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Date : 20190510


Dossier : IMM‑777‑18

Référence : 2019 CF 639

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

FENGLING XU

MIN JIN YANG

JIE TAO YANG (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Fengling Xu et Min Jin Yang sont mariés. Jie Tao Yang est leur fils. Ils ont tous les trois demandé l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Mme Xu affirme qu’elle craint d’être persécutée en Chine, son pays de nationalité, en raison des pratiques oppressives de ce pays en matière de planification familiale et parce qu’elle est une adepte du Falun Gong. Elle a agi comme représentante désignée de son fils, également un citoyen chinois. M. Yang est un citoyen de la Chine, mais aussi du Guyana. Il affirme qu’il craint d’être persécuté au Guyana et qu’il est une personne à protéger en raison de son origine ethnique. Mme Xu et son fils soulèvent des allégations semblables à l’égard du Guyana. M. Yang a également sollicité une protection à l’égard de la Chine en tant qu’époux d’une adepte du Falun Gong. Les trois demandeurs ont fondé leurs demandes d’asile sur l’exposé circonstancié personnel soumis par Mme Xu.

[2]  Les demandes d’asile ont été instruites conjointement par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] le 4 mai 2017. Dans une décision datée du 24 mai 2017, la SPR a rejeté les demandes fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR. Le commissaire de la SPR a conclu que les demandeurs avaient établi leur identité personnelle ainsi que leur nationalité. Cependant, s’agissant de M. Yang, il a conclu que, même si les Chinois étaient dans une certaine mesure victimes de discrimination au Guyana, cette discrimination n’équivalait pas à de la persécution, et que la situation dans ce pays ne faisait pas non plus de M. Yang une personne à protéger. Il était tout au plus exposé à un risque généralisé de violence. S’agissant de Mme Xu et de son fils, le commissaire a conclu que, parce qu’ils [traduction] « avaient les droits des ressortissants du Guyana », ils tombaient sous le coup de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 UNTS 150 [Convention sur les réfugiés] et n’avaient donc pas qualité de réfugié au Canada. (La section E de l’article premier est incorporée en droit canadien interne par l’article 98 de la LIPR). Le commissaire a également conclu que rien ne justifiait de les soustraire à l’application de cette disposition, étant donné que ses conclusions à l’égard de la demande d’asile de M. Yang s’appliquaient également à eux. Le commissaire n’a donc pas examiné les allégations relatives à la Chine.

[3]  Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR. Ils n’ont pas déposé de nouveaux éléments de preuve ni demandé la tenue d’une audience. Dans une décision datée du 29 janvier 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel.

[4]  Les demandeurs sollicitent à présent le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Ils font valoir que la SAR les a privés de l’équité procédurale lorsqu’elle a tranché la question de la protection de l’État en leur défaveur sans d’abord les aviser que cette question était en jeu et sans leur donner la possibilité de s’exprimer sur le sujet. Ils ajoutent que les conclusions de la SAR concernant l’absence de lien avec un des motifs de la Convention, la nature du risque auquel ils sont exposés au Guyana, et leur exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, sont déraisonnables.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la présente demande de contrôle judiciaire. J’estime que la conclusion d’exclusion au titre de la section E de l’article premier tirée par la SAR est déraisonnable. J’estime également que l’examen par la SAR de la question de la protection de l’État contrevient aux exigences de l’équité procédurale. Par conséquent, la tenue d’une nouvelle audience est requise.

II.  CONTEXTE

[6]  Mme Xu est née en Chine en juillet 1977. M. Yang y est né aussi en novembre 1975 de même que leur fils, Jie Tao, en août 2003. Ils sont tous les trois des ressortissants chinois de naissance.

[7]  En février 2004, M. Yang a quitté la Chine pour travailler au Guyana et subvenir aux besoins de sa famille.

[8]  Mme Xu affirme qu’après la naissance de son fils, elle a eu un certain nombre de problèmes médicaux en Chine en raison des pratiques et des exigences chinoises en matière de planification familiale. En décembre 2010, elle a finalement décidé de rejoindre son époux au Guyana. Leur fils est resté en Chine avec ses grands-parents.

[9]  En mai 2013, M. Yang a obtenu la citoyenneté guyanaise. Le même mois, il a acheté un restaurant à Georgetown, (Guyana) où il a travaillé avec Mme Xu. D’après l’exposé circonstancié de cette dernière, le restaurant a fait deux fois l’objet d’un vol qualifié – la première fois, le 10 décembre 2013; la deuxième, le 5 mai 2014. Lors du premier vol, quelqu’un a mis une arme à feu sur la tête de Mme Xu et elle a subi des voies de fait. Des coups de feu ont été tirés lors du deuxième vol. Après ce deuxième incident, Mme Xu et M. Yang ont décidé de vendre le restaurant et de quitter le Guyana. Mme Xu est retournée en Chine le 16 juin 2014. M. Yang est quant à lui resté pour vendre le restaurant.

[10]  Mme Xu prétend que les pratiques et exigences chinoises en matière de planification familiale ont continué de lui poser problème après son retour en Chine. Sur les conseils d’une cousine, elle a commencé à pratiquer le Falun Gong pour surmonter ces difficultés. Cependant, le 31 août 2014, une séance de pratique de groupe du Falun Gong à laquelle elle participait a fait l’objet d’une descente par le Bureau de la sécurité publique [BSP]. Mme Xu a réussi à s’échapper et est entrée dans la clandestinité. Lorsqu’elle a appris que le BSP était à sa recherche, elle a pris des arrangements avec un passeur pour quitter la Chine et partir aux États-Unis avec son fils. Les deux ont retrouvé M. Yang à Seattle (État de Washington) en février 2015, puis ils sont tous entrés au Canada irrégulièrement, près de Vancouver et ont présenté leurs demandes d’asile à Toronto environ un mois plus tard.

[11]  Mme Xu et M. Yang ont chacun présenté un formulaire « Fondement de la demande d’asile » ainsi que les autres documents exigés, mais ils se sont tous deux appuyés sur les renseignements figurant dans l’exposé circonstancié de Mme Xu. Même si les demandes d’asile reposaient sur un fondement factuel commun, chaque demandeur a fait des allégations distinctes à l’égard de la Chine et du Guyana. Leurs allégations respectives sont résumées avec concision dans le paragraphe suivant extrait de l’exposé circonstancié de Mme Xu :

[TRADUCTION]

En Chine, je crains d’être arrêtée, emprisonnée et maltraitée par les autorités parce que je suis une adepte du Falun Gong. Je crains aussi d’être forcée de porter un DIU contre ma volonté, ce à quoi je me refuse. Pour ce qui est de mon fils, je crains pour sa sécurité aussi à cause de ma pratique du Falun Gong. Mon époux craint également de vivre au Guyana où il redoute d’être à nouveau ciblé par des criminels et des gangsters. Il n’est pas non plus sûr pour lui de vivre en Chine à cause de ma pratique du Falun Gong. Pour ces motifs, nous demandons tous l’asile au Canada.

[12]  L’avocat des demandeurs a déposé des observations écrites peu après l’audience devant la SPR et a continué de s’appuyer sur tous les motifs invoqués dans l’exposé circonstancié de Mme Xu. Les observations juridiques formulées se rapportent à trois questions particulières : 1) l’identité; 2) la crédibilité; et 3) l’exclusion ([traduction] « la capacité de l’épouse et du fils mineur d’obtenir un statut au Guyana »). Rien dans les motifs du commissaire de la SPR n’indique qu’il envisageait autrement les questions importantes à trancher en l’espèce.

[13]  Comme je l’ai déjà mentionné, le commissaire de la SPR a conclu que l’identité des demandeurs avait été établie. Cependant, il a rejeté les allégations fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR et limité son analyse aux allégations qui se rapportaient au Guyana.

[14]  S’agissant de M. Yang, le commissaire a manifestement reconnu que les cambriolages du restaurant avaient eu lieu, mais il a conclu qu’ils ne dénotaient pas l’existence d’un risque futur susceptible de faire entrer en jeu les articles 96 ou 97. Même si les vols [traduction] « découlaient de » l’appartenance ethnique des demandeurs d’asile, il a conclu que le risque [traduction] « se rapportai[t] néanmoins à leur restaurant qui a maintenant été vendu ». D’après le commissaire, [traduction] « personne n’a prétendu ni allégué que les demandeurs d’asile ne pourraient pas vivre en toute sécurité au Guyana s’ils avaient une autre occupation que propriétaires de restaurant ». Le commissaire a également conclu que, même si les Chinois sont, dans une certaine mesure, victimes de discrimination au Guyana, cette discrimination n’équivalait pas à de la persécution, et que M. Yang ne serait exposé dans ce pays à rien de plus qu’un risque général d’être victime de criminalité. Le commissaire n’a pas tiré de conclusion concernant la protection de l’État.

[15]  S’agissant de Mme Xu et de son fils, le commissaire a conclu que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175 [Tretsetsang], était [traduction] « déterminant ». Selon lui, [traduction] « la citoyenneté guyanaise relève du contrôle de l’épouse et de l’enfant, et comme ils n’ont rien tenté pour l’obtenir, le tribunal conclut qu’ils n’ont pas fait d’efforts raisonnables pour surmonter les obstacles qui les en empêchaient, si tant est qu’il en existe ». Pour ce motif, le commissaire a conclu que Mme Xu et son fils [traduction] « avaient les droits des ressortissants du Guyana au sens où l’entend la section E de l’article premier de la Convention, et ils n’ont pas qualité de réfugié au Canada ». Par ailleurs, le commissaire a conclu, s’agissant de Mme Xu et de son fils, que ni l’article 96 ni l’article 97 de la LIPR ne s’appliquaient pour ce qui est du Guyana. Ayant appliqué les mêmes conclusions qu’il avait tirées à l’égard de la demande de M. Yang, le commissaire a ajouté : [traduction] « Rien ne tend à démontrer que les adeptes du Falun Gong sont persécutés au Guyana, ou que l’épouse serait forcée de porter un DUI dans ce pays ». (Pour plus de certitude, cet argument n’a jamais été avancé dans la demande d’asile de Mme Xu.)

III.  DÉCISION CONTRÔLÉE

[16]  Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la SAR. Dans les observations écrites qu’ils ont présentées à l’appui de l’appel, ils soulèvent les trois questions suivantes :

  • a) La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’existait aucun lien entre la crainte de M. Yang et l’un des motifs de la Convention?

  • b) La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que M. Yang n’était exposé qu’à un risque généralisé au Guyana?

  • c) La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Mme Xu et Jie Tao n’avaient pas qualité de réfugié en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés?

[17]  Le ministre n’a pas participé à l’appel.

[18]  Dans ses motifs de rejet de l’appel, le commissaire de la SAR s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], ainsi que sur la décision rendue par le tribunal de trois commissaires de la SAR dans X (Re), 2017 CanLII 33034 (CA CISR). D’après son interprétation de cette jurisprudence, le commissaire devait, à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit, « examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant ». Bien que le commissaire n’en fasse pas expressément mention, il faut présumer qu’il a également suivi la consigne formulée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica (telle qu’elle a été étoffée par le tribunal de trois commissaires de la SAR), selon laquelle la SAR doit normalement appliquer la norme de la décision correcte à toutes les conclusions de la SPR, mais lorsque celle‑ci jouit d’un avantage certain par rapport à la SAR qui l’autorise à tirer une conclusion précise, la SAR peut évaluer ladite conclusion en fonction de la norme du caractère raisonnable, qu’elle adapte à son propre contexte. Il se trouve qu’aucun des motifs d’appel n’a été tranché selon ce principe. La crédibilité n’était pas en cause.

[19]  La SAR a rejeté l’appel pour les motifs suivants.

[20]  Premièrement, bien qu’elle ait conclu que la déclaration du commissaire de la SPR suivant laquelle [traduction] « [m]ême si les vols qualifiés découlaient de l’appartenance ethnique des demandeurs d’asile, ils se rapportaient néanmoins à leur restaurant qui a maintenant été vendu » aurait pu être plus claire, la SAR a rejeté la prétention des demandeurs voulant que, peu importe qu’ils soient propriétaires ou non d’un restaurant, ils étaient exposés à un risque au Guyana en raison de leur origine ethnique. Le commissaire de la SAR a effectué son propre examen de la preuve documentaire soumise à la SPR sur les conditions au Guyana et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être pris pour cibles en raison d’un motif prévu dans la Convention. En bref, la SAR a convenu avec la SPR que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre leurs craintes et l’un des motifs de la Convention.

[21]  Deuxièmement, s’agissant de savoir si les demandeurs étaient des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR, le commissaire de la SAR a estimé que la question déterminante était de savoir s’ils étaient personnellement exposés à un risque auquel « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne sont généralement pas [exposées] » (sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR). Ayant examiné la preuve dont il disposait, y compris celle touchant la protection de l’État au Guyana, le commissaire a conclu que la crainte des demandeurs d’être victimes de crimes « est un risque auquel d’autres personnes sont généralement exposées au Guyana » et qu’ils n’ont « pas réfuté la présomption selon laquelle la protection de l’État n’est pas disponible pour eux au Guyana ». Le commissaire de la SAR a ainsi souscrit « à la conclusion de la SPR selon laquelle la preuve n’appuie pas les allégations des appelants disant qu’ils sont en particulier pris pour cible par des criminels au Guyana en raison de leur appartenance ethnique chinoise et que la protection de l’État ne leur est pas assurée ».

[22]  Enfin, le commissaire de la SAR a indiqué qu’il convenait avec la SPR que M. Yang « n’a pas qualité de réfugié au titre de la section E de l’article premier » de la Convention sur les réfugiés. Le commissaire de la SAR a aussi souscrit à « l’avis de la SPR selon lequel [Mme Xu et son fils] avaient les droits des ressortissants du Guyana au sens où l’entend la section E de l’article premier de la Convention, et ils n’ont pas qualité de réfugié au Canada ».

[23]  Par conséquent, la SAR a confirmé la décision de la SPR en vertu de l’alinéa 111(1)a) de la LIPR et a rejeté l’appel.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[24]  Les conclusions tirées par la SAR sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Huruglica, au paragraphe 35). Cette norme « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au paragraphe 18). Cela signifie que la cour de révision doit examiner la décision ainsi que les motifs donnés au soutien de cette décision (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27). La cour de révision s’intéresse « à la justification [de la décision], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont remplis si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas remplis. Il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de substituer à la décision l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61 [Khosa]).

[25]  D’un autre côté, si la question est de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale devant la SAR, aucune norme de contrôle ne s’applique. La cour de révision doit déterminer elle‑même si le processus suivi par le commissaire respecte le degré d’équité exigé eu égard à l’ensemble des circonstances (Khosa, au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54).

V.  QUESTIONS À TRANCHER

[26]  Je formulerais comme suit les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

  • a) La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs sont exclus du régime canadien de protection des réfugiés en raison de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est‑elle déraisonnable?

  • b) La SAR a‑t‑elle privé les demandeurs de l’équité procédurale en se prononçant sur la question de la protection de l’État en leur défaveur sans d’abord les aviser que cette question entrait en jeu et sans leur donner la possibilité de s’exprimer sur le sujet?

  • c) La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés au Guyana était‑elle déraisonnable?

  • d) La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient des personnes à protéger au Guyana était‑elle déraisonnable?

[27]  Les demandeurs n’ont pas présenté leurs motifs de contrôle exactement dans cet ordre. Cependant, comme je vais l’expliquer, j’estime que les deux premières questions sont déterminantes pour la présente demande. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les deux autres.

VI.  ANALYSE

A.  Le rôle de la SAR

[28]  Avant d’examiner les motifs de contrôle judiciaire énoncés précédemment, il peut être utile de passer rapidement en revue le rôle de la SAR.

[29]  Aux termes du paragraphe 110(1) de la LIPR, la personne en cause et le ministre « peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile ». Le paragraphe 110(2) prévoit que certaines catégories de décisions ne sont pas susceptibles d’appel devant la SAR; cependant, si un droit d’appel devant la SAR est prévu, aucune autre limite ne s’applique aux motifs d’appel qui peuvent être invoqués.

[30]  Le paragraphe 110(3) de la LIPR précise qu’en règle générale, la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés ». Les paragraphes 110(4) et (5), qui régissent l’admission des nouveaux éléments de preuve présentés par la personne en cause, créent une exception à cette règle générale. Il en va de même du paragraphe 110(6), qui autorise la SAR à tenir une audience pour autant que certaines conditions préalables soient remplies. Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, restreindre l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel contribue à préserver l’intégrité du processus en favorisant le caractère final du dossier factuel présenté en première instance (à quelques exceptions près) et en encourageant les parties à circonscrire les questions en litige à mesure qu’une affaire progresse dans le processus d’appel (aux paragraphes 43 et 50).

[31]  Un appel devant la SAR n’est pas vraiment une instance de novo (Huruglica, au paragraphe 79). La SAR instruit l’appel relatif à une décision de la SPR, qui représente le point de référence initial. Pour ce faire, elle s’appuie sur le dossier de preuve dont disposait la SPR. Après « examen attentif » de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer « sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant » (Huruglica, au paragraphe 103).

[32]  La SAR a pour mandat général d’intervenir pour corriger toute erreur de fait, de droit, ou de fait et de droit commise par la SPR (Huruglica, aux paragraphes 78 et 103). La première examine les conclusions de la seconde selon la norme de la décision correcte, mais elle peut s’en remettre à la SPR à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité « lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier » (Huruglica, au paragraphe 70). Après avoir examiné l’appel, la SAR peut confirmer la décision de la SPR; elle peut l’infirmer et y substituer la décision qui aurait dû, selon elle, être rendue; ou elle peut renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle la réexamine (mais seulement si elle conclut que la SPR a commis une erreur et qu’elle ne peut pas déterminer si elle doit confirmer sa décision ou en rendre une autre sans entendre la preuve présentée à la SPR) (LIPR, paragraphes 111(1) et (2)).

[33]  En cas d’erreur, la SAR peut malgré tout confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement (Huruglica, au paragraphe 78). Ce pouvoir doit néanmoins être exercé conformément aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Ainsi, avant de confirmer une décision de la SPR pour un motif qui ne peut raisonnablement être considéré comme découlant des questions en litige formulées par les parties, la SAR doit aviser les parties concernées et leur permettre de présenter des observations (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, aux paragraphes 65 à 76; Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, aux paragraphes 20 à 23; Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, aux paragraphes 24 à 26; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876, au paragraphe 40). Comme l’a déclaré avec une certaine éloquence le juge Hughes « [l]e fait est que si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations » (Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, au paragraphe 10).

B.  La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs sont exclus du régime canadien de protection des réfugiés en raison de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est-elle déraisonnable?

[34]  La section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés prévoit : « Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ».

[35]  Je commencerai par faire remarquer que les conclusions du commissaire de la SAR quant à l’application de la section E de l’article premier à la présente affaire sont troublantes à au moins deux égards.

[36]  Tout d’abord, le commissaire de la SAR conclut que M. Yang n’a pas qualité de réfugié au titre de la section E de l’article premier. Bien que ce ne soit pas tout à fait clair, il semble qu’il souscrive à la conclusion du commissaire de la SPR sur ce point. Cependant, ce dernier n’a pas tiré une telle conclusion à l’égard de M. Yang. Il n’est pas étonnant que le motif d’appel se rapportant à la section E de l’article premier, tel qu’il a été formulé par les demandeurs, mentionne uniquement Mme Xu et son fils (voir le paragraphe 16 précédent). Quoi qu’il en soit, la question de l’applicabilité de la section E de l’article premier à M. Yang semble être un faux‑fuyant. M. Yang a présenté une demande d’asile à l’égard de deux pays différents dont il a la nationalité – la Chine et le Guyana. L’alinéa 96a) de la LIPR lui imposait de démontrer une crainte fondée de persécution à l’égard de ces deux pays de citoyenneté avant de pouvoir demander l’asile au Canada (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Williams, 2005 CAF 126, au paragraphe 20). Cela n’a rien à voir avec l’exclusion prévue à la section E de l’article premier.

[37]  Deuxièmement, le commissaire de la SAR affirme qu’il partage « l’avis de la SPR selon lequel [Mme Xu et son fils] avaient les droits des ressortissants du Guyana au sens où l’entend la section E de l’article premier de la Convention, et ils n’ont pas qualité de réfugié au Canada ». Même s’il est vrai que le commissaire de la SPR a conclu que Mme Xu et son fils étaient exclus par application de la section E de l’article premier, le fondement de cette conclusion était manifestement erroné. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le commissaire de la SPR a jugé que l’arrêt Tretsetsang de la Cour d’appel fédérale était [traduction] « déterminant sur ce point ». Cet arrêt portait toutefois sur le sens du terme « tout pays dont elle a la nationalité » à l’alinéa 96a) de la LIPR, et non sur la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Le commissaire de la SAR ne mentionne pas cette erreur dans l’analyse de la SPR, bien que cela explique peut-être pourquoi il a entrepris sa propre analyse en fonction du critère applicable, tel qu’il est formulé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng]. Comme je l’explique plus loin, cette analyse est toutefois déraisonnable.

[38]  Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a formulé en ces termes le critère de l’exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés (au paragraphe 28) :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[39]  Si je comprends bien ses motifs, le commissaire de la SAR a répondu à ces questions de la manière suivante.

[40]  Premièrement, au moment de l’audience, ni Mme Xu ni son fils ne bénéficiaient au Guyana d’un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays. Par conséquent, ils n’ont pas été exclus du régime de protection des réfugiés pour ce motif.

[41]  Deuxièmement, le commissaire de la SAR n’a pas pu conclure que Mme Xu et son fils avaient déjà bénéficié d’un tel statut même si Mme Xu (à tout le moins) avait manifestement le droit de résider au Guyana lorsqu’elle se trouvait dans ce pays.

[42]  Troisièmement, quoi qu’il en soit, ils avaient accès à un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du Guyana – en particulier lorsque Mme Xu a vécu là‑bas avec M. Yang entre décembre 2010 et juin 2014. S’appuyant sur le témoignage fourni par Mme Xu devant la SPR, le commissaire de la SAR a conclu « qu’elle savait qu’elle pouvait demander un statut au Guyana, mais qu’elle n’avait fait aucune tentative pour officialiser son statut » et qu’elle n’avait pas « sans raison valable » préservé son droit de retourner au Guyana. Le commissaire de la SAR a donc conclu que Mme Xu et son fils n’avaient pas qualité de réfugié au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

[43]  Dans l’appel qu’ils ont interjeté devant la SAR, les demandeurs ont contesté en particulier la conclusion du commissaire de la SPR que la citoyenneté guyanaise relevait [traduction] « du contrôle » de Mme Xu et de son fils (il s’agissait du critère appliqué par le commissaire de la SPR). Fait intéressant, il est une jurisprudence canadienne – qui porte expressément sur le Guyana – selon laquelle la possibilité d’obtenir la citoyenneté guyanaise est « hors du contrôle » de l’épouse d’un citoyen guyanais, car la décision de l’accorder ou non relève du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 583, au paragraphe 21). La preuve dont disposait la SAR indique que tel était encore le cas, mais le commissaire n’a pas examiné l’argument des demandeurs.

[44]  Il n’est pas nécessaire que je décide dans quelle mesure cette décision, qui porte sur l’alinéa 96a) de la LIPR, s’accorde avec le critère Zeng, si tel est le cas. À mon avis, le point déterminant en l’espèce est que le commissaire de la SAR n’a pas examiné sérieusement l’explication donnée par Mme Xu quant à savoir pourquoi elle n’avait pas tenté d’obtenir un statut au Guyana (que ce soit en présentant une demande de citoyenneté ou à tout le moins en essayant de préserver ses droits à titre de résidente temporaire) avant de demander la protection du Canada. Mme Xu a quitté le Guyana parce qu’elle avait été victime de deux vols à main armée avec violence au cours des six mois précédents. Elle craignait que cela se reproduise. Ni le commissaire de la SPR ni celui de la SAR n’ont mis en doute le récit qu’elle a fait de ces événements. Même en admettant que ces expériences ne suffisaient pas pour établir les allégations fondées sur les articles 96 ou 97 de la LIPR, comme l’ont conclu la SPR et la SAR, cela ne veut pas dire qu’elles ne pouvaient pas constituer pour Mme Xu une très bonne raison de ne pas vouloir « officialiser » son statut au Guyana (ou y faire venir son fils). Selon l’arrêt Zeng, l’explication fournie par Mme Xu concernant la perte de son statut au Guyana devait être prise en considération, ce que n’a toutefois jamais fait le commissaire. C’est pourquoi sa conclusion selon laquelle Mme Xu n’a pas qualité de réfugié au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité.

C.  La SAR a‑t‑elle privé les demandeurs de l’équité procédurale en se prononçant sur la question de la protection de l’État en leur défaveur sans d’abord les aviser que cette question entrait en jeu et sans leur donner la possibilité de s’exprimer sur le sujet?

[45]  En appel devant la SAR, les demandeurs ont contesté les conclusions de la SPR, à savoir que le risque auquel ils étaient exposés au Guyana n’avait aucun lien avec un des motifs de la Convention, contrairement à ce qu’exige l’article 96 de la LIPR, et par ailleurs que ce risque n’était pas personnel, contrairement à ce qu’exige l’article 97. La SAR a confirmé ces conclusions. Or, pour ce faire, elle s’est appuyée sur les éléments de preuve au dossier qui portaient sur les efforts déployés par les autorités du Guyana pour protéger les ressortissants chinois de ce pays, et elle a tiré des conclusions précises sur la protection de l’État. Les demandeurs font valoir qu’elle a ainsi manqué à son obligation d’équité procédurale étant donné qu’ils n’avaient pas été avisés que cette question entrait en jeu et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations sur le sujet. Je suis d’accord avec eux.

[46]  Comme je l’ai déjà indiqué, l’équité procédurale oblige la SAR, avant qu’elle ne confirme la décision de la SPR sur un nouveau fondement, d’informer la ou les parties à l’appel que la question entre en jeu et de leur donner l’occasion de présenter des observations sur le sujet. Ni ce principe ni même le critère relatif au « caractère nouveau » ne semble susciter de désaccord dans la jurisprudence – c’est‑à‑dire que la question ne peut raisonnablement être considérée comme découlant des questions en litige telles que les parties les ont formulées. En fait, l’application de ce principe ne pose problème que dans certains cas.

[47]  Je conclus que la question de la protection de l’État est nouvelle au sens requis en l’espèce. Il est vrai qu’un demandeur d’asile peut toujours être appelé à réfuter la présomption de protection de l’État au moment de présenter sa preuve. Après tout, les personnes persécutées sont tenues de s’adresser à leur pays pour obtenir une protection avant que la responsabilité d’autres pays ne soit engagée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 709 [Ward]). Aussi, l’incapacité de leur pays à les protéger « est un élément crucial lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée » (Ward, à la page 722). Et comme le souligne le défendeur, les formulaires « Fondement de la demande d’asile » (y compris l’exposé circonstancié) des demandeurs font à tout le moins allusion au caractère prétendument inadéquat de la protection de l’État au Guyana. Cependant, il semble que, en l’espèce, la protection de l’État n’ait pas été considérée comme une question importante lors de l’audience devant la SPR; c’est pourquoi les observations écrites que les demandeurs ont présentées à cette dernière n’en parlent pas, et le commissaire n’a tiré aucune conclusion en la matière. Comme elle n’a tiré sur cette question aucune conclusion susceptible de constituer un motif d’appel devant la SAR, l’appel des demandeurs a naturellement, voire nécessairement, porté sur d’autres questions. En particulier, s’agissant de l’article 96, la question tenait à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existait aucun lien avec un des motifs de la Convention. La question de savoir si la crainte subjective des demandeurs était fondée en ce sens qu’elle mettait en jeu la question de la protection de l’État n’a jamais été abordée par la SPR. À mon avis, la question de la protection de l’État ne peut pas raisonnablement être considérée comme découlant des questions en litige telles que les demandeurs les ont formulées dans l’appel qu’ils ont interjeté devant la SAR et ils n’avaient aucune raison de penser qu’elle le serait. Par conséquent, ils avaient le droit d’être avisés qu’il serait question de la protection de l’État devant la SAR et ils auraient dû avoir l’occasion de présenter des observations sur cette question avant que l’appel ne soit tranché.

[48]  Le défendeur fait valoir que, même ainsi, la question de la protection de l’État est dépourvue de pertinence en l’espèce, parce qu’elle ne constitue qu’un autre motif justifiant de confirmer la décision de la SPR de rejeter les demandes d’asile. En particulier, la SAR aurait pu confirmer les conclusions d’absence de lien et de risque personnel sans même considérer la question de la protection de l’État. En fait, certains des motifs pour lesquels la SAR a confirmé les conclusions de la SPR n’ont absolument rien à voir avec la protection de l’État et ne sont entachés d’aucune autre erreur susceptible de contrôle. Selon le défendeur, une issue défavorable aux demandeurs était juridiquement inéluctable (voir Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 243, aux paragraphes 39 et 40, ainsi que les décisions qui y sont citées).

[49]  Après mûre réflexion, je conclus que l’on ne doit pas faire abstraction de l’atteinte à l’équité procédurale au motif que l’issue en l’espèce était juridiquement inéluctable. Je dis cela pour trois raisons principales.

[50]  Premièrement, l’atteinte à l’équité procédurale se rapporte aux allégations avancées par les demandeurs d’asile à l’égard du Guyana. Cependant, d’un point de vue plus général, les demandeurs ont également formulé des allégations concernant la Chine. Celles-ci n’ont jamais été examinées sur le fond (que ce soit par la SPR ou la SAR) du fait de conclusions erronées (de la part de la SPR et de la SAR) portant que Mme Xu n’avait pas qualité de réfugié au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Je ne suis pas en mesure d’affirmer que sa demande d’asile (ou les demandes connexes de son époux et de son fils) est vouée à l’échec dans son intégralité après qu’elle aura fait l’objet d’un examen adéquat.

[51]  Deuxièmement, s’agissant spécifiquement des allégations concernant le Guyana, je ne suis pas convaincu que la question de la protection de l’État puisse être aisément dissociée du reste des motifs du commissaire de la SAR en l’espèce, surtout en ce qui touche sa conclusion au titre de l’article 97 de la LIPR, dont une partie importante est consacrée à la protection de l’État. Le commissaire conclut expressément que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État au Guyana et s’appuie sur cette conclusion. Celle‑ci a été tirée en l’absence complète d’observations des demandeurs sur la question à tous les stades de l’affaire. Même si, comme le soutient le défendeur, une conclusion de risque généralisée est en soi fatale aux demandes d’asile fondées sur l’article 97, ce n’est pas sous cet angle que le commissaire de la SAR a réellement abordé la question. Pour confirmer l’issue sur la base du raisonnement avancé par le défendeur, il faudrait totalement récrire les motifs du commissaire, ce qui excède la portée que le contrôle judiciaire peut avoir dans les circonstances de l’espèce (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54).

[52]  Troisièmement, bien que la protection de l’État occupe moins de place dans l’analyse du commissaire au titre de l’article 96 de la LIPR, elle est néanmoins importante et elle s’attache directement à la question du lien avec un des motifs de la Convention. L’un des principaux motifs pour lesquels le commissaire a confirmé la conclusion d’absence de lien était que la valeur probante des renseignements que les demandeurs avaient tirés de deux rapports pour démontrer que les personnes d’origine ethnique chinoise sont persécutées au Guyana était atténuée parce qu’ils avaient pris ces renseignements « hors de leur contexte ». Cependant, le contexte apparemment manquant évoqué par le commissaire renvoyait à d’autres renseignements contenus dans les rapports en question sur les efforts déployés par les autorités du Guyana pour offrir une assistance et une protection additionnelles aux personnes d’origine ethnique chinoise à la suite de l’augmentation (alors) récente du nombre d’attaques dont elles étaient victimes. Le commissaire de la SPR ne s’est aucunement appuyé sur ces renseignements. Les demandeurs n’avaient aucune raison de croire qu’ils devaient défendre leur pertinence en appel avant que les motifs du commissaire de la SAR ne leur soient communiqués. À ce moment, bien sûr, il était trop tard.

[53]  Comme la question de la protection de l’État n’a pas été soulevée précédemment, et comme elle ne découlait pas raisonnablement des questions soulevées en appel qu’ils avaient formulées, les demandeurs ne pouvaient savoir qu’elle entrerait en jeu et qu’elle serait tranchée par la SAR. Ils auraient dû avoir l’opportunité de présenter des observations sur cette question avant que l’appel ne soit tranché. Comme ils n’ont pas p0u le faire, il y a eu manquement à l’équité procédurale.

VII.  CONCLUSION

[54]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR en date du 29 janvier 2018 est accueillie, la décision est infirmée et l’affaire renvoyée pour nouvel examen à un autre décideur.

[55]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑777‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés, en date du 29 janvier 2018, est infirmée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre décideur.

  3. Aucune question de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juin 2019.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑777‑18

 

INTITULÉ :

FENGLING XU ET COLL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Georgina Murphy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Hilary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman and Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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