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Date : 19991203


Dossier : IMM-1491-99

OTTAWA (ONTARIO), le 3 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU


ENTRE :

     VICTOR ANTONIO REYES AHUMADA,

     demandeur,

ET :


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

     DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.


     ORDONNANCE



[1]      La demande est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié est annulée et l"affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu"il tienne une nouvelle audition et rende une nouvelle décision.
[2]      À la fin de l"audition, j"ai demandé aux parties de me présenter leurs observations concernant la certification d"une question. Je suis convaincu que les faits en cause soulèvent une question grave de portée générale du fait que Mme Workun continue à exercer ses fonctions en entendant et en tranchant des revendications du statut de réfugié en qualité de membre de la Section du statut de réfugié, alors qu"elle conserve son poste d"agent des appels au ministère. Bien que le demandeur en l"espèce l"ait appris, il est non seulement concevable, mais probable, que d"autres revendications seront tranchées par Mme Workun sans que les revendicateurs soient au courant de cette situation.
[3]      De plus, je suis d"accord avec le demandeur pour dire que la question à trancher en l"espèce devrait préciser quelle direction générale du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration est en cause et le fait que Mme Workun est une agente d"immigration. Il existe un grand nombre de fonctionnaires du ministère dont l"opportunité de la nomination à la Section du statut de réfugié n"a pas été débattue devant moi et au sujet de la partialité desquels aucun élément de preuve ni argument n"a été présenté. Par conséquent, la question est la suivante :
         Le fait qu"un membre de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et de statut de réfugié soit un fonctionnaire en congé sans solde occupant le poste d"agent d"immigration à la Direction générale de l"exécution de la Loi du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration crée-t-il une crainte raisonnable de partialité?


"    P. Rouleau "

                                         Juge

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.




Date : 19991203


Dossier : IMM-1491-99



ENTRE :

     VICTOR ANTONIO REYES AHUMADA,

     demandeur,

ET :


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

     DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU



[1]          Il s"agit d"une demande visant à obtenir une ordonnance annulant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a statué, le 9 mars 1999, que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.



[2]          Le demandeur, Victor Antonio Reyes Ahumada, est né le 31 août 1970 et est citoyen du Chili. Il est venu au Canada et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en invoquant une crainte bien fondée d"être persécuté au Honduras en raison de ses opinions politiques.




[3]          L"audition de la revendication du statut de réfugié du demandeur a eu lieu le 17 novembre 1998 et le 7 janvier 1999. Le tribunal de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié qui a entendu la revendication était formé de deux personnes : Kim Workun et Ian Clague.




[4]          Avant le deuxième jour d"audience, l"avocat du demandeur a appris que Mme Workun était une fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration occupant le poste d"agente des appels, et qu"elle avait obtenu un congé sans solde pour exercer les fonctions de membre de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié. Le 7 janvier 1999, l"avocat de M. Ahumada a présenté une requête demandant à Mme Workun de se récuser en qualité de membre du tribunal saisi de la revendication et sollicitant la nomination d"un nouveau tribunal de deux personnes chargé de tenir une nouvelle audition. Cette requête a été rejetée et Mme Workun a continué à siéger comme membre du tribunal qui entendu la revendication et qui a rendu, en bout de ligne, la décision contestée. Après l"audition, le ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration a reconnu que Mme Workun demeurait une fonctionnaire du ministère tout en siégeant en qualité de membre de la Section du statut de réfugié.



[5]          Le demandeur sollicite maintenant l"annulation de la décision de la Commission en s"appuyant sur le fait que le tribunal aurait enfreint les règles de justice naturelle en raison de la crainte raisonnable de partialité découlant du fait que Mme Workun conserve son poste d"agente des appels à la Direction générale de l"exécution de la Loi du ministère à Vancouver tout en siégeant en qualité de membre de la Section du statut de réfugié.



[6]          À l"audience, j"ai accueilli la demande. Voici maintenant les motifs à l"appui de ma décision.



[7]          Les principes de justice naturelle auxquelles sont assujettis les tribunaux administratifs comme la Section du statut de réfugié visent deux objectifs sous-jacents : premièrement, personne ne doit subir les conséquences négatives d"une décision sans avoir bénéficié d"une audition équitable et, deuxièmement, les décisions qui ont une incidence sur une personne doivent être rendues par un décideur impartial et sans préjugé. Le droit d"être entendu par un décideur impartial et sans préjugé constitue un aspect important de la règle audi alteram partem .



[8]          Une audition ne peut être équitable que s"il n"existe même pas l"apparence d"un préjudice causé au droit du revendicateur de faire valoir des observations complètes devant un tribunal impartial. Le revendicateur a le droit de faire trancher son dossier par un tribunal collectivement sans préjugé, indépendant et impartial. Il est bien établi que la raison d"être de cette règle d"impartialité est l"objectif fondamental de garantir non seulement que justice soit rendue, mais également que justice paraisse manifestement être rendue.



[9]          Le critère qui a été élaboré est celui de la probabilité ou du soupçon raisonnable de partialité, l"accent devant être mis non pas sur la perception qu"a le tribunal de ce qui constitue de la partialité, mais sur l"opinion d"une personne raisonnable à cet égard. Ce critère a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Committee for Justice & Liberty c. Office national de l"énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395, (1978), 68 D.L.R. (3d) 716, à la page 735 : " à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? " Ce critère a pour objectif de garantir la confiance du public en l"impartialité des organismes juridictionnels tels que la Section du statut de réfugié. Le simple fait qu"on puisse croire qu"un revendicateur a été privé du droit à une audition impartiale justifie une ordonnance annulant la décision du tribunal et le renvoi de l"affaire pour la tenue d"une nouvelle audition.



[10]          Il n"existe pas de jurisprudence bien établie ni de traité théorique énumérant exhaustivement les activités ou les comportements qui seront considérés comme dérogatoires à la règle de l"impartialité. Chaque affaire doit être tranchée principalement en fonction des faits qui lui sont propres et de son bien-fondé.



[11]          Bien qu"il y ait rarement lieu d"annuler la décision d"un tribunal pour cause de partialité, je suis convaincu que c"est cette solution qui convient et que dicte la prudence en l"espèce. Dans la présente affaire, une personne, Mme Workun, est fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration et occupe le poste d"agente des appels. L"une des fonctions d"un agent des appels consiste à représenter le ministère dans les instances quasi judiciaires qui se déroulent devant la Section du statut de réfugié, notamment dans le cadre de l"audition des revendications du statut de réfugié. Même si elle a obtenu un congé sans solde, Mme Workun conserve sa qualité de fonctionnaire tout en siégeant comme membre du tribunal même devant lequel elle comparaît au nom du ministère. Je suis d"avis que ces faits sont susceptibles d"inciter une personne raisonnable à entretenir de sérieux doutes sur l"impartialité du décideur et du processus décisionnel. Les circonstances en cause en l"espèce pourraient très bien être perçues par une personne ordinaire comme créant une situation entachée de partialité et de préjugés.



[12]          Pour ces motifs, la demande est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié est annulée et l"affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu"il tienne une nouvelle audition et rende une nouvelle décision.



[13]          À la fin de l"audition, j"ai demandé aux parties de me présenter leurs observations concernant la certification d"une question. Je suis convaincu que les faits en cause soulèvent une question grave de portée générale du fait que Mme Workun continue à exercer ses fonctions en entendant et en tranchant des revendications du statut de réfugié en qualité de membre de la Section du statut de réfugié, alors qu"elle conserve son poste d"agent des appels au ministère. Bien que le demandeur en l"espèce l"ait appris, il est non seulement concevable, mais probable, que d"autres revendications seront tranchées par Mme Workun sans que les revendicateurs soient au courant de cette situation.




[14]          De plus, je suis d"accord avec le demandeur pour dire que la question à trancher en l"espèce devrait préciser quelle direction générale du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration est en cause et le fait que Mme Workun est une agente d"immigration. Il existe un grand nombre de fonctionnaires du ministère dont l"opportunité de la nomination à la Section du statut de réfugié n"a pas été débattue devant moi et au sujet de la partialité desquels aucun élément de preuve ni argument n"a été présenté. Par conséquent, la question est la suivante :

     Le fait qu"un membre de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et de statut de réfugié soit un fonctionnaire en congé sans solde occupant le poste d"agent d"immigration à la Direction générale de l"exécution de la Loi du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration crée-t-il une crainte raisonnable de partialité?


"    P. Rouleau "

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

3 décembre1999


Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1491-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      VICTOR ANTONIO REYES AHUMADA c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L"AUDIENCE :          18 octobre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :          3 décembre 1999


ONT COMPARU :

Me Banafsheh Sokhansanj          POUR LE DEMANDEUR
Me Kim Shane              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Banafsheh Sokhansanj          POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Me Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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