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     Date: 20010124

     Dossier : T-256-98



Ottawa, Ontario, ce 24e jour de janvier 2001

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PELLETIER


ENTRE :

     ANTOINE C. ZARZOUR

     Demandeur

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PELLETIER, J.


[1]      Antoine Zarzour, détenu à l'établissement La Macaza du Service correctionnel du Canada ( « SCC » ), avait obtenu de la Commission nationale des libérations conditionnelles ( « CNLC » ) une permission de sortir sans escorte ( « PSSE » ). Au cours d'une telle sortie, il fut arrêté pour le motif que, selon une information confidentielle reçue par M. Daniel Perrault, un agent de sécurité préventive du SCC, il avait menacé de s'en prendre à des membres du ministère de la Justice du Canada. Il semble que par la suite, M. Perrault a reçu une deuxième information à l'effet que M. Zarzour complotait pour introduire des stupéfiants à l'établissement La Macaza. La décision d'annuler la PSSE de M. Zarzour fut prise, en premier lieu, par deux membres de la CNLC, J.P. Beauchesne et Patricia Thériault. Suite à l'arrestation de M. Zarzour, la décision d'annuler fut confirmée par deux autres commissaires de la CNLC, soit Serge Lavallée et Anne-Marie Asselin.

[2]      Sa permission de sortie sans escorte ainsi annulée, M. Zarzour intente une poursuite contre la défenderesse alléguant que son préposé, Daniel Perrault, avait été négligent à son égard en ne faisant pas d'enquête au sujet de l'information qui lui a été communiquée. En conséquence, M. Zarzour se dit injustement dépourvu de sa PSSE. M. Zarzour réclame des dommages exemplaires au montant de $100,000 ainsi qu'une réparation compensatoire.

[3]      La date du procès est fixée pour le 5 février 2001. M. Zarzour a fait émettre des subpoenas, lesquels furent signifiés à Maître Ginette Collin et aux commissaires Lavallée et Beauchesne. La défenderesse présente une requête réclamant la cassation des subpoenas en question.

[4]      M. Zarzour justifie le subpoena à l'encontre de Maître Collin en se référant au témoignage de M. Perrault devant les commissaires Lavallée et Asselin au cours duquel M. Perrault aurait admis avoir discuté les informations reçues au sujet de M. Zarzour avec Maître Collin, conseillère juridique au sein du SCC. M. Zarzour en conclut que Maître Collin s'est donc impliquée dans le processus décisionnel, ce qui, selon lui, lui donnerait le droit de la convoquer devant le tribunal pour la questionner au sujet de la communication qu'elle aurait reçue de M. Perrault. M. Zarzour se dit prêt à respecter le secret professionnel entre Maître Collin et sa cliente mais dit que ce secret n'est aucunement compromis par les questions qu'il entend poser.

[5]      La défenderesse, pour sa part, affirme que le témoignage de Maître Collin n'est aucunement pertinent. De plus, si ce témoignage s'avérait pertinent, il bénéficierait du privilège de confidentialité entre avocate et client.

[6]      En ce qui concerne les subpoenas signifiés aux membres de la CNLC, le demandeur justifie la nécessité des subpoenas en reprochant aux commissaires certains comportements qu'il allègue lui avoir causé préjudice. Il allègue, par exemple, qu'ayant refusé de permettre à M. Zarzour d'interroger M. Perrault lors de l'audition devant lui, M. Lavallée aurait eu une conversation privée avec l'agent de sécurité préventive au cours d'un ajournement de l'audience. Le commissaire Beauchemin, se voit reproché d'avoir constaté certains comportements illégaux dans le passé de M. Zarzour, alors que, selon celui-ci, il n'y aurait aucune preuve au dossier.

[7]      Il y deux aspects du rôle de Maître Collin qui pourrait entrer en jeu à l'instruction de cette affaire. Considérant les allégations que M. Perrault et le SCC n'ont pas été suffisamment soucieux du préjudice que pourrait subir M. Zarzour, le fait de consulter une avocate pourrait devenir un élément de preuve démontrant les soins pris pour en arriver à la décision prise. Mais ça n'aide pas la cause de M. Zarzour, qui a fait émettre le subpoena, de faire cette preuve. Par contre, M. Zarzour aurait intérêt à démontrer que le témoignage que pourrait donner M. Perrault au sujet des informations reçues de son informateur ne correspond pas à ce qu'il aurait dit antérieurement sur le même sujet. Il pourrait mettre en relief cette différence, si différence il y a, en interrogeant Maître Collin à ce sujet. La difficulté est que Maître Collin est avocate, dont le client est le SCC, ce qui veut dire que la défenderesse pourrait invoquer le secret professionnel pour bloquer toute question qui viserait le contenu de l'échange entre Maître Collin et les représentants du SCC.

[8]      Mais, lorsqu'un conseiller juridique s'implique dans la gestion de l'entreprise, les communications entre l'avocat et les gestionnaires ne sont pas nécessairement protégées par le secret professionnel. Ces communications ne seront pas privilégiées si l'avocat est consulté dans sa capacité de gestionnaire au lieu de sa capacité professionnelle. R.v. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, au paragr. 50 :


     Le secret professionnel de l'avocat ne protège évidemment pas l'ensemble des services rendus par un avocat, qu'il soit au service du gouvernement ou non. Bien qu'une partie du travail des avocats du gouvernement soit semblable à celui des avocats de pratique privée, ils peuvent avoir -- et ont souvent -- de nombreuses autres responsabilités comme, par exemple, la participation à divers comités opérationnels de leur ministère. Les avocats du gouvernement qui oeuvrent depuis des années auprès d'un ministère client peuvent être invités à donner des conseils en matière de politique qui n'ont rien à voir avec leur formation et leur expertise juridiques mais font appel à leur connaissance du ministère. Les conseils que donnent les avocats sur des matières non liées à la relation avocat-client ne sont pas protégés.

[9]      À savoir si Maître Collin a été consultée en sa qualité d'avocate ou de gestionnaire est une question de fait que devra trancher le juge siégeant au procès. Maître Collin devra se conformer au subpoena.

[10]      Quant aux subpoenas signifiés aux commissaires de la CNLC, ils doivent être cassés. Les prétentions écrites de M. Zarzour démontrent que son objet, en exigeant le témoignage des commissaires, est de remettre en question le bien-fondé des décisions qu'ils ont rendues. Or, la seule façon de s'attaquer à ces décisions est par la voie d'une demande de contrôle judiciaire, ce que M. Zarzour a déjà fait. Mais sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée pour défaut de déposer son dossier tel qu'exigé par les Règles de la cour fédérale, 1998. M. Zarzour ne peut s'attaquer encore une fois à ces décisions sous le prétexte d'examiner la négligence alléguée de M. Perrault. Ces subpoenas doivent être cassés.



                                     « J.D. Denis Pelletier »

     Juge

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