUR LE DEMANDEUR

Québec (Québec)

Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


COUR FÉDÉRALE

                                      Dossier : T-954-01

ENTRE :

                         DANIEL GRENIER

Demandeur

                                      - et -

      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                         

                                                                  Défendeur

                                                                                   

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                        ET ORDONNANCE

                                                                                   


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.