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     Date: 19981127

     Dossier: T-1512-97

         DANS L'AFFAIRE impliquant une décision rendue par le Directeur du Bureau de l'impôt d'Ottawa, Harvey C. Beaulac, le 16 juin 1997 selon les pouvoirs qui lui sont conférés par les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C., 1985 c. 1 (5e suppl.) telle qu'amendée.                 

Entre :

     ALEX PARALLEL COMPUTERS RESEARCH INC.

     Requérante

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     - et -

     HARVEY C. BEAULAC

     en sa qualité de Directeur,

     Bureau de l'impôt d'Ottawa,

     Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      Cette demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, telle qu'amendée, vise une décision rendue le 16 juin 1997 par Harvey C. Beaulac en sa qualité de Directeur, Bureau de l'impôt d'Ottawa, Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt (le "Directeur"). Cette décision refusait d'accorder à la requérante une renonciation à l'exigence de production d'un formulaire prescrit et une prorogation du délai de production d'une déclaration ou d'un formulaire prescrit, relativement à l'année d'imposition 1994, en vertu des paragraphes 220(2.1) et 220(3), respectivement, de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), telle qu'amendée. Ces dispositions statutaires se lisent comme suit:

220(2.1). Where any provision of this Act or a regulation requires a person to file a prescribed form, receipt or other document, or to provide prescribed information, the Minister may waive the requirement, but the person shall provide the document or information at the Minister's request.

220(3). The Minister may at any time extend the time for making a return under this Act.


220(2.1). Le Ministre peut renoncer à exiger qu'une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits,aux termes d'une disposition de la présente loi ou de son règlement d'application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du Ministre.

220(3). Le Ministre peut à tout moment proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.


LES FAITS

[2]      La requérante, Alex Parallel Computers Research Inc. ("APCR"), une entreprise oeuvrant dans le domaine de l'informatique, se spécialise dans la conception et le développement de logiciels utilisés sur des super-ordinateurs appelés "ordinateurs parallèles" qui fonctionnent essentiellement grâce à l'énergie informatique qu'ils puisent à partir de plusieurs micro-ordinateurs.

[3]      En date du 1er mars 1993, APCR a conclu, avec l'Université d'Ottawa, une convention de recherche en vertu de laquelle l'Université d'Ottawa s'engageait à effectuer des travaux de recherche et de développement expérimental de certains logiciels dans le cadre d'un projet de recherche appelé "Simulation urbaine et les automates: Proposition d'un nouveau modèle de dynamique urbaine" (la "Convention de recherche"). L'article 5.2 de cette Convention de recherche prévoyait qu'en contrepartie du travail de recherche effectué par l'Université d'Ottawa, APCR paierait à cette dernière la somme de 2 944 482,93 $ en 24 paiements mensuels égaux de 122 686,79 $ s'échelonnant de mars 1993 à mars 1995.

[4]      Le ou vers le 31 août 1994, Revenu Canada a commencé une vérification de la déclaration du revenu d'APCR pour son année d'imposition 1993 concernant, inter alia, les crédits d'impôt à l'investissement réclamés par APCR à l'égard des dépenses de recherches scientifiques et de développement technique encourues relativement à la Convention de recherche. Pendant toute la durée de la vérification, soit pendant près de deux ans, APCR a collaboré pleinement avec Revenu Canada en fournissant toutes les informations requises par Revenu Canada tant scientifiques, techniques que financières. Entre autres, Revenu Canada eut accès à tous les documents bancaires d'APCR en ce qui a trait, à tout le moins, aux documents bancaires relatifs aux années d'imposition 1993 et 1994. Cette vérification incluait également un groupe de compagnies, soit Alex Informatique Inc., I.M.D. Research Corporation, M.P.P. Research Corporation Inc. et Almerco Inc. ("les autres compagnies"). Toute cette vérification fiscale a donné lieu à des discussions et des négociations qui ont mené ultérieurement à une entente signée le 12 mars 1996 ("l'Entente") entre Revenu Canada et la requérante. Ces négociations et discussions ont également mené à la conclusion d'une entente similaire entre Revenu Canada et les autres compagnies, lesquelles étaient d'ailleurs représentées par les mêmes procureurs que la requérante.

[5]      Pour l'année d'imposition 1993, l'Entente prévoyait précisément les dépenses que Revenu Canada était prêt à accepter et cotiser puisqu'une vérification fiscale de la requérante avait été faite pour ladite année. En ce qui concerne les années d'imposition 1994 et 1995, l'Entente prévoyait que la requérante acceptait de réclamer conformément aux articles 37, 127 et 127.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, 66,5% des montants payés dans chacune de ces années, conformément à la Convention de recherche.

[6]      Pour son année d'imposition 1994, la requérante pouvait, conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, en présentant le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits, réclamer les dépenses de nature courante qu'elle avait faites au cours de l'année pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental et réclamer des crédits d'impôt se rapportant à de telles activités. Son année d'imposition 1994 se terminant le 30 octobre 1994, la requérante avait jusqu'au 30 avril 1996 pour produire les formulaires prescrits lui permettant d'avoir droit aux crédits d'impôt à l'investissement et pour pouvoir déduire du calcul de son revenu des dépenses de nature courante qu'elle avait faites au cours de l'année pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental. Or, les formulaires prescrits pour l'année d'imposition 1994 n'ont été produits que le 12 juin 1996, soit trois mois après la conclusion de l'Entente avec Revenu Canada et six semaines après la date limite prescrite à la Loi de l'impôt sur le revenu. En effet, le 7 juin 1996, Madame Jill Abraham a contacté par téléphone le procureur de la requérante pour l'informer que Revenu Canada n'avait pas en main la déclaration de revenu 1994 de la requérante et qu'elle ne pouvait donc pas commencer la vérification à l'égard de cette année. Cinq jours plus tard, soit le 12 juin 1996, la requérante produisit sa déclaration de revenu 1994, livrée directement au bureau de Madame Jill Abraham à Revenu Canada. Par ailleurs, les autres compagnies avaient toutes produit leur déclaration de revenu 1994 avec les formulaires prescrits dans les délais prévus à la Loi de l'impôt sur le revenu avant même la conclusion de l'Entente de mars 1996.

[7]      Des démarches préliminaires visant à éviter les conséquences néfastes de son défaut d'agir dans les délais prescrits n'ayant pas porté fruits, APCR, le 3 février 1997, présenta ultimement une demande de renonciation à l'exigence de production des formulaires prescrits et, alternativement, une demande de prorogation de délai au Directeur chargé d'exercer les pouvoirs discrétionnaires prévus aux paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, supra. C'est la décision refusant ces deux dernières demandes qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTION EN LITIGE

[8]      APCR reproche essentiellement au Directeur d'avoir illégalement exercé sa discrétion en ce qu'il a:

     a)      omis de respecter le droit d'APCR d'être traitée avec équité en lui refusant un droit d'être entendue efficace;
     b)      commis une erreur de droit en donnant une interprétation indûment restrictive à la discrétion qui lui est conférée par les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu; et
     c)      pris en considération des éléments non pertinents à l'exercice de sa discrétion et refusé de prendre en considération des éléments pertinents à l'exercice de sa discrétion.

ANALYSE

[9]      Pour justifier sa demande à deux volets, APCR représenta essentiellement au Directeur que l'Entente prévoyait expressément, inter alia, qu'APCR pourrait déduire 65% des montants des dépenses de recherche et développement pour l'année d'imposition 1994; que par la vérification effectuée, la correspondance échangée entre les parties au cours de cette vérification et le règlement intervenu, Revenu Canada avait eu l'entière connaissance des montants des dépenses de recherche et développement auxquels APCR avait droit pour son année d'imposition 1994; que Revenu Canada avait accepté les montants des dépenses déductibles d'impôt à titre de dépenses de recherche et développement encourues par APCR pour son année d'imposition 1994; et que ce n'est seulement qu'après l'Entente du 12 mars 1996 qu'APCR avait pu déterminer de façon définitive le montant des dépenses de recherche et développement admissible comme déduction d'impôt pour son année d'imposition 1994, puisque ce montant dépendait du résultat de la vérification et des négociations en cours avec Revenu Canada.

[10]      Or, en ce qui a trait au premier volet de la demande d'APCR visant à être dispensée de la production des formulaires prescrits en vertu du paragraphe 220(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Directeur l'a refusée sur l'unique base que les dispositions du paragraphe 220(2.1) devaient être limitées, conformément à une politique d'application ministérielle, à la production de documents par voie électronique. Voici, en effet, ce qu'exprime la décision du Directeur, à cet égard:

         It is the stated position of Revenue Canada that Subsection 220(2.1) may not be used to avoid the strict time limits imposed Subsections 37(1) and 127(9). The intention of this provision was to accommodate E-File and allow documents not to be submitted when they would normally be required for "paper" filing. We have referred this specific issue to our Headquarters and have received their advice that their instructions on this matter previously given to the field should be followed.                 

[11]      Quant à la politique d'application à laquelle réfère la dernière phrase de cet extrait de la décision, il n'est pas contesté qu'il s'agit de celle exprimée comme suit par Martin T. Harvey, un employé de Revenu Canada responsable du dossier d'APCR, lors d'un interrogatoire préalable à l'audition de la présente requête en contrôle judiciaire1:

         Application policy SR and ED 9601, page seven (7), states that, quote :                 
             " Any requests to waive this requirement," and I put in brackets in this because it's just an explanation, "(to provide prescribed information within given time frames)," closed brackets, "under subsection 222.1 should be denied. Subsection 222.1 was included in the Act to accommodate E-filing."                         
         End of quote.                 

[12]      À mon avis, en appliquant rigoureusement cette politique d'application comme il l'a fait (et comme les quartiers généraux de Revenu Canada l'ont avisé de faire), le Directeur a élevé des lignes directrices au niveau d'une loi et, ainsi, limité l'autorité décisionnelle dans l'exercice de la discrétion à lui conférée par une loi habilitante. Cela est carrément contraire à l'enseignement que l'on retrouve dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, où la Cour suprême du Canada exprime ce qui suit aux pages 6 et 7:

         . . . C'est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l'adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n'y a rien d'illégal ou d'anormal à ce que le Ministre chargé d'appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d'importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l'appelante allègue qu'elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le juge Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513:                 
             Le Ministre est libre d'indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).                 

[13]      En effet, en l'espèce, le texte du paragraphe 220(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne restreint d'aucune façon l'exercice de la discrétion du Ministre de renoncer à exiger la production d'un formulaire prescrit ou autre document au seul cas où le contribuable déposerait des formulaires prescrits ou autres documents par courrier électronique.

[14]      En conséquence, en interprétant et en limitant, comme il l'a fait, la discrétion conférée par le paragraphe 220(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Directeur a erré en droit et a indûment omis d'exercer la compétence statutaire lui permettant de prendre en considération les circonstances ci-dessus à lui exposées par APCR. Bien sûr, il ne m'appartient pas d'exercer moi-même la discrétion conférée par le paragraphe 220(2.1), pas plus qu'il m'incombe de dire au Directeur de quelle façon apprécier toutes les circonstances particulières d'APCR. Je ne peux que renvoyer l'affaire au Ministre (ou à son représentant dûment autorisé) avec instruction de ne pas rigoureusement limiter l'exercice de la discrétion conférée par le paragraphe 220(2.1) à des lignes directrices qui n'ont pas force de loi.

[15]      Quant au deuxième volet de la décision du Directeur, même si j'ai de sérieux doutes quant à sa validité, vu la décision de mon collègue le juge Joyal dans Kutlu2, une affaire semblable, je ne crois pas nécessaire de trancher la question maintenant, puisqu'il demeure possible qu'après reconsidération de toute l'affaire, le Ministre (ou son représentant dûment autorisé) accorde soit la renonciation requise en vertu du paragraphe 220(2.1), ce qui rendrait inutile la requête d'APCR faite en vertu du paragraphe 220(3), soit même la prorogation de délai demandée en vertu de cette dernière disposition.

[16]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Directeur, en date du 16 juin 1997, est annulée et l'affaire est renvoyée au Ministre (ou à son représentant dûment autorisé) pour qu'elle soit reconsidérée en prenant pour acquit que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 220(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne peut être entravé en tenant une politique d'application ou des lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 novembre 1998


__________________

1      Dossier des intimés, page 73.

2      Kutlu et al. v. The Queen (M.N.R.), 97 D.T.C. 5180. Voir aussi Tic Toc Tours Ltd. c. M.R.N., [1983] 1 C.F. 254 (C.A.).

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