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Date : 20190509


Dossier : IMM-3246-18

Référence : 2019 CF 628

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

CLAUDIA LIZBETH PEREZ FERNANDEZ

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), visant la décision du 27 juin 2018 par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) du Bureau de réduction de l’arriéré de Toronto, en Ontario, a refusé la demande de résidence permanente que la demanderesse avait présentée pour des motifs d’ordre humanitaire depuis le Canada. Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, âgée de 32 ans, est citoyenne du Mexique. Elle est mère célibataire d’une fille de huit ans née au Canada. Les parents et la sœur de la demanderesse vivent au Mexique. Le 6 mai 2008, la demanderesse est venue au Canada à titre de visiteur et a été autorisée à rester au pays jusqu’au 5 novembre 2008. En 2017, l’organisme d’exécution de la loi de Niagara Falls a découvert que la demanderesse résidait illégalement au Canada et que son statut de visiteur avait expiré en 2008. La demanderesse n’a pas présenté de demande de prolongation de son statut de visiteur et aucune tentative n’a été faite pour le rétablir. Par la suite, une mesure d’exclusion a été prise contre la demanderesse le 12 avril 2017. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire à Citoyenneté et Immigration Canada le 10 avril 2017.

[3]  La demanderesse affirme être arrivée au Canada en 2008 à la suite d’un incident traumatisant et violent à bord d’un autobus urbain au Mexique. Pendant son séjour au Canada, la demanderesse a rencontré un homme plus âgé de qui elle est ensuite tombée enceinte. Le partenaire de la demanderesse à l’époque n’était pas prêt à avoir un enfant et voulait que la demanderesse se fasse avorter, mais celle‑ci s’y est opposée et sa fille canadienne est née en juillet 2010. Après avoir été absent pendant près de deux ans, le partenaire de la demanderesse est revenu sur sa décision et a choisi de faire partie de la vie de sa fille. Jusqu’à aujourd’hui, le partenaire de la demanderesse entretient une relation avec sa fille canadienne, et la demanderesse affirme qu’il subvient à ses besoins financièrement en lui versant des paiements mensuels de 500 $.

[4]  La demanderesse fait valoir qu’étant une mère célibataire non mariée, elle craint de retourner au Mexique. Elle a déclaré que sa famille au Mexique ne subviendrait pas à ses besoins en raison de sa grossesse. La demanderesse affirme également que la recherche d’un logement et d’un emploi au Mexique serait un fardeau pour elle et sa fille.

III.  Décision contestée

[5]  Dans une lettre datée du 27 juin 2018, l’agent a informé la demanderesse que la demande de résidence permanente qu’elle avait présentée depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire était refusée et qu’elle n’était pas admissible à une exemption. La demanderesse a présenté des observations concernant son établissement au Canada, l’intérêt supérieur de son enfant et les conditions défavorables au Mexique.

A.  Établissement au Canada

[6]  Après avoir examiné les éléments de preuve dont il disposait, l’agent a fait remarquer que la demanderesse vivait au Canada depuis mai 2008. L’agent a reconnu que la demanderesse avait suivi de nombreux cours d’esthétique pour devenir esthéticienne au Canada. Il a également souligné que la demanderesse avait dépensé plus de 20 000 $ en produits et en matériel pour son entreprise Dolly Lashes. La demanderesse offre des services d’esthétique dans un studio de sa maison et affirme gagner environ 50 000 $ par année. Bon nombre des clients de la demanderesse ont fourni des lettres de soutien et ont exprimé leur satisfaction à l’égard de ses services d’esthétique. L’agent a tenu compte des lettres de recommandation déposées par la demanderesse. Toutefois, l’agent a déclaré que rien n’indiquait que l’entreprise de la demanderesse avait été enregistrée : [traduction] « [B]ien que la demanderesse ait déclaré gagner environ 50 000 $ par année, je n’ai reçu aucune preuve corroborant son revenu réel depuis son arrivée en mai 2008, ni aucune preuve qu’elle a payé de l’impôt sur ce revenu. »

[7]  L’agent a également indiqué que la demanderesse avait noué plusieurs amitiés au Canada. L’agent a reconnu que la demanderesse était au Canada depuis 2008 et qu’elle faisait du bénévolat. L’agent a conclu que la demanderesse [traduction] « avait acquis un certain degré d’établissement grâce à son expérience de travail et à ses liens sociaux »; toutefois, il n’était pas convaincu que la demanderesse se verrait accorder une exemption des exigences de la LIPR et de son règlement d’application, étant donné qu’elle ne serait pas exposée à des difficultés si elle présentait une demande de résidence permanente depuis l’étranger. L’agent a également tiré la conclusion suivante :

[traduction]

La demanderesse n’a jamais tenté de régulariser son statut au Canada depuis l’expiration de son statut de visiteur en novembre 2008; par conséquent, j’estime que le manque de considération de la demanderesse à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration ne milite pas en sa faveur.

B.  Intérêt supérieur de l’enfant

[8]  Ensuite, l’agent a tenu compte de la fille canadienne de la demanderesse, née le 28 juillet 2010. Dans ses observations, la demanderesse a déclaré qu’il serait extrêmement difficile pour sa fille de retourner au Mexique parce qu’elle ne parle pas espagnol, mais seulement anglais. Après avoir examiné la preuve au dossier, l’agent a constaté que la demanderesse n’avait commencé à suivre des cours d’anglais qu’en 2012. Il était donc raisonnable de croire que la fille de la demanderesse posséderait une [traduction] « certaine connaissance » de la langue espagnole, puisqu’il s’agissait de la seule langue que la demanderesse connaissait à l’époque. L’agent a tenu compte du rendement de l’enfant à l’école et a fait remarquer qu’elle est une [traduction] « bonne élève », qu’elle [traduction] « travaille bien de façon autonome » et qu’elle entretient [traduction] « de solides liens avec sa meilleure amie ». La demanderesse a également fait valoir que sa fille a assisté à un camp d’été et à des récitals de danse. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée par la demanderesse, l’agent n’était pas convaincu que l’enfant ne serait pas en mesure de poursuivre ses études et de participer à des activités parascolaires au Mexique.

[9]  L’agent a également tenu compte de la présence du père dans la vie de l’enfant. On soutient que l’enfant passe du temps avec son père, mais que, en raison de son état de santé et de son interdiction de territoire possible au Canada pour criminalité, le père de l’enfant n’est pas en mesure de pourvoir seul aux besoins de sa fille. La demanderesse a mentionné que le père verse 500 $ par mois pour subvenir aux besoins de l’enfant. Selon l’agent, [traduction] « la demanderesse n’a pas fourni une preuve objective suffisante pour corroborer le rôle que [le père] joue dans la vie de [l’enfant]. La demanderesse n’a fourni aucune preuve financière objective ni aucun document de garde ou de droit de visite. » Pour ces motifs, et en raison également de l’éventuelle expulsion du père du Canada, l’agent a conclu que la présence du père dans la vie de l’enfant était [traduction] « minime ».

[10]  L’agent a pris note du trouble médical de l’enfant (bronchite). La demanderesse a déclaré que le Mexique ne serait pas un pays sûr pour sa fille en raison de son niveau élevé de pollution. La demanderesse n’a pas été en mesure d’obtenir le dossier médical de sa fille auprès de son médecin. D’après la preuve dont il disposait, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir le trouble médical de l’enfant. L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi sa fille serait privée de soins médicaux appropriés au Mexique. L’agent a reconnu [traduction] « qu’il est dans l’intérêt supérieur de [l’enfant] de rester avec la personne qui s’occupe principalement d’elle, à savoir sa mère, et que les intérêts de l’enfant sont mieux servis au Canada ». Toutefois, l’agent a fait remarquer que la famille élargie de la demanderesse vit au Mexique. Si elle retournait au Mexique, l’enfant canadienne serait en mesure de nouer des liens avec sa famille élargie, avec sa mère à ses côtés. Bien que l’agent ait reconnu que l’enfant subirait des bouleversements au Mexique, il a déclaré que [traduction] « le niveau de vie est différent d’un pays à l’autre, et de nombreux pays ne sont pas aussi chanceux d’avoir les mêmes soutiens sociaux, financiers et médicaux que ceux offerts au Canada ». Après avoir examiné attentivement la preuve au dossier, l’agent était d’avis que le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas en soi suffisant pour justifier l’octroi d’une exemption au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

C.  Conditions défavorables du pays

[11]  La demanderesse craint de retourner au Mexique après l’incident violent qu’elle a vécu dans l’autobus. Après avoir examiné la preuve de la demanderesse sur la situation dans le pays, l’agent n’était pas convaincu qu’il serait difficile pour la demanderesse et sa fille de retourner au Mexique et de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Selon l’agent, [traduction] « le Mexique est un État démocratique qui possède les structures politiques, les institutions judiciaires et l’appareil de sécurité nécessaires pour s’acquitter des fonctions requises pour protéger ses citoyens ».

[12]  La demanderesse a affirmé qu’elle ne parle plus aux membres de sa famille au Mexique après qu’ils aient appris qu’elle était enceinte et qu’elle entretenait une relation avec un homme plus âgé. La demanderesse a déclaré qu’en tant que mère célibataire non mariée au Mexique, elle aurait de la difficulté à trouver un logement et un emploi. L’agent a toutefois fait remarquer que ce n’est pas la première fois que la demanderesse déménage dans un autre pays et recommence à zéro. L’agent a conclu que la demanderesse possède les [traduction] « compétences » et la [traduction] « motivation » nécessaires pour s’établir de nouveau au Mexique. L’agent a également souligné que la demanderesse a vécu au Mexique pendant la majeure partie de sa vie et qu’elle est titulaire d’un diplôme en administration des affaires du Mexique. Bien que la demanderesse fasse valoir qu’elle n’aurait aucun soutien de sa famille ou de ses amis au Mexique, les éléments de preuve dont dispose l’agent ne sont pas suffisants pour le convaincre que la famille de la demanderesse ne souhaiterait pas les soutenir, elle et sa fille, si elles retournaient au Mexique. L’agent a également fait remarquer que la demanderesse ne s’établirait pas de nouveau dans [traduction] « un endroit étranger », puisqu’elle connaît la langue et la culture du pays :

[traduction]

Compte tenu de l’ensemble de la preuve dont je dispose et après lui avoir accordée le poids qu’il convient, je reconnais que le fait d’être contrainte de quitter le Canada entraînera inévitablement des difficultés pour la demanderesse, mais je suis d’avis que cette dernière n’a pas établi que les difficultés associées à la situation générale au Mexique justifieraient de lui accorder une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire.

IV.  Les questions en litige

[13]  La demanderesse a soulevé les questions suivantes dans ses observations écrites, que la Cour a légèrement reformulées ci‑après :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant l’établissement de la demanderesse au Canada, ainsi que d’autres facteurs d’ordre humanitaire, en fonction du critère strict des difficultés en cause?

  2. L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

  3. L’agent a-t-il outrepassé son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur des facteurs qui ne figurent pas à l’article 25 de la LIPR?

V.  La norme de contrôle

[14]  Après avoir examiné attentivement les observations des deux parties, la Cour estime que les conclusions de l’agent relatives à l’évaluation et à la pondération des facteurs d’ordre humanitaire, ainsi que le fait qu’il ait « outrepassé son pouvoir discrétionnaire », soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 24, Uwase c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 515, au paragraphe 24). La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Les dispositions applicables

[15]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR s’applique en l’espèce :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations - request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.  Analyse

[16]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.  L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant l’établissement de la demanderesse au Canada, ainsi que d’autres facteurs d’ordre humanitaire, en fonction du critère strict des difficultés en cause?

[17]  Selon la demanderesse, l’agent a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique dans son évaluation de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse a fait valoir que l’agent a examiné sa demande en fonction des difficultés plutôt que des motifs d’ordre humanitaire. L’avocat de la demanderesse a attiré l’attention sur les passages de la décision où le mot [traduction] « difficultés » est utilisé. La Cour ne convient pas avec la demanderesse que l’agent n’a pas accordé suffisamment de poids à certains éléments de preuve. La Cour rappelle qu’il n’appartient pas à une cour de révision de soupeser de nouveau les éléments de preuve (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757, au paragraphe 58).

[18]  L’agent a bien évalué la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a examiné l’ensemble de la preuve au dossier et rien ne contredit ses conclusions. En outre, l’agent n’a pas commis d’erreur en tenant compte du degré d’établissement de la demanderesse au Canada, pas plus qu’il n’a commis d’erreur en soupesant ce facteur avec les autres facteurs d’ordre humanitaire dans le dossier de la demanderesse (Lupsa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1054, au paragraphe 74 [Lupsa]). « [I]l est bien reconnu par la jurisprudence que le degré d’établissement est un facteur important, mais non déterminant dans une demande CH » (Lupsa, au paragraphe 73) [Non souligné dans l’original].

[19]  Il incombait à la demanderesse de présenter des éléments de preuve pertinents qui auraient permis à l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire en déterminant s’il était justifié de lui accorder une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire dans ces circonstances (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5). L’octroi d’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire est une conclusion exceptionnelle et discrétionnaire. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que le degré d’établissement de la demanderesse au Canada ne justifiait pas une exemption spéciale des exigences législatives (Mikhno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 386, au paragraphe 39).

[20]  Comme l’a fait valoir le défendeur, l’agent a indiqué dans ses motifs que la demanderesse est demeurée illégalement au Canada après avoir perdu son statut de visiteur. L’agent a également constaté que la demanderesse n’a fait aucun effort pour régulariser son statut au Canada. Il était donc raisonnable pour l’agent de conclure que [traduction] « la demanderesse a décidé de son propre chef de demeurer au Canada pendant cette période, dont la durée ne résulte pas de circonstances indépendantes de sa volonté ». (Dossier certifié du tribunal (DCT), motifs et décision relatifs à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, à la page 7). La demanderesse n’était pas d’accord et a fait valoir que la question en l’espèce concerne sa stabilité et sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille. La Cour est convaincue par l’argument du défendeur.

[21]  Le défendeur a également fait valoir que le mot [traduction] « difficultés » a été utilisé de façon descriptive et non dans l’application du critère juridique. Cet argument est étayé par la décision Boukhanfra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 4, [2019] ACF nº 6 [Boukhanfra]. La Cour est convaincue par l’argument du défendeur et convient avec le juge Grammond que « ce qui importe n’est pas l’utilisation de termes précis, mais le fait que les motifs offrent une justification qui est conforme aux directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy » (Boukhanfra, au paragraphe 15). La Cour conclut de même que, en l’espèce, les motifs fournissent une justification qui est conforme aux directives de l’arrêt Kanthasamy.

B.  L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[22]  La demanderesse a soutenu que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon la demanderesse, l’agent a tiré une conclusion contradictoire en affirmant [traduction] « qu’il est dans l’intérêt supérieur [de l’enfant] de rester avec la personne qui s’occupe principalement d’elle, à savoir sa mère, et que les intérêts de l’enfant sont mieux servis au Canada » (DCT, motifs et décision relatifs à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, à la page 7), tout en concluant que la demanderesse ne subirait aucune difficulté si elle était renvoyée au Mexique. La demanderesse a fait valoir que la décision de l’agent manquait de sensibilité envers l’enfant (Cerezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1224, au paragraphe 6 [Cerezo]). La demanderesse a également fait valoir que l’agent a eu tort de conclure que l’enfant serait en mesure de fréquenter l’école et de recevoir une éducation au Mexique, car elle avait déjà mentionné que sa fille ne parlait pas espagnol et que sa famille élargie ne voudrait subvenir ni à ses besoins, ni à ceux de sa fille.

[23]  Les observations de la demanderesse ne convainquent pas la Cour. Les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire reposent largement sur les faits qui leur sont propres. Dans la décision Cerezo, la Cour a conclu que l’agent avait commis une erreur en concluant qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants du demandeur de rester avec les deux parents et que leurs intérêts seraient mieux servis au Canada. Les motifs de l’agent indiquaient également qu’il incombait aux parents de décider où habiteraient leurs enfants. En l’espèce, l’agent a reconnu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec la personne qui s’occupe principalement d’elle, sa mère, et que les intérêts de l’enfant étaient mieux servis ici au Canada. L’agent a ensuite soupesé tous les facteurs pertinents entourant la situation de l’enfant et a souligné que si elle devait retourner au Mexique, l’enfant resterait avec sa mère. Comme l’a fait valoir le défendeur, la demanderesse conteste la façon dont l’agent a tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire et des éléments de preuve.

[24]  L’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que, au vu de l’ensemble de la preuve, [traduction] « il [était] raisonnable de croire que la fille de la demanderesse aurait une certaine connaissance de la langue espagnole » (DCT, motifs et décision relatifs à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, à la page 6). Les éléments de preuve dont disposait l’agent n’étaient pas suffisants pour le convaincre que l’enfant ne serait pas en mesure de fréquenter l’école et de recevoir une éducation en espagnol si elle retournait au Mexique. Après avoir examiné l’ensemble du dossier, la Cour fait observer que des éléments de preuve, tirés d’un [traduction] « rapport d’évaluation des communications préliminaires », présenté par la demanderesse, confirment la conclusion de l’agent. Le 9 août 2012, la fille de la demanderesse a fait l’objet d’une évaluation en communication au Yorktown Child and Family Centre, à Toronto. Le rapport indique que les langues parlées à la maison de l’enfant sont l’espagnol et l’anglais. Le rapport prévoit également une section pour les commentaires supplémentaires, où il est écrit ce qui suit :

[traduction]

[L’enfant] est exposée à la langue espagnole à la maison. Selon les parents, elle comprend autant l’espagnol que l’anglais. La mère [de l’enfant] n’a pas signalé de préoccupation concernant les habiletés de compréhension au moment de l’évaluation. Il faudra surveiller cela au cours de l’intervention. Une évaluation plus poussée est justifiée.

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, rapport d’évaluation des communications préliminaires daté du 9 août 2012, aux pages 109 et 110)

[25]  Il incombait à la demanderesse de fournir à l’agent suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer ses arguments relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a raisonnablement conclu que les éléments de preuve dont il disposait n’étaient pas suffisants pour établir que l’enfant ne serait pas en mesure de fréquenter l’école au Mexique. L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer le trouble médical de l’enfant.

[26]  L’évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant dépend grandement du contexte, et les décideurs doivent y être sensibles lorsqu’ils examinent une affaire en particulier (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 35). En l’espèce, l’agent n’a pas simplement identifié la situation propre à l’enfant. Il a correctement évalué l’âge de l’enfant, sa langue, sa relation avec son père, son instruction, ses activités parascolaires, ainsi que ses besoins médicaux au Canada et au Mexique. L’agent a fait une analyse claire et détaillée du facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant et ses conclusions ne contredisent pas la preuve dont il disposait. Après avoir examiné le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a reconnu que, bien que ce facteur soit important, il n’est pas déterminant et ne justifiait pas en soi une exemption. La Cour conclut que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent, on ne peut conclure que la décision est déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 31).

C.  L’agent a-t-il outrepassé son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur des facteurs qui ne figurent pas à l’article 25 de la LIPR?

[27]  La demanderesse a fait valoir que l’agent a outrepassé son pouvoir discrétionnaire en exigeant que le degré d’établissement au Canada soit exceptionnel. Par contre, le défendeur a soutenu que l’utilisation du mot [traduction] « exceptionnel » par l’agent n’était pas une erreur. La demanderesse l’a tout simplement mal interprété. La Cour est d’accord avec le défendeur. L’agent a fourni les motifs suivants dans sa décision :

[traduction]

Bien que la demanderesse se soit établie en partie grâce à son expérience de travail et à ses liens sociaux et qu’elle aimerait jouir de la qualité de vie qu’elle a au Canada, je ne considère pas qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle imprévue par nos lois en matière d’immigration.

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, motifs et décision relatifs à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, à la page 6)

[28]  Dans la décision dans son ensemble, l’agent motive clairement et adéquatement son évaluation du degré d’établissement de la demanderesse au Canada et des autres facteurs d’ordre humanitaire.

[…] L’agent n’a pas fait du degré d’établissement exceptionnel une norme juridique à respecter pour accueillir la demande, et il n’a pas non plus rejeté la demande pour ce motif. L’agent n’a pas davantage écarté le degré d’établissement du demandeur au motif qu’il n’était pas exceptionnel.

(Thiyagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 111, au paragraphe 31).

VIII.  Conclusion

[29]  La Cour conclut que la décision de l’agent ne justifie pas l’intervention de la Cour. La décision est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3246-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée et l’affaire n’en soulève aucune. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juin 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3246-18

 

INTITULÉ :

CLAUDIA LIZBETH PEREZ FERNANDEZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2019

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Erin Estock

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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