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Date: 19980703


Dossier: IMM-3094-98

Entre :

     ABDUL AWAL

     MHD MARUF BIN AWAL

     MUMTAZ BEGUM

     Demandeur

Et:

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Les demandeurs ont comparu devant la Cour à Montréal lundi le 29 juin 1998, ayant déposé une requête visant à surseoir à leur déportation devant être effectuée le 7 juillet 1998.

[2]      Les demandeurs, M. Awal, son épouse et leur fils, sont arrivés au Canada le 19 octobre 1994 et ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié. Il est à noter qu'ils s'étaient préalablement réfugiés aux Etats-Unis pendant une période d'au-delà de six mois. Le jour même de leur entrée au pays une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle fut émise à leur endroit. Sept jours plus tard, soit le 26 octobre 1994, Madame Begum donnait naissance à une fille.

[3]      Le 5 janvier 1996, la Section du Statut a rendu une décision négative à l'égard de la famille Awal et le 26 avril 1994 la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire fut rejetée.

[4]      Le 28 janvier 1997, un agent de révision décidait qu'il n'existait aucun risque pour les demandeurs s'ils devaient retourner au Bangladesh.

[5]      Le 18 octobre 1997, un sursis au renvoi des demandeurs a été accordé en raison de la grossesse avancée de Mme Begum. Le 5 janvier 1998, celle-ci donnait naissance à un deuxième enfant au Canada.

[6]      Le 12 mars 1998, une première demande de dispense sous l'article 114(2) de la Loi sur l'immigration fut refusée.

[7]      Le 21 mai 1998, les demandeurs soumettaient une seconde demande de dispense en vertu de l'article 114(2) et le 5 juin 1998 cette dernière demande était refusée.

[8]      Suite à cette dernière décision les demandeurs ont présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[9]      Le procureur des demandeurs soumet que le renvoi du Canada aurait des conséquences désastreuses et irrémédiables sur l'unité familiale. Il soutient que le préjudice subi par cette famille est très grave comparativement au préjudice subi par le défendeur et que la balance des inconvénients penche en faveur des demandeurs.

[10]      Le procureur des demandeurs soumet donc que la Cour devrait surseoir à la déportation de la famille qui est prévue pour le 7 juillet 1998 jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue dans leur dossier de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[11]      Il est à noter que les demandeurs ne contestent pas la validité de la mesure de renvoi.

[12]      De nombreuses décisions de cette Cour et de la Cour d'appel fédérale sont à l'effet que même si un renvoi causait de graves inconvénients et un grave préjudice sur les plans émotionnel et financier, cela ne constitue pas en soi des circonstances exceptionnelles de nature à justifier l'intervention de la Cour.

[13]      Lors de l'audience, le procureur des demandeurs a soulevé un nouvel argument. J'ai donc permis au Ministre de déposer de brèves observations relativement à ce sujet. Les prétentions du procureur des demandeurs sont succinctement rédigées dans les soumissions du Ministre et ce résument comme suit:

                 1. Dans l'évaluation d'une demande de dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, les autorités fédérales devraient respecter la compétence du Québec en raison de l'Accord Canada-Québec (Entente Couture-Cullen), puisqu'une demande en vertu de 114(2) traiterait de la sélection des immigrants...                 
                 2. Par ailleurs, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (ci-après "la Charte") établirait, à ses articles 39 et 47, que les enfants ont des droits à l'égard de leurs parents et les parents des obligations à l'égard de leurs enfants. La décision rendue aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi aurait pour effet de scinder la famille ou à tout le moins de faire en sorte que les parents sont empêchés de remplir convenablement ces obligations, et ce de fait, les autorités fédérales administratives auraient omis de respecter la compétence du Québec; ainsi, il existerait une question sérieuse du fait que:...                 

[14]      Le procureur des demandeurs soulève qu'en vertu de l'entente Canada-Québec en matière d'immigration, l'officier qui a rejeté la demande en vertu de l'article 114(2) de la Loi ne se serait pas prononcé sur une question d'ordre juridique, soit les obligations imposées par la Charte du Québec et plus particulièrement les articles 39 et 47 qui seraient un obstacle à l'exécution de la mesure de renvoi. Ces articles se lisent comme suit:

                 39. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.                 
                 47. Les époux ont, dans le mariage, les mêmes droits, obligations et responsabilités.                 
                 Ils assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille et l'éducation de leurs enfants communs.                 

[15]      Le procureur du défendeur soumet que l'accord Canada-Québec accorde à la province des pouvoirs quant à la sélection des immigrants mais que seul le gouvernement fédéral a le pouvoir de décider lorsqu'une question de demande de résidence permanente est soulevée.

[16]      Le procureur du Ministre soutient que la Charte québécoise ne s'applique pas à la Couronne fédérale. Il me réfère à l'arrêt McAllister c. La Reine, T-428-85, 14 août 1985, où le juge Dubé de cette Cour indique que la Cour suprême du Canada s'est déjà penchée sur le problème dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Marie-Blanche Breton, [1967] R.C.S. 503:

                 Il est admis évidemment que les dispositions de l'art. 417 ne peuvent, proprio vigore, atteindre la Couronne aux droits du Canada. À la vérité, la prétention contraire viendrait en conflit avec des principes reconnus, tel celui qui, fondé sur le caractère fédératif de notre système de gouvernement, veut que la Couronne aux droits du Canada ne peut être liée par une loi émanant d'une législature provinciale et tel aussi ce principe d'interprétation qui, gouvernant dans toute juridiction législative, veut qu'aucune loi n'affecte les droit ou prérogatives de la Couronne, que ce soit la Couronne aux droits du Canada ou la Couronne aux droits d'une province, à moins qu'elle ne contienne une disposition expresse à cet effet, ce qui n,est pas le cas de l'art. 417 de la Charte de la Cité de Québec.                 

[17]      Le procureur du défendeur poursuit en citant un article des professeurs Brun et Tremblay (Brun, H. et G. Tremblay, Droit Constitutionnel, 3e édition, 1997, Cowansville, Éditions Yvon Blais) qui semble suggérer que les articles 1 à 38 de la Charte du Québec sont des droits civils et politiques et non pas des droits socio-économiques qui ne peuvent s'attribuer un statut juridiquement constitutionnel. Cet article stipule que:

                 ... La réalité des droits à la santé ou à l'éducation dépend de volontés politiques et de possibilités financières, non d'interprétations judiciaires. Les droits socio-économiques ne sont pas des paramètres du droit, comme les droits civils et politiques, ils en sont plutôt la substance, dont la détermination appartient aux gouvernants du jour s'exprimant par législation ordinaire. C'est là la raison pour laquelle la plupart de ces droits des articles 39 à 48 sont dits exister "dans la mesure prévue par la loi".                 

[18]      Le procureur du défendeur souligne de plus que même s'il est allégué que le délégué du Ministre devait se prononcer sur la question juridique de l'impact des articles 39 et 47 de la Charte du Québec avant de rendre sa décision, l'allégation ne lui aurait pas été soumise lors de la demande.

[19]      Le procureur des demandeurs soumet que la décision prise par le délégué du Ministre en ce qui concerne les motifs humanitaires n'aurait pas dû se limiter aux parents mais qu'il aurait dû s'inquiéter des droits distincts des enfants qui sont citoyens canadiens. Il soumet qu'il n'a pas considéré leurs droits juridiques de demeurer au Canada.

[20]      Il est évident que les parents ont le choix de décider s'ils laissent les enfants au Canada ou s'ils les ramènent au Bangladesh avec eux. Selon moi l'argument relatif aux articles 39 et 47 de la Charte du Québec ne peut tenir. On ne m'a présenté aucune preuve à l'effet que les parents ne rencontreront pas leurs obligations et responsabilités et que leur renvoi les empêcherait d'assurer la direction morale et matérielle de la famille.

[21]      De plus, rien n'empêche les demandeurs de poursuivre leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire après leur retour dans leur pays d'origine.

[22]      La requête en sursis de la mesure de renvoi est rejetée.

[23]      Je réalise que mes motifs ne sont pas exhaustifs en ce qui concerne la plaidoirie. Ceci est entièrement dû au manque de temps. Il y aura possiblement lieu à un autre moment de faire une étude approfondie de l'argument innovateur soumis par le procureur des demandeurs.

     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 3 juillet 1998

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