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Date : 19991220

Dossier : T-384-98

ENTRE :

                                              1185740 ONTARIO LIMITED

                                                                                                                        demanderesse

                                                                    - et -

                                 LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                              défendeurs

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         Le 11 mai 1998, j'ai rendu une ordonnance à la suite d'une requête déposée par la demanderesse pour la production de documents qui seraient en la possession du ministre défendeur. J'ai décidé, entre autres choses, que les passages qui avaient été retranchés des deux notes de service datées du 20 octobre 1997 et du 2 février 1998 étaient protégés par le secret professionnel de l'avocat et que, par conséquent, les défendeurs ne pouvaient pas être contraints de les produire.


[2]         La demanderesse a interjeté appel de ma décision et, le 15 septembre 1999, la Cour d'appel a accueilli l'appel en partie[1]. Aux pages 3 et 4 des motifs du jugement, le juge Sexton a fait les commentaires suivants :

[6] L'appelant soulève pour la première fois en cette Cour le fait que les deux notes de service portent sur leur dernière page la mention « pièces jointes » , et il demande la production de ces dernières. Si ces pièces étaient jointes, elles étaient en la possession du ministre. Dans la mesure où il y avait effectivement des pièces jointes, elles doivent être produites.

[7] Le juge Nadon a aussi déterminé si certains passages retranchés des notes de service étaient protégés par le secret professionnel de l'avocat et, ayant conclu que ces passages étaient bien des avis juridiques, il a déclaré que l'intimé ne saurait être contraint de les produire. Malheureusement, le juge Nadon n'était pas en possession des passages prélevés et ne pouvait donc pas déterminer s'ils étaient visés par le secret professionnel de l'avocat et si on y avait renoncé. Il est clair que la Cour doit examiner les déclarations pour lesquelles on invoque le privilège afin de pouvoir conclure s'il existe, ou si on y a renoncé. C'est ce que la Cour suprême du Canada a clairement indiqué dans R. c. Campbell [1999] 1 R.C.S. 565, et dans Solosky c. La Reine [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 837.

[8] Pour ces motifs, l'appel est accueilli, mais sans frais. La décision du juge Nadon, datée du 11 mai 1998, est infirmée et la question lui est renvoyée pour qu'il examine les passages retranchés afin de déterminer s'ils étaient visés par le secret professionnel de l'avocat et si on y avait renoncé. S'il y a des « pièces jointes » aux notes de service, elles doivent être produites. Si ces pièces jointes n'existent pas, l'intimé doit pouvoir présenter un affidavit le disant. L'appel est rejeté relativement aux autres questions.

[3] Le 7 octobre 1999, j'ai ordonné aux défendeurs de me fournir une copie des passages retranchés des notes de service, pour examen. Le 13 octobre 1999, l'avocat des défendeurs faisait parvenir sous pli à l'Administrateur de la Cour les documents pertinents quant à mon examen. Le 5 novembre 1999, j'ai entendu les arguments des parties dans le cadre d'une téléconférence.


[4]         Pour ce qui est des pièces jointes auxquelles il est fait référence dans le jugement de la Cour d'appel, aux paragraphes 6 et 8, les défendeurs ont fourni les pièces jointes à la demanderesse et il s'en suit que les défendeurs ont ainsi respecté le jugement de la Cour d'appel. L'avocat de la demanderesse a prétendu que les défendeurs auraient dû déposer un affidavit accompagnant les pièces jointes. À mon avis, cet argument est sans valeur étant donné que la Cour d'appel a seulement ordonné aux défendeurs de produire les pièces jointes à condition qu'elles existent.

[5]         Quant aux passages qui auraient été retranchés des notes de service, la Cour d'appel a ordonné que j'examine les passages retranchés des documents mêmes afin d'établir s'ils étaient ou non protégés par le secret professionnel de l'avocat et, le cas échéant, si les défendeurs y avaient renoncé. Les défendeurs m'ont fourni les passages qui avaient été retranchés des notes de service à l'égard desquels ils invoquent le secret professionnel de l'avocat et je les ai soigneusement examinés.


[6]         Dans Lumonics Research Ltd. c. Gordon Gould, Refac International Limited, and Patlex Corporation, [1983] 2 C.F. 360, la Cour d'appel fédérale a clairement établi qu'il incombait à la partie qui s'oppose à la production de documents en raison du caractère privilégié de la communication d'en établir les faits pertinents. À mon avis, les défendeurs dans la présente affaire ne se sont pas déchargés du fardeau de la preuve qui reposait sur eux. L'avocat de la demanderesse a soulevé comme argument qu'il incombait aux défendeurs d'établir les faits qui ont donné lieu à la protection du secret qu'ils invoquaient et que les défendeurs n'avaient fourni aucune preuve à cet égard. Je souscris entièrement à la prétention de l'avocat. L'avocat a prétendu, à juste titre selon moi, que Mme Castle, avocate des défendeurs, ne pouvait pas, aux fins de l'argumentation, déposer en preuve des faits sur lesquels les défendeurs se basaient pour invoquer le caractère secret des communications entre avocat et client. De toute évidence, cette allégation ne peut être contestée. L'avocat de la demanderesse m'a renvoyé à la décision du juge Rothstein (maintenant juge de la Cour d'appel) dans Evans (K.F.) Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) [1996] 106 F.T.R. 210. Dans Evans, le juge Rothstein devait décider si le secret professionnel de l'avocat s'appliquait à certains types de documents. À l'appui de sa prétention selon laquelle les documents ne devaient pas être produits parce qu'ils tombaient sous le coup du secret professionnel de l'avocat, le ministre défendeur avait déposé en preuve l'affidavit de Me Beverly Anne Chomyn, l'avocate dont l'opinion juridique était en cause. Aux pages 213 et 214, le juge Rothstein déclare ce qui suit :

[10]         J'examinerai en premier lieu la question du secret des communications entre avocat et client. Les mémoires sur la suite à donner n'étaient pas préparés par un avocat, mais portent l'empreinte de consultations données par une avocate, Beverly Anne Chomyn. Sans me prononcer sur ce point, je présumerai, aux fins de cette requête, que la protection du secret des communications entre avocat et client pourrait s'appliquer aux consultations ou renseignements donnés par un avocat et incorporés dans un document préparé par quelqu'un d'autre qui n'est pas avocat.

[11]         Dans son affidavit, Me Chomyn dépose comme suit :

[TRADUCTION]


4. Au cours des nombreuses rencontres et échanges subséquents avec mes clients, je leur ai donné des consultations sur l'administration de la Loi sur les permis d'exportation et d'importation (LPEI). J'ai également donné mon avis sur les ramifications juridiques des diverses considérations de politique générale dans le cadre de la LPEI. Puisque je savais que Evans avait l'intention de contester en justice l'administration de la LPEI, les consultations juridiques que je donnais visaient à préparer mes clients au litige prévu.

[12]         Et d'ajouter : [TRADUCTION] « les passages occultés pour cause de secret des communications entre avocat et client correspondent aux consultations que j'ai données » . Je conclus de l'affidavit de Me Chomyn qu'elle veut dire que les passages occultés pour cause de secret des communications entre avocat et client traduisent les consultations qu'elle a données, mais non pas que ses consultations apparaissent exclusivement dans les passages occultés. De fait, il est manifeste qu'une grande partie des passages divulgués des mémoires renferment aussi des consultations juridiques [...]


[7]         Le juge Rothstein en est venu à conclure que le défendeur avait renoncé à la protection de la communication parce qu'une partie en avait été révélée. Je n'ai pas à me prononcer sur la question de la renonciation étant donné que j'ai conclu que les défendeurs ne s'étaient pas déchargés de leur fardeau. Il est clair, à la lecture de la décision du juge Rothstein dans Evans et de l'arrêt de la Cour d'appel dans Lumonics, qu'il importe d'établir les circonstances pertinentes au moyen d'un affidavit pour pouvoir invoquer la protection du secret des communications entre un avocat et son client. Dans l'affaire qui nous occupe, étant donné que les défendeurs n'ont pas déposé d'affidavit établissant les faits pertinents, je me trouve dans l'incapacité de déterminer si le caractère secret des communications entre avocat et client s'applique aux passages occultés des notes de service. Comme il incombait aux défendeurs de s'acquitter du fardeau de la preuve, la requête de la demanderesse est accueillie et les défendeurs devront déposer les passages occultés dans les dix jours de la présente ordonnance.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 décembre 1999

Traduction certifiée conforme

Suzanne Gauthier, LL.L, Trad. a.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DE LA COUR No :           T-384-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             1185740 Ontario Limited

c. Le ministre du Revenu national et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le vendredi 5 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON

EN DATE DU :                                   lundi 20 décembre 1999

ONT COMPARU :

M. David Attwater                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Michael Ciavaglia                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lang Michener                                POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Le sous-procureur général du Canada    POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)


Date : 19991220

Dossier : T-384-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 DÉCEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE NADON

ENTRE :

                            1185740 ONTARIO LIMITED

                                                                                    demanderesse

                                                  - et -

                LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                          défendeurs

                                        ORDONNANCE

Les défendeurs devront produire, dans les dix jours de la présente ordonnance, les parties expurgées des deux notes de service datées du 20 octobre 1997 et du 2 février 1998.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                                   JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.



     [1]       Voir dossier de la Cour no A-333-98.


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