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Date : 20190508


Dossier : T‑632‑18

Référence : 2019 CF 608

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SHAWN LEMAY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Shawn Lemay, est membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Une plainte de harcèlement déposée contre lui en août 2015 a abouti le 9 mars 2018 à une décision d’un arbitre d’appel en matière de déontologie selon laquelle il avait contrevenu à l’article 2.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (le Code de déontologie), qui constitue l’annexe du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014‑281. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Il sollicite une ordonnance annulant la décision.

I.  Le contexte

[2]  Le demandeur détient le grade de sergent d’état‑major. Il est membre de la GRC depuis près de 28 ans. En août 2014, il a été muté de son poste au sein d’une division des services de police contractuels à un poste de sous‑officier responsable des services d’administration et de gestion du bureau de district de la division de l’Atlantique. Au moment de la mutation, une importante restructuration était en cours au bureau de district.

[3]  Le 21 août 2015, l’une des six personnes que le demandeur supervisait a déposé une plainte de harcèlement contre lui. Cette personne affirmait que le demandeur avait adopté un type de comportement qui l’avait amenée à se sentir non respectée, embarrassée, dégradée, exclue, bonne à rien et stressée, ce qui contrevient à l’article 2.1 du Code de déontologie. À la mi‑octobre 2015, deux enquêteurs ont recueilli les déclarations de 18 employés, y compris la plaignante et le demandeur, et à la mi‑janvier 2016, un rapport d’enquête final (le rapport) a été déposé.

[4]  Au début de juin 2016, une autorité disciplinaire a conclu qu’il y avait eu harcèlement. L’autorité disciplinaire a toutefois omis de signifier un avis de rencontre disciplinaire au demandeur et de tenir une rencontre disciplinaire. Deux semaines plus tard, le demandeur a déposé une déclaration d’appel auprès du Bureau de coordination des griefs et des appels (le BCGA), faisant savoir qu’il contestait les conclusions tirées par l’autorité disciplinaire relativement à la plainte de harcèlement. Environ six semaines plus tard, le nouveau commandant du bureau de district a avisé le demandeur du fait qu’une erreur de procédure avait été commise puisqu’il n’avait pas bénéficié d’une rencontre disciplinaire avec l’autorité disciplinaire avant que la décision ne soit rendue. Le commandant a dit au demandeur qu’il entendait remplir la fonction d’autorité disciplinaire et corriger l’erreur de procédure en rendant une deuxième décision. Le commandant a signifié un avis de rencontre disciplinaire au demandeur au début de décembre 2016, et cette rencontre a eu lieu plus tard au cours du mois.

[5]  Le 28 décembre 2016, soit avant qu’une décision ne soit rendue relativement à l’appel interjeté par le demandeur auprès du BCGA, le commandant a rendu une nouvelle décision en matière de déontologie selon laquelle, même si le demandeur avait enfreint le Code de déontologie, aucune mesure disciplinaire ne serait prise puisque le paragraphe 42(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi sur la GRC), prévoit que des mesures disciplinaires ne peuvent être prises plus d’un an après la contravention.

[6]  Le 5 janvier 2017, le commissaire de la GRC a accueilli l’appel interjeté par le demandeur contre la première décision en matière de déontologie, et il a ordonné que l’affaire soit renvoyée à l’autorité disciplinaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Le lendemain, le demandeur a interjeté appel de la deuxième décision en matière de déontologie, faisant valoir qu’il contestait le pouvoir de l’autorité disciplinaire de rendre une deuxième décision avant qu’une décision finale ne soit rendue concernant l’appel relatif à la même affaire. Le commissaire a nommé un délégué chargé de remplir la fonction d’arbitre d’appel en matière de déontologie dans le cadre de l’appel du demandeur.

[7]  L’arbitre d’appel en matière de déontologie (l’arbitre) a conclu que l’autorité disciplinaire n’avait pas le pouvoir de rendre la deuxième décision avant la conclusion du processus d’appel; pour ce motif, la décision rendue le 28 décembre 2016 a été jugée invalide. Conformément à l’alinéa 45.16(2)b) de la Loi sur la GRC, l’arbitre a rendu une nouvelle décision fondée sur un examen de novo du dossier, et il a conclu que le demandeur avait contrevenu à l’article 2.1 du Code de déontologie.

[8]  Dans le cadre de son examen, l’arbitre a séparé la plainte de harcèlement en huit allégations : 1) le demandeur réagit de façon excessive lorsqu’il est contrarié; 2) le demandeur envoyait trop de messages texte à la plaignante; 3) le demandeur formulait des demandes excessives à la plaignante en dehors des heures de travail; 4) le demandeur a réduit les responsabilités de la plaignante; 5) le demandeur gérait à outrance la plaignante; 6) la plaignante devait trouver des excuses pour le comportement du demandeur; 7) le demandeur ignorait couramment la plaignante; et 8) le demandeur a adopté pendant une semaine une attitude de mutisme à l’endroit de la plaignante. L’arbitre a conclu que le bien‑fondé des sept premières allégations n’avait pas été établi ou que les actes liés à ces allégations ne constituaient pas du harcèlement.

[9]  Au moment d’évaluer la huitième allégation, l’arbitre a d’abord souligné qu’en décembre 2014, le demandeur s’était rendu chez le chef de district pour régler un problème personnel concernant ce dernier. La plaignante a insisté pour aller chercher le demandeur et, sur le chemin du retour, celui‑ci a ordonné à la plaignante de ne pas aborder le sujet avec le chef de district (même si elle avait déjà appris de quelqu’un d’autre ce qui se passait).

[10]  Quatre jours plus tard, le chef de district a dit au demandeur que la plaignante s’était présentée à son bureau pour discuter de l’incident. Le demandeur a déclaré s’être senti déçu et [traduction« insulté » lorsqu’il a appris que la plaignante avait tenté de [traduction« régler les problèmes » du chef de district, même s’il lui avait clairement ordonné de ne pas le faire. Le demandeur a affirmé que le chef de district lui avait conseillé de prendre des mesures à l’égard de la désobéissance de la plaignante. Le demandeur a dit au chef de district qu’il avait besoin d’un jour ou deux pour trouver la bonne façon de discuter avec la plaignante du fait qu’elle n’avait pas respecté sa directive selon laquelle elle devait s’abstenir d’intervenir.

[11]  La plaignante a affirmé que c’est le chef de district qui lui avait demandé de se présenter à son bureau pour discuter du problème personnel. La plaignante a déclaré que le demandeur ne lui avait pas parlé pendant deux ou trois jours après qu’elle a rencontré le chef de district le 9 décembre 2014. Elle a ensuite envoyé un courriel au demandeur pour l’informer du fait qu’elle éprouvait de l’anxiété et une sensation de malaise en se présentant au travail, et elle lui a demandé de lui dire ce qu’elle avait fait de mal. Le demandeur a accusé réception du courriel de la plaignante, mais il n’a fourni aucune réponse substantielle et a ignoré la plaignante pendant une semaine.

[12]  Le 17 décembre 2014, le demandeur, la plaignante et le chef de district ont fait un déplacement ensemble dans le cadre de leur travail. Durant ce déplacement, le demandeur a veillé à faire participer la plaignante aux discussions avec le chef de district. Lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec lui, la plaignante a demandé au demandeur de lui dire pourquoi il avait refusé de lui parler et pourquoi il avait soudainement changé de comportement à son égard. C’est à ce moment‑là que le demandeur a dit à la plaignante qu’il n’avait pas apprécié le fait qu’elle soit allée rencontrer le chef de district. La plaignante a dit au demandeur qu’elle avait été tourmentée toute la semaine parce qu’il ne lui avait pas fourni plus tôt d’explications à ce sujet.

[13]  L’arbitre a conclu que le demandeur ne souhaitait peut‑être pas que ses actes aient des effets importants sur la plaignante, mais que [traduction« la norme objective en matière de harcèlement ne tient pas compte de l’intention qui sous‑tend le comportement ». L’arbitre a également conclu qu’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de la plaignante aurait été offensée ou blessée par le fait que le demandeur refuse pendant toute une semaine d’exposer les raisons de son mécontentement à son égard. Enfin, l’arbitre a déclaré que le refus persistant du demandeur d’exposer à la plaignante les motifs de sa colère à son endroit était [traduction« préjudiciable et irrespectueux », et que ce comportement démontrait qu’il n’avait pas traité la plaignante avec respect et courtoisie, contrevenant de ce fait à l’article 2.1 du Code de déontologie.

II.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[14]  Les décisions du commissaire ou d’un délégué du commissaire commandent un degré élevé de retenue, et elles sont examinées selon la norme de la décision raisonnable (Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794, au paragraphe 52).

[15]  La norme de la décision raisonnable commande à la Cour, lorsqu’elle examine une décision administrative, de s’attarder à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunwsick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si « les motifs [...] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve­et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[16]  La norme de contrôle applicable à une allégation d’iniquité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115). Le cadre d’analyse n’est pas tant celui de la décision correcte ou raisonnable que celui de l’équité et de la justice fondamentale.

[17]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74). La Cour d’appel fédérale a récemment déclaré que « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54). Une procédure inéquitable ne sera ni raisonnable ni correcte, tandis qu’une procédure équitable sera à la fois raisonnable et correcte.

B.  La décision de l’arbitre était‑elle équitable sur le plan procédural?

(1)  Les observations des parties

[18]  Le demandeur estime qu’il n’était pas du ressort de l’arbitre de procéder à un examen de novo, et que l’unique solution qui s’offrait à lui était de renvoyer la décision à une nouvelle autorité disciplinaire. D’après le demandeur, un arbitre d’appel en matière de déontologie n’a pas et n’a jamais eu le pouvoir d’effectuer un examen de novo. Le demandeur soutient qu’avant la modification, en 2014, des Consignes du commissaire (griefs et appels) (les Consignes), les arbitres chargés des griefs déposés au deuxième niveau de la procédure de règlement des griefs de la GRC estimaient avoir le pouvoir d’effectuer un examen de novo de la décision rendue au premier niveau, et que les appels en matière de déontologie n’étaient jamais des appels de novo. Selon le demandeur, après avoir conclu que la décision de la deuxième autorité disciplinaire était inéquitable sur le plan procédural, l’arbitre ne pouvait pas remédier au manquement à l’équité procédurale.

[19]  Selon le défendeur, un appel de novo est un appel dans le cadre duquel la décision initiale n’est aucunement prise en compte, sauf peut‑être aux fins d’un contre‑interrogatoire. De l’avis du défendeur, comme le paragraphe 45.16(2) de la Loi sur la GRC n’autorise pas un arbitre d’appel en matière de déontologie à renvoyer une affaire à une autorité disciplinaire aux fins d’un réexamen, il s’ensuit que ce paragraphe habilite nécessairement un arbitre à remédier aux manquements à l’équité procédurale. Le défendeur fait valoir que ce paragraphe autorise un arbitre d’appel en matière de déontologie à rendre la conclusion que, selon lui, l’autorité disciplinaire aurait dû rendre.

(2)  Il n’y a eu aucune iniquité procédurale

[20]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire qu’un arbitre d’appel en matière de déontologie n’a pas le pouvoir d’effectuer un examen de novo fondé sur le dossier. Dans l’arrêt McBain c Canada (Procureur général), 2016 CF 829, au paragraphe 46, la Cour a fait observer que « dans certaines circonstances, les tribunaux administratifs d’appel ont été reconnus comme ayant le pouvoir de remédier aux erreurs ou manquements de nature procédurale dans le cadre d’une décision d’une instance inférieure ». À mon avis, l’alinéa 45.16(2)b) de la Loi sur la GRC habilite clairement un arbitre d’appel en matière de déontologie à rendre la décision que, selon lui, l’autorité disciplinaire aurait dû rendre.

[21]  La portée de ce pouvoir repose sur des dispositions comme le paragraphe 33(1) des Consignes, qui est rédigé en ces termes : « Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable. »

[22]  Le demandeur se plaint du fait que la décision de l’arbitre était viciée et inéquitable sur le plan procédural puisque la deuxième autorité disciplinaire ne lui a pas communiqué tous les documents, ne lui a pas permis de présenter des observations complètes et a rendu une décision avant que l’appel ne soit tranché. À mon avis, l’arbitre a donné suite à cette plainte en communiquant au demandeur tous les documents dont disposait la deuxième autorité disciplinaire. Le demandeur a présenté des observations écrites détaillées à l’arbitre à deux occasions, et il est évident que l’arbitre a tenu compte de ces observations au moment de rendre sa décision. La décision de l’arbitre et la façon dont il l’a rendue ont remédié à toute iniquité procédurale liée aux décisions de l’autorité disciplinaire.

C.  Était‑il raisonnable de la part de l’arbitre de conclure que le comportement du demandeur constituait du harcèlement?

[23]  Le défendeur conteste l’utilisation de la preuve par affidavit du demandeur. Selon le défendeur, l’affirmation du demandeur selon laquelle le constat de harcèlement tiré par l’arbitre est déraisonnable se fonde principalement sur la preuve par affidavit du demandeur, que l’arbitre n’avait pas à sa disposition. Cet élément de preuve ne relève d’aucune des exceptions reconnues justifiant son admission dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, et le défendeur estime qu’il ne devrait donc pas être pris en considération.

[24]  Je suis d’accord avec le défendeur à ce sujet. L’affidavit du demandeur fournit quelques renseignements dont ne faisaient pas état les documents que l’arbitre avait à sa disposition. La Cour n’en a pas tenu compte dans le cadre de son examen de la décision de l’arbitre.

(1)  Les observations des parties

[25]  Selon le demandeur, même si la plainte est considérée sous son meilleur jour, le fait qu’il ait attendu huit jours avant de discuter avec une subalterne des raisons de son mécontentement à son égard ne constitue pas du harcèlement. Le demandeur soutient qu’une conclusion contraire banalise le harcèlement. D’après lui, il était déraisonnable de la part de l’arbitre de conclure que le fait d’avoir évité un conflit pendant huit jours constituait du harcèlement. De l’avis du demandeur, cela impose aux membres de la GRC une norme trop élevée en matière de comportement.

[26]  Le défendeur estime que le constat de harcèlement était raisonnable d’un point de vue global et dans l’optique des conclusions de l’arbitre énoncées ci‑dessous :

  • le demandeur et la plaignante devaient travailler en étroite collaboration, compte tenu de leur rôle respectif;

  • le demandeur était fâché contre la plaignante pour un motif lié au travail et il refusait de lui parler;

  • le demandeur n’a pas fait que garder le silence; il était visiblement contrarié par la plaignante;

  • le demandeur a agi de manière intentionnelle, dans la mesure où il savait que son comportement perturbait la plaignante;

  • le demandeur n’a jamais adopté un comportement semblable à l’égard de ses supérieurs;

  • le témoignage de la plaignante selon lequel elle avait fait savoir au demandeur que son refus de discuter de ses préoccupations lui causait du tort n’a pas été contesté.

(2)  Le constat de harcèlement tiré par l’arbitre était raisonnable

[27]  Pour l’essentiel, le demandeur avance qu’une personne raisonnable conclurait que le fait de ne pas répondre à quelqu’un ayant signifié avoir besoin d’une réponse ne peut pas être considéré comme du harcèlement. De l’avis du demandeur, le fait d’avoir attendu huit jours avant de discuter avec la plaignante ne constituait pas du harcèlement.

[28]  Dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du gouvernement du Canada, le harcèlement est défini en ces termes :

harcèlement (harassment) 

comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.‑à‑d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

harassment (harcèlement)

improper conduct by an individual, that is directed at and offensive to another individual in the workplace, including at any event or any location related to work, and that the individual knew or ought reasonably to have known would cause offence or harm. It comprises objectionable act(s), comment(s) or display(s) that demean, belittle, or cause personal humiliation or embarrassment, and any act of intimidation or threat. It also includes harassment within the meaning of the Canadian Human Rights Act (i.e. based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and pardoned conviction).

[29]  Cette définition est citée dans le rapport relatif à la plainte visant le demandeur.

[30]  Le rapport renferme les explications fournies par le demandeur à propos du traitement qu’il a réservé à la plaignante et de la description des événements entourant la plainte. Ces explications comprennent les suivantes :

  • Le demandeur ne saurait se réjouir de la souffrance d’autrui; il conteste l’affirmation de la plaignante selon laquelle il a répondu [traduction« parfait » lorsque la plaignante lui a dit qu’elle avait mal au ventre.

  • Il a été déçu et a eu l’impression que la plaignante l’avait [traduction« insulté » lorsqu’elle est allée discuter avec le chef de district d’une question personnelle. Il a compris que la discussion concernait non pas une question professionnelle, mais plutôt une question personnelle qu’il lui avait demandé de ne pas aborder avec le chef de district ni avec qui que ce soit. Il a mentionné qu’il avait eu envie de s’en prendre à la plaignante, mais qu’il n’avait pas voulu la contrarier. Il a gardé le silence parce qu’il essayait de trouver une façon de composer avec la situation.

  • Il affirme ne pas avoir l’impression d’être du type « boudeur ».

  • Il porte parfois des oreillettes ou un casque d’écoute pour éliminer les distractions – pour atténuer les bruits ambiants – de manière à pouvoir se concentrer; ce n’est pas pour ignorer les gens. En fait, il a commandé des « casques anti‑bruit » pour tout le monde, et ils ont été livrés juste avant Noël.

  • Il veut que la plaignante sache que ce n’est pas dans sa nature d’ignorer les gens. Le mutisme était sa façon de réagir à ses propres problèmes.

  • Il ne s’est jamais attendu à ce que la plaignante fasse du covoiturage, qu’elle aille chercher des véhicules ou qu’elle fasse autre chose pour lui. Elle s’est portée volontaire pour le faire; il l’a décrite comme une personne [traduction« trop accommodante ».

[31]  Dans sa décision, l’arbitre a clairement exposé le point de vue du demandeur et sa version des événements, mais il a choisi de s’appuyer sur certains éléments de la version de la plaignante, notamment le fait qu’elle ait signalé au demandeur que l’absence d’explications au sujet de son comportement négatif lui causait du tort.

[32]  Dans certaines circonstances, il a été conclu que l’adoption par un employé d’une « attitude de mutisme » à l’égard d’un autre constituait du harcèlement passible de sanction. Par exemple, dans la décision Loyer c Conseil du Trésor (Service correctionnel), 2004 CRTFP 16, aux paragraphes 21 et 32, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a rejeté le grief déposé par un employé relativement à la plainte d’une collègue selon laquelle il avait adopté une attitude de mutisme à son égard en raison du conflit personnel qui les opposait.

[33]  Dans l’affaire Hertz Canada Limited c Canadian Office and Professional Employees’ Union, Local 378, [2011] BCCA No 77, 106 CLAS 67, un arbitre de la Colombie‑Britannique s’est penché sur un grief relatif à une situation où deux employés avaient cessé de parler à un autre. L’arbitre a fait l’observation suivante :

[traduction]

20 [...] M. Yohanis a déclaré pendant son témoignage que les plaignants l’avaient isolé en refusant de lui parler. À cet égard, son témoignage était plus cohérent. Il a dit : « Ils ont cessé de me parler. » [...] À mon avis, cela démontre qu’il y a eu harcèlement. L’attitude de mutisme est une forme de mauvais traitement qui existe depuis longtemps, comme l’illustre l’étrange expression « envoyer quelqu’un à Coventry » [...] Comme la politique [sur le harcèlement] énonce explicitement que le harcèlement « englobe le harcèlement psychologique », il ne fait aucun doute que l’attitude de mutisme constitue du harcèlement [...]

[34]  Selon la décision North Bay Regional Health Centre c Ontario Nurses’ Assn., [2015] OLAA No 171, aux paragraphes 108 et 114, l’une des composantes du harcèlement infligé par le plaignant à un autre employé consistait en son refus de communiquer avec cet employé; l’arbitre a conclu que, conjugué à d’autres actes, ce comportement constituait du harcèlement.

[35]  Le demandeur conteste l’utilisation par l’arbitre de l’expression [traduction« attitude de mutisme », puisqu’il a admis qu’il y avait eu une certaine communication entre les parties pendant la période de mutisme, mais j’estime qu’il ne s’agit pas d’un motif qui permet de conclure au caractère déraisonnable de la décision. Les éléments de preuve dont disposait l’arbitre montrent que la nature des conversations entre la plaignante et le demandeur a nettement changé après qu’elle a désobéi à la directive du demandeur selon laquelle elle devait s’abstenir de discuter de l’incident concernant le chef de district.

[36]  En l’espèce, il était raisonnable de la part de l’arbitre de conclure que la non‑communication par le demandeur des motifs de sa colère contre la plaignante constituait du harcèlement, surtout à la lumière d’autres facteurs comme la relation entre le demandeur et la plaignante, leurs rapports étroits exigés par la nature de leurs rôles et la manière différente dont le demandeur traitait la plaignante en présence de supérieurs.

III.  Conclusion

[37]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. La décision de l’arbitre est transparente, intelligible et justifiable, et elle appartient aux issues possibles acceptables.

[38]  Chaque partie a sollicité des dépens relativement à la présente demande. Le défendeur a obtenu gain de cause, et il a donc droit aux dépens.

[39]  Les parties ont convenu que les dépens devraient s’établir à 2 500 $, plus les débours convenus ou, en l’absence d’entente, fixés par un officier taxateur. Le demandeur doit payer les dépens et les débours au défendeur dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT dans le dossier T‑632‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que le demandeur doit payer au défendeur, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, des dépens de 2 500 $, plus les débours convenus ou, en l’absence d’entente, fixés par un officier taxateur.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juin 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑632‑18

 

INTITULÉ :

SHAWN LEMAY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Patrick Bendin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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