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Date : 20041007

Dossier : T-820-04

2004 CF 1373

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2004

En présence de Monsieur le juge Mosley                            

ENTRE :

                                           GARY WAYNE GABRIEL PATTERSON

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

               THÉRÈSE GASCON, DIRECTRICE DE L'ÉTABLISSEMENT DE BATH

et SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                         Défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Patterson est un premier détenu sous responsabilité fédérale, actuellement incarcéré à l'établissement correctionnel à sécurité moyenne de Bath en raison d'une peine de six ans et sept mois pour enlèvement, menaces, entrave à la justice et extorsion, à laquelle il a été condamné en mai 2000. Ancien avocat, M. Patterson a déposé cette requête visant une ordonnance de prohibition après que la défenderesse, Mme Gascon, ait refusé sa demande de transfert vers un établissement à sécurité minimale, le 29 mars 2004. Il demande une ordonnance afin d'empêcher les défendeurs de lui refuser de prendre certaines mesures ou des décisions relativement à la gestion des délinquants sous prétexte que ceux-ci n'ont pas admis leur culpabilité ou assumé la responsabilité de leurs crimes.

[2]                La date de libération d'office a été fixée au 17 novembre 2004. M. Patterson a donc sollicité la fixation d'une date d'audition accélérée afin de s'assurer que sa requête ne soit pas invalidée par sa libération imminente. Il a également déposé un grief contre la décision de la directrice de l'établissement à l'aide de la Directive 081 du commissaire, qui autorise les plaintes et les griefs des délinquants. Le rejet de son grief a été reçu en mai au niveau régional. Un autre grief contre la décision a été déposé au niveau national; à la date de l'audience de la présente requête, il était toujours à l'étude. On a informé le demandeur qu'il pouvait s'attendre à une réponse d'ici au 27 octobre, soit moins d'un mois avant sa date de libération prévue.

[3]                Les questions auxquelles je devais répondre sont les suivantes :

1.          Un recours extraordinaire est-il possible pour le demandeur?

2.          Le fait qu'un délinquant n'ait pas admis sa culpabilité constitue-t-il un motif valable à considérer dans les décisions relatives à la gestion correctionnelle?

Un recours extraordinaire est-il possible pour le demandeur?


[4]                M. Patterson a déposé sa requête en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Lors de l'audience, il était représenté par un avocat qui reconnaissait qu'il aurait été plus approprié de demander un contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 mars par Mme Gascon, en vertu de l'alinéa 18.1, pour permettre à la Cour d'étudier sa requête. Les recours extraordinaires prévus aux alinéas (1) et (2) de l'article 18 ne peuvent être obtenus que si une demande de contrôle judiciaire a été faite en vertu de l'alinéa 18.1. Une telle demande doit se rapporter à une « décision ou ordonnance d'un office fédéral » (conseil, commission ou autre tribunal). Le demandeur a décidé de ratisser plus large afin de contester la soi-disant pratique exercée par la directrice et, de façon plus générale, le Service correctionnel, pour baser les décisions en matière de classification et de transfert sur la volonté des délinquants d'admettre leur culpabilité et d'exprimer des remords.

[5]                Dans son avis de requête, conformément à l'article 317 des Règles de la Cour fédérale (1998), le demandeur a sollicité la communication d'un certain nombre de dossiers tenus par les défendeurs relativement à ses antécédents correctionnels personnels, y compris la décision relative au niveau de sécurité signée par Mme Gascon le 29 mars 2004 et les statistiques sur le récidivisme et la révocation de la liberté conditionnelle. L'opposition des défendeurs à cette demande reposait sur un jugement rendu par la protonotaire Tabib, le 8 juillet 2004, pour le motif que l'article 317 ne s'applique pas lorsque l'objet d'une action consiste en une soi-disant pratique, et non en l'examen d'une décision particulière d'un tribunal.


[6]                Peu de faits expliquant les motifs de la décision de Mme Gascon de ne pas approuver le transfert du demandeur m'ont été soumis. Aussi, je ne suis pas en mesure de traiter la présente requête comme une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Par ailleurs, même si M. Patterson avait bien présenté sa requête comme une demande d'examen de la décision de Mme Gascon, il se serait heurté à d'importantes difficultés dans ses efforts pour obtenir un recours.

[7]                Les défendeurs ont fait valoir que les brefs de prérogative ne peuvent être utilisés avant les autres recours disponibles, comme le processus de règlement des griefs, et qu'ils sont épuisés : Fortin c. Établissement de Donnacona (1997), 153 F.T.R. 84 [1997] C.F.R. no 138 à l'alinéa 17 (1re inst.); Condo c. Canada 2003 CFT 60, [2003] A.C.F. no 91 (1re inst.), conf. (2003), 239 F.T.R. 158, [2003] A.C.F. no 310 (C.A.).

[8]                Le demandeur invoque pour sa part que le défendeur, le Service correctionnel, a retardé la communication de sa réponse finale au grief afin de bloquer la contestation jusqu'à la date de libération d'office, après laquelle la requête se trouvait invalidée. En vertu des alinéas 7 et 8 de la Directive 081 du commissaire, le demandeur prétend qu'il aurait dû obtenir une réponse dans les 25 jours ouvrables suivant la réception de son grief contre la décision au niveau régional, en mai. À défaut, il aurait dû être informé par écrit des motifs du retard, ce qui n'a pas été le cas.   

[9]                L'article 81 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, prévoit la suspension du processus de grief lorsque le délinquant recherche un recours judiciaire concernant le même objet. Tel est son libellé :


(1)Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l'examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s'en désiste.

(2) Lorsque l'examen de la plainte ou du grief est suspendu conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

[10]            Il semble que l'article 81 n'ait pas été appliqué dans ce cas dans la mesure où le processus de grief n'a pas été officiellement suspendu jusqu'à la conclusion de la demande. Le demandeur a obtenu une réponse négative à un niveau du processus, puis a été informé qu'il ne recevrait une autre réponse qu'à la fin du mois d'octobre. Un tel délai ne lui laissera pratiquement pas le temps de solliciter un contrôle judiciaire de cette décision.

[11]            Le demandeur se trouve dans une impasse. Il ne peut obtenir un recours extraordinaire de cette Cour avant d'avoir épuisé les autres solutions qui s'offrent à lui pour contester la décision de Mme Gascon, c'est-à-dire le processus de grief du Service correctionnel, conformément à la décision de Tietelbaum , dans Fortin, précité. En raison de l'article 81 du Règlement, cette procédure lui serait normalement accessible alors que sa demande est à l'étude devant une cour.

[12]            Dans Condo, précité, la Cour d'appel a reconnu l'existence de cette impasse à l'alinéa 6 :


[TRADUCTION] Le demandeur a présenté des faits indiquant que le processus de grief est trop lent et qu'il n'est donc pas une solution de rechange viable. Nous ne sommes pas en mesure de dire si le juge saisi de la requête était dans l'erreur en ne considérant pas ces faits. De plus, le demandeur fait valoir que, comme le processus de grief est automatiquement freiné lorsqu'un recours judiciaire est recherché, en vertu de l'article 81 de la Loi, aucun autre recours ne s'offre vraiment à lui. Toutefois, s'il est temporairement empêché de formuler un grief, c'est là le résultat prévisible de sa propre démarche visant à demander un contrôle judiciaire, et la situation durera tant que le contrôle judiciaire se déroulera.

[13]            Je considère que le raisonnement démontré dans cette cause est probant et je conclus donc que le demandeur ne peut déposer sa demande pour un recours extraordinaire jusqu'à ce que le processus de grief interne soit terminé.

[14]            Aussi, je ne juge pas nécessaire de répondre à la question de savoir si le fait qu'un délinquant n'ait pas admis sa culpabilité constitue un motif valable à considérer dans les décisions relatives à la gestion correctionnelle.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE de rejeter la demande.

« Richard G. Mosley »

            Juge

Traduction certifiée conforme,

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-820-04

INTITULÉ :               GARY WAYNE GABRIEL PATTERSON

et

THERESE GASCON, DIRECTRICE DE L'ÉTABLISSEMENT DE BATH et SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 22 septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :    Le juge Mosley

EN DATE DU :         Le 7 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Jennifer Gleitman                                               POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman                                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JENNIFER GLEITMAN                                              POUR LE DEMANDEUR

Henein & Associates

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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