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Date : 20040323

Dossier : T-531-02

Référence : 2004 CF 423

ENTRE :

                                            PYRRHA DESIGN INC., WADE PAPIN,

                                                        et DANIELLE WILMORE

                                                                                                                            demandeurs/intimés

                                                                             et

                                                  623735 SASKATCHEWAN LTD.,

                                            exerçant son activité sous la dénomination

                                           sociale de SpareParts et DANIEL MYSAK

                                                                                                                       défendeurs/requérants

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         La présente demande m'a été soumise à Winnipeg (Manitoba) le 13 janvier 2004. L'action initiale a été introduite par les demandeurs le 27 mars 2003 au moyen d'une déclaration (voir annexe A ci-jointe). Le 9 décembre 2003, les défendeurs ont déposé un avis de requête par lequel ils demandaient à la Cour de rendre un jugement sommaire et de débouter les demandeurs de leur action au motif que les moyens articulés dans leur déclaration ne révélaient aucune cause d'action valable.


[2]             À la suite de la signification de l'avis de requête en conformité avec le paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), les demandeurs ont joint à leur réponse l'affidavit souscrit par Danielle Wilmore le 18 décembre 2003 (annexe B du présent jugement). À l'audience du 13 janvier 2004, en plus de demander à la Cour de débouter les demandeurs de leur action, les défendeurs ont réclamé la radiation de certains paragraphes de l'affidavit.

[3]         Plus précisément, les défendeurs font valoir que le paragraphe 2 de l'affidavit devrait être radié étant donné que la déposante y exprime un avis juridique qu'il appartient à la Cour de formuler, que le paragraphe 5 est dénué de pertinence, qu'au paragraphe 6, la déclarante formule une conclusion de droit sans preuve à l'appui, que le paragraphe 7 constitue une assertion qui ne repose sur aucun élément de preuve et qui est purement spéculatif et, finalement, que le paragraphe 8 constitue une affirmation intéressée qui ne repose sur aucun élément de preuve et qui est dénuée de toute pertinence.

[4]         Après avoir examiné les observations des deux parties sur cette question, j'estime que les paragraphes contestés de l'affidavit de Danielle Wilmore doivent effectivement être supprimés.


[5]         Je passe maintenant à la requête en jugement sommaire et en rejet de l'action des demandeurs. Les défendeurs affirment qu'il est évident que le moyen tiré de la responsabilité repose exclusivement sur des allégations de violation du droit d'auteur portant sur certains dessins de bijoux et que, vu le paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C., ch. C-42, les dessins de bijoux sont susceptibles d'être enregistrés en tant que dessins industriels. Les défendeurs soutiennent en conséquence qu'il n'y a pas matière à procès et que la Cour devrait rendre un jugement sommaire.

[6]         L'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur est ainsi libellé :

64. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 64.1.

« dessin » Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.

                « fonction utilitaire » Fonction d'un objet autre que celle de support d'un produit artistique ou littéraire.

                « objet » Tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou d'une machine.

« objet utilitaire » Objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci.

(2) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une oeuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n'en diffère pas sensiblement, en réalisant l'objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d'accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l'objet, de par l'autorisation du titulaire - au Canada ou à l'étranger - remplisse l'une des conditions suivantes :

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires;

b) s'agissant d'une planche, d'une gravure ou d'un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.

(3) Le paragraphe (2) ne s'applique pas au droit d'auteur ou aux droits moraux sur une oeuvre artistique dans la mesure où elle est utilisée à l'une ou l'autre des fins suivantes :

a) représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet;

[...]

f) objets vendus par ensembles, pourvu qu'il n'y ait pas plus de cinquante ensembles;


[7]         Les défendeurs font valoir que l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur prévoit une exception à la violation du droit d'auteur lorsque la protection accordée aux dessins industriels s'applique. Lorsque la protection accordée aux dessins industriels s'applique, la seule réparation est celle qui est prévue par la Loi sur les dessins industriels et non celles que peut prévoir la Loi sur le droit d'auteur. Si l'article est susceptible de faire l'objet d'un droit d'auteur et que cet objet est « utile » et n'est pas reproduit à plus de 50 exemplaires, il peut bénéficier de la protection du droit d'auteur et, si les quatre critères sont respectés, aucune des exceptions énumérées au paragraphe 64(3) ne s'applique.

[8]         Les dessins de bijoux sont, comme l'affirment les demandeurs, des « dessins » au sens de la Loi. Par ailleurs, en réponse à une demande d'admission de faits, les demandeurs/intimés ont reconnu que l'objet en question avait été reproduit à plus de 50 exemplaires.

[9]         On trouve la définition suivante du mot « dessin » au paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur : « caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs » .

[10]       On retrouve exactement la même définition du mot « dessin » dans laLoi sur les dessins industriels, L.R.C., ch. I-19. En outre, les mots « objet » , « objet utilitaire » et « fonction utilitaire » sont définis de la même façon dans les deux lois.


[11]       Les défendeurs font également valoir qu'un dessin de bijou peut valablement faire l'objet d'un enregistrement à titre de dessin industriel. Les recherches effectuées par les défendeurs ont révélé que plus de 11 000 dessins industriels différents portant sur des bijoux ont été enregistrés auprès de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada conformément à la Loi sur les dessins industriels. Ils en concluent que, pour protéger leurs dessins, les demandeurs doivent introduire une action pour violation de droit exclusif en vertu de la Loi sur les dessins industriels. Or, ce moyen n'a pas été invoqué dans la déclaration.

[12]       Le critère applicable suivant consiste à déterminer si le dessin revendiqué par les demandeurs peut ou non faire l'objet d'un droit d'auteur. Il n'y a aucun doute, aux termes du paragraphe 34.1(1) de la Loi sur le droit d'auteur, que la protection du droit d'auteur est, jusqu'à preuve contraire, présumée, et que l'auteur est, jusqu'à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d'auteur. Par l'effet de cet article, les dessins en question pourraient donc faire l'objet d'un droit d'auteur.

[13]       Il est admis et plaidé que les demandeurs Wade Papin et Danielle Wilmore sont les concepteurs des divers dessins de bijoux et qu'ils sont incontestablement les titulaires du droit d'auteur sur les dessins en question.

[14]       Sur la question de savoir si le dessin en question constitue ou non un « objet utilitaire » , la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la définition de cette expression dans l'affaire Datafile Ltd. c. DRG Inc., (1991) 35 C.P.R. (3d) 243. Voici ce que la Cour écrit :

Par conséquent, il serait peut-être juste de dire que si l'élément artistique peut être appliqué à un objet manufacturé qui a en lui-même une fonction utilitaire même lorsqu'il ne présente pas cet élément artistique, il s'agit alors d'un dessin au sens de la Industrial Design and Union Label Act. Mais si cet élément artistique, à défaut d'une meilleure expression, peut exister indépendamment et distinctement du produit manufacturé, il existe alors une oeuvre artistique susceptible d'être protégée en vertu de la Copyright Act [...]


[15]       Suivant l'analogie et à l'analyse que l'on trouve dans l'arrêt Datafile Ltd., comme les dessins de bijoux sont tridimensionnels, ils sont susceptibles d'être enregistrés conformément à la Loi sur les dessins industriels et ils ne peuvent faire l'objet d'une exception, étant donné que l'oeuvre n'est pas achetée purement et simplement en raison de ses propriétés artistiques, mais à cause de son utilité, indépendamment de sa conception.

[16]       Finalement, les demandeurs affirment que, par les modifications qu'il a apportées en 1988 à la Loi sur le droit d'auteur et à la Loi sur les dessins industriels, le législateur a reconnu la double protection dont bénéficie un dessin.

[17]       On m'a convaincu que le dessin de bijoux constitue un dessin tant au sens de la Loi sur le droit d'auteur qu'au sens de la Loi sur les dessins industriels. Je suis convaincu qu'il faisait l'objet du droit d'auteur et que l'objet avait été reproduit à plus de cinquante exemplaires. Je suis également convaincu que l'objet en question est un objet utilitaire au sens de l'analyse proposée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Datafile Ltd., précité.

[18]       Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, les débats qui ont eu lieu à la Chambre des communes en 1988 visaient à mettre un terme à l'incertitude entourant les activités créatrices. Je me permets de citer les propos tenus par l'un des intervenants lors du débat, propos auxquels le ministre qui a proposé les modifications a entièrement souscrit :


Ce projet de loi aura pour conséquence que les dessins relativement rares qui n'ont qu'un but purement artistique, et ne sont pas destinés à la fabrication, bénéficieront de la protection du droit d'auteur, alors que la grande majorité des dessins qui sont créés à des fins industrielles, soit, des produits fabriqués à plus de 50 exemplaires, n'en bénéficieront pas. Ceux-ci seront protégés, s'ils le sont aux termes de la Loi peu connue sur les dessins industriels, qui ne fait que deux pages environ, que s'ils se sont enregistrés dans la limite de temps précise d'une année autorisée aux termes de cette loi. Par conséquent, le projet de loi aura pour conséquence ultime de refuser le droit d'auteur à la plupart des dessins et de les placer sous la protection de la Loi sur les dessins industriels.

[19]       La Cour devrait-elle prononcer le jugement sommaire demandé? La Cour est convaincue que les défendeurs ont clairement démontré que le paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d'auteur s'applique et qu'aucune des exceptions énumérées au paragraphe 64(3) n'a pour effet d'annuler son application. En conséquence, il ne reste aucune question pertinente à trancher, suivant les éléments de preuve qui ont été soumis à la Cour et suivant lesquels les demandeurs/intimés se sont fondés exclusivement sur les allégations de violation de droit d'auteur dans leur déclaration.

[20 ]      Telle qu'elle est libellée, l'action est rejetée. Les demandeurs sont condamnés aux dépens.

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 23 mars 2004.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                  T-531-02                      

INTITULÉ :                                PYRRHA DESIGN INC., WADE PAPIN ET DANIELLE WILMORE c. 623735 SASKATCHEWAN LTD., EXERÇANT SON ACTIVITÉ SOUS LA DÉNOMINATION SOCIALE DE SPAREPARTS ET DANIEL MYSAK

LIEU DE L'AUDIENCE :          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 13 janvier 2004

MOTIFS :                                    LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :               Le 23 mars 2004

ONT COMPARU:                    

Gosia Bawoisk                                                                    Pour les demandeurs/intimés

Cory J. Furman                                                                   Pour les défendeurs/requérants

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conkie & Company                                                            Pour les demandeurs/intimés

1122, rue Mainland, bureau 340

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6B 5L1                                      

Furman & Kallio                                                                 Pour les défendeurs/requérants

2002, avenue Victoria, bureau 1400

Regina (Saskatchewan)

S4P 0R7                                      


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