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Date : 20011115

Dossier : T-472-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1261

ENTRE :

CHAITANYA K. KALEVAR

   demandeur

                    et

     LE PARTI LIBÉRAL DU CANADA et

M. JAGDISH BHADURIA

   défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]                 Le demandeur, qui agit pour son propre compte, interjette appel contre l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint Giles a rejeté, le 7 juin 2001, sa demande de contrôle judiciaire pour le motif qu'elle avait été présentée tardivement en vertu de l'article 382 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) à la suite de la délivrance d'un avis d'examen de l'état de l'instance dans lequel il était indiqué que 180 jours s'étaient écoulés depuis le dépôt de l'avis de demande et qu'aucune demande n'avait été faite pour que la date de l'audience soit fixée.

[2]                 La demande de contrôle judiciaire du 8 mars 2000 se rapporte à une décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) avait décidé, le 1er février 2000, de ne pas examiner la plainte que le demandeur avait déposée parce qu'à son avis, l'objet de la plainte ne relevait pas de sa compétence.

[3]                 Au mois de mai 1997, le demandeur avait déposé devant la Commission une plainte dans laquelle il alléguait que le Parti libéral du Canada (le défendeur) avait agi d'une façon discriminatoire à son endroit essentiellement du fait de sa race et de sa religion en omettant de rendre inéligible un candidat aux élections de 1997.

LES FAITS

[4]                 Cette demande de contrôle judiciaire a avancé fort difficilement étant donné que le demandeur est un plaideur profane; le dossier montre que de nombreuses requêtes ont été présentées et qu'un autre appel a été interjeté devant la Cour contre une décision antérieure du protonotaire adjoint.

[5]                 Les événements les plus récents, sur le plan de la procédure, découlent d'une ordonnance par laquelle Madame le juge Hansen a enjoint au demandeur de déposer son dossier de demande dans un certain délai, ce que le demandeur a fait en déposant le dossier le 4 septembre 2000.

[6]                 Le demandeur s'est absenté du Canada du 13 décembre 2000 au 27 mars 2001 à cause d'obligations familiales liées au décès de ses deux frères aînés, fait qu'il a mentionné au défendeur et à la Cour avant son départ. En particulier, le demandeur a envoyé une lettre datée du 7 décembre 2000 aux avocats du défendeur, laquelle était intitulée [TRADUCTION] « Consentement relatif à la tenue d'une audience au mois d'avril » . Dans cette lettre, le demandeur remerciait les avocats du défendeur de lui avoir rappelé l'article 314 des Règles.

[7]                 Pendant son absence, et le demandeur avait été avisé de la chose, le défendeur a demandé, le lundi 29 janvier 2001, à faire radier certaines parties du dossier de la demande, demande à laquelle il a été fait droit. L'avocat du défendeur avait veillé à faire parvenir un message électronique au demandeur, en Inde, au sujet de cette requête en radiation.

[8]                 Le défendeur a déposé son dossier de requête supplémentaire le 5 février 2001. Conformément à l'article 314 des Règles, le demandeur était tenu de signifier et de déposer une demande d'audience dans un délai de dix (10) jours.

[9]                 Comme il en a été fait mention, le demandeur n'était pas au pays; il n'est revenu que le 27 mars 2001, mais le 12 février 2001, il a communiqué avec le greffe de la Cour pour lui demander d'attendre son retour avant que des décisions importantes soient prises.

[10]            L'avis d'examen de l'état de l'instance a été délivré le 23 avril 2001; le demandeur a reçu cet avis quelques jours plus tard.

[11]            Dans les arguments écrits qu'il a présentés en réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance, le demandeur déclare (1) qu'il était à l'extérieur du pays jusqu'au 27 mars 2001 et qu'il avait informé la Cour de la chose, et (2) que, le 4 mai 2001, il a eu un accident en tombant de sa bicyclette et que les points de suture ont été enlevés le 14 mai 2001. Comme il en a été fait mention, le 7 juin 2001, le protonotaire adjoint a rejeté la demande de contrôle judiciaire pour cause de retard.

[12]            Le paragraphe 51(1) des Règles prévoit qu'il est possible de porter une ordonnance du protonotaire en appel par voie de requête signifiée dans les dix (10) jours qui suivent la délivrance de l'ordonnance contestée.


[13]            Le demandeur a interjeté appel le 17 juillet 2001 seulement. Il admet avoir reçu une copie de l'ordonnance le lundi 11 juin 2001. Il avait plus d'un mois de retard.

[14]            Au cours de cette période, le demandeur était à Los Angeles; il avait quitté le Canada le 20 juin 2001 et était revenu au pays le 4 juillet 2001.

[15]            Le demandeur justifie le fait qu'il a tardé à porter l'ordonnance du protonotaire adjoint en appel en affirmant que, sur le plan de la procédure, il ne savait pas trop à quel tribunal en appeler et en déclarant qu'il était absent du Canada. Dans son affidavit, le demandeur n'a pas précisé ce qu'il voulait dire en déclarant qu'il ne savait pas trop quelle était la procédure à suivre, mais l'un des motifs qu'il invoquait à l'appui de la prorogation de délai indiquait que sa confusion était attribuable au fait qu'il avait été informé (par le greffe de la Cour fédérale, a-t-il affirmé) qu'il devait interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale parce que l'ordonnance en cause était définitive et qu'il ne s'agissait pas d'une ordonnance interlocutoire.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE ADJOINT

[16]            La décision que le protonotaire adjoint a rendue le 7 juin 2001 est fondamentalement ainsi libellée :


[TRADUCTION] Le 5 février, le défendeur, conformément à une ordonnance de la Cour, a déposé un dossier supplémentaire. La demande d'audience aurait donc dû être faite dans les dix jours suivants. Or, après ce délai de dix jours, et pendant cinq autres semaines, le demandeur était à l'extérieur du pays et il n'a pris aucune disposition pour que quelqu'un au Canada s'occupe de l'affaire. Pendant les cinq semaines qui ont suivi, lorsque le demandeur était au pays, il n'a rien fait, et il ne s'est même pas informé de l'état du dossier. [Non souligné dans l'original.]

[17]            La chose qui a amené le protonotaire adjoint à conclure que le demandeur n'avait rien fait alors qu'il était au pays, et qu'il ne s'était même pas informé de l'état du dossier, découle des arguments écrits que le demandeur lui a soumis au sujet de l'examen de l'état de l'instance. Dans ces arguments, le demandeur :

a)          a demandé une prorogation d'un mois [TRADUCTION] « après la décision relative au dépôt d'une demande d'audience de façon qu'il soit possible de déterminer ce qui a[vait] été radié du dossier en [s]on absence et si le dossier de la CCDP [était] complet » ;

b)          a sollicité l'autorisation de déposer des affidavits additionnels si un grand nombre de parties du dossier avaient été radiées en son absence ou si le dossier de la CCDP n'était pas complet.

LES PRINCIPES APPLICABLES


[18]            Selon la décision Canada c. Aqua Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, je dois exercer le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré en reprenant l'affaire depuis le début parce que la décision du protonotaire adjoint avait une influence déterminante sur l'issue de la cause.

[19]            En ce qui concerne ce que le demandeur doit démontrer afin d'obtenir une prorogation de délai, la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Bellefeuille c. Commission canadienne des droits de la personne (1994), 172 N.R. 401, énonce les principes suivants : il faut se demander (1) s'il existait une intention continue de poursuivre l'appel; (2) si l'appel est dans une certaine mesure fondé; (3) si l'autre partie subit un préjudice important; et (4) si le retard est attribuable à une raison valable (voir également Rosen c. R., [2000] 2 C.T.C. 422 (C.A.F.) et Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] C.A.F. no 846 (C.A.F.).

[20]            Dans la décision Baroud c. Canada, 160 F.T.R. 91, une affaire dans laquelle le plaideur agissait pour son propre compte, Monsieur le juge Hugessen énonce l'approche qu'il convient d'adopter en exerçant le pouvoir discrétionnaire conféré en vertu de l'article 382 des Règles lorsqu'il s'agit de rejeter une instance pour cause de retard dans le cadre de l'examen de l'état de l'instance. Le juge Hugessen a dit ce qui suit :

[4]                  En décidant de la façon dont elle doit exercer le large pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de la règle 382 à la fin d'un examen de l'état de l'instance, la Cour doit, à mon avis, se préoccuper principalement de deux questions :

1)                  Quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu?

2)                  Quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer l'affaire?


[5]                  Les deux questions sont clairement en corrélation en ce sens que s'il existe une excuse valable justifiant que l'affaire n'ait pas progressé plus rapidement, il n'est pas probable que la Cour soit très exigeante en requérant un plan d'action du demandeur. D'autre part, si aucune raison valable n'est invoquée pour justifier le retard, le demandeur devrait être disposé à démontrer qu'il reconnaît avoir envers la Cour l'obligation de faire avancer son action. De simples déclarations de bonne intention et du désir d'agir ne suffisent clairement pas. De même, le fait que la défenderesse puisse avoir été négligente et ne s'être pas acquittée de ses obligations procédurales est, dans une grande mesure, sans rapport : la principale obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, à un examen de l'état de l'instance, la Cour lui demandera des explications.

[21]            La décision Baroud, précitée, a récemment été approuvée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ferrostaal Metals Ltd. et autres c. Evdomon Corp. et autres, [2001] CAF 297.

[22]            Je cite un autre principe parce que, dans son argumentation, le demandeur a mentionné à maintes reprises qu'il était citoyen canadien et qu'il avait le droit d'avoir accès à la justice et, qu'en sa qualité de plaideur profane agissant dans une affaire d'intérêt public, la Cour devrait lui donner une certaine latitude.

[23]            Je souscris aux remarques que Monsieur le juge Dubé a faites dans la décision Gilling c. Canada, [1998] A.C.F. no 952 (30 juin 1998). Dans cette décision, un plaideur profane comparaissait devant le juge Dubé; voici ce que le juge a dit :

[...] Bien que la Cour prenne toujours soin de s'assurer que d'autres parties ne tirent pas avantage d'une personne qui se représente elle-même, cette personne doit suivre les Règles et n'est pas autorisée à s'en servir de manière à nuire aux autres parties. [Non souligné dans l'original.]

[24]            En d'autres termes, le juge Dubé a statué, et je souscris à son avis, que les Règles de la Cour fédérale s'appliquent également à toutes les affaires, et ce, qu'un plaideur profane soit en cause ou que les services d'un avocat aient été retenus; les Règles de la Cour fédérale ne changent pas parce qu'un plaideur profane décide d'agir pour son propre compte dans une demande.

APPLICATION À LA PRÉSENTE ESPÈCE

[25]            Le demandeur est tenu de fournir à la Cour une raison quelconque pour avoir interjeté un mois en retard appel contre l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint avait rejeté sa demande de contrôle judiciaire pour cause de retard injustifié. Pour ce faire, le demandeur doit satisfaire à tous les éléments du critère à quatre volets énoncé par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Bellefeuille, Rosen et Hennely, précités. Le demandeur n'a pas réussi à me convaincre en ce qui concerne deux des quatre éléments du critère.


[26]            En premier lieu, le demandeur n'a pas justifié d'une façon adéquate le fait qu'il avait tardé à en appeler de l'ordonnance du protonotaire adjoint dont il admet avoir reçu copie le lundi 11 juin 2001. Le demandeur a été absent du Canada du 20 juin 2001 au 4 juillet 2001; pourtant, il n'a pas pris de mesures en vue d'interjeter appel soit avant son départ, soit après son retour, jusqu'au 17 juillet. Il blâme le greffe pour l'avoir induit en erreur sur le plan de la procédure.

[27]            À mon avis, les allégations du demandeur sont dénuées de fondement comme le montre le fait que le dossier ne fait état d'aucune mesure concrète visant à donner suite à l'appel.

[28]            En second lieu, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que son appel est dans une certaine mesure fondé. Il affirme que le protonotaire adjoint a commis une erreur en ne tendant pas compte de l'accident qu'il a eu le 4 mai 2001. Je suis convaincu que le protonotaire adjoint a tenu compte de ce facteur. Toutefois, le protonotaire se préoccupait du fait que pendant cinq semaines, après être revenu de l'Inde et avant l'accident, le demandeur n'avait rien fait.

[29]          Dans les arguments qu'il a présentés au sujet de l'examen de l'état de l'instance, le demandeur n'a pas déposé d'avis de demande d'audience, mais il a plutôt demandé une prorogation de délai, sans donner plus de précisions. À mon avis, sur ce point, le demandeur ne satisfait pas aux deux éléments du critère énoncé dans l'arrêt Baroud.


[30]            Je conclurai en disant que le demandeur a de fait le droit d'avoir accès à la justice, mais qu'il doit se conformer aux Règles, qui s'appliquent à tous; en sa qualité de plaideur profane, il n'a pas plus de droits ou de privilèges que d'autres personnes qui ont peut-être eu recours à un avocat.

DISPOSITIF

[31]            Pour ces motifs, la prorogation du délai d'appel est refusée et l'appel est rejeté.

« François Lemieux »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO),

LE 15 NOVEMBRE 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :             T-472-00

INTITULÉ :             CHAITANYA K. KALEVAR

c.

LE PARTI LIBÉRAL DU CANADA ET M. JAGDISH BHADURIA

LIEU DE L'AUDIENCE :             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 25 JUILLET 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :             MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :             LE 15 NOVEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. CHAITANYA K. KALEVAR             POUR SON PROPRE COMPTE

Mme SHELLY FELD             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. CHAITANYA K. KALEVAR             POUR SON PROPRE COMPTE

TORONTO (ONTARIO)

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN             POUR LE DÉFENDEUR

TORONTO (ONTARIO)

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