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     Date : 19981211

     Dossier : T-1602-98

Entre :


THOMAS A. MCKAY, TONY CUNNINGHAM et LA CANADIAN

FISHERMEN'S DEFENCE SOCIETY, personne morale,

     demandeurs,

     - et -


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le ministre des Pêches et des Océans du Canada,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON

[1]      Dans leur déclaration en date du 10 août 1998, les demandeurs réclament ce qui suit :

     - des injonctions provisoires, interlocutoires ou permanentes,
     - des injonctions péremptoires,
     - des déclarations de droit,

concernant les décisions, politiques et pratiques du ministre des Pêches et des Océans du Canada et de ses représentants [le MPO] qui ont entraîné la création de certaines formes de propriété privée dans la réserve commerciale du poisson de fond de la région de Scotia-Fundy, et la privatisation de celle-ci, du fait qu'ils ont :

a)      accordé ou attribué des quotas de pêche individuels aux détenteurs actuels de permis en se fondant sur les antécédents allégués de prises du détenteur de permis de 1986 à 1993,
b)      accordé ou attribué des quantités prédéterminées de poisson ou une portion du total des prises admissibles aux détenteurs actuels de permis, habituellement de grandes entreprises de pêche, en leur assurant l'accès pour l'avenir à des allocations annuelles transférables de poisson, créant ainsi des quotas d'entreprise,
c)      transféré des quotas individuels de remplacement du détenteur actuel de permis à une personne recommandée ou désignée par celui-ci, ou accordé ce genre de quotas, créant ainsi des quotas individuels transférables, et
d)      permis ou toléré qu'un tiers pêche et paye au détenteur actuel de permis le droit de pêcher le quota individuel accordé ou attribué à ce détenteur, celui-ci ne pêchant pas lui-même son quota individuel, pratique que l'on pourrait qualifier de " pêche à distance ".

Les injonctions

[2]      La défenderesse soutient que les redressements recherchés par les demandeurs ne peuvent être obtenus qu'au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée de la manière prescrite à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et en particulier au paragraphe 18(3) : voir Mundle c. Canada (Ministre de la Défense nationale) et al. (1995), 85 F.T.R. 248 [Mundle]. Les demandeurs soutiennent pour leur part qu'ils peuvent réclamer ces redressements par voie d'action introduite par le dépôt d'une déclaration : voir Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1993), 69 F.T.R. 81.

[3]      J'ai examiné les observations des parties et je suis convaincu qu'une injonction ne peut être demandée par voie d'action, mais bien par une procédure de contrôle judiciaire visée à l'art. 18.1. Dans la décision Mundle, précitée, il est dit ce qui suit :

         Il en résulte qu'une injonction ou une suspension de procédure assimilable à une injonction ne peut être obtenue à l'encontre des serviteurs de la Couronne fédérale que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et non pas autrement. L'actuel article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale confère expressément à la Section de première instance le pouvoir d'accorder une telle suspension de procédure, et avant même l'adoption de cette disposition l'on avait conclu à l'existence implicite de ce pouvoir. Le demandeur ne peut donc voir accueillir sa demande d'injonction, présentée dans le cadre d'une action intentée contre la Couronne, puisqu'une telle action ne saurait aboutir à la délivrance d'une injonction, ni contre la Couronne ni contre un préposé de celle-ci.                 

[4]      Par conséquent, les parties de la déclaration dans lesquelles les injonctions sont réclamées sont radiées.


La déclaration

[5]      La défenderesse soutient que les parties de la déclaration traitant d'une mesure de redressement déclaratoire doivent également être radiées. Elle s'appuie sur l'arrêt Carpenter Fishing Corp. et al. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) et al. (1997), 221 N.R. 372 [Carpenter].

[6]      Dans l'arrêt Carpenter, la Cour d'appel fédérale était saisie d'une action dans laquelle les demandeurs avaient déposé une déclaration contre la Couronne et contre le ministre des Pêches et des Océans et par laquelle ils réclamaient une déclaration attestant que la " restriction applicable au détenteur actuel " dans l'allocation historique des prises était illégale. La Cour d'appel a infirmé la décision du juge de première instance, dans laquelle celui-ci déclarait que la décision de mettre en oeuvre la restriction applicable au détenteur actuel et les décisions des ministres successifs de maintenir cette restriction étaient illégales et nulles.

[7]      Le juge Décary a déclaré ceci dans l'arrêt Carpenter (p. 379) :

         À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en entendant et en appréciant la preuve comme si l'objet du litige n'était pas une mesure législative. Cette erreur l'a amené à imposer le respect de règles de justice naturelle qui ne s'appliquaient pas et à examiner la preuve comme s'il avait le droit de reconsidérer le bien-fondé des quotas attribués par le ministre.                 
         La mise en oeuvre d'une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d'un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d'un permis ne sont pas des règlements ; elles n'ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada de la Cour suprême du Canada et de la décision Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) de cette Cour que le ministre est libre d'indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l'arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l'application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.                 
         [...] Dans la mesure où le ministre élabore la politique dans le cadre de l'exercice des pouvoirs généraux que lui confère la Loi sur les pêches et dans la mesure où il n'applique pas cette politique aveuglément dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis particulier, la mesure consistant à délivrer le permis, bien que de nature administrative et par ailleurs susceptible de contrôle judiciaire, ne peut être contestée en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique, c'est-à-dire la mise en oeuvre de la politique en matière de quotas par le ministre.                 

[8]      Il semblerait que, dans l'arrêt Carpenter, la Cour d'appel ait laissé ouverte la possibilité qu'une partie puisse contester par voie d'action des lignes directrices discrétionnaires et demande une déclaration ayant trait à cette contestation. Toutefois, la Cour d'appel a clairement déclaré qu'un tel redressement, que l'on peut normalement demander dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire, ne peut être obtenu qu'en cas de manquement à l'une des trois exceptions énoncées dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Canada (Gouvernement) et le ministre du Développement économique [1982] 2 R.C.S. 2, 44 N.R. 354 [Maple Lodge Farms]. Ces exceptions sont les suivantes : la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l'application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.

[9]      À cet égard, je note les observations formulées par le juge Décary dans l'arrêt Carpenter (pages 379 et 380) :

         Les cours de révision saisies de la contestation d'une mesure administrative, soit la délivrance d'un permis, dont un élément est une mesure législative, soit l'élaboration d'une politique en matière de quotas, devraient prendre soin de ne pas appliquer à l'élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. La distinction est peut-être ténue, mais chaque fois qu'une personne conteste indirectement une politique en matière de quotas en contestant directement la délivrance d'un permis, les tribunaux devraient isoler la contestation indirecte et l'assujettir aux normes applicables au contrôle d'une mesure législative qui ont été définies dans l'arrêt Maple Lodge Farms.                 

[10]      La Règle 174 exige que le demandeur plaide les faits substantiels sur lesquels il se fonde. Il semble que les demandeurs aient mentionné dans leur déclaration des faits substantiels qui se rapportent aux exceptions énoncées dans l'arrêt Maple Lodge Farms et aux termes desquelles des lignes directrices discrétionnaires peuvent faire l'objet d'un contrôle.

[11]      Le paragraphe 9 de la déclaration est rédigé dans les termes suivants :

     [TRADUCTION]         
     Les demandeurs prétendent que le MPO n'a pas le pouvoir de fonder les quotas individuels actuels sur les antécédents de prises de 1986 à 1993, de calculer les quotas communautaires d'après les antécédents de prises des détenteurs de permis individuel, ou d'autoriser les détenteurs de permis individuel à obtenir un quota individuel fondé sur leurs antécédents de prises. Les antécédents de prises sont un facteur non pertinent et une considération étrangère à la détermination des quotas individuels et des quotas communautaires.         

[12]      Au paragraphe 10 de la déclaration, on peut lire ceci :

     [TRADUCTION]
     En outre, les demandeurs prétendent que les dossiers des antécédents de prises de 1986 à 1993 dans le secteur FG < 45' de la région de Scotia-Fundy réservée à la pêche du poisson de fond contiennent tellement d'erreurs et qu'ils sont si peu fiables que leur utilisation est arbitraire, déraisonnable, discriminatoire et illégal et constitue un abus du pouvoir discrétionnaire, ainsi qu'un acte de mauvaise foi.         

[13]      Manifestement, si la Couronne a besoin de précisions supplémentaires concernant les allégations des demandeurs, elle peut toujours présenter une requête en vue d'obtenir des précisions fondée sur le paragraphe 181(2) des Règles.

[14]      Par conséquent, la requête est accueillie en partie. Seuls les paragraphes de la déclaration dans lesquels les demandeurs réclament des injonctions sont radiés. Les frais suivront l'issue de la cause.

                             Howard I. Wetston

                    

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 11 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1602-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Thomas A. McKay et al. c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :      Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 23 novembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE WETSTON

DATE :                  le 11 décembre 1998

ONT COMPARU :

Bruce Wildsmith                  POUR LES DEMANDEURS

John Ashley                      POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Burchell, Hayman & Barnes          POUR LES DEMANDEURS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                  POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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