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Date : 20010607

Dossier : IMM-4401-00

Référence neutre : 2001 CFPI 602

ENTRE :

                      IGOR PAVLOV et SVETLANA GELTONOZKO PAVLOVA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                         - et -

                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]                 Igor Pavlov et Svetlana Geltonozko Pavlova (les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision en date du 4 août 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de leur reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens russes. M. Pavlov a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'il craignait d'être persécuté en raison de sa nationalité juive. Sa femme, Svetlana Geltonozko Pavlova, a fondé sa revendication sur son appartenance à un groupe social, en l'occurrence le fait d'être l'épouse non juive d'un Juif. Les demandeurs ont soutenu devant la Commission qu'entre 1996 et 1998, ils avaient fait l'objet de huit agressions physiques, de menaces de morts, de menaces d'incendie criminel et d'incendie criminel à la porte donnant accès à leur appartement.

[3]                 La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils avaient raison de craindre d'être persécutés. Après examen de la preuve documentaire, la Commission a conclu que, malgré l'existence d'éléments de preuve tendant à démontrer qu'il y a de l'antisémitisme en Russie, la plupart des cas cités étaient des cas de discrimination qui ne constituaient pas de la persécution. La Commission a également conclu que le défaut des demandeurs de demander d'abord l'asile en Israël, en vertu de la loi israélienne sur le retour, minait la crédibilité de leur revendication du statut de réfugiés.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES DEMANDEURS


[4]                 Les demandeurs soulèvent plusieurs questions de fait et de droit. Ils allèguent que la Commission a commis une erreur de droit en ne se demandant pas si le demandeur avait raison de craindre d'être persécuté parce qu'il est Juif et est perçu comme un Juif. Ils affirment que la Commission a également conclu une erreur en concluant que le défaut des demandeurs de demander d'abord l'asile en Israël ébranlait le bien-fondé de leur revendication du statut de réfugié. Ils soutiennent en troisième lieu que le défaut de la Commission de leur donner un préavis suffisant de son intention de s'en remettre à des « connaissances spécialisées » au sujet de la situation des Juifs russes et son utilisation de ces connaissances constituent une erreur de droit.

[5]                 Les demandeurs affirment aussi que la Commission n'a pas apprécié la preuve dans sa totalité et qu'elle a tenu compte d'éléments non pertinents tout en ignorant des faits pertinents pour tirer ses conclusions au sujet de la crédibilité de la preuve documentaire.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DÉFENDEUR

[6]                 Le défendeur affirme que la décision est bien fondée en droit et qu'il en ressort que la Commission a tenu régulièrement compte de l'ensemble de la preuve, y compris de la preuve documentaire. Le défendeur soutient que la preuve justifiait raisonnablement les conclusions que la Commission a tirées. Le défendeur ajoute que, pour que toute présumée erreur de fait puisse donner ouverture à un contrôle judiciaire, la conclusion de fait doit être véritablement erronée, elle doit avoir été tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve et elle doit constituer le fondement de la décision.


[7]                 Le défendeur signale par ailleurs que la Commission a conclu que la crédibilité constituait une des questions centrales de la revendication des demandeurs. Il cite plusieurs passages dans lesquels la Commission a expressément jugé que la version des faits des demandeurs était invraisemblable, n'était pas crédible ou reposait sur des éléments de preuve insuffisants. L'appréciation de la crédibilité est la principale fonction de la Commission et suivant le défendeur, les demandeurs n'ont pas démontré que l'appréciation de la preuve de la Commission était entachée d'erreurs.

[8]                 Finalement, le défendeur affirme que les demandeurs ne sont pas admissibles au statut de réfugié au Canada parce qu'ils sont admissibles à la citoyenneté israélienne en vertu de la loi israélienne sur le retour. Les tribunaux canadiens ont jugé que le revendicateur du statut de réfugié doit d'abord se réclamer de la protection des pays dont il peut invoquer la nationalité comme fondement de sa citoyenneté avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Akl, (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.) et Grygorian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995), 111 F.T.R. 316 (C.F. 1re inst.)).

[9]                 Pour terminer, le défendeur affirme que c'est à bon droit que la Commission a conclu que le défaut des demandeurs de demander l'asile en Israël permettait de conclure à une absence générale de crainte de persécution.


QUESTION EN LITIGE

[10]            La Commission a-t-elle commis une erreur de droit justifiant le contrôle judiciaire de sa décision en refusant de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention ?

ANALYSE

[11]            Le sort de la présente demande dépend de la norme de contrôle applicable. Dans le jugement Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, au paragraphe 5, le juge Pelletier, de notre Cour, a déclaré :

La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte.

[12]            À mon avis, la norme applicable est celle de la décision correcte, parce que la Commission était appelée à trancher une question de droit, celle de savoir si les demandeurs répondaient à la définition de « réfugié au sens de la Convention » que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-12, modifiée :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_ :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_ :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


[13]            En l'espèce, bien que la Commission ait signalé plusieurs invraisemblances dans le récit de la présumée persécution des demandeurs, la conclusion à laquelle elle en est finalement venue au sujet de la revendication des demandeurs reposait sur une conception erronée des règles de droit applicables. La Commission a déclaré ce qui suit au sujet de l'élément subjectif de la crainte de persécution des demandeurs :

[TRADUCTION]

[...] bien qu'il puisse effectivement exister en Israël des cas de discrimination pour les conjoints de mariages mixtes, ils ne sont pas agressés et ne font pas l'objet de menaces de mort. Les requérants auraient pu se rendre en Israël en tant que citoyens à part entière et recevoir une indemnité de transition généreuse, évitant ainsi les agressions et les menaces de mort répétées dont ils affirment avoir été victimes en Russie. Le tribunal estime que le défaut des requérants de se prévaloir de cette option témoigne de l'absence de crainte subjective de leur part[1].


[14]            Ces propos de la Commission permettent de penser que la Commission a présumé à tort que les demandeurs devaient se réclamer de la protection d'Israël avant de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. La Commission a expressément établi un lien entre le défaut de demander l'asile en Israël et la conclusion défavorable qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité des demandeurs. Or, dans le jugement Basmenji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 39, la Cour a rejeté cette façon de voir et a déclaré, au paragraphe 12 :

Il ne semble y avoir aucun ouvrage ou arrêt étayant la thèse selon laquelle le requérant doit d'abord avoir revendiqué un statut quelconque au Japon (probablement à titre de réfugié ou de conjoint d'une citoyenne japonaise) avant de pouvoir revendiquer le statut de réfugié au Canada. Il est uniquement clair que le demandeur doit se réclamer de la protection des pays dans lesquels il peut invoquer la nationalité comme fondement de la citoyenneté avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada : Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; M.E.I. c. Akl (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.), Grygorian c. M.E.I. (IMM-5158, 23 novembre 1995, C.F. 1re inst.).

[15]            La Cour a poursuivi dans ce jugement en concluant que la Commission avait commis une erreur en estimant que le défaut de se réclamer de la protection de l'État où il n'était pas admissible à la citoyenneté empêchait le demandeur de revendiquer le statut de réfugié.

[16]            En l'espèce, les demandeurs n'étaient pas admissibles à la citoyenneté en Israël. Le demandeur avait le choix de se réclamer de la protection de l'État israélien en vertu de la loi israélienne sur le retour, mais il ne désirait pas aller en Israël[2]. Dans le jugement Katkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 549, notre Cour a conclu que la loi israélienne sur le retour ne s'applique que si le demandeur désire s'établir en Israël. Or, en l'espèce, la demanderesse a déclaré dans les termes les plus nets qu'elle ne voulait pas aller en Israël.


[17]            À mon avis, la Commission a, en l'espèce, commis une erreur de droit dans la façon dont elle a prétendu se fonder sur la loi israélienne sur le retour pour tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité des demandeurs en ce qui concerne l'élément subjectif de leur crainte de persécution.

[18]            En conséquence, la demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour qu'elle tienne une nouvelle audience et procède à un nouvel examen.

[19]            Bien que les avocats des parties aient conjointement à la Cour de certifier une question, je suis d'avis qu'aucune question ne devrait être certifiée.

                                           ORDONNANCE

[20]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour qu'elle tienne une nouvelle audience et procède à un nouvel examen.

« E. Heneghan »                                                           

                                                                                                             Juge

Toronto (Ontario)

Le 7 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                               IMM-4401-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :            IGOR PAVLOV et SVETLANA

GELTONOZKO PAVLOVA

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE LUNDI 9 AVRIL 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     LE JEUDI 7 JUIN 2001

ONT COMPARU :

Me Byron Pfeiffer                                                  pour les demandeurs

Me P. Johnston                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pfeiffer & Associates

Avocats

157, rue McLeod

Ottawa (Ontario)    K2P 0Z6                                            pour les demandeurs

Ministère de la Justice

Édifice Commémoratif de l'est, 2e étage

284, rue Wellington

Ottawa (Ontario)    K1A 0H8                                           pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010607

                                                            Dossier : IMM-4401-00

Entre :

IGOR PAVLOV et SVETLANA

GELTONOZKO PAVLOVA

                                                                                               demandeurs

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                                                    

                                                                               



[1]Dossier du tribunal, à la page 6.

[2]Dossier du Tribunal, à la page 695.

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