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Date : 20040817

Dossier : IMM-6501-03

Référence : 2004 CF 1139

Ottawa (Ontario), le 17e jour d'août 2004

Présent : L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                  CLAUDE MANEGABE MULIRI

                                                                                                                                      demandeur

                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la "Loi"), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le "Tribunal"). Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » , tel que défini à l'article 96 de la Loi et n'est pas une « personne à protéger » selon l'article 97 de cette même Loi.


CONTEXTE FACTUEL

[2]                Le demandeur est un citoyen de la République Démocratique du Congo (RDC) et il allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques imputées.

[3]                Le demandeur allègue que son père fut arrêté par les autorités de la RDC et emprisonné le 3 mai 2000 du fait qu'il fut accusé d'être un informateur à la solde du Rwanda.

[4]                 Selon les dires du demandeur, le père du revendicateur fut assassiné en octobre 2000. Après cet événement, le demandeur aurait été protégé par un certain religieux, le père Raymond Kongolo. À la fin de ses études secondaires, le demandeur fut envoyé en Afrique du Sud afin d'y poursuivre ses études.

[5]                Le 11 octobre 2001, le demandeur a retourné à Kinshasa en RDC afin de régler le problème d'héritage suite au décès de son père. À ce moment, le demandeur prétend qu'il a été informé que quelques amis auraient été arrêtés du fait qu'ils avaient une morphologie rwandaise. De plus, le demandeur fait aussi état que son frère fut arrêté par les autorités policières.

[6]                Le 26 janvier 2002, un groupe de jeunes personnes forcèrent la porte d'entrée de la résidence où demeurait le demandeur. Suite à cet événement, le demandeur s'est réfugié chez le père Kongolo.

[7]                Le 6 février 2002, le demandeur quitta son pays pour se rendre en Afrique du Sud, muni d'un visa afin d'y poursuivre ses études. En Afrique du Sud, le demandeur a obtenu un visa pour venir au Canada. Le 13 juillet 2002, il a quitté l'Afrique du Sud et est arrivé au Canada la journée suivante après un transit en Suisse.

[8]                Lors de son témoignage devant le Tribunal, le demandeur a indiqué que son père était un commerçant et que c'est à cause du problème que son père a eu avec les autorités de la RDC que le demandeur a dû fuir son pays et venir au Canada. Toutefois, le dossier de demande de visa pour venir au Canada du demandeur que le revendicateur a rempli le 29 avril 2002 en Afrique du Sud qui fait état des faits contradictoires à ceux indiqués lors du témoignage du demandeur devant le Tribunal .

[9]                En effet, en consultant le dossier de demande de visa qui avait été rempli le 29 avril 2002, on remarque que le demandeur y avait écrit que son père était vivant et était employé par le gouvernement de la RDC. Son père travaillait pour le Ministère de la Sécurité tandis que sa mère était employée par l'Institut de la Sécurité Nationale de la RDC. De plus, on fait état dans le même document que le père du demandeur serait la personne qui défraie les coûts du voyage du demandeur pour venir au Canada.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            Le Tribunal a étudié l'ensemble de la preuve et a conclu que le demandeur n'est pas crédible en ce qui à trait à son histoire. L'existence des deux versions contradictoires, mentionnées plus haut a grandement miné la crédibilité du demandeur aux yeux du Tribunal. Le tribunal a confronté le demandeur face à cette contradiction majeure. Le demandeur a expliqué au Tribunal qu'il a menti aux autorités de l'ambassade canadienne afin d'obtenir un visa canadien. Le Tribunal n'a pas été satisfait de l'explication fournie par le demandeur. Il convient ici de reproduire ici le passage pertinent de la décision du Tribunal :

"Le demandeur nous répond à l'effet qu'il a menti aux autorités de l'ambassade canadienne afin d'obtenir un visa canadien. Le tribunal ne croit pas le demandeur car l'information qu'il a soumis aux autorités canadiennes peut être facilement vérifiable. De plus, le tribunal a prit en considération que le revendicateur était en Afrique du Sud lorsqu'il a fait une demande de visa et qu'il n'était aucunement en danger.            

Le tribunal conclut que le demandeur a montéde toutes pièces son histoire."

Page 2 de la décision du Tribunal


QUESTION EN LITIGE

[11]          Le tribunal a-t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de droit erronées ou des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait ?

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[12]          Tout d'abord, le demandeur soutient que le Tribunal a erré de manière manifestement déraisonnable en décidant de pas retenir l'explication fournie par le demandeur pour justifier les versions contradictoires, selon laquelle qu'il aurait menti à l'ambassade dans le but d'obtenir le visa qu'il croyait ne pas pouvoir obtenir s'il avait dit la vérité sur le sort de son père.

[13]          Ensuite, le demandeur note que hormis son témoignage, il fit comparaître un témoin (M. Zagabe) qui grâce à ses contacts avec des associations oeuvrant dans la défense des droits de l'homme a témoigné du risque de persécution des personnes d'origine Rwandaise en RDC, des origines ethniques Rwandaise du demandeur et des nouvelles qu'il avait reçues de l'assassinat du père du demandeur.

[14]          De plus, le demandeur rappelle qu'il a déposé plusieurs pièces documentaires corroborant le risque de persécution pour des personnes associées comme lui aux rwandains et une pièce confirmant la mort de son père.

[15]          Or le demandeur souligne que le Tribunal a totalement ignoré la preuve offerte par le demandeur, contrevenant ainsi au principe fondamental selon lequel le Tribunal a l'obligation de considérer et apprécier tous les éléments de la preuve, et plus particulièrement, de procéder à l'examen de la preuve qui corrobore la thèse d'un demandeur et de la situation dans le pays d'origine du demandeur ainsi que du vécu des personnes qui se trouvent dans une situation analogue dans le même pays.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[16]          Le défendeur débute en rappelant qu'il appartient au Tribunal d'apprécier la crédibilité de la preuve présentée et en absence de démonstration par le demandeur que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient raisonnablement l'être, la Cour devrait s'abstenir d' intervenir.

[17]          Le défendeur souligne qu'en l'espèce le Tribunal a confronté le demandeur par rapport aux déclarations contradictoires et a estimé, à juste raison, que ce dernier n'a pas pu expliquer de façon crédible et satisfaisante cette contradiction majeure dans sa preuve.

[18]          Le défendeur soumet que le Tribunal, en tant que juge des faits, est l'instance la mieux placée pour tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du demandeur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison, et qu'en l'espèce les conclusions tirées par le Tribunal sont loin d'être déraisonnables.

[19]          Enfin, en ce qui concerne la déclaration du témoin M. Zagabe, le défendeur note qu'elle était dépourvue d'une quelconque valeur probante car elle constitue de l'ouï-dire et était donc inadmissible. Le défendeur soumet que le Tribunal a néanmoins considéré cet élément de preuve, invoquant la présomption selon laquelle un décideur va tenir compte de l'ensemble des éléments qui lui ont été soumis.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[20]          Le Tribunal a, il s'agit là d'une évidence, une expertise bien établie lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait, et notamment d'évaluer la crédibilité des demandeurs d'asile. En fait, l'appréciation des faits est au coeur même de la compétence du Tribunal.

[21]          Dans l'arrêt Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no. 372, le juge Evans, siégeant alors en première instance, s'explique sur la retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve lorsqu'il s'agit de réviser une décision purement factuelle reposant sur la crédibilité. Au paragraphe 3 de sa décision, il énonce :

3       Il est de droit constant que notre Cour hésite à annuler des décisions de la Commission sur le fondement de conclusions tirées en matière de crédibilité, vu que de telles conclusions sont au coeur même de la compétence spécialisée de la Commission, en tant que juge des faits.


Application de la norme

[22]          Ceci étant dit, il n'y a pas de doute que cette déférence judiciaire n'équivaut pas à une acceptation aveugle des conclusions de fait tirées par le Tribunal, sans la moindre analyse critique par la Cour. En effet, le processus de contrôle judiciaire existe pour s'assurer que le tribunal administratif ne sombre pas dans l'absurde en se croyant permis de tirer des conclusions de fait qui ne tiennent tout simplement pas la route et qui sont, pour utiliser le terme juridique, manifestement déraisonnables.

[23]          En l'espèce, la décision du Tribunal en est une dont la lecture peut s'avérer fort utile pour tout juriste qui tente de saisir le sens véritable du terme "manifestement déraisonnable", car elle en constitue une illustration impeccable.

[24]          En effet , comme ce fut mentionné plus haut, le Tribunal a ici écarté l'explication du demandeur fournie lors de l'audition pour la simple raison que "l'information qu'il a soumis aux autorités canadiennes [lors de sa demande de visa] peut être facilement vérifiable". (Je souligne)


[25]          Facilement vérifiable, je veux bien, mais il n'y a rien dans le dossier qui indique que cette information a effectivement été vérifiée. Je suis d'avis que le Tribunal aurait du préconiser une approche proactive et ne pas se contenter de retenir une version des faits pour la simple raison qu'elle a le potentiel d'être vérifiée. Ce que le Tribunal aurait peut-être dû faire, c'est de tenter de vérifier la version initiale, d'autant plus qu'elle est facilement vérifiable, ce qui n'as pas été fait.(Voir la décision Owoussou v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) [2004] F.C.J. No. 809, pour un exemple d'une approche inquisitoire de la part d'un agent d'immigration).

[26]          Telle que rédigée, la décision du Tribunal ne peut échapper à l'intervention de cette Cour. À la lumière de ce qui précède, il n'est pas nécessaire de s'attarder sur l'argument du demandeur concernant l'omission par le Tribunal de considérer des éléments de preuves pertinents.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                             "Sean Harrington"            

                                                                                                                                                    Juge                       


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                                                             IMM-6501-03

INTITULÉ :                                                                            CLAUDE MANEGABE MULIRI

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 20 JUILLET 2004


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                                           LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 17 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Johanne Doyon                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Christine Bernard                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Johanne Doyon                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Doyon & Morin

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR


Sous-procureur Général du Canada


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