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Date : 20040914

Dossier : T-363-01

Référence : 2004 CF 1246

Calgary (Alberta), le 14 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN                              

ENTRE :

                                          PETER G. WHITE MANAGEMENT LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             

                                                                             et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE

PAR LA MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN, MME SHEILA COPPS, ET LADITE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN, L'AGENCE PARCS CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR SON DIRECTEUR GÉNÉRAL, M. TOM LEE, ET LEDIT M. TOM LEE, LE DIRECTEUR D'UNITÉ DE GESTION DU PARC NATIONAL BANFF NATIONAL, M. WILLIAM FISHER, M. CHARLES ZINKAN

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de deux ordonnances rendues par le protonotaire Hargrave, les 17 avril 2001 et 22 mars 2002, radiant respectivement (1) le nom de tous les défendeurs désignés, à l'exception de ceux de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada et de l'Agence Parcs Canada; et (2) l'action intentée contre ces deux derniers pour cause d'abus de procédure.

CONTEXTE

[2]                La demanderesse à l'action sous-jacente est une société à qui un bail (bail Norquay), consenti le 21 mai 1993 pour l'exploitation de la station commerciale de ski du mont Norquay située dans le Parc national Banff, a été cédé. Elle fait valoir que le bail Norquay l'autorise à exploiter pendant les mois d'été une télécabine installée sur les lieux loués. Dans une décision datée du 2 juillet 1996, le directeur d'unité de gestion du Parc national Banff a refusé de délivrer un permis à cet effet.


[3]                La demanderesse a introduit la requête T-1776-96, sollicitant le contrôle judiciaire de cette décision. Le 28 mai 1997, le juge Campbell a rejeté la requête au motif que le bail Norquay n'attribuait qu'un droit éventuel restreint quant à l'exploitation d'une entreprise sur les terrains. Il a conclu que la décision de refuser le permis relevait donc de la compétence du directeur d'unité de gestion (Voir Peter G. White Management Ltd c. Canada (ministre du Patrimoine canadien) [1997] A.C.F. 718). La demanderesse a interjeté appel de cette décision, appel dont elle s'est subséquemment désistée.

[4]                Peu après, la demanderesse a déposé la déclaration dans l'action sous-jacente intentée contre Sa Majesté la Reine, la ministre, l'Agence Parcs Canada, M. Tom Lee, directeur général de l'Agence, le directeur du Parc national Banff, le directeur d'unité de gestion du Parc national Banff (défendeurs à titre personnel) et le procureur général du Canada. Parmi les nombreuses allégations formulées dans la déclaration de la demanderesse, mentionnons celles d'inexécution de contrat, d'entrave délictuelle dans des relations commerciales et d'abus de pouvoir.

[5]                Les défendeurs ont présenté deux requêtes :

i)          visant à faire radier l'action intentée contre la ministre personnellement, l'Agence Parcs Canada, le procureur général et les défendeurs en leur qualité personnelle;

ii)         visant à faire radier toute l'action pour cause d'abus de procédure.

[6]                Le 4 mars 2004, le protonotaire Hargrave a prononcé deux décisions distinctes.

- En réponse à la requête visant à faire radier le nom de certains défendeurs, il a radié l'action visant la ministre personnellement au motif qu'il n'est pas possible de poursuivre ainsi un ministre pour des mesures qu'il a prises en sa qualité de titulaire d'une charge publique. En outre, il a conclu qu'il ne pouvait entendre les actions intentées contre les autres défendeurs en leur qualité personnelle parce qu'elles ne satisfaisaient pas au critère établi dans l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752 (ITO).


[7]                En réponse à la requête fondée sur l'abus de procédure, il a conclu que les questions soulevées dans le cadre de cette action ressemblaient suffisamment à celles soulevées dans le dossier T-1776-96 et que le dépôt de cette action constituait un abus de procédure.   

[8]                La demanderesse se pourvoit maintenant en appel des décisions du protonotaire Hargrave.

QUESTIONS EN LITIGE

1.         Le protonotaire Hargrave a-t-il commis une erreur en rejetant les actions intentées contre la ministre et les défendeurs en leur qualité personnelle?

2.         Le protonotaire Hargrave a-t-il commis une erreur en rejetant l'action pour cause de préclusion découlant d'une question déjà tranchée?

NATURE DU CONTRÔLE

[9]                La norme de contrôle des décisions prononcées par les protonotaires est établie dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925, par. 19 (C.A.F.), dans lequel le juge Décary énonce ainsi le critère applicable :

Le juge saisi de l'appel ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :


a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

Question 1 -Rejet de l'action intentée contre la ministre et les défendeurs en leur qualité personnelle

[10]            De toute évidence, cette question n'a pas une influence déterminante sur l'issue du principal. Que la présente requête soit accueillie ou non, Sa Majesté sera la défenderesse et le recouvrement de toutes sommes dues pourra être obtenu de Sa Majesté. Aussi, pour avoir gain de cause, la demanderesse doit satisfaire à la partie b) du critère établi dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., précité.

[11]            Aux paragraphes 8 à 29 de son jugement, le protonotaire Hardgrave traite de cette question en profondeur. J'estime qu'il est très convaincant et je ne vois pas comment on peut affirmer que ses motifs sont fondés sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits. Par conséquent, compte tenu des motifs fournis par le protonotaire, la requête relative à la radiation du nom des autres défendeurs sera rejetée.

Question 2 - Radiation de toute l'action pour cause d'abus de procédure


[12]            Aux paragraphes 35 et 40 de son jugement, le protonotaire Hargrave a formulé les commentaires suivants à propos de la question fondamentale de la présente instance :

[35] [...] En l'espèce, la question fondamentale de la présente instance, la question qui a été tranchée dans la demande de contrôle judiciaire antérieure est celle de savoir si la Couronne avait le droit d'interdire à la demanderesse d'exploiter la télécabine du mont Norquay pendant l'été. Les défendeurs soutiennent que cette question a été tranchée de façon définitive dans l'instance en contrôle judiciaire T-1776-96, étant donné qu'il y a eu désistement dans l'appel de cette décision, A-457-97. Je souscris à l'argument des défendeurs selon lequel l'exception de chose jugée interdit à la défenderesse de soumettre à nouveau aux tribunaux cette question centrale et fondamentale. C'est ce que justifie l'identité des questions en litige, même si la forme de la première instance était une demande de contrôle judiciaire et celle de la seconde une action : [...]

[...]


[40] Il est certes possible de disséquer à l'infini la décision du juge Campbell, mais la question fondamentale demeure l'exploitation estivale de la télécabine du mont Norquay par la demanderesse. Le juge Campbell a tranché la question dans le contexte du refus opposé le 2 juillet 1996 par le directeur du Parc national Banff à cette exploitation estivale, en tenant compte du fait que la demanderesse savait que son prédécesseur avait cessé d'exploiter en été la télécabine, pour obtenir en échange un terrain supplémentaire pour pouvoir étendre ses activités hivernales, du plan à long terme des Services de Parcs Canada pour la région de ski du mont Norquay, du bail cédé et de divers règlements comprenant le Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux. Tout cela se ramène à la question fondamentale de l'utilisation estivale de la télécabine et au fait que le juge Campbell a confirmé la validité de l'interdiction de cette activité par la Couronne.

[13]      S'appuyant sur l'affaire Rasamen c. Rosemount Instruments ltd (1994) 112 D.L.R. 94th 683, il a conclu que malgré des différences de formulation et de nature, les deux instances satisfaisaient au critère permettant de conclure à la préclusion découlant d'une question déjà tranchée formulé dans l'arrêt Angle c. Ministre du Revenu National, [1975] 2 R.C.S. 248. Dans cet arrêt, les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ont été énoncées par le juge Dickson comme étant les suivantes :

(1)        que la même question ait été décidée;

(2)        que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3)        que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

[14]       Après avoir conclu que les faits de l'espèce satisfaisaient aux trois volets du critère, le protonotaire Hargrave a radié la déclaration pour cause de préclusion découlant d'une question déjà tranchée.


[15]       Un examen approfondi du jugement prononcé par le juge Campbell révèle ce qui suit :

I)          La décision examinée par le juge Campbell a été rendue le 2 juillet 1996 par le directeur du Parc national Banff.

II)                  Le juge Campbell a rendu son jugement le 28 mai 1997.

III)       Le jugement prononcé par le juge Campbell porte sur la nature du droit détenu par la demanderesse. Il traite de l'interaction des droits accordés au cessionnaire par les dispositions du bail, du plan à long terme établi pour la région de ski du mont Norquay (PLT) et de l'étendue du pouvoir discrétionnaire pouvant être exercé en vertu du bail.

IV)       Le PLT n'était pas autorisé par la loi et ne constituait qu'un énoncé de politique gouvernementale.

[16]       Par ailleurs, la présente instance :

I)          Concerne une décision rendue le 6 septembre 2000 par le directeur d'unité de gestion du Parc national Banff.

II)        Cette décision s'appuie sur le plan de gestion du Parc national Banff, lequel, à la p. 48, [traduction] « interdit l'exploitation estivale des télécabines, cette exploitation étant incompatible avec le plan à long terme » .

III)       Le plan de gestion est daté d'avril 1997. Ce plan n'a pas été mentionné dans les plaidoiries formulées devant le juge Campbell, pas plus que dans le jugement prononcé par ce dernier.


IV)       Le plan de gestion est expressément autorisé par le par. 11(1) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, et par sa version antérieure, le par. 5 (1.1) de la Loi sur les parcs nationaux, L.C. 1988 ch. 48.

V)         L'article 4 de la Loi sur l'Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31 (sanctionnée le 3 décembre 1998) accorde au ministre un pouvoir d'orientation particulier et général à l'égard de l'Agence.

VI)       Dans cette instance, la demanderesse soutient notamment que le plan de gestion est assimilable à une directive particulière et générale du ministre visée par les art. 4 et 5 de la Loi sur l'Agence Parcs Canada, L.C. 1998 ch. 31

[17]       Je conviens avec le protonotaire que, d'un point de vue global, la question fondamentale est celle de « savoir si la Couronne avait le droit d'interdire à la demanderesse d'exploiter la télécabine du mont Norquay pendant l'été » . Cependant, la demande de contrôle judiciaire dont a été saisi le juge Campbell concernait une décision antérieure à l'établissement du plan de gestion. Elle portait sur les droits créés par le bail, sur l'incidence du plan à long terme sur la décision de refuser le permis et sur le fait de savoir si le pouvoir discrétionnaire avait été régulièrement exercé. Le juge Campbell n'a pas tenu compte du plan directeur autorisé par la loi puisque ce plan n'existait pas au moment où la décision initiale a été prononcée et qu'il n'avait pas été invoqué devant lui. Il ne pouvait pas non plus tenir compte du pouvoir d'orientation prévu par la Loi sur l'Agence Parcs Canada puisque les dispositions en question n'avaient pas encore été adoptées.


[18]       La présente instance concerne une décision prononcée quatre ans plus tard, alors que le plan de gestion régit la décision de refuser l'exploitation estivale de la télécabine. La Cour devra décider des effets et du rôle du plan de gestion, ainsi que de la question de savoir s'il constitue une directive ministérielle prévue par la Loi sur l'Agence Parcs Canada et s'il équivaut à une entrave du pouvoir discrétionnaire. Ce sont là des questions que le juge Campbell n'a jamais examinées et, par conséquent, sa décision ne saurait satisfaire au premier volet du critère établi dans l'arrêt Angle, précité. La question qui doit être tranchée, bien qu'elle porte sur le même sujet, repose sur un fondement factuel et juridique très différent de celle qui a été tranchée dans le dossier T-1776-96.

[19]       Il se peut bien que la conclusion soit la même que celle à laquelle est arrivé le juge Campbell, mais comme la question met en cause des faits, des lois et des plans différents, la déclaration ne peut être radiée pour cause de préclusion découlant d'une question déjà tranchée. Par conséquent, j'estime que la décision du protonotaire était fondée sur une mauvaise appréciation des faits et, par conséquent, la présente requête sera accueillie.

                                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête visant l'ordonnance du protonotaire Hargrave de radier le nom de tous les défendeurs désignés dans l'action de la demanderesse, à l'exception de ceux de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada et d'Agence Parcs Canada, est rejetée.


2.         La requête visant l'ordonnance prononcée par le protonotaire Hargrave le 4 mars 2004 radiant la déclaration de la demanderesse pour cause d'abus de procédure conformément à l'alinéa 22(1)f) est accueillie. L'ordonnance du protonotaire est par les présentes annulée.

3.         Chacune des parties n'ayant que partiellement gain de cause en l'espèce, aucun dépens n'est adjugé.

                                                                                                « K. von Finckenstein »        

                                                                                                                         J. C. F.                

                                                                                                                                   

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-363-01

INTITULÉ :               PETER G. WHITE MANAGEMENT LTD.

                                                                                                            demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

REPRÉSENTÉE PAR LA MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN, MME SHEILA COPPS, ET LADITE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN, L'AGENCE PARCS CANADA, REPRÉSENTÉE PAR SON DIRECTEUR GÉNÉRAL, M. TOM LEE, ET LEDIT M. TOM LEE, LE DIRECTEUR D'UNITÉ DE GESTION DU PARC NATIONAL BANFF, M. WILLIAM FISHER, M. CHARLES ZINKAN ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                  défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 13 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge von Finckenstein

DATE DES MOTIFS :                                   Le 14 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Richard B. Low, c.r.                                          POUR LA DEMANDERESSE

Kirk N. Lambrecht, c.r.                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones, s.r.l.

Calgary (Alberta)                                               POUR LA DEMANDERESSE

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LES DÉFENDEURS


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