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Date : 20011206

Dossier : T-1168-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1375

ENTRE :

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED et

                                                  HOFFMANN-LaROCHE LIMITED

                                                                                                                                              défenderesses

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une requête sollicitant l'annulation de l'ordonnance du protonotaire datée du 17 octobre 2001.

FAITS PERTINENTS


[2]                 La présente instance a été introduite par une déclaration datée du 6 juillet 2001 sollicitant notamment le paiement de dommages-intérêts conformément à l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement sur les médicaments brevetés) pour des ventes perdues par Apotex de comprimés de naproxène à libération prolongée.

[3]                 Par avis daté du 1er août 2001, les défenderesses ont présenté une requête en radiation de la présente instance conformément à l'article 221 des Règles de la Cour fédérale.

[4]                 Par ordonnance du 17 octobre 2001, le protonotaire a accueilli la requête des défenderesses et de ce fait, il a radié la présente action après avoir conclu qu'il était « évident et manifeste » que la procédure d'interdiction n'était pas engagée et que, de toute façon, la version pré-modifiée de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés ne s'appliquait pas.

NORME DE RÉVISION

[5]                 La Cour d'appel fédérale a établi dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463, la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard d'une décision discrétionnaire de protonotaire :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière J.C.A. dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,


b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal15.

[...]

                         

15. Il y a lieu de noter que la formulation employée par lord Wright, « the final issue of the case » n'a pas du tout le même sens que « the final issue in the case. » Il a voulu dire par là « influence déterminante sur l'issue du principal » et non « influence déterminante sur le litige principal selon le mérite de la cause » .

[6]                 À la page 4 de sa décision, le protonotaire a répété les conclusions qu'il avait tirées dans une requête similaire entendue le même jour dans Apotex c. Eli Lilly and Company et al.(T-320-01), le 27 septembre 2001 :

[traduction] Il est tout à fait clair, en conclusion, qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la requête de la demanderesse relativement à la modification envisagée. Pour commencer, la demanderesse n'a allégué aucun fait substantiel pouvant étayer une cause d'action fondée sur l'ancien article 8 du Règlement. Elle n'allègue pas qu'elle a subi un préjudice parce que le ministre a reporté la délivrance de l'avis de conformité « au-delà de la date d'expiration de tous les brevets » . Elle se contente plutôt d'affirmer, au paragraphe 18 du projet de déclaration modifiée, que le recours prévu par la loi est ouvert par suite de tout report de la délivrance d'un ADC attribuable à l'institution d'une demande d'interdiction. C'est clairement une mauvaise interprétation de la disposition.

À mon avis, l'attribution d'une responsabilité sous le régime de l'ancien article 8 du Règlement ne laisse place à aucune ambiguïté. Je fais miennes les observations du juge Mahoney, dans la décision Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, à la page 337, au sujet des restrictions auxquelles le recours prévu à l'article 8 est assujetti :


En particulier, la demande ne donne pas lieu à l'imputation d'une responsabilité d'un préjudice qui serait imposée par l'engagement que tout tribunal exigerait avant de prononcer une injonction interlocutoire. La responsabilité du préjudice que crée l'article 8 du Règlement ne concerne que le préjudice subi par suite du report de la délivrance de l'avis de conformité au-delà de la date d'expiration du brevet.

Compte tenu des conclusions qui précèdent, il ne m'apparaît pas nécessaire de traiter de l'argument subsidiaire soulevé par la défenderesse Roche selon lequel la « demande » n'a pas été rejetée « par le tribunal l'ayant entendue. »

[7]                 Soulignons que dans Apotex c. Eli Lilly and Company et Eli Lilly Canada Inc., 2001 CFPI 1144, (Apotex), j'ai rendu une décision infirmant celle du protonotaire.

[8]                 Ainsi que je l'ai fait dans Apotex, précité, je conclus sans hésitation que l'interprétation de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés a une influence déterminante sur l'issue du principal et que notre Cour doit intervenir et exercer de novo son pouvoir discrétionnaire.

[9]                 Néanmoins, je dois établir une distinction entre ma décision dans Apotex et la présente espèce; en fait, dans Apotex, Apotex a fait observer que si l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés ne s'applique pas à cause du paragraphe 9(6) des dispositions transitoires accompagnant les modifications apportées à cet article, lequel dispose que « [l]'article 8 du même règlement, édicté par l'article 8, s'applique aux demandes qui sont pendantes à la date d'entrée en vigueur du présent règlement » , alors l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés existant avant les modifications apportées en 1998 s'appliquera.

[10]            Apotex a déjà soulevé ce point dans la présente requête mais non dans sa déclaration.

[11]            Néanmoins, dans Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company et Eli Lilly Canada Inc., 2001 CFPI 636 (Eli Lilly), le juge Blanchard a rendu une décision portant sur un argument très semblable à celui soulevé en l'espèce.

[12]            Le protonotaire a décidé de ne pas suivre la décision du juge Blanchard et ne s'est fondé que sur les paragraphes 25 à 49 des observations écrites présentées par les défenderesses.

[13]            Dans sa décision du 11 juin 2001, le juge Blanchard a statué :

[par. 11] Je retiens la position prise par la demanderesse, à savoir que la Cour doit faire preuve d'énormément de prudence en exerçant son pouvoir en vue de radier un acte de procédure et qu'elle doit le faire uniquement dans le cas où le demandeur n'a aucune chance de succès. Par conséquent, la Cour ne devrait radier un acte de procédure que dans des circonstances tout à fait claires, lorsqu'il n'existe aucun fondement défendable permettant d'inclure les questions visées par l'objection.

[par. 12] J'ai examiné la déclaration et j'ai appliqué le critère établi par la Cour suprême du Canada; je ne suis pas convaincu qu'il est « clair et évident » que l'acte de procédure contesté ne révèle aucune cause d'action valable.

[par. 13] En l'espèce, la requérante a décidé de demander à la présente Cour d'aborder une question plutôt complexe d'interprétation de la loi qui, soutient-elle, mènera à une conclusion justifiant la [traduction] « mesure draconienne » qu'est la radiation de la déclaration de la demanderesse. J'estime que l'interprétation de l'article 8 et la détermination de son objet est une question complexe d'interprétation de la loi et qu'il est préférable que cette question soit débattue à l'instruction, où il est possible de présenter les éléments de preuve appropriés, et que le juge des requêtes ne doit pas régler une telle question dans le cadre d'une procédure préliminaire.

[par. 14] Il semble être bien établi dans la jurisprudence que les questions de droit litigieuses se rapportant à l'interprétation de la loi ne doivent pas être réglées dans le cadre d'une requête visant à la radiation d'un acte de procédure. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex, monsieur le juge Lemieux a examiné la question :

Dans le contexte des questions d'interprétation légale, Madame le juge Reed, dans la décision R. c. Amway, [1986] 2 C.F. 312, à la p. 326, a dit que lorsqu'il faut trancher une question, cette question, puisqu'elle n'est pas évidente et manifeste, doit être débattue à l'audience plutôt que d'être tranchée par le juge des requêtes au cours d'une procédure préliminaire.


Dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, Madame la juge Wilson, au nom de la Cour, a examiné les principes applicables régissant la détermination d'une requête en radiation fondée sur le fait que la demande n'était pas raisonnable. Elle a examiné l'origine de la disposition qui est maintenant incorporée dans les règles de pratique ainsi que son application dans la jurisprudence anglaise et canadienne.

À mon avis, le juge Wilson a approuvé le principe selon lequel les arguments complexes concernant le droit et les faits devraient être examinés à l'audience une fois que tous les éléments de preuve ont été présentés parce que, en pareil cas, il est impossible de conclure qu'il n'existe en fait ou en droit aucune cause d'action.

[14]            Dans Merck Frost Canada Inc. c. Canada (1994), 55 C.P.R. (3rd) 302, à la page 316 (C.A.F.), le juge Hugessen a statué :

L'article 8 est particulièrement obscur. Il paraît rendre la première personne responsable en dommages si le ministre se conformait à la période d'interdiction de 30 mois dans les cas où le paragraphe 7(2) prévoit expressément que l'interdiction aura pris fin. Heureusement, la Cour n'est pas appelée à l'interpréter dans cet appel. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Les deux décisions rendues par le juge Blanchard dans Eli Lilly, précité, de même que ma propre décision dans Apotex, précité, peuvent se distinguer de la présente affaire. Néanmoins, une question demeure : il n'existe toujours pas d'exposé clair de la véritable signification de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés.

[16]            À mon avis, il aurait été plus prudent que le protonotaire suive l'exemple donné par le juge Blanchard dans sa décision, lorsqu'il fait remarquer, au par. 18 « que les points en litige sont d'une nature complexe et qu'il est préférable de les régler à l'instruction. »

[17]            Par conséquent, j'estime que l'ordonnance du protonotaire datée du 17 octobre 2001 devrait être infirmée.

                                     O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE :

-          Que l'ordonnance du protonotaire en date du 17 octobre 2001 soit annulée;

-          Que les défenderesses signifient et déposent leur défense dans les vingt jours suivant la présente décision;

-          Que les dépens soient adjugés à la demanderesse.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

6 décembre 2001

Copie certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                          T-1168-01

INTITULÉ :                                                         APOTEX INC. c. SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LTD. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               4 DÉCEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                     6 DÉCEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

ANDREW BRODKIN                                       POUR LA DEMANDERESSE

GUNARS GAIKIS                                              POUR LES DÉFENDERESSES

NANCY PEI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOODMANS

TORONTO (ONTARIO)                                   POUR LA DEMANDERESSE

SMART & BIGGAR

TORONTO (ONTARIO)                                   POUR LES DÉFENDERESSES

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