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Date: 19990129


Dossier: T-733-96

OTTAWA (Ontario), le 29 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Rouleau

ENTRE:

     PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE

     demanderesse,

     - et -

     THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND

     défenderesse.

     JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]      L'action de la demanderesse est rejetée. La Cour ne rend aucune ordonnance relativement aux dépens.

                                 P. ROULEAU

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


Date: 19990129


Dossier: T-733-96

ENTRE:

     PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE

     demanderesse,

ET:

     THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU


[1]          Il s'agit d'une action en imitation frauduleuse aux termes de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, S.R., ch. T-10, art. 1.


[2]      La demanderesse prétend que même si elle n'est pas titulaire d'une marque de commerce déposée, elle a acquis une réputation et un achalandage valables symbolisés par l"appellation PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY (modifiée en 1994 par suppression du terme FIRE), que la demanderesse et les sociétés qu"elle a remplacées utilisent comme marque de commerce ou comme appellation commerciale à l'égard de services d'assurance depuis plus de cent dix ans.

[3]      La demanderesse prétend en outre qu"en commençant à offrir et à vendre des services d'assurance le 1er janvier 1993 en association avec la marque de commerce et l"appellation commerciale THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND, la défenderesse a appelé l'attention du public sur ses services et son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre les services d'assurance offerts par la défenderesse et ceux de la demanderesse. La demanderesse sollicite donc une injonction permanente, la remise d'articles et des dommages-intérêts symboliques de 1 $ plus les dépens.

[4]      Les faits ne sont pas en litige et ils sont décrits dans l'exposé conjoint des faits qui forme l'annexe "A" des présents motifs. Voici un résumé de ces faits.

[5]      La compagnie d'assurances PRINCE EDWARD ISLAND AGRICULTURAL MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY a été constituée le 10 avril 1885. Son objet était de faire souscrire des polices d'assurance et de fournir des services d'assurance contre les pertes ou dommages aux biens agricoles situés dans l'Île-du-Prince-Édouard. En 1899, une autre compagnie d'assurances, PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY, a été constituée. Son objet était de délivrer des polices d'assurance et de fournir des services d'assurance contre les pertes ou dommages aux biens ruraux, autres que les biens agricoles situés dans la province. Il s"agissait de deux compagnies connexes ayant un siège commun à Summerside à l'Île-du-Prince-Édouard.

[6]      Le 10 avril 1941, les deux compagnies ont fusionné, prenant l"appellation PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY; c'est la demanderesse en l'espèce. En 1992, le conseil d'administration de la demanderesse a accepté d'enlever le mot "FIRE" de l"appellation de la compagnie et le 19 mai 1994, elle a adopté le nom commercial PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE COMPANY. Depuis cette date, elle exerce son activité sous cette appellation et d'autres semblables, notamment PEI MUTUAL INSURANCE COMPANY et PEI MUTUAL.

[7]      Les 11 et 18 avril 1987, un avis de demande de constitution en personne morale de la compagnie d'assurances THE PRINCE EDWARD ISLAND GENERAL INSURANCE COMPANY, dont l'objet était de faire souscrire des contrats d"assurance I.A.R.D., notamment d"assurance-automobile et d'assurance- incendie, à l'exclusion de l"assurance-vie, a été publié dans le Royal Gazette en vue de sa présentation à l'assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard.

[8]      Après avoir vu cette annonce, le directeur de la demanderesse, Malcolm MacFarlane, a écrit au surintendant des assurances, M. Bennett Campbell, le 21 avril 1987, lui demandant [traduction] "d"intervenir et d"empêcher la nouvelle compagnie d"assurances projetée d"utiliser l"appellation "The Prince Edward Island General Insurance Company" au motif que les services de la demanderesse et ceux la défenderesse seraient confondus.

[9]      Le surintendant des assurances a estimé que la préoccupation de la demanderesse était légitime et il en a fait part au signataire de la demande et avocat de la défenderesse, Me James Revell, pour lui suggérer de choisir un autre nom de manière à éviter toute confusion. M. Campbell a très précisément dit à Me Revell que l"appellation que se proposait d"adopter la défenderesse préoccupait la demanderesse. Me Revell a ensuite soumis cette question à M. Charlie Cooke, président fondateur de la défenderesse, en lui demandant des instructions. M. Cooke a reconnu que la défenderesse devait changer son appellation compte tenu des préoccupations de la demanderesse et l"appellation projetée de la défenderesse est devenue THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND.

[10]      Par la suite, une demande de constitution en personne morale de la compagnie THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND a été présentée à l'assemblée législative de l"Île-du-Prince-Édouard, le 27 avril 1987, et la société défenderesse a été constituée en personne morale le 14 mai 1987. La défenderesse n"a commencé à exploiter son entreprise qu"à la fin du mois de décembre 1992 ou en janvier 1993, même si, avec l'approbation du surintendant des assurances, elle avait publié son nom dans les pages jaunes de l"annuaire en mai 1992.

[11]      Mis à part ces faits reconnus, les éléments de preuve présentés au procès ont établi les faits suivants.

[12]      Lorsque M. Cooke a reconnu que la défenderesse devait changer de nom, Me Revell a modifié en ce sens l"avant-projet de loi émanant d"un député et il l"a fait parvenir au surintendant avec une lettre d'accompagnement confirmant que la défenderesse avait accepté de changer de nom. Me Revell a déclaré qu'il s'attendait à ce que le surintendant communique avec lui si le nom choisi soulevait d'autres préoccupations.

[13]      M. Campbell a déclaré, au procès, qu"il était tout à fait satisfait de la solution. Lorsqu'il a reçu le projet de loi modifié de la défenderesse, il a avisé M. MacFarlane par écrit du changement de nom. Dans sa correspondance, le surintendant a affirmé qu'il croyait que la solution résoudrait tout problème éventuel et qu'il espérait que M. MacFarlane serait d'accord. M. Campbell n'a reçu aucune réponse ni réaction de M. MacFarlane et de la demanderesse et la question n'a pas été soulevée pendant l'assemblée générale annuelle de la demanderesse à laquelle il a participé. Il a donc cru que la question avait été réglée d"une manière satisfaisante.

[14]      Toutefois, il est vrai que la demanderesse a mentionné le nom de la défenderesse au surintendant une deuxième fois en février 1992, M. MacFarlane envoyant une lettre à M. Campbell pour se plaindre d'une rumeur selon laquelle une nouvelle compagnie d'assurances qui était sur le point d'être constituée en personne morale avait l'intention d'utiliser les mots "PEI" ou "Prince Edward Island". Au cours de l'interrogatoire principal, M. Campbell a déclaré que la lettre de M. MacFarlane l"avait surpris et déconcerté puisqu'il croyait que la question avait été réglée en 1987.

[15]      Le surintendant a récrit à M. MacFarlane pour confirmer que l'Insurance Company of Prince Edward Island avait été constituée en personne morale en 1987 et que la compagnie avait changé de nom avant cette date à la demande de la demanderesse. Il a souligné qu'à son avis le problème avait été réglé en 1987. Il n'a reçu aucune réponse ni de la part M. MacFarlane ni de la part de la demanderesse et M. Campbell a donc conclu, encore une fois, que la demanderesse, à qui on avait rappelé les événements de 1987, était satisfaite de la situation.

[16]      La situation est demeurée inchangée jusqu"au 27 juin 1995, date à laquelle Blair Campbell, le directeur des sinistres de la demanderesse, a rencontré le surintendant des assurances afin d'examiner quelques questions préoccupantes que soulevaient des "communications acheminées par erreur" à la demanderesse et qui étaient certainement destinées à la défenderesse. Pendant la rencontre, et dans une lettre par la suite, Blair Campbell a demandé au surintendant de se servir de son pouvoir pour amener la défenderesse à modifier son nom commercial.

[17]      Toutefois, le surintendant n'a pris aucune mesure à cet égard parce que, comme il l'a déclaré lors du procès, la question avait déjà été réglée en 1987. En outre, il n'était pas convaincu que les communications acheminées par erreur que M. Campbell avaient déposées constituaient une preuve probante de l"existence d"un problème et ses propres dossiers révélaient qu'il n'y avait eu ni plainte ni demande, notamment du public, à ce sujet.

[18]      Le 15 novembre 1995, l'avocat de la demanderesse a envoyé une lettre à la défenderesse lui intimant de changer de nom commercial. En janvier 1996, les avocats de la demanderesse ont remis une copie des documents reçus par erreur à l'avocat de la défenderesse et ils ont renouvelé leur demande de modification du nom. Quand la défenderesse a refusé d"obtempérer, la demanderesse a intenté une action devant la présente Cour le 29 mars 1996, par voie de déclaration.

[19]      Voici les questions en litige telles que formulées par les parties:

     1. L'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce est-il dans les limites des pouvoirs du Parlement du Canada?         
     2. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour accorder l'injonction et les autres réparations demandées par la demanderesse contre la défenderesse ?         
     3. À la date pertinente (savoir le ou vers le 1er janvier 1993, lorsque la défenderesse a réellement commencé à exploiter son entreprise), la demanderesse avait-elle une réputation ou un achalandage liés à sa marque de commerce et à son nom commercial PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY susceptibles d"être protégés?         
     4. À la date pertinente, en utilisant son nom comme marque de commerce ou comme nom commercial, la défenderesse a-t-elle appelé l'attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse?         
     5. La demanderesse a-t-elle droit à la réparation demandée en raison du délai de prescription prévu par la loi et de l"acquiescement par manque de diligence?         

[20]      Les deux premières questions peuvent être tranchées sommairement. La défenderesse soutient que la Cour n'a pas compétence pour forcer une compagnie à changer de nom si ce nom lui a été accordé par une loi de l"assemblée législative d'une province. Elle fait valoir que les deux sociétés, tant celle de la défenderesse que celle de la demanderesse, ont été créées en vertu d"une loi et qu"aucun des noms n'est une marque de commerce enregistrée. La défenderesse prétend que la Cour n'a pas compétence pour dire indirectement à la législature de l'Île -du-Prince-Édouard ce qu'elle doit faire, en accordant l'injonction demandée par la demanderesse, particulièrement du fait que le litige concerne deux marques de commerce non enregistrées. La défenderesse fait valoir qu'en l"espèce, ce ne sont pas les marques de commerce qui sont en litige mais plutôt les noms commerciaux ou les appellations commerciales: "PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE COMPANY" et "THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND".

[21]      Je ne suis pas d'accord. Premièrement, la preuve est claire: tant la demanderesse que la défenderesse avaient l'intention d'utiliser et ont utilisé leur nom comme marque de commerce ou appellation commerciale dans leurs entreprises respectives d'assurance. Dans les affaires Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries et al, [1987] 3 C.F. 544 et Celliers du Monde Inc. c. Dumont Vins & Spiritueux Inc., [1992] 2 C.F. 634, la Cour d"appel fédérale a déclaré que l'alinéa 7b ) de la Loi sur les marques de commerce est une disposition législative fédérale valable dans la mesure où une action en imitation frauduleuse vise une marque de commerce, que cette marque soit enregistrée ou non. En d'autres termes, l'article protège l'achalandage associé aux marques de commerce non enregistrées.

[22]      Deuxièmement, si la demanderesse a gain de cause dans son action en imitation frauduleuse sous le régime de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, la Cour n'est pas empêchée d'ordonner à la défenderesse de cesser d'utiliser son appellation, que ce soit comme marque de commerce ou comme nom commercial ou autrement. Si une dénomination sociale est adoptée et qu"elle est susceptible de causer de la confusion avec le nom d"une société plus ancienne, l'usage de cette dénomination sera refusé même si celle-ci été adoptée de bonne foi et même si l'autorité compétente a délivré des lettres patentes.

[23]      La question d"estoppel (préclusion) se règle tout aussi sommairement. La défenderesse prétend que la demanderesse ne peut faire valoir ses droits à cause de ses agissements, c"est-à-dire que même si elle connaissait les activités de la défenderesse, la demanderesse n"a rien dit et elle n'a pas intenté une action avec diligence afin de protéger les droits qu"elle veut faire valoir. La défenderesse prétend que ce silence et ce délai constituent un acquiescement de la part de la demanderesse et qu'il serait par conséquent injuste de faire droit à sa demande.

[24]      Je ne suis pas disposé à rejeter la demande de la demanderesse pour ce motif. Il est vrai que dans une affaire qui s"y prête, la Cour peut refuser d'accorder une réparation équitable à la partie qui a tardé à présenter sa demande. Mais la Cour ne refusera que si le délai s'est prolongé trop longtemps. Dans l'arrêt Invacare Corp. c. Everest and Jennings Canadian Ltd. (1987), 14 C.I.R.P (3d) 156 (C.F., 1re inst.), la Cour a dit ce qui suit concernant le moyen de défense qu"est l"acquiescement par manque de diligence, aux pages 165 et 166:

     Selon moi, le simple silence n"est pas un moyen de défense dans une action en contrefaçon.         
     Le fait qu"un demandeur a attendu longtemps avant d"engager une poursuite contre un contrefacteur n"est pas non plus un motif d"empêchement dû au manque de diligence. Je cite le président Thorson de la Cour de l"Échiquier dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd. (1947), 12 C.P.R., à la page 102 et aux pages 183 et 184, [1947] R.C.É. 306, 6 Fox Pat. C. 130, aux pages 208 et 209:         
         [traduction] C"est sur cette inaction que l"on s"est fondé pour invoquer l"acquiescement dû au manque de diligence. Mais l"avocat de la défenderesse a admis qu"il ne pourrait maintenir cette défense devant cette cour à cause de la déclaration du lord juge Fletcher Moulton dans Vidal Dyes Syndicate v. Levinstein Ltd. (1912), 29 R.P.C. 245, à la page 259, selon laquelle il est établi en droit que le titulaire d"un brevet n"est pas tenu de tenter d"arrêter une contrefaçon dès qu"il en a connaissance, et que son droit d"action contre un contrefacteur n"est pas affaibli parce qu"il n"a agi que tout juste avant l"expiration du brevet. L"avocat a admis qu"il ne pourrait pas soutenir une défense fondée sur l"acquiescement dû au manque de diligence devant cette cour, mais il n"y a pas renoncé. J"adopte la déclaration du juge Fletcher Moulton et je l"applique à la présente cause. Le retard de la demanderesse à prendre action ne constitue pas un acquiescement de sa part par manque de diligence.                 

[25]      À mon avis, ce principe s'applique également aux faits de l'espèce. Il est peut-être vrai que la demanderesse n'a pas engagé sa poursuite dès qu'elle en avait le droit. Toutefois, le délai de prescription applicable est de six ans et la poursuite a été intentée environ trois ans après le début des activités en cause de la défenderesse. En outre, compte tenu des plaintes déposées auprès du surintendant par la demanderesse concernant l"appellation de la défenderesse et la rencontre subséquente entre le surintendant et le représentant de la demanderesse, la demanderesse ne peut absolument pas être réputée avoir consenti à l'utilisation par la défenderesse de son nom commercial. Par conséquent, les faits ne justifient pas le rejet de l'action aux motifs de manque de diligence ou de préclusion.

[26]      Examinons maintenant l"action en imitation frauduleuse. Dans l'arrêt Giba-Giegy Canada Ltd. c. Apotex Inc., (1993), 44 C.P.R. (3d) 289, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'afin de réussir dans une action en imitation frauduleuse, le demandeur doit établir trois choses:

     1. l"existence d"un achalandage ou d"une réputation relativement aux produits ou services qu"il fournit en raison du fait que le public associe dans son esprit, les produits ou les services qui lui sont offerts et le nom ou la marque associé à ces produits ou services;         
     2. que le défendeur a fait (intentionnellement ou non) une représentation trompeuse au public qui l"amène ou est susceptible de l"amener à croire que ses produits ou services sont ceux du demandeur;         
     3. qu"il subit ou qu"il est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur.         

[27]      En l"espèce, la preuve ne laisse aucun doute que la demanderesse a établi l'existence d"un achalandage relativement à son appellation PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE COMPANY. La demanderesse, de même que les sociétés qu"elle a remplacées, ont utilisé l"appellation PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL FIRE INSURANCE COMPANY (modifiée en 1994 par suppression du terme FIRE) comme marque de commerce ou nom commercial à l'égard de services d'assurance depuis plus de cent dix ans. De plus:

     a) depuis 1971 et jusqu"à ce jour, la demanderesse a toujours mis son nom commercial bien en évidence dans les pages jaunes publiées dans l'Île-du-Prince-Édouard;
     b) le nom commercial de la demanderesse est inscrit en grosses lettres à l"extérieur du siège social de l"entreprise à Summerside à l'Île-du-Prince-Edouard depuis au moins 1972. L'affiche qui se trouve derrière l'édifice porte depuis 1994 les mots PEI MUTUAL INSURANCE COMPANY;         
     c) le nom de la demanderesse est inscrit clairement et bien en vue sur des milliers de polices d'assurance et de rapports annuels distribués par la demanderesse à ses détenteurs de police depuis au moins 1980;         
     d) le nom de la demanderesse est inscrit sur l'étiquette d"extincteurs d'incendie vendus par la demanderesse (entre quatre et cinq cents appareils chaque année);         
     e) le nom de la demanderesse a été lié à des activités publicitaires, de promotion et de commandite pendant plusieurs années avant la date pertinente;         
     f) au paragraphe 27 de son argumentation écrite, la défenderesse reconnaît que la demanderesse a établi l'achalandage relativement à son nom commercial.         

[28]      Par conséquent, je suis convaincu que la demanderesse a établi l'existence d"un achalandage relativement à sa dénomination.

[29]      Par contre, les éléments de preuve ne permettent pas de conclure à la vraisemblance de quelque confusion quant à la source des services offerts par la défenderesse, au point où le public pourrait penser que ces services sont rendus par la demanderesse ou qu"ils ont un rapport quelconque avec elle.

[30]      Eu égard à la vraisemblance de la confusion, il faut tenir compte des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce:

(a) the inherent distinctiveness of the trade marks or trade names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade marks or trade names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and,

(e) the degree of resemblance between the trade marks or trade names in appearance or sound or in the idea suggested by them.

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance, entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

[31]      En examinant ces facteurs et en tranchant la question de la confusion, la Cour doit non seulement tenir compte des éléments de preuve dont elle dispose, mais également appliquer son sens commun à l'évaluation des faits. Le critère applicable consiste à décider si le consommateur moyen s'y perdrait. Comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Giba-Giegy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, à la page 301:

     [traduction]...il faut évaluer les faits par rapport à l"homme et à la femme ordinaires qui feraient preuve de diligence normale en achetant les produits dont ils ont besoin, et qui, s"ils veulent une marque particulière, prendraient des précautions normales pour s"assurer de l"obtenir (Le juge Neville dans Henry Thorne & Co. c. Sandow (1912), 29 R.P..C. 440 (Ch.D.), à la p. 453.)         

[32]      Quant au premier facteur mentionné au paragraphe 6(5) de la Loi, savoir le caractère distinctif inhérent des marques de commerce en cause, il est bien reconnu que les marques qui contiennent des termes descriptifs n"ont pas ce caractère distinctif inhérent et que la Cour ne leur offrira que très peu de protection. En particulier, les marques de commerce ou les noms commerciaux qui mentionnent un lieu géographique comme les noms en cause en l'espèce, sont descriptifs plutôt que distinctifs et ne doivent pas bénéficier d"une protection très étendue. Lorsque le tribunal est appelé à décider si un nom commercial ou une marque de commerce "cause vraisemblablement de la confusion", même de légères différences entre ces marques seront suffisantes pour atténuer toute "confusion" possible.

[33]      En outre, lorsqu'une partie adopte une appellation descriptive, elle doit accepter une certaine confusion. Dans l'arrêt Walt Disney Productions c. Fantasyland Hotel Inc. (1994), 56 C.P.R. (3d) 129 (Alta. Q.B.); conf. (1996) 67 C.P.R. (3d) 444 (C.A. Alb.); le tribunal a déclaré à cet égard à la page 183:

     [traduction] Même lorsque les services sont identiques, si le nom commercial est descriptif plutôt que distinctif, il y aura inévitablement une certaine confusion acceptable: . . . Office Cleaning Services Ltd. v. Westminster Window and Sign General Cleaners Ltd., précitée. Dans cette dernière affaire, lord Simonds a dit, à la page 41:         
         Tant que deux commerçants utilisent des termes descriptifs dans leur nom commercial, il est possible que cela entraîne de la confusion chez certaines personnes quels que soient les mots qui les distinguent...En fin de compte, je crois qu"il s"agit tout simplement de ceci: quand un commerçant décide que son nom commercial contiendra des mots courants, il y aura, inévitablement, une certaine confusion . Mais le risque est acceptable sauf si le premier utilisateur est autorisé injustement à s"approprier pour lui seul ces termes. Le tribunal acceptera des différences peu importantes comme étant suffisantes pour éviter toute confusion . Il faut s"attendre à un plus grande discrimination de la part du public lorsqu"un nom commercial est formé en tout ou en partie de termes qui décrivent les articles vendus ou les services offerts.                 

[34]      En l'espèce, le nom de la demanderesse est très descriptif (Insurance Company) et comporte un élément géographique descriptif (Prince Edward Island). Par conséquent, elle n'a pas droit à un degré élevé de protection et elle doit accepter le risque inévitable d'une certaine confusion dans l'utilisation d'un nom commercial aussi descriptif.

[35]      Quant aux autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, les éléments de preuve révèlent qu'il y des différences importantes entre les services et les activités commerciales des parties. Par exemple, les produits de la demanderesse sont vendus par des représentants qui travaillent dans une région précise de la province. Ces représentants ont un "carnet" de clients et ils sont appelés davantage à fournir des services à ces clients qu"à vendre ou à mettre en marché des produits.

[36]      Au contraire, la défenderesse vend ses produits par une agence exclusive fondée par Charlie Cooke, fondateur de la défenderesse. Il existe donc des liens très étroits entre la défenderesse et son agence, liens qui permettent de distinguer la défenderesse sur le marché. En fait, la plupart des témoins, en parlant de la défenderesse, ne l"ont pas appelée par son nom commercial mais bien par le nom "Cooke Insurance".

[37]      En outre, la façon dont la demanderesse est présentée au public en général et à ses membres en particulier est tout à fait différente de la manière dont la défenderesse se présente. Plus important encore, la demanderesse a soigneusement et volontairement entretenu sa réputation comme société mutuelle. En fait, on ne parle jamais de la demanderesse qu'en employant le mot "mutual"; c'est-à-dire qu'on ne l"appelle jamais par les noms Prince Edward Island ou PEI Insurance. Le plus souvent, on l'appelle "PEI Mutual". Toute sa papeterie, toute sa publicité et ses polices insistent sur l"aspect "mutuel" de la demanderesse. La demanderesse insiste même sur le caractère "mutuel" de la compagnie dont les membres sont les propriétaires et se protègent les uns les autres, qui fournit des services à des prix raisonnables et qui offre même, de temps à autre, des rabais et des remises.

[38]      Par contre, les documents d"affaires et de marketing de la défenderesse présentent une image tout à fait différente. En particulier, la défenderesse se présente comme étant une compagnie d'assurances I.A.R.D. de l'Île qui a des liens avec Charlie Cooke Insurance. Son marché principal est celui de l'assurance-automobile et du risque commercial. La demanderesse ne vend pas et n"a jamais vendu d'assurance-automobile et ses ventes commerciales sont peu nombreuses, son activité principale étant l"assurance-incendie destinée avant tout au monde de l'agriculture.

[39]      Il y a donc un certain chevauchement et une certaine concurrence entre les parties mais ce qui est important, pour trancher la question de la confusion, c'est que la nature des services et du commerce pertinents est telle que les parties communiquent avec le public, qu"elles font la mise en marché, qu"elles annoncent et qu"elles vendent, qu"elles mettent en valeur leur identité et leurs objectifs commerciaux de manière à se distinguer l"une de l"autre. Ces facteurs militent fortement contre toute possibilité de confusion.

[40]      Passons maintenant au degré de ressemblance entre les marques de commerce. Il n'y a aucun doute que les noms commerciaux ont deux éléments communs, savoir: "Prince Edward Island" et "Insurance Company". Toutefois, même si les deux marques contiennent ces éléments, ce n"est pas suffisant, en soi, pour décider que les marques entraînent une certaine confusion. Il faut appliquer les critères de la présentation, du son et des idées que les marques suggèrent. À cet égard, il faut d'abord souligner que les marques constituent un tout et non une série d'éléments distincts. C"est l"idée que suggère la marque, c"est-à-dire l"impression que toute la marque laisse à l'esprit qu"il faut examiner. Par conséquent, il ne faut pas analyser les marques en détail mais il faut, au contraire, les envisager du point de vue de la personne qui se souvient vaguement d"une marque et qui, par la suite, voit ou entend, seule, la marque concurrente.

[41]      C'est l'approche adoptée par le président Thorson de la Cour de l"Échiquier dans l'arrêt Sealy Sleep Products Ltd. v. Simpson's-Sears Ltd (1960), 20 Fox Pat. C. 76. Le président Thorson dit, aux pages 81 et 82:

     [traduction] Lorsqu"il s"agit de déterminer si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre, il n"est pas approprié de les décomposer en leurs éléments constitutifs, de faire porter l"attention sur les éléments qui sont semblables et de conclure qu"en raison de l"existence de ressemblances dans les marques de commerce, les marques de commerce dans leur ensemble créent de la confusion entre elles. Les marques de commerce peuvent être différentes les unes des autres et donc ne pas créer de confusion entre elles lorsqu"on les examine dans leur ensemble même si certains éléments examinés séparément contiennent des ressemblances. C"est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce, et c"est l"effet de l"ensemble de la marque de commerce, et non l"effet d"une partie donnée de celle-ci, qu"il faut considérer.         

[42]      Je suis convaincu qu"à première vue, les marques de commerce en cause sont tout à fait différentes et que, quand on les examine dans leur totalité, il y a si peu de ressemblances entre elles qu'on ne saurait conclure qu'il y a vraisemblablement confusion. Encore une fois, le logo de la demanderesse met en évidence le terme "Mutual" et présente un parapluie qui recouvre l'Île-du-Prince-Édouard. La marque de la défenderesse contient un arbre entouré de trois arbres plus petits. Bref, la structure et la présentation du nom commercial de la demanderesse et la manière dont il est présenté sont complètement différentes de celles de la défenderesse et s"en distinguent facilement.

[43]      Enfin, il faut trancher la question de la confusion réelle. La demanderesse a présenté en preuve une série de lettres types et d'appels téléphoniques qu"elle a reçus par erreur à l"appui de l"allégation selon laquelle il y aurait suffisamment de confusion réelle pour autoriser la Cour à conclure qu'il y a "vraisemblablement confusion" sous le régime de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce .

[44]      Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve présentés par la demanderesse sont suffisants pour établir le bien-fondé de son affirmation. Premièrement, la majorité des documents ont été envoyés par erreur pour des motifs qui ne sont pas reliés à la confusion. Par exemple, la plupart de ces documents proviennent de Co-operators par suite d'une inscription erronée dans l'annuaire interne de Co-operators. Co-operators n"avait aucune raison de constater l"erreur jusqu'à ce qu"elle lui soit signalée. La demanderesse n'a pas avisé Co-operators et la défenderesse, qui a appris l"existence des documents par la demanderesse, n'était pas en mesure de corriger l'erreur avant que la présente action soit intentée.

[45]      Quant aux autres exemples allégués de confusion, les éléments de preuve sont clairs, il s'agissait de négligence, d'ignorance ou d'inadvertance plutôt que de confusion sur la source.

[46]      Toutefois, il est très important de souligner que dans aucun cas, un consommateur ou un tiers n'a contacté la défenderesse ou Cooke Insurance dans le but de trouver ou de contacter la demanderesse ou de faire affaire avec elle. Le surintendant des assurances est satisfait du nom commercial des deux compagnies depuis 1987 et rien ne l"a amené à changer d'avis; il n'a reçu aucune plainte du public, ni d'une autre compagnie d'assurances. En outre, depuis 1992, la demanderesse et la défenderesse ont bien reçu et examiné des milliers de pages de correspondance provenant de banquiers, d'avocats et de titulaires de polices. Les parties ont au moins quelque vingt milles polices d"assurance et il n"y a aucune preuve qu'un seul document, qu'une seule lettre, qu"un seul chèque ou demande d'un client réel ou éventuel ait été envoyé au mauvais endroit.

[47]      Ce que la demanderesse veut, en l"espèce, c"est le monopole du nom Prince Edward Island et des termes Insurance Company. Toutefois, le tribunal doit tenter de tenir compte à la fois des droits de la demanderesse et du public tout en respectant le droit de la défenderesse de lui faire concurrence librement sur le marché. Dans l'arrêt United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Products Ltd. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247, la Cour d'appel fédérale a dit, à cet égard, aux pages 258 et 259:

     Une marque de commerce est une marque employée par une personne pour distinguer ses marchandises ou ses services de ceux des autres. Par conséquent, la marque ne peut être considérée isolément, mais seulement en liaison avec ces marchandises ou ces services. C'est ce qui ressort du libellé du paragraphe 6(2). La question que pose ce paragraphe ne concerne pas la confusion des marques, mais la confusion des biens ou des services provenant d'une source avec des biens ou des services provenant d'une autre source. C'est pourquoi il n'est pas accordé de protection très étendue aux marques qui se fondent sur des origines géographiques ou sur des mots généralement descriptifs (par exemple, les marques fictives Café du Pacifique ou Soda supérieur). Même si des marques projetées peuvent ressembler à ces marques, il est peu vraisemblable que le public présume que deux produits qui se décrivent comme étant "du Pacifique" ou "supérieur" proviennent nécessairement de la même source. Comme la confusion est peu probable, la protection n'est pas nécessaire.         
     . . . Des cinq points spécifiques [de l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce] à prendre en compte, il ressort que la Cour doit soupeser le droit du propriétaire d'une marque de commerce à l'emploi exclusif de sa marque en regard du droit de libre concurrence dont jouissent les autres personnes sur le marché.         

[48]      Appliquant ces principes aux faits de l"espèce, je suis convaincu que les éléments de preuve soumis au tribunal ne démontrent pas qu'il y a vraisemblablement confusion quant à la source des services offerts par la demanderesse et la défenderesse.

[49]      Pour ces motifs, l'action de la demanderesse est rejetée. Toutefois, le présent litige ayant soulevé des questions de fait et de droit légitimes, il convient de ne rendre aucune ordonnance relativement aux dépens.

                                 P. ROULEAU                                          JUGE

OTTAWA (Ontario)

29 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No de GREFFE:              T-933-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:      PRINCE EDWARD ISLAND MUTUAL INSURANCE COMPANY c. THE INSURANCE COMPANY OF PRINCE EDWARD ISLAND
LIEU DE L'AUDITION:          CHARLOTTETOWN (ÎLE-DU-PRINCE-              ÉDOUARD)

                     LES 7, 8, 9, 10 ET 11 DÉCEMBRE 1998

                     OTTAWA (ONTARIO)

                     LE 15 DÉCEMBRE 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROULEAU EN DATE DU 29 JANVIER 1999

ONT COMPARU:

ARTHUR B. RENAUD                  POUR LA DEMANDERESSE

R. ARRON RUBINOFF

FRANCES FITZGERALD              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

SIM, HUGHES, ASHTON & MCKAY

TORONTO (ONTARIO)                  POUR LA DEMANDERESSE

PERLEY-ROBERTSON,

HILL & MCDOUGALL     

OTTAWA (ONTARIO)                  POUR LA DÉFENDERESSE

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