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Date : 20040623

Dossier : T-438-03

Référence : 2004 CF 897

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                JULIA EARL et LORRAINE JACK

                                                                                                                                          appelantes

                                                                          - et -

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

(MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

DU NORD CANADIEN),

HUGH THEODORE (CHICO) JACK,

THERESA MARTINA JACK,

VICTOR FRANK JACK, JOSEPH RONALD DEAN JACK,

STEVEN ALLAN JACK a/s de MARILYN JACK,

BARBARA ANN WHITMORE, WAYNE GRANT JACK,

et JOHN JACK

                                                                                                                                                intimés

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 47 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (la Loi), par Mmes Julia Earl et Lorraine Jack, les appelantes, dans l'affaire intéressant la succession de leur défunt père. Le litige porte sur une succession composée de terres estimées à 405 000 $ dans la réserve Okanagan laissées par Frank Jack alias Frank Leo Jack, no 77(01), Bande indienne Okanagan, qui est décédé le 11 février 2001 à la Polson Extended Care, une maison de soins infirmiers située à Vernon, en Colombie-Britannique, où il vivait depuis quatre mois. Avant cela, il avait passé 9 ans à la Whispering Pines, une maison de soins infirmiers située à Westbank, en Colombie-Britannique. La maison se trouvait dans la réserve indienne de Westbank, mais n'était pas dans une réserve appartenant à la Bande indienne Okanagan dont feu Frank Jack était membre. Il a été admis à la Pine Acres le 12 décembre 1994 pour cause de maladie. Ensuite, le 21 avril 1995, il a été jugé mentalement incapable par une ordonnance judiciaire.


[2]                Le 8 mars 2001, John Jack, un des fils de Frank Jack, a présenté une demande au ministre visant à obtenir un document, daté du 28 février 1980, apparemment signé par le défunt (le testament), devant être approuvé comme son dernier testament. À titre d'exécuteur testamentaire nommé dans le testament et de demandeur, John Jack a juré de prendre toutes les mesures raisonnables pour localiser tous les héritiers légitimes (ceux qui hériteraient si le défunt n'avait pas de testament) et de leur fournir une copie du testament. Les bénéficiaires du testament sont les fils de Frank Jack, John Jack et Joseph Jack (les personnes intimées), de même que Williard Jack, qui est décédé avant Frank Jack. Par conséquent, comme le prévoit le testament, l'héritage est partagé également par les personnes intimées. Le testament ne prévoit rien en ce qui concerne les filles de Frank Jack : Theresa Martina Jack, Ida Jack (décédée, une fille et un fils lui ont survécu), Mildred Jack (décédée, un fils lui a survécu) et les appelantes, Julia Earl et Lorraine Jack. Rien n'est prévu non plus pour Marilyn Johnson, qui est également la fille de Frank Jack mais d'une mère différente, ou pour sa petite-fille, Barbara Ann Whitmore.

[3]                Le 19 mars 2001, la représentante du ministre, Kathy Hankin, a approuvé le testament et a nommé John Jack à titre d'exécuteur testamentaire (la décision de 2001).

[4]                Les 10 et 12 avril 2001, les représentants de Judy Jack et de Lorraine Jack, respectivement, ont communiqué avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) et ont donné avis de leur intention de contester le testament de Frank Jack en application de l'article 46 de la Loi. Le 12 juillet 2001, Donald Knapp, l'ancien avocat des appelantes, a écrit au MAINC pour demander que le testament de Frank Jack soit déclaré nul en application de l'article 46 de la Loi. Me Knapp a mentionné que la position de ses clientes était que le testament devrait être déclaré nul pour quatre motifs : (1) l'habilité à tester; (2) l'influence indue; (3) le testament a causé des privations à ses clientes; (4) le testament était contraire à l'intérêt public. Me Knapp a laissé entendre que le meilleur forum pour entendre l'affaire serait la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le 14 août 2001, Me Knapp a écrit de nouveau au MAINC pour demander que sa lettre du 12 juillet 2001 soit soumise au ministre avec les pièces jointes. Il visait précisément à obtenir du ministre une déclaration annulant le testament de Frank Jack, conformément aux alinéas 46(1)a), b), c) et f) de la Loi. Subsidiairement, il visait à obtenir une ordonnance transférant à la Cour suprême de la Colombie-Britannique la compétence à l'égard du testament, conformément au paragraphe 44(2) de la Loi.


[5]                Le 11 septembre 2001, Karl T. Marsden, l'avocat de John Jack, a écrit au MAINC en réponse aux lettres de Me Knapp, datées du 12 juillet et du 14 août 2001. Dans sa lettre, Me Marsden a indiqué la position de son client, au sujet des allégations formulées dans la lettre du 12 juillet 2001, et il a ajouté que la position de son client était que la validité du testament devrait être confirmée. Dans une lettre datée du 13 septembre 2001 et adressée au MAINC, Marilyn Johnston a fait part du fait qu'elle appuyait ses soeurs, Lorraine Jack et Julia Earl, dans leur demande pour que le testament de Frank Jack soit déclaré invalide.

[6]                Le 18 février 2003, le ministre a décidé de ne pas déclarer nul le testament de Frank Jack (la décision de 2003).

[7]                Le 27 février 2003, le MAINC a informé les appelantes, tous les bénéficiaires et tous les héritiers potentiels que le ministre avait rejeté la demande visant à déclarer nul le testament et que la succession serait administrée conformément à celui-ci. Une copie de la décision de 2003 est jointe à cette lettre et elle se lit comme suit :

[traduction]

DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE VISANT À DÉCLARER NUL UN TESTAMENT - REJETÉE

DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LES INDIENS, L.R.C. 1985, CH. I-5, DANS SA VERSION MODIFIÉE, ET LA SUCCESSION DE FRANK JACK, alias Frank Leo Jack, NO 77(01), PREMIÈRE NATION OKANAGAN, DÉCÉDÉ


En vertu de l'article 46 de la Loi sur les Indiens, je souscris à l'approbation, donnée le 19 mars 2001, du testament de feu Frank Jack, daté du 28 février 1980.

signé (illisible)                                                                          Le 18 février 2003

pour Alain Jolicoeur                                                                                Date

[8]                Le 17 mars 2003, en vertu de l'article 47 de la Loi, les appelantes, par l'entremise de leur nouvelle avocate, Me Teressa Nahanee, ont déposé auprès de la Cour un avis d'appel de la décision de 2003.

[9]                Par le présent appel, les appelantes visent à obtenir une ordonnance pour que :

a)          le testament soit déclaré nul;

b)          la décision de 2003 soit annulée;

c)          la succession de Frank Jack soit distribuée en vertu de l'article 48 de la Loi;

d)          les dépens soient adjugés à l'encontre de la succession de Frank Jack.

[10]            Dans la décision Morin c. Canada (2001), 213 F.T.R. 291; [2001] A.C.F. no 1936 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 58 et 59, la juge Dawson a fait l'analyse suivante au sujet de la norme de contrôle applicable à un appel interjeté, en vertu de l'article 47, à l'encontre de la décision du ministre :

[...] L'approche pragmatique et fonctionnelle requiert la prise en compte de plusieurs facteurs : l'existence d'une clause privative, la nature de la décision visée par le contrôle, l'objet du texte législatif et la spécialisation du décideur.


En l'espèce, il n'y a pas de clause privative, le point de savoir si le testament de 1986 révèle une intention testamentaire est essentiellement un point de fait, l'objet des dispositions applicables de la Loi sur les Indiens est de mettre en équilibre des droits individuels (et les points à décider ne sont donc pas polycentriques), enfin il n'a pas été démontré que le décideur avait un champ particulier de spécialisation. La norme de contrôle devrait donc se situer quelque part entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[11]            Dans cette affaire, la juge Dawson n'a pas eu à décider si la norme était celle de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable, puisqu'elle a conclu que la décision était manifestement déraisonnable. Cela étant dit, les commentaires de la juge Dawson concernant l'absence de clause privative, l'objet de la Loi (établir un équilibre entre les droits des personnes) et l'absence de spécialisation particulière de la part du décideur demeurent tous applicables à la présente analyse. Toutefois, en l'espèce, je qualifierais les questions en litige comme des questions de compétence ou comme des questions mixtes de droit et de fait. Ainsi, appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British-Columbia), [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599 (C.S.C.)), je conclus que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter, alors que c'est à la Cour de décider, en se fondant sur la norme de la décision correcte, si le ministre avait compétence ou s'il y a eu une violation des principes de justice naturelle.


[12]            Conformément au paragraphe 42(1) de la Loi, la compétence sur les questions testamentaires relatives aux Indiens décédés est attribuée exclusivement au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). L'article 43 de la Loi prévoit que le ministre peut, entre autres choses, nommer et révoquer des exécuteurs testamentaires et des administrateurs de successions, ainsi que donner effet aux testaments d'Indiens décédés et administrer les biens d'Indiens morts intestats. Le testament fait par un Indien n'a pas besoin d'être fait dans une forme particulière pour autant qu'il soit fait par écrit et qu'il contienne ses désirs ou intentions à l'égard de la disposition de ses biens lors de son décès (paragraphe 45(2) de la Loi).

[13]            Comme la Cour l'a déjà souligné dans la décision Morin, précitée, en conférant, par l'article 42 de la Loi, une compétence au ministre sur les questions testamentaires, le législateur fédéral lui conférait une compétence qui concerne l'attribution et la révocation des lettres de vérification ou des administrateurs, ainsi qu'une compétence sur les matières accessoires. Le législateur a donc attribué au ministre une compétence semblable à celle qui est exercée par les tribunaux des successions et des tutelles et tous les sujets mentionnés dans l'article 43 participent de la compétence historique en matière d'homologation de testaments. À cet égard, l'article 45 a pour objet de préciser les droits des Indiens, non de conférer un pouvoir au ministre.


[14]            Cela étant dit, la compétence du ministre excède celle traditionnellement conférée aux tribunaux des successions et des tutelles. Elle comprend la compétence historiquement détenue par les cours supérieures en ce qui a trait à la solution de questions se rapportant à l'interprétation d'un testament admis à vérification et à sa validité dans les cas où on allègue que le testament a été établi sous l'effet de la contrainte ou d'une influence indue ou que, au moment où il a fait ce testament, le testateur n'était pas habile à tester. C'est cette compétence des cours supérieures qui est pour l'essentiel reprise dans le paragraphe 46(1) de la Loi, lequel confère au ministre le pouvoir de déclarer nul, en totalité ou en partie, le testament d'un Indien dans ces deux derniers cas (alinéas 46(1)a) et b)), mais également dans un certain nombre d'autres cas, comme dans le cas où le ministre est convaincu que les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles le testateur était tenu de pourvoir ou qu'elles sont contraires à l'intérêt public (alinéas 46(1)c) et f) de la Loi).

[15]            Le législateur a également reconnu que les cours supérieures, qui avaient à leur disposition des moyens plus étendus et plus efficaces pour enquêter dans les circonstances liées à l'habilité à tester ou à la contrainte, peuvent être saisies par le ministre d'une demande pour l'attribution de lettres de vérification ou de toute question que peut faire surgir un testament ou l'administration d'une succession (paragraphe 44(2) de la Loi). Cela signifie en pratique que, à toute étape du processus, le ministre peut choisir de faire un tel renvoi au tribunal qui aurait compétence si le défunt n'était pas un Indien.


[16]            En fait, nul testament fait par un Indien n'a d'effet juridique comme disposition de biens tant qu'il n'a pas été approuvé par le ministre ou homologué par un tribunal en conformité avec la présente loi (paragraphe 45(3) de la Loi). De plus, lorsque le testament d'un Indien est déclaré entièrement nul par le ministre ou par un tribunal, la personne qui a fait ce testament est censée être morte intestat, et, lorsque le testament est ainsi déclaré nul en partie seulement, sauf indication d'une intention contraire y énoncée, tout legs de biens meubles ou immeubles visé de la sorte est réputé caduc (paragraphe 46(2) de la Loi). Dans un tel cas, les actifs sont distribués de la manière prévue à l'article 48 de la Loi.

[17]            L'article 47 prévoit qu'une décision rendue par le ministre dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 42, 43 ou 46 peut être portée en appel devant la Cour fédérale dans les deux mois de cette décision, par toute personne y intéressée, si la somme en litige dans l'appel dépasse cinq cents dollars ou si le ministre y consent. Comme la Cour l'a décidé dans la décision Morin, précitée, il est évident que le législateur voulait, par l'article 47 de la Loi, accorder plein droit d'appel à l'égard de toutes les décisions rendues par le ministre dans l'exercice de sa compétence sur les questions testamentaires. Cela comprends la décision du ministre d'accepter ou de rejeter une demande visant à homologuer le testament établi par un Indien ou visant à ce qu'il soit déclaré nul. Comme il a été décidé dans la décision Morin, la source du pouvoir du ministre d'accepter un instrument écrit comme testament est l'article 42 et non l'article 45. Cette manière de voir permet d'éviter le résultat bizarre selon lequel il pourrait être fait appel d'une décision se rapportant à des questions testamentaires, notamment la nomination d'un exécuteur testamentaire, mais non d'une décision concluant à l'inexistence d'une intention testamentaire dans un document.


[18]            Cela étant dit, il existe une condition précédant l'exercice par le ministre de la compétence qui lui a été conférée relativement aux biens des Indiens décédés (article 42 et suivants), des Indiens mentalement incapables (article 51) et des enfants mineurs (article 52). Sauf si le ministre en ordonne autrement, le régime complet établi par les articles 42 à 52 ne s'applique à aucun Indien, ni à l'égard d'aucun Indien, ne résidant pas ordinairement dans une réserve ou sur des terres qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province (paragraphe 4(3) de la Loi).

[19]            Le 2 juin 2004, au début de l'audience tenue devant la Cour à Vancouver, la nouvelle avocate des appelantes a mentionné que les appelantes ne désiraient plus que la Cour examine les motifs d'invalidité fondés sur les alinéas 46(1)a), b), c) et f) de la Loi et qui avaient été soulevés par l'ancien avocat des appelantes dans ses lettres du 12 juillet et du 14 août 2001.

[20]            Par conséquent, il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le ministre a agi de manière déraisonnable en refusant de déclarer invalide le testament pour les motifs suivants :

a)          le testament a été établi sous l'effet de la contrainte ou d'une influence indue;

b)         au moment où il a fait ce testament, le testateur n'était pas habile à tester;

c)          les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles le testateur était tenu de pourvoir;

d)          les clauses du testament sont contraires à l'intérêt public.

[21]            Restent les autres motifs d'appel soumis par la nouvelle avocate des appelantes. Fondamentalement, les appelantes prétendent que le ministre a commis une erreur en confirmant la décision de 2001:

a)          le ministre n'avait pas, au départ, la compétence pour approuver le testament. Le défunt ne résidait pas ordinairement dans la réserve indienne Okanagan au moment de son décès. C'était le curateur public plutôt que le MAINC qui administrait les affaires de Frank Jack après qu'il a été déclaré mentalement incapable;

b)          le ministre ne disposait pas d'un document original;

c)          il y a eu déni des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale lorsque le ministre a rendu la décision de 2001.


[22]            J'estime que les motifs d'appel mentionnés dans le dernier paragraphe n'ont pas été régulièrement présentés devant la Cour. Vu la position prise antérieurement devant le ministre par les appelantes, celles-ci ne peuvent prétendre maintenant qu'il n'a pas été satisfait aux conditions mentionnées au paragraphe 45(2) de la Loi ou qu'il y a eu déni des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale. Il est clair que la demande que les appelantes ont faite en 2001 reposait exclusivement sur l'article 46 de la Loi et qu'elle visait à faire déclarer nul le testament pour un ou pour l'ensemble des quatre motifs mentionnés précédemment (habilité à tester, influence indue, privations et intérêt public). De toute manière, selon la preuve qui se trouve présentement au dossier et selon la loi telle que je la lis, tous les reproches formulés par les appelantes sont sans fondement.

[23]            En demandant au ministre de déclarer nul le testament pour l'un des motifs mentionnés au paragraphe 46(1) de la Loi, les appelantes ont, de fait, reconnu que le ministre avait compétence pour homologuer le testament du défunt. En même temps, elles désirent que la succession soit distribuée aux héritiers conformément à l'article 48, ce qui découlerait d'une décision selon laquelle le testament est nul (paragraphe 46(2)). On peut donc se demander comment les appelantes peuvent, en même temps, affirmer que le défunt ne résidait pas ordinairement dans une réserve. Dans un tel cas, cela signifie que les articles 42 à 52 ne s'appliqueraient pas. Par conséquent, les héritiers ne pourraient pas, au départ, demander au ministre de distribuer la succession conformément au système de distribution mentionné à l'article 48. De toute manière, les appelantes n'ont présenté à la Cour aucun élément de preuve concluant pour démontrer que Frank Jack ne devrait pas être considéré comme résidant ordinairement dans une réserve. En fait, lorsqu'il a approuvé le testament, le ministre possédait un élément de preuve pour appuyer ce fait sous la forme d'un rapport de décès, daté du 13 février 2001 (fourni au MAINC par la Bande indienne Okanagan), qui déclarait que Frank Jack avait toujours résidé dans la réserve indienne. La preuve indique que Frank Jack vivait dans sa maison dans la réserve indienne Okanagan de Priest Valley avant d'être admis à la Pine Acres Home, dans la réserve indienne de Westbank, et ensuite d'être admis au Polson Extended Care Facility en raison d'une nécessité médicale.


[24]            J'accepte donc l'observation faite par la Reine intimée selon laquelle Frank Jack [traduction] « résidait ordinairement » dans la réserve au sens que la Loi donne à cette expression, laquelle a été interprétée comme signifiant la résidence selon le style de vie de la personne par opposition à la résidence utilisée dans des circonstances spéciales, occasionnelles ou épisodiques (Canada (P. G.) c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170; (1975), 52 D.L.R. (3d) 548 (C.S.C.)). Cela étant dit, je remarque que le paragraphe 4(3) de la Loi exige seulement que Frank Jack réside ordinairement dans une réserve, et non dans la réserve ou dans une réserve en particulier. En plus, les lois qui régissent la dévolution des biens ne devraient pas varier lorsqu'une personne est obligée de vivre à l'extérieur de la réserve pour cause de maladie et la résidence dans un établissement médical ne constitue pas un style de vie mais plutôt une résidence utilisée dans des circonstances spéciales. De plus, les appelantes n'ont pas non plus établi de façon concluante devant la Cour que le curateur public avait déjà administré les affaires de Frank Jack. Selon la preuve qui se trouve au dossier, je dois conclure qu'après qu'il a été déclaré incapable en 1995, le MAINC a assumé sa compétence en vertu de l'article 51 de la Loi. En fait, le MAINC a administré les affaires de Frank Jack durant son hospitalisation jusqu'à son décès survenu en 2001.


[25]            Les appelantes font également valoir que le ministre a commis une erreur en n'examinant pas la question de savoir s'il disposait du testament original. Elles font valoir que le simple fait qu'un document émane d'un bureau d'avocats n'en fait pas un original aux fins de l'examen par le ministre et qu'une photocopie d'un testament peut ne pas être suffisante pour le soumettre au ministre. La prétention des appelantes n'est pas appuyée par la preuve présentée par l'intimée, Sa Majesté. En fait, le ministre disposait du testament original lorsqu'il l'a approuvé. L'avocat de Frank Jack à l'époque où le testament a été établi était Me Marsden. Frank Jack a reçu le testament original le 18 mai 1993 et le MAINC a reçu l'original accompagné d'une lettre de Me Marsden, datée du 2 mars 2001.

[26]            En l'espèce, le ministre a décidé qu'un document était un testament de Frank Jack sans entendre les héritiers de sa succession et après n'avoir entendu que deux bénéficiaires. Les appelantes font valoir que ce déni du droit des héritiers d'être entendus avant que le ministre rende sa décision selon laquelle le document était un testament de Frank Jack constitue un déni de justice naturelle ou d'équité procédurale. Cet argument ne saurait non plus être retenu. Bien qu'il existe un droit d'appel en vertu de l'article 47 de la Loi, les appelantes pouvaient toujours demander au ministre de rouvrir le dossier et de réviser sa décision d'homologuer le testament pour l'un ou l'autre des motifs que les appelantes invoquent maintenant devant la Cour dans le cadre du présent appel. Elles ont choisi de limiter leurs représentations auprès du ministre aux motifs explicites d'invalidité énumérés au paragraphe 46(1). En ce faisant, elles ont abandonné toute prétention qu'elles pourraient avoir eue pour affirmer que les conditions prescrites au paragraphe 45(2) n'étaient pas satisfaites. Elles ne se sont jamais plaintes du fait que les règles de justice naturelle ou d'équité procédurale n'avaient pas été suivies auparavant par le ministre. En fait, si le ministre avait déclaré nul le testament pour l'un des motifs mentionnés au paragraphe 46(1), la succession aurait été distribuée conformément à l'article 48, comme ce serait le cas avec l'ordonnance que les appelantes sollicitent maintenant de la Cour.

[27]            Au bout du compte, bien que les appelantes aient demandé au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, il ressort de la correspondance adressée au ministre que cette demande a été faite dans le contexte des allégations particulières, en vertu de l'article 46 de la Loi. Les appelantes voulaient se prévaloir de l'interrogatoire préalable qui est accessible aux plaideurs dans les instances devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour faire en sorte que les questions en litige, relativement à l'habilité à tester de Frank Jack, à l'intention et à l'influence indue ou à la contrainte, fassent l'objet d'un débat sur le fond. Puisque les appelantes ont abandonné leurs motifs d'appel en ce qui a trait à ces questions antérieures, je ne vois pas comment elles peuvent prétendre que le ministre aurait dû renvoyer les questions à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Même si une demande plus générale avait été faite, en me basant sur les documents dont le ministre disposait au moment où il a rendu sa décision, j'estime que celui-ci n'aurait commis aucune erreur en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, alors que les appelantes n'ont présenté au ministre aucun élément de preuve pour étayer une telle décision.

[28]            Pour les motifs susmentionnés, le présent appel doit être rejeté. Compte tenu du résultat, il convient d'adjuger les dépens en faveur des personnes intimées, Joseph Jack et John Jack, ainsi que de l'intimée, Sa Majesté la Reine du chef du Canada.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel des appelantes soit rejeté avec dépens en faveur des personnes intimées, Joseph Jack et John Jack, ainsi que de l'intimée, Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

                   « Luc Martineau »                    

                               Juge                              

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-438-03

INTITULÉ :                                         JULIA EARL ET AL.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER, (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 23 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Teresa Nahanee                                     POUR LES APPELANTES

Susan Dawson                                       POUR LES INTIMÉS

(SMLR, ministre des Affaires indiennes et du Nord Canadien)

Ron Skolrood                                        POUR LES INTIMÉS

(Joseph Jack et John Jack)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Teresa Nahanee                                     POUR LES APPELANTES

Merritt, (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                  POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada                    (SMLR, ministre des Affaires indiennes et

Vancouver, (Colombie-Britannique)        du Nord Canadien)

Lawson Lundell                                      POUR LES INTIMÉS

Vancouver, (Colombie-Britannique)        (Joseph Jack et John Jack)


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