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Date : 20020410

Dossier : T-104-02

Référence neutre : 2002 CFPI 406

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

                                                  C.P. SHIPS (BERMUDA) LIMITED

                                                                                                                                                  demanderesse

ET :

                      LES PROPRIÉTAIRES ET TOUS LES AUTRES AYANTS DROIT

                          DU NAVIRE « PANTHER MAX EX CANMAR SUPREME »

                                                                                   et

                                      PANTHER MARINE ENTERPRISES LIMITED

                                                                                                                                                       défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Au moyen d'un avis de requête daté du 22 mars 2002 et fondé sur la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998)[1], les défendeurs interjettent appel d'une ordonnance que le protonotaire Morneau a rendue la veille et demandent une ordonnance [Traduction] « ...cassant, annulant ou modifiant... » l'ordonnance du protonotaire Morneau et [Traduction] « ...toute autre réparation nécessaire en l'espèce (y compris, s'il y a lieu, l'abrégement des délais) » . J'estime qu'aucun abrégement des délais n'est nécessaire.

[2]                 Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous le libellé du paragraphe 51(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) :


51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.


51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.


[3]                 Les moyens d'appel sont énoncés comme suit dans la requête :

[TRADUCTION]

1.             Le 21 mars 2002, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance enjoignant aux défendeurs de verser une garantie d'exécution selon un montant canadien équivalant à 780 500,01 $US et 20 p. 100 de ce montant au titre des frais et intérêts afin d'obtenir mainlevée de la saisie du navire défendeur PANTHER MAX actuellement arraisonné au port de Montréal.

2.             Les défendeurs soutiennent que le protonotaire Morneau a commis une erreur lorsqu'il a refusé d'annuler la saisie du navire PANTHER MAX au motif que l'affidavit portant demande de mandat de la demanderesse en date du 21 janvier 2002 ne comportait pas une divulgation franche et complète de la situation pertinente.

3.             Subsidiairement ou de plus, en ce qui a trait à la réclamation de la demanderesse au titre du loyer payé en trop (ramenée maintenant à un montant de 94 568,91 $US), les défendeurs soutiennent que le protonotaire Morneau a commis une erreur en omettant de se prononcer sur l'allégation de contradiction entre les clauses 6 et 8 de la charte-partie applicable et en fixant la garantie au montant total de la réclamation en se fondant sur la seule déclaration de la demanderesse.

4.             En ce qui a trait à la réclamation de la demanderesse au titre de la responsabilité éventuelle envers Senator Lines (ramenée maintenant à un montant de 178 443,60 $US), le protonotaire Morneau a commis une erreur

                 i.              en refusant de radier cette partie de la réclamation figurant dans la déclaration de la demanderesse;


                 ii.             en refusant de radier cette partie de la réclamation même si la Cour n'a pas compétence en matière réelle à l'égard de cette réclamation formulée contre le navire défendeur PANTHER MAX, subsidiairement;

iii.            en refusant de radier cette partie de la réclamation au motif qu'elle est trop éloignée et que la demanderesse n'a pas fourni suffisamment de renseignements en temps pertinent pour l'établissement de la garantie s'y rapportant.

5.             En ce qui a trait à la réclamation de la demanderesse au titre de la rupture d'une entente visant à régler le différend quant au montant du loyer (507 487,50 $US), les défendeurs soutiennent que le protonotaire a commis une erreur lorsqu'il a refusé de radier cette partie de la réclamation figurant dans la déclaration de la demanderesse ou lorsqu'il a fixé une garantie correspondant au plein montant de celle-ci, alors que

                 i.              la demanderesse n'a divulgué ni dans sa déclaration, ni dans son affidavit portant demande de mandat, le fait que l'entente verbale en question est née au cours d'une conversation téléphonique qui a eu lieu dans le contexte des pourparlers de règlement;

                 ii.             la conduite subséquente de la demanderesse va à l'encontre de l'existence de l'entente verbale invoquée;

                 iii.            la Cour n'a pas compétence à l'égard de la réclamation formulée dans la déclaration et dans l'affidavit portant demande de mandat de la demanderesse;

                 iv.            sans porter atteinte à ce qui précède, la réclamation découle de la propre décision de la demanderesse de ne pas utiliser le navire avant le 17 octobre 2001, même si une mainlevée de la saisie avant jugement avait été accordée depuis le 6 septembre 2001.

6.             Les défendeurs ajoutent que le protonotaire a commis une erreur de fait et de droit en accordant une augmentation de 20 p. 100 du montant de la garantie pour tenir compte des frais et intérêts en l'absence d'éléments de preuve à ce sujet.

7.             Les défendeurs invoquent également tout autre moyen supplémentaire que les avocats pourront formuler.


FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[4]                 Une bonne partie des faits à l'origine du litige et, plus précisément, des faits qui concernent la requête dont le protonotaire Morneau a été saisi ne sont pas contestés. En voici le résumé :

-            le navire PANTHER MAX EX CANMAR SUPREME est un gros navire porte-conteneurs construit pour transporter un maximum de 2 062 conteneurs équivalents vingt pieds et 70 conteneurs équivalents quarante pieds, ce qui fait de lui le plus gros navire porte-conteneurs pouvant naviguer et être pris en charge au port de Montréal. Il a été construit à Taïwan en 1999 et est actuellement immatriculé au port de Nassau, aux Bahamas;

-            le 26 mars 2001, la société propriétaire du navire PANTHER MAX, Panther Marine Enterprises Limited de Monrovia, qui se trouve au Libéria, a affrété le PANTHER MAX à Canada Maritime Ltd., société qui a été remplacée par la demanderesse C.P. Ships (Bermuda) Limited. La charte-partie devait être en vigueur pour une période initiale de douze (12) mois débutant vers le 2 mai 2001, sous réserve de la possibilité, au choix de l'affréteur, de prolonger l'entente pour une autre période de douze (12) mois;


-            vers le 26 août 2001, le PANTHER MAX a été saisi à Fos, en France, par certains créanciers obligataires et a donc été en suspension de location pendant un certain temps en vertu des dispositions de la charte-partie. La période de cette suspension fait l'objet d'un différend majeur entre les parties au litige, mais la demanderesse soutient que celles-ci en sont arrivées à un règlement verbal au sujet des frais de location applicables à la période au cours de laquelle le navire a cessé d'être en suspension de location, selon les défendeurs, et avant que la demanderesse ne recommence à l'utiliser;

-            le PANTHER MAX est arrivé au port de Montréal le 31 octobre 2001 et a été déchargé malgré la signification, vers le 1er novembre 2001, d'un bref de saisie avant jugement délivré par la Cour supérieure du Québec, encore une fois sur les instances de certains créanciers obligataires;

-            C.P. Ships (Bermuda) Limited devait, en vertu de la charte-partie, effectuer certaines réparations au navire PANTHER MAX à l'occasion de l'escale de celui-ci au port de Montréal et ces réparations ont été effectuées vers le 6 novembre 2001;

-            vers le 4 décembre 2001, C.P. Ships (Bermuda) Limited a tenté d'annuler la charte-partie au motif que le navire avait été en suspension de location pendant plus de trente (30) jours consécutifs;


-            dans un affidavit portant demande de mandat en date du 21 janvier 2002, le représentant de C.P. Ships (Bermuda) Limited allègue que Panther Marine Enterprises Limited, en qualité de propriétaire du PANTHER MAX, devait à la demanderesse un montant d'au moins 1 075 537,73 $US en application de la charte-partie. C.P. Ships (Bermuda) Limited a invoqué la compétence réelle de la Cour conformément à l'alinéa 22(2)i) et à l'article 43 de la Loi sur la Cour fédérale[2]. Le navire PANTHER MAX a été arraisonné;

-            le navire PANTHER MAX demeure toujours arraisonné au port de Montréal.

LES QUESTIONS SOUMISES AU PROTONOTAIRE MORNEAU

[5]         Dans ses motifs d'ordonnance, le protonotaire Morneau a décrit les questions qui lui ont été soumises comme suit aux paragraphes 1 à 3 :

Il s'agit en l'espèce d'une requête des propriétaires du navire « Panther Max » ainsi que du navire lui-même... en vertu de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998)... aux fins d'obtenir essentiellement que parties de la déclaration d'action in personam et in rem ... prise par l'affréteur du navire le 21 janvier 2002, soit la demanderesse, soient radiées au motif que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action relevant de la juridiction rationae materiae de cette Cour prévue aux paragraphes 22(1) et 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale, ... .                 

Alternativement, les défendeurs demandent que l'affidavit portant demande de saisie... soit cassé au motif que ce dernier présente des lacunes majeures qui doivent amener à conclure que cet affidavit ne contient pas une divulgation franche et complète de la situation pertinente.

Ces deux principales attaques sont logées dans le but ultime que le navire soit relâché de la saisie qui l'étreint en cette Cour depuis le 21 janvier 2002, et ce, en retour d'une garantie d'exécution qui soit la moins élevée possible.


LA DÉCISION SOUS EXAMEN

[6]         Le protonotaire Morneau a rejeté en entier les allégations que les défendeurs ont formulées dans les deux premiers paragraphes précités et a abaissé la garantie d'exécution exigée pour la mainlevée de la saisie du navire PANTHER MAX à l'équivalent canadien d'un montant de 780 500,01 $US seulement, ainsi qu'à un autre montant de 20 p. 100 de cette somme pour couvrir les frais et intérêts.

[7]         En ce qui a trait à la première question en litige décrite dans ses motifs d'ordonnance, le protonotaire a cité le paragraphe 10 de l'affidavit portant demande de mandat de la demanderesse :

[TRADUCTION]

La réclamation se divise comme suit :

a)              le loyer payé en trop, la valeur des soutes lors de la nouvelle livraison et les frais de 307 937,23 $ que les affréteurs ont payés;

b)              la responsabilité éventuelle des affréteurs à l'endroit de leur affréteur à compartiment Senator Lines par suite de la fourniture d'un nombre insuffisant d'espaces en raison des deux saisies, celle de Fos et celle de Montréal, soit un montant de 260 113 $;

c)              le bris d'une entente concernant le règlement du différend au sujet du loyer à payer par suite de la première saisie à Fos, soit un montant de 507 487,50 $ qui est calculé en fonction d'un paiement en trop de loyer pendant une période de 30 jours à 16 916,24 $ par jour.


Le protonotaire Morneau a brièvement commenté dans ses motifs chacun des éléments de la réclamation de la demanderesse qui sont décrits au paragraphe 10 de l'affidavit portant demande de mandat. Voici les remarques qu'il a formulées au sujet du premier élément au paragraphe [13] :

Sous cette rubrique il n'y a pas d'argument de radiation à considérer. Il s'agit simplement de déterminer le montant à retenir pour les fins de la fixation de la garantie d'exécution, soit la valeur la plus favorable de la cause de la demanderesse ( « plaintiff's reasonably arguable best case » ) (le principe applicable). Dans l'arrêt Atlantic Shipping (London) Ltd. v. Ship Captain Forever et al. (1995), 97 F.T.R. 32 (l'affaire Captain Forever), cette Cour a rappelé ainsi, en page 34, ledit principe:

Le principe général qui veut qu'à la suite de la saisie, le demandeur ait droit à un cautionnement suffisant pour couvrir la meilleure indemnisation raisonnablement possible, y compris les intérêts et dépens, jusqu'à concurrence de la valeur du navire concerné, ...

[8]         En ce qui a trait au deuxième élément de la réclamation de la demanderesse, le protonotaire Morneau a formulé les commentaires suivants aux paragraphes [17] et [18] de ses motifs :

Je ne puis dans le cadre d'une demande de radiation de cette rubrique me convaincre qu'il soit clair et évident que ladite entente ne cadre pas, du moins en partie, dans l'alinéa 22(2)i) de la Loi. ...

[...]

Je pense qu'à ce stade-ci il n'est pas clair et évident que cette entente ne peut être vue comme impliquant l'usage du navire au sens de l'alinéa 22(2)i) de la Loi. Certes cette entente implique une relation contractuelle linéaire entre la demanderesse et Senator Lines mais elle renvoit également forcément à l'utilisation, entre autres, du navire. En conséquence, je ne saurais ici procéder à la radiation de cette rubrique au motif qu'elle ne cadre pas dans la juridiction rationae materiae de cette Cour aux termes de l'alinéa 22(2)i) et du paragraphe 43(2) de la Loi.

[9]         Quant au troisième élément de la réclamation de la demanderesse, le protonotaire Morneau s'est exprimé comme suit aux paragraphes [33] à [37] de ses motifs :

De plus, le fait que cette entente a été conclue oralement n'est point pertinent dans les circonstances présentes sous aucun chef.


Enfin, peut-on soutenir comme le font les défendeurs que la cause d'action quant à tout bris allégué de cette entente de règlement n'est pas de la juridiction rationae materiae de cette Cour au sens de l'article 22 de la Loi au motif que cette entente de règlement n'aurait pas de lien, de ramification avec le droit maritime? (Pour des exemples où les tribunaux ont reconnu à des contrats de tels liens, voir : [Le protonotaire Morneau cite ici deux décisions publiées et trois autres décisions à titre d'exemples où « ...de tels liens ont été reconnus,... » .]

Les défendeurs ont particulièrement insisté sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ondine, .... Dans cet arrêt toutefois, tout comme dans la décision de cette Cour dans l'arrêt Ordina Shipmanagement Co. Ltd v. The "Sheringham", ..., le contrat en litige avait été conclu par une des parties au litige, l'autre partie au contrat étant un tiers. Ici, l'entente en litige aurait été conclue directement entre les parties qui sont les mêmes que celles ayant entériné la charte-partie. De plus, il est loisible pour les fins du présent exercice de retenir que le contenu de cette entente, tel que relaté par la demanderesse au paragraphe 20 de ses représentations écrites, serait le suivant:

[TRADUCTION] (...) la demanderesse a convenu de payer un loyer pour la période du 6 au 19 septembre, la clause 8 de la charte-partie devait être modifiée pour permettre aux affréteurs de mettre fin à la charte-partie si le navire était en suspension de location pendant 15 jours plutôt que pendant la période de 30 jours précédemment prévue et, en ce qui a trait aux 28 autres jours contestés, pour la période allant du 19 septembre au 17 octobre, la charte-partie qui devait expirer le 15 mai 2002 serait prorogée de 30 jours;

On voit donc que cette entente modifierait la charte-partie initiale. Partant, il n'est pas clair et évident que la cause d'action sous cette entente ne puisse tomber sous le coup de l'alinéa 22(2)i) de la Loi.

Il n'y a donc pas de raison de radier cette rubrique pour absence de juridiction rationae materiae.                                                                             [citations omises]

[10]       En ce qui concerne le deuxième moyen de contestation invoqué qui est cité au paragraphe [5] des présents motifs, le protonotaire Morneau a fait les remarques suivantes aux paragraphes [7] et [8] de ses motifs :

Bien que les défendeurs se font fort dans leurs représentations écrites soumises à l'appui de leur présente requête de dénoncer en détail l'approche et le libellé pris par la demanderesse dans l'affidavit, je ne puis après avoir considéré chacune des attaques, une à une et de façon collective, me convaincre que la demanderesse par cet affidavit a procédé à un exercice déficient devant nous amener à conclure qu'elle n'a pas procédé à une divulgation franche et complète.

Certes les défendeurs auraient souhaité que la demanderesse à l'affidavit emploie une optique des faits différente et que celle-ci fournisse à même cet affidavit plus de détails quant aux différentes situations qu'elle dénonce. Je ne crois toutefois pas que l'affidavit ici mérite d'être cassé au nom du principe soulevé par les défendeurs.


[11]       Enfin, le protonotaire Morneau a formulé les commentaires suivants au paragraphe [14] de ses motifs au sujet du montant de la garantie à fournir pour obtenir mainlevée de la saisie :

De plus, suivant la décision de cette Cour dans l'arrêt Amican Navigation v. Densan Shipping Co. et al. (1997), 137 F.T.R. 132, c'est avec circonspection que la Cour doit réduire ou diminuer la valeur attribuée par un demandeur à ses causes d'action.

En se fondant sur le principe susmentionné, le protonotaire Morneau a confirmé le montant modifié réclamé au titre du loyer payé en trop, de la valeur des soutes lors de la nouvelle livraison et des frais des propriétaires payés par les affréteurs ainsi que le montant réclamé relativement à la rupture d'une entente concernant les montants de loyer contestés, et diminué de 30 p. 100 le montant modifié réclamé à l'égard de la responsabilité éventuelle des affréteurs à l'endroit de leur affréteur à compartiment, Senator Lines. Il a également abaissé de 25 p. 100 à 20 p. 100 du total des montants susmentionnés la somme supplémentaire accordée à la demanderesse au titre des frais et intérêts.

ANALYSE


[12]       Même si j'estime que certaines des questions soulevées dans le présent appel sont susceptibles de révision sur la base d'une audience de novo[3], je suis convaincu que l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire, dans le cas des questions de principe ou des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, n'était fondé ni sur un mauvais principe ni sur une mauvaise appréciation des faits. Bref, dans le cas de ces questions, j'en arriverais aux mêmes conclusions que celles du protonotaire. De plus, je suis d'avis que, lorsqu'il a déterminé le montant à retrancher à la garantie d'exécution réclamée ainsi que le montant à ajouter au titre des intérêts et des frais, le protonotaire n'examinait pas des questions de principe ou des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. À cet égard, aucune des décisions du protonotaire n'était fondée sur une mauvaise appréciation des faits; par conséquent, ces décisions ne devraient pas être modifiées.

[13]       J'en arrive maintenant aux allégations précises selon lesquelles le protonotaire s'est fondé sur un mauvais principe au cours de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[14]       L'avocat des défendeurs a fait valoir que le protonotaire a commis une erreur justifiant mon intervention lorsqu'il s'est exprimé comme suit au paragraphe [13] de ses motifs (déjà cité) :

Il s'agit simplement de déterminer le montant à retenir pour les fins de la fixation de la garantie d'exécution, soit la valeur la plus favorable de la cause de la demanderesse ( « plaintiff's reasonably arguable best case » ) (le principe applicable).                                                                 [Non souligné dans l'original.]


Selon l'avocat, le critère applicable est formulé correctement dans la version anglaise de la courte citation qui précède, mais l'interprétation du même critère en français, qui est la langue première du protonotaire, est présentée d'une façon plus favorable à la demanderesse. Au plan linguistique, je suis d'avis que l'avocat des défendeurs a raison. Cependant, il me propose aussi de disséquer les motifs d'une façon qui m'apparaît déplacée[4]. Une lecture de l'ensemble du paragraphe [13], y compris l'extrait cité de l'arrêt Atlantic Shipping (London) Ltd. c. Ship Captain Forever et al., notamment dans des circonstances où l'avocat des défendeurs demande à la Cour de répondre très rapidement à la demande, ce qui était certainement le cas en l'espèce d'abord devant le protonotaire, puis devant moi, m'incite à conclure à l'absence d'erreur susceptible de révision. À mon avis, le protonotaire Morneau a compris et appliqué le critère qui convenait.

[15]       L'avocat des défendeurs a également fait valoir que l'utilisation par le protonotaire Morneau du concept « clair et évident » à deux endroits dans ses motifs indique qu'il a imposé aux défendeurs un fardeau qui appartenait en réalité à la demanderesse. Ce concept est d'abord employé au paragraphe [17] :

Je ne puis dans le cadre d'une demande de radiation de cette rubrique me convaincre qu'il soit clair et évident que ladite entente ne cadre pas, du moins en partie, dans l'alinéa 22(2)i) de la Loi.                         [Non souligné dans l'original.]

Le protonotaire revient sur ce concept au paragraphe [36] :

On voit donc que cette entente modifierait la charte-partie initiale. Partant, il n'est pas clair et évident que la cause d'action sous cette entente ne puisse tomber sous le coup de l'alinéa 22(2)i) de la Loi.                              [Non souligné dans l'original.]


De l'avis de l'avocat des défendeurs, ces emplois démontrent que le protonotaire Morneau a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe. Selon l'avocat, il appartient à la demanderesse de prouver « la valeur la plus favorable de sa cause » plutôt qu'aux défendeurs d'établir qu'il est « clair et évident » que C.P. Ships (Bermuda) Limited n'a tout simplement pas d'argument à cet égard.

[16]       Encore une fois, je rejette cet argument, après avoir lu l'ensemble des motifs d'ordonnance du protonotaire Morneau sans les disséquer d'une façon qui ne convienne pas. En d'autres termes, je suis convaincu que le protonotaire Morneau a compris et appliqué le critère pertinent.

[17]       Enfin, l'avocat des défendeurs a fait valoir qu'un examen détaillé des motifs du protonotaire Morneau révélait l'existence d'une erreur susceptible de révision au paragraphe [14], où le protonotaire s'est exprimé comme suit :

De plus, suivant la décision de cette Cour dans l'arrêt Amican Navigation v. Densan Shipping Co. et al.., c'est avec circonspection que la Cour doit réduire ou diminuer la valeur attribuée par un demandeur à ses causes d'action.                                                                                                [Citation omise, non souligné dans l'original.]

[18]       Immédiatement avant le paragraphe précité, le protonotaire Morneau cite la décision rendue dans Atlantic Shipping (London) Ltd. C. Ship Captain Forever et al.[5], où le protonotaire Hargrave s'est exprimé comme suit au paragraphe [7] :


Le principe général qui veut qu'à la suite de la saisie, le demandeur ait droit à un cautionnement suffisant pour couvrir la meilleure indemnisation raisonnablement possible, y compris les intérêts et dépens, jusqu'à concurrence de la valeur du navire concerné, n'est pas contesté.

De l'avis des défendeurs, le protonotaire Morneau a commis une erreur en omettant de tenir compte de ce qu'il a décrit comme une réserve touchant le principe général précité, laquelle réserve est énoncée comme suit aux paragraphes [24] et [25] des motifs de l'ordonnance du protonotaire Hargrave :

Il est cependant des cas où le cautionnement demandé a été jugé exorbitant et réduit; voir par exemple The « Tribels » ,... où les sauveteurs demandèrent un cautionnement de [montant précisé] sur la valeur des biens sauvés de [montant précisé] les services rendus étant la remise à flot d'un navire échoué, qui avait pris à peu près une heure. Le juge a conclu : [TRADUCTION] « Cette demande est tout simplement exorbitante » et a réduit le cautionnement.

Ces trois précédents représentatifs, Le navire « Manitou III » , The « Moschanthy » et The « Tribels » , posent qu'au stade de la procédure interlocutoire en fixation du cautionnement, la juridiction saisie ne doit pas instruire l'affaire au fond dans le but de déterminer la meilleure indemnisation raisonnablement possible du demandeur pour fixer ce cautionnement, sauf circonstances extraordinaires, par exemple le cas où la demande comporte d'importants facteurs incertains, tel le cas dans Le « Manitou III » , où le cautionnement demandé est exorbitant, mais non pas le cas, comme en l'espèce, où le montant des dommages-intérêts réclamés par la demanderesse semble bien solide et où le cautionnement demandé correspond à ce montant.                                                   [Citation omise, non souligné dans l'original.]

L'avocat n'a pas cité le bref paragraphe [26] de l'ordonnance du protonotaire Hargrave, dont voici le texte :

Si à l'issue du procès, le cautionnement se révèle excessif, les défendeurs pourront agir en demande injustifiée de cautionnement excessif,...                     [citation omise]


[19]       L'avocat a soutenu qu'il existe en l'espèce des circonstances extraordinaires qui auraient dû inciter le protonotaire Morneau à diminuer sensiblement le montant de la garantie d'exécution demandée, sinon à l'annuler tout simplement. Selon l'avocat, les circonstances extraordinaires comprenaient l'incertitude au sujet de la juridiction de la Cour quant à certains aspects de l'action, les réclamations exorbitantes et le montant des dommages-intérêts réclamés, qui ne pouvait être considéré comme un montant « bien solide » . De l'avis de l'avocat des défendeurs, en omettant de reconnaître l'exception au principe général qu'il a invoqué pour établir le montant de la garantie d'exécution, le protonotaire Morneau s'est fondé sur un mauvais principe au cours de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[20]       Une fois de plus, je rejette cet argument. Le protonotaire Morneau a examiné directement la question de la juridiction de la Cour. Même s'il n'a pas parlé directement des réclamations « exorbitantes » , il était tout à fait conscient du fait que, sous deux aspects, la réclamation de la demanderesse avait été abaissée; de plus, il a lui-même diminué le montant de la garantie par rapport à celui qui était réclamé. Je suis d'avis que le protonotaire Morneau a implicitement reconnu l'essentiel des paragraphes [24] à [26] des motifs précités de l'ordonnance du protonotaire Hargrave.

CONCLUSION

[21]       En conséquence, la présente requête visant à interjeter appel de l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 21 mars 2002 a été rejetée.


DÉPENS

[22]       La demanderesse a droit à ses dépens dans la présente requête, lesquels doivent être payés sans délai et ont été fixés par ordonnance à un montant de 2 500 $, y compris les débours.

          « Frederick E. Gibson »      

                          Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-104-02

INTITULÉ :                              C.P. Ships (Bermuda) Limited c. Ship « PANTHER MAX » et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 2 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :           Le 11 avril 2002

COMPARUTIONS:

M. Sean J. Harrington                                           POUR LA DEMANDERESSE

M. Louis Buteau                                                                POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Borden, Ladner, Gervais LLP

Montréal (Québec)                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Flynn, Rivard

Montréal (Québec)                                                            POUR LES DÉFENDEURS



[1]         DORS/98-106.

[2] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[3] Voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.).

[4] Voir Miranda c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 63 F.T.R. 80 (C.F. 1re inst.), où il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire en matière d'immigration. Malgré la différence de contexte, je suis d'avis que les commentaires du juge Joyal au sujet de l'interprétation des motifs s'appliquent en l'espèce.

[5] (1995), 97 F.T.R. 32 (prot.).

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