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Date : 20190509


Dossier : T-2129-18

Référence : 2019 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RONALD ANDREW MORIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur a interjeté appel relativement au résultat de l’élection pour les postes de chef et de conseillers de la Nation crie d’Enoch [la Nation d’Enoch] qui s’est tenue le 25 juillet 2017. L’appel était régi par la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 [la Loi sur les Indiens, ou la Loi]. Conformément à la recommandation de la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [la ministre] et à l’alinéa 79b) de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 2018-1489 [le Décret], daté du 29 novembre 2018, qui a rejeté l’élection de Kelly Morin au poste de conseiller le 25 juillet 2017. N’eût été d’une erreur dans la compilation des votes, le demandeur aurait été déclaré élu au dixième et dernier poste de conseiller, plutôt que Kelly Morin. Le demandeur a été informé de cette erreur par M. Yves Denoncourt, directeur par intérim de la Direction des opérations de la gouvernance, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada [le directeur], dans une lettre datée du 5 décembre 2018. La lettre indiquait également que ni la ministre ni la Nation d’Enoch n’ont le pouvoir de déclarer le demandeur élu au poste de conseiller. Le demandeur allègue que la ministre, s’appuyant sur l’absence de pouvoir, a commis une erreur en omettant de le déclarer élu ou de lui permettre d’être déclaré élu.

Contexte factuel

[2]  Les faits ne sont pas contestés dans la présente affaire.

[3]  La Nation d’Enoch n’a pas adopté de code électoral coutumier. En l’absence d’un tel code, la Loi sur les Indiens et le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952 [le Règlement sur les EBI] régissent l’élection de son chef et de ses conseillers.

[4]  Le demandeur est un membre de la Nation d’Enoch et, lors d’une élection tenue le 25 juillet 2017 afin d’élire le chef et les conseillers, il s’est présenté pour être élu à titre de conseiller de son conseil de bande. Soixante-cinq candidats se sont présentés pour pourvoir les dix postes de conseiller. Lorsque le vote a été complété, le décompte officiel du président d’élection a indiqué que Kelly Morin avait obtenu 259 votes, et le président d’élection l’a par conséquent déclaré élu au dixième et dernier poste de conseiller. Selon le décompte officiel du président d’élection, le demandeur avait obtenu 252 votes, ce qui le plaçait en onzième position.

[5]  Le 10 août 2017, le demandeur a interjeté appel de l’élection, soulevant diverses préoccupations et demandant un nouveau dépouillement des suffrages exprimés. Le 19 octobre 2017, un nouveau dépouillement des bulletins de vote pour les trois derniers postes de conseiller a été effectué. Ce nouveau dépouillement a permis de conclure que, en raison d’une erreur de compilation des bulletins de vote, le demandeur n’avait pas été déclaré candidat élu pour le dixième poste de conseiller. Le demandeur et la Nation d’Enoch n’ont été informés des résultats du nouveau dépouillement que plus d’un an plus tard.

[6]  Le décret du 29 novembre 2018 indique que, conformément au paragraphe 12(1) du Règlement sur les EBI, l’élection de la Nation d’Enoch avait été portée en appel et que la ministre avait signalé que, à la suite d’un nouveau dépouillement des bulletins de vote, il avait été conclu que Kelly Morin, ayant été déclaré élu à un poste de conseiller par le président d’élection, n’avait pas obtenu un nombre suffisant de votes pour être ainsi déclaré élu. La ministre a également déclaré, en se fondant sur cette conclusion et conformément à l’alinéa 14b) du Règlement sur les EBI, qu’elle était convaincue qu’il y avait eu une violation du Règlement sur les EBI qui pouvait avoir influé sur le résultat de l’élection. Par conséquent, sur la recommandation de la ministre et en vertu de l’alinéa 79b) de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a rejeté l’élection de Kelly Morin au poste de conseiller au conseil de la Nation d’Enoch tenue le 25 juillet 2017.

[7]  Dans une lettre datée du 5 décembre 2018, le directeur a informé le demandeur qu’il y avait eu une erreur dans le dépouillement des votes et qu’un décret avait été pris. De plus, le nouveau dépouillement a révélé que Kelly Morin, qui avait été déclaré élu par le président d’élection à un poste de conseiller, n’avait obtenu que 245 votes, ce qui constituait le onzième plus haut total de votes exprimés pour un candidat. Le demandeur a obtenu 254 votes, soit le dixième plus haut total de votes exprimés. Un relevé de scrutin corrigé était joint. La lettre indique ensuite ce qui suit :

[traduction]

S’il n’y avait pas eu d’erreurs dans la compilation des votes, M. Morin [le demandeur] aurait été déclaré élu au 10e et dernier poste de conseiller, et Kelly Morin n’aurait pas été élu.

Par conséquent, par le décret C.P. 2018-1489 daté du 29 novembre 2018, et conformément à l’alinéa 79b) de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a rejeté l’élection de Kelly Morin à un poste de conseiller au Conseil de la Nation crie d’Enoch tenue le 25 juillet 2017. Toutefois, ni la ministre ni la Première Nation n’ont le pouvoir de déclarer Ronald A. Morin élu à un poste de conseiller. M. Morin devra se présenter en tant que candidat lors d’une future élection partielle qui pourrait être tenue pour pourvoir le poste de conseiller vacant.

Comme le rejet de l’élection à un poste de conseiller, se traduisant par un poste vacant, n’a pas d’incidence sur la capacité du Conseil d’atteindre le quorum, le Conseil demeure fonctionnel et il peut décider s’il y a lieu ou non de tenir une élection partielle pour pourvoir le poste de conseiller vacant.

(Souligné dans l’original)

[8]  Le conseil de bande de la Nation d’Enoch n’a pas tenu d’élection spéciale par la suite.

[9]  Le mandat actuel du chef et des conseillers de la Nation d’Enoch expirera le 31 juillet 2019 et, en date du 28 janvier 2019, aucune date n’avait été fixée pour la prochaine élection.

Décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Dans son avis de demande, le demandeur déclare ce qui suit :

[traduction]

[…] demande le contrôle judiciaire d’une décision du gouverneur en conseil représentant la ministre de Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada, datée du 5 décembre 2018, [la décision portant le numéro de dossier E428‑440] concernant l’appel à l’égard de l’élection de la Nation crie d’Enoch tenue le 25 juillet 2017, dans la mesure où la décision déclare que ni la ministre ni la Nation crie d’Enoch ne peuvent déclarer Ronald Andrew Morin conseiller, même s’il a été confirmé par un nouveau dépouillement des votes que le demandeur détenait suffisamment de votes pour être élu au conseil.

[11]  La décision du 5 décembre 2017 à laquelle le demandeur fait référence est en fait la lettre du directeur portant la même date, et dont le numéro de référence est E4218-2/440. Dans ses observations, le demandeur attribue la lettre du directeur au gouverneur en conseil ou à la ministre, en particulier en ce qui concerne la déclaration du directeur indiquant que ni la ministre ni le conseil de bande de la Nation crie d’Enoch n’ont le pouvoir de le déclarer élu à un poste de conseiller. Le défendeur convient que les motifs de la décision du gouverneur en conseil, représenté par la ministre, sont ceux du directeur et font l’objet du présent contrôle judiciaire.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5

74 (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

74 (1) Whenever he deems it advisable for the good government of a band, the Minister may declare by order that after a day to be named therein the council of the band, consisting of a chief and councillors, shall be selected by elections to be held in accordance with this Act.

[…]

(3) Pour l’application du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements prévoyant :

(3) The Governor in Council may, for the purposes of giving effect to subsection (1), make orders or regulations to provide

a) que le chef d’une bande doit être élu :

(a) that the chief of a band shall be elected by

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,

(i) a majority of the votes of the electors of the band, or

(ii) soit à la majorité des votes des conseillers élus de la bande désignant un d’entre eux,

(ii) a majority of the votes of the elected councillors of the band from among themselves,

le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller;

but the chief so elected shall remain a councillor; and

b) que les conseillers d’une bande doivent être élus :

(b) that the councillors of a band shall be elected by

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,

(i) a majority of the votes of the electors of the band, or

(ii) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande demeurant dans la section électorale que le candidat habite et qu’il projette de représenter au conseil de la bande.

(ii) a majority of the votes of the electors of the band in the electoral section in which the candidate resides and that he proposes to represent on the council of the band.

[…]

75 (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

75 (1) No person other than an elector who resides in an electoral section may be nominated for the office of councillor to represent that section on the council of the band.

(2) Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d’une bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées.

(2) No person may be a candidate for election as chief or councillor of a band unless his nomination is moved and seconded by persons who are themselves eligible to be nominated.

[…]

78 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les chef et conseillers d’une bande occupent leur poste pendant deux années.

78 (1) Subject to this section, the chief and councillors of a band hold office for two years.

(2) Le poste de chef ou de conseiller d’une bande devient vacant dans les cas suivants :

(2) The office of chief or councillor of a band becomes vacant when

a) le titulaire, selon le cas :

(a) the person who holds that office

(i) est déclaré coupable d’un acte criminel,

(i) is convicted of an indictable offence,

(ii) meurt ou démissionne,

(ii) dies or resigns his office, or

(iii) est ou devient inhabile à détenir le poste aux termes de la présente loi;

(iii) is or becomes ineligible to hold office by virtue of this Act; or

b) le ministre déclare qu’à son avis le titulaire, selon le cas :

(b) the Minister declares that in his opinion the person who holds that office

(i) est inapte à demeurer en fonctions parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction,

(i) is unfit to continue in office by reason of his having been convicted of an offence,

(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil trois fois consécutives,

(ii) has been absent from three consecutive meetings of the council without being authorized to do so, or

(iii) à l’occasion d’une élection, s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots-de-vin.

(iii) was guilty, in connection with an election, of corrupt practice, accepting a bribe, dishonesty or malfeasance.

(3) Le ministre peut déclarer un individu, qui cesse d’occuper ses fonctions en raison du sous-alinéa (2)b)(iii), inhabile à être candidat au poste de chef ou de conseiller d’une bande durant une période maximale de six ans.

(3) The Minister may declare a person who ceases to hold office by virtue of subparagraph (2)(b)(iii) to be ineligible to be a candidate for chief or councillor of a band for a period not exceeding six years.

(4) Lorsque le poste de chef ou de conseiller devient vacant plus de trois mois avant la date de la tenue ordinaire de nouvelles élections, une élection spéciale peut avoir lieu en conformité avec la présente loi afin de remplir cette vacance.

(4) Where the office of chief or councillor of a band becomes vacant more than three months before the date when another election would ordinarily be held, a special election may be held in accordance with this Act to fill the vacancy.

79 Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :

79 The Governor in Council may set aside the election of a chief or councillor of a band on the report of the Minister that he is satisfied that

a) qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard de cette élection;

(a) there was corrupt practice in connection with the election;

b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;

(b) there was a contravention of this Act that might have affected the result of the election; or

c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.

(c) a person nominated to be a candidate in the election was ineligible to be a candidate.

Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952

8 (1) Immédiatement après le dépouillement du scrutin, le président d’élection déclare publiquement comme étant élus les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix.

8 (1) Immediately after the completion of the counting of the votes, the electoral officer shall publicly declare to be elected the candidate or candidates having the highest number of votes.

[…]

11.1 (1) Le présent article s’applique aux élections tenues lorsque le conseil de bande n’atteint plus le quorum parce qu’un poste de chef ou de conseiller est devenu vacant en application du paragraphe 78(2) de la Loi ou parce que l’élection du chef ou d’un conseiller est rejetée en vertu de l’article 79 de la Loi.

11.1 (1) This section applies to an election where, as a result of the office of chief or a councillor becoming vacant under subsection 78(2) of the Act or the election of a chief or councillor being set aside under section 79 of the Act, it is no longer possible for the council of a band to form a quorum.

(2) Une élection accélérée doit être tenue conformément aux articles 4 à 11 pour élire le chef d’une bande dont la réserve est divisée en plus d’une section électorale ou le chef ou un conseiller de toute autre bande, compte tenu des adaptations suivantes :

(2) An accelerated election shall be held in accordance with sections 4 to 11 for the election of chief of a band whose reserve consists of more than one electoral section, or for the election of chief or councillor of any other band, subject to the following changes:

[…]

12 (1) Si, dans les quarante-cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :

12 (1) Within 45 days after an election, a candidate or elector who believes that

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection,

(a) there was corrupt practice in connection with the election,

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

(b) there was a violation of the Act or these Regulations that might have affected the result of the election, or

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible,

(c) a person nominated to be a candidate in the election was ineligible to be a candidate,

il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

may lodge an appeal by forwarding by registered mail to the Assistant Deputy Minister particulars thereof duly verified by affidavit.

(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous‑ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.

(2) Where an appeal is lodged under subsection (1), the Assistant Deputy Minister shall forward, by registered mail, a copy of the appeal and all supporting documents to the electoral officer and to each candidate in the electoral section in respect of which the appeal was lodged.

(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

(3) Any candidate may, within 14 days of the receipt of the copy of the appeal, forward to the Assistant Deputy Minister by registered mail a written answer to the particulars set out in the appeal together with any supporting documents relating thereto duly verified by affidavit.

(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.

(4) All particulars and documents filed in accordance with the provisions of this section shall constitute and form the record.

13 (1) Le Ministre peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

13 (1) The Minister may, if the material that has been filed is not adequate for deciding the validity of the election complained of, conduct such further investigation into the matter as he deems necessary, in such manner as he deems expedient.

(2) Cette enquête peut être tenue par le Ministre ou par toute personne qu’il désigne à cette fin.

(2) Such investigation may be held by the Minister or by any person designated by the Minister for the purpose.

(3) Lorsque le Ministre désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du Ministre.

(3) Where the Minister designates a person to hold such an investigation, that person shall submit a detailed report of the investigation to the Minister for his consideration.

14 Le Ministre fait rapport au gouverneur en conseil lorsqu’il est convaincu :

14 The Minister shall report to the Governor in Council when the Minister is satisfied that

a) soit qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard d’une élection;

(a) there was corrupt practice in connection with an election;

b) soit qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement pouvant influer sur le résultat d’une élection;

(b) there was a contravention of the Act or these Regulations that might have affected the result of an election; or

c) soit qu’une personne présentée comme candidat à une élection ne possédait pas les qualités requises pour être admissible à la candidature.

(c) a person nominated to be a candidate in an election was ineligible to be a candidate.

Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Dans ses observations, le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. Au moment de prendre sa décision, la ministre a-t-elle commis une erreur dans le choix de la procédure et dans l’application de la loi?

  2. La décision de la ministre était-elle inéquitable ou déraisonnable sur le plan de la procédure?

  3. Le conseil de bande d’Enoch devrait-il avoir le droit de déclarer le demandeur conseiller?

[13]  Le défendeur formule les questions en litige de la façon suivante :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les questions a) de compétence législative et b) d’équité procédurale?

  2. La ministre possède-t-elle la compétence législative de nommer le demandeur à un poste de conseiller au conseil de la Nation d’Enoch?

  3. Le conseil de bande d’Enoch a-t-il la compétence législative de nommer le demandeur à un poste de conseiller?

  4. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit-il la réparation sollicitée par le demandeur?

  5. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur en raison a) du temps qu’il a fallu pour que la décision soit prise et b) de la rigueur des motifs de la décision?

[14]  À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

Question 1 : La ministre a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’a pas le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu à un poste de conseiller?

Question 2 : La ministre a-t-elle commis une erreur en concluant que le conseil de bande d’Enoch n’a pas le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu à un poste de conseiller?

Question 3 : Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

Question 4 : Quels sont les recours dont dispose le demandeur?

[15]  En ce qui concerne la norme de contrôle, le défendeur soutient, selon sa qualification des questions et les paragraphes 30 et 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], que la question de savoir si la ministre ou le conseil de bande d’Enoch a le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu comme conseiller est purement une question de compétence qui commande l’application de la norme de la décision correcte. Je souligne toutefois que, dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada précise ce qui suit : « La “compétence” s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence […] ». De plus, la Cour suprême du Canada a déclaré que les questions de compétence ont une portée restreinte et elle a fait une mise en garde selon laquelle, en cas de doute, les juges siégeant en révision doivent se garder de qualifier un point de question de compétence (Dunsmuir, au paragraphe 59) et, plus récemment, qu’ « [e]n réalité, la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence est maintenue en vie artificiellement depuis l’arrêt Alberta Teachers. Jamais les juges majoritaires de la Cour n’ont reconnu un seul exemple de question de ce type, et son existence même est mise en doute depuis longtemps » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 41, voir également les paragraphes 34 à 41).

[16]  Dans la présente affaire, la ministre instruisait l’appel à l’égard de l’élection en question. La ministre devait décider s’il y avait eu une violation de la Loi sur les Indiens ou du Règlement sur les EBI qui aurait pu avoir une incidence sur le résultat de cette élection (alinéa 14b), Règlement sur les EBI). La ministre a conclu qu’il y avait eu violation et en a fait rapport au gouverneur en conseil, qui a par la suite rejeté l’élection de Kelly Morin en se fondant sur la conclusion et la recommandation de la ministre (alinéa 79b), Loi sur les Indiens). Le pouvoir de la ministre de prendre cette décision n’est pas en cause. Ce qui est en cause, c’est de savoir si, après avoir pris cette décision, la ministre et le conseil de bande d’Enoch possédaient une compétence plus étendue en vertu de laquelle ils auraient pu déclarer le demandeur élu, comme le directeur l’a indiqué dans ses motifs.

[17]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la conclusion de la ministre selon laquelle ni elle ni le conseil de bande d’Enoch ne possèdent le pouvoir de déclarer le demandeur élu à un poste de conseiller au motif qu’une interprétation raisonnable des dispositions de la Loi sur les Indiens n’appuie pas cette conclusion.

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir, lorsqu’elle a discuté de la détermination de la norme de contrôle applicable, la Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit : « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (paragraphe 54). La norme de la décision raisonnable a également été considérée comme la norme de contrôle présumée applicable quant aux interprétations ministérielles de leur loi constitutive (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 49 et 50; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85, au paragraphe 40; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34).

[19]  En examinant la question de la norme de contrôle applicable au regard des paragraphes 51 à 65 de l’arrêt Dunsmuir, et les circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse purement d’une question de compétence, comme le soutient le défendeur. Il s’agit plutôt de l’interprétation législative effectuée par la ministre au sujet d’une loi qu’elle connaît particulièrement bien. Par conséquent, à mon avis, la norme de contrôle qui s’applique aux questions 1 et 2 est celle de la décision raisonnable. Cela dit, le fait que la norme soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable n’a pas un effet déterminant sur l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

[20]  Concernant la troisième question, la norme de contrôle applicable relativement aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 43, 59 et 61). Et, comme l’a récemment souligné le juge Rennie de la Cour d’appel fédérale « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54 [Canadien Pacifique]).

Question 1 : La ministre a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’a pas le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu à un poste de conseiller au sein du conseil de bande d’Enoch?

[21]  Il n’est pas contesté que le demandeur avait suffisamment de votes pour être élu conseiller et que cela aurait dû être le résultat, et aurait été le résultat, n’eût été d’une erreur de dépouillement des votes. Le demandeur soutient que par conséquent, il devrait être déclaré conseiller élu.

[22]  Il soutient que la conclusion selon laquelle la ministre n’a pas le pouvoir de déclarer que le demandeur a été élu conseiller ne tient pas compte du paragraphe 74(1) et de l’alinéa 74(3)b) de la Loi sur les Indiens, qui permettent au ministre de faire cette déclaration. De plus, le paragraphe 8(1) du Règlement sur les EBI et l’article 23 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 confirment tous deux que les candidats ayant obtenu la majorité des votes obtiendront les postes de conseillers. Étant donné que la ministre a confirmé que le demandeur avait obtenu suffisamment de votes pour être élu et que la Loi sur les Indiens prévoit expressément l’élection de ceux qui obtiennent la majorité des votes, il est raisonnable d’en déduire qu’il devrait être déclaré élu. Le demandeur reconnaît que ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement sur les EBI ne traitent directement de la déclaration proclamant un candidat élu à la suite d’un nouveau dépouillement. Toutefois, il soutient que ce vide juridique ou cette lacune législative a donné lieu à une décision qui compromet le processus démocratique et électoral, à la fois pour le demandeur et pour la Nation d’Enoch. Il souligne que, selon la Loi sur les Indiens, laquelle est rédigée en des termes généraux, la ministre possède un pouvoir général en ce qui concerne les élections au sein des bandes. Il soutient que la ministre devrait interpréter les lois ambiguës au profit des Premières Nations. De plus, la ministre porte atteinte au droit à un pouvoir politique interne de la Nation d’Enoch en refusant de déclarer le demandeur conseiller élu, étant donné que les membres de la bande d’Enoch l’ont élu démocratiquement. Il soutient que de déclarer le demandeur comme étant un conseiller élu est tout simplement la bonne chose à faire.

[23]  À mon avis, le paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, sur lequel s’appuie le demandeur, ne l’aide pas. Il prévoit simplement que le ministre peut déclarer, après une date fixée, que le chef et le conseil doivent être élus au moyen d’élections tenues conformément à la Loi sur les Indiens. Pareillement, le sous-alinéa 74(3)b)(i) prévoit simplement que pour donner effet au paragraphe 74(1), le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou des règlements prévoyant que les conseillers d’une bande sont élus par vote majoritaire. Dans la présente affaire, la réglementation pertinente est le Règlement sur les EBI, dont le paragraphe 8(1) prévoit qu’immédiatement après le dépouillement du scrutin, le président d’élection déclare publiquement comme étant élus les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix.

[24]  Le pouvoir législatif du gouverneur en conseil de rejeter l’élection d’un conseiller découle de l’alinéa 79b) de la Loi sur les Indiens, sur lequel se sont appuyés la ministre et le gouverneur en conseil en l’espèce. Mais l’article 79 ne va pas plus loin. En ce qui concerne la procédure à suivre lorsqu’une élection est rejetée, le paragraphe 11.1(1) du Règlement sur les EBI traite des élections accélérées. Il indique que le processus d’élection accéléré s’applique aux élections tenues lorsque, par suite de la vacance du poste de chef ou de conseiller en application du paragraphe 78(2) de la Loi sur les Indiens, ou du rejet de l’élection d’un chef ou d’un conseiller en vertu de l’article 79, il n’est plus possible pour le conseil d’une bande d’atteindre le quorum. En d’autres termes, il énonce le processus d’élection accélérée à suivre si la vacance d’un poste ou le rejet d’une élection se solde par une impossibilité pour le conseil de bande d’atteindre le quorum, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le paragraphe 78(4) prévoit que lorsqu’un poste devient vacant plus de trois mois avant la date de la tenue ordinaire de nouvelles élections, une élection spéciale peut avoir lieu afin de remplir cette vacance.

[25]  Le défendeur s’appuie sur la décision Lambert c Canada (Attorney General), 2012 FC 832 [la décision Lambert], dont les faits sont analogues à la présente affaire. Dans cette affaire, M. Lambert s’était vu refuser son élection à titre de chef en raison d’une simple erreur de dépouillement, et un candidat ayant obtenu moins de votes avait été déclaré élu. Le gouverneur en conseil a reconnu l’erreur et a rejeté l’élection, mais il n’a pas pris d’autres mesures. M. Lambert a demandé une réparation en vertu de laquelle il serait déclaré chef. Il a fait valoir que le ministre et le gouverneur en conseil auraient dû le déclarer élu au poste de chef ou, subsidiairement, convoquer une élection partielle, tout en assumant les frais de celle-ci.

[26]  M. Lambert a soutenu que le gouverneur en conseil et le ministre n’avaient pas exercé leur pouvoir discrétionnaire en ne le déclarant pas élu au poste de chef ou en ne déclenchant pas une élection partielle et qu’ils avaient entravé de façon déraisonnable l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire à cet égard. Comme en l’espèce, M. Lambert s’est appuyé sur le silence de la Loi sur les Indiens et du Règlement sur les EBI quant à la responsabilité du ministre ou du gouverneur en conseil lorsqu’un nouveau dépouillement est effectué, soutenant que la Loi sur les Indiens doit être interprétée de façon large et libérale et que, ce faisant, le ministre et le gouverneur en conseil avaient le pouvoir de déclarer élue la bonne personne comme chef à la suite du nouveau dépouillement. M. Lambert a fait valoir qu’il était injuste et déraisonnable de la part du ministre de n’avoir rien fait lorsque l’erreur a été constatée. Le juge Mosley a rejeté cet argument et déclaré :

[traduction]

[26]  La Loi sur les Indiens et le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens ne confèrent pas au ministre ou au gouverneur en conseil le pouvoir de déclarer quelqu’un élu au poste de chef après qu’un appel en matière d’élections a été accueilli. L’article 79 de la Loi sur les Indiens prévoit que le gouverneur en conseil ne peut que rejeter les élections, comme il l’a fait. Une interprétation large et libérale de la Loi sur les Indiens ne permet pas à la Cour de donner plus de pouvoirs au ministre ou au gouverneur en conseil, alors que la Loi indique clairement que le législateur n’a pas délégué ce pouvoir à l’un ou l’autre. En déduire le contraire équivaudrait à présumer que le législateur avait l’intention d’accorder au ministre ou au gouverneur en conseil le pouvoir d’imposer un chef à la bande à la suite d’une élection contestée.

[27]  Comme la déclaré le juge suppléant Strayer, dans la décision McIvor c Canada (Procureur général) 2006 CF 1187, au paragraphe 11, « le législateur a doté le gouverneur en conseil d’un pouvoir de surveillance à l’égard de certaines élections de bande. Il ne fait aucun doute que ce pouvoir doit être exercé de façon restreinte ».

[27]  Dans la décision Lambert, le juge Mosley a tiré ces conclusions dans le contexte où la question était de savoir si le ministre avait omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire en ne déclarant pas M. Lambert élu en tant que chef. Néanmoins, les mêmes principes s’appliquent. La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi (Dunsmuir, au paragraphe 28), et la Loi sur les Indiens n’autorise pas le ministre ou le gouverneur en conseil à déclarer élue une personne qui a gain de cause en appel des résultats d’une élection. De plus, dans le contexte de l’interprétation des lois, lorsqu’il y a une lacune dans un régime législatif, les tribunaux sont généralement réticents à faire une interprétation large de la loi pour combler la lacune ou pour remédier à une loi de portée restreinte qui ne s’applique pas aux circonstances devant être couvertes. Cela s’explique par le fait que ce n’est pas le rôle de la Cour de mettre en doute l’intention du législateur ou de modifier la législation (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham (Ont.) : LexisNexis Canada, 2014, aux paragraphes 380 et 381).

[28]  Je conviens avec le demandeur qu’il découle logiquement de la Loi sur les Indiens et du Règlement sur les EBI, sans parler de l’essence même du processus démocratique, que puisqu’il a obtenu la majorité des votes, il devrait être reconnu comme le conseiller élu. À mon avis, une fois que la ministre et le gouverneur en conseil ont constaté l’erreur de dépouillement et y ont donné suite et qu’ils ont reconnu que le demandeur aurait dû être déclaré élu, il s’agissait alors de concrétiser le résultat démocratique correct de cette élection valide. Le problème en l’espèce, c’est que, en l’absence de toute source de droit permettant à la ministre et au gouverneur en conseil d’effectuer la déclaration souhaitée, la Cour a les mains liées. Elle ne peut pas leur ordonner de faire une chose pour laquelle ils n’ont aucun pouvoir législatif.

[29]  Cela dit, et bien que cela n’ait pas été soulevé par le demandeur, je ne sais absolument pas si et pourquoi, dans ces circonstances particulières, une déclaration est nécessaire afin que le demandeur puisse entrer en fonction. Il n’est pas contesté que le demandeur a obtenu la majorité requise des votes, et que s’il n’y avait pas eu d’erreur lors du dépouillement, il aurait été déclaré élu. Nul ne conteste la validité de l’élection elle-même, et l’élection du candidat déclaré comme étant élu par erreur a été rejetée. Par conséquent, il n’est pas question de déplacement d’un membre du conseil, ou d’une élection de façon plus générale étant invalide ou entachée de corruption. L’avocate du défendeur a été dans l’impossibilité de m’indiquer quoi que ce soit dans la Loi sur les Indiens qui exigeait une déclaration dans ces circonstances.

[30]  En ce qui a trait à la même question, le décret ne fait que rejeter l’élection de Kelly Morin. Or, dans les faits, la ministre voit également en cela des résultats de l’élection du 25 juillet 2017 invalides ou sans effet concernant le demandeur, bien que ces résultats aient été confirmés lors du nouveau dépouillement, en raison de l’absence de pouvoir législatif pour le déclarer élu. Compte tenu de cela, la ministre a également conclu que le seul recours du demandeur était de se présenter en tant que candidat lors d’une élection partielle future qui pourrait être tenue pour pourvoir le poste vacant.

[31]  Toutefois, ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement sur les EBI ne prévoient qu’une déclaration est requise à la suite d’un nouveau dépouillement et du rejet subséquent de l’élection d’une personne à un poste, ou que se présenter à une élection spéciale facultative est le seul recours dans de telles circonstances. De plus, il peut très bien y avoir une distinction entre, d’une part, un poste qui devient vacant (paragraphe 78(2) de la Loi sur les Indiens), ce qui pourrait se traduire par le déclenchement d’une élection spéciale (paragraphe 78(4)) et, d’autre part, le rejet de l’élection d’un conseiller (article 79), comme dans la présente affaire. Il est vrai que le régime législatif semble suggérer qu’une élection accélérée ne soit pas nécessaire, à moins que le quorum ne soit perdu en raison du rejet ou de la vacance d’un poste d’élu. De plus, une élection spéciale peut avoir lieu si un poste est vacant. Toutefois, la Loi sur les Indiens ne dit rien sur la tenue d’élections spéciales lors du rejet d’une élection à un poste d’élu.

[32]  La lettre du directeur n’explique pas pourquoi la ministre était d’avis qu’une déclaration était requise à la suite du nouveau dépouillement ou pourquoi, par exemple, le président d’élection n’aurait pas pu simplement faire une déclaration au sujet du résultat de l’élection corrigé. Le directeur n’explique pas non plus pourquoi une élection spéciale était le seul recours dont disposait le demandeur dans ces circonstances. Cela semble reposer sur le point de vue selon lequel une déclaration était nécessaire pour valider son élection et que selon le point de vue du directeur, le poste de conseiller détenu par Kelly Morin était « vacant », et que cela pouvait se traduire par une élection spéciale. À mon avis, on peut se demander si, en fait, son poste est devenu vacant, au sens où ce terme est entendu dans la loi. Et cela n’a guère plus de sens de conclure que le demandeur doit se présenter à une élection facultative entièrement nouvelle pour pourvoir le poste pour lequel il a déjà été élu.

[33]  Toutefois, comme le demandeur n’a soulevé ni la question de la nécessité d’une déclaration suivant le nouveau dépouillement et le rejet de l’élection d’une personne à un poste, ni la distinction entre cette circonstance et la vacance d’un poste, je ne tirerai aucune conclusion à cet égard. De plus, pour la même raison et dans le contexte du caractère raisonnable de la décision, je ne tire aucune conclusion quant au caractère adéquat des motifs de la ministre pour conclure qu’une déclaration était requise et qu’une élection spéciale facultative était le seul recours possible. Je conviens toutefois avec le défendeur que les motifs étaient suffisants pour affirmer que la loi n’accordait ni à la ministre, ni au conseil de bande d’Enoch le pouvoir précis de déclarer le demandeur élu.

Question 2 : La ministre a-t-elle commis une erreur en concluant que la Nation d’Enoch n’a pas le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu à un poste de conseiller?

[34]  Le demandeur soutient que la Nation d’Enoch conserve son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale prévu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11,) [la Loi constitutionnelle de 1982] et, à ce titre, il a le droit de prendre des décisions en matière électorale. Le chef et les conseillers actuels avaient l’intention de respecter les résultats du dépouillement et la décision de la collectivité d’élire le demandeur au poste de conseiller, mais la ministre a déclaré que cela n’était pas permis et a imposé la condition irréaliste et coûteuse de procéder à une élection partielle. La décision de ne pas faire la déclaration porte atteinte au droit protégé de la Nation d’Enoch à la gouvernance. Le demandeur soutient que la Nation d’Enoch ne devrait pas être limitée dans sa capacité de déclarer le demandeur conseiller.

[35]  Pour sa part, le défendeur affirme que tout comme la ministre, le conseil de bande d’Enoch ne possède pas le pouvoir législatif d’effectuer la déclaration demandée. Les Premières Nations sont libres d’adopter un code électoral coutumier qui pourrait prévoir une réparation comme celle recherchée par le demandeur, si la Première Nation le désirait. Toutefois, la Nation d’Enoch n’a pas adopté un code électoral coutumier, et l’élection était donc régie par la Loi sur les Indiens, qui ne contient aucune disposition accordant au conseil de bande le pouvoir de déclarer le demandeur conseiller. Le défendeur souligne que, en vertu du paragraphe 78(4), il était loisible au conseil de bande d’Enoch de demander une élection spéciale pour combler le poste vacant créé par la déclaration de rejet de l’élection de Kelly Morin à titre de conseiller, mais il a choisi de ne pas le faire. Et bien que la ministre ait eu le pouvoir discrétionnaire de déclencher une élection spéciale, il importe de trouver un juste équilibre avec le droit inhérent de la Nation d’Enoch à l’autonomie gouvernementale. Par ailleurs, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités existants des peuples autochtones du Canada. Le Canada respecte les droits de la Nation d’Enoch et du demandeur garantis par l’article 35, et il appuie le droit inhérent de la Nation d’Enoch à l’autonomie gouvernementale. Toutefois, dans la mesure où le demandeur s’appuie sur tout droit collectif détenu par la Nation d’Enoch en vertu de l’article 35, la présente demande de contrôle judiciaire a été présentée par un membre individuel de la Première Nation d’Enoch et non par la Première Nation d’Enoch. Une partie importante n’est donc pas devant la Cour pour faire valoir ce point et, par conséquent, la question ne devrait pas être tranchée dans le contexte de cette demande limitée.

[36]  À mon avis, la conclusion de la ministre selon laquelle le conseil de bande d’Enoch n’a pas le pouvoir de déclarer que le demandeur est un conseiller élu ne constituait pas une erreur en l’absence d’une disposition législative lui accordant ce pouvoir. Quant à l’argument du défendeur selon lequel, en adoptant un code électoral coutumier, la Nation d’Enoch pourrait mettre en place le processus électoral de son choix qui pourrait couvrir des situations comme celle-ci, bien que cela puisse être vrai, cela ne constitue pas à mon avis une réponse à la question, qui repose maintenant sur les dispositions électorales, ou l’absence de dispositions, contenues dans la Loi sur les Indiens.

[37]  En ce qui concerne les observations du demandeur concernant le droit de la Nation d’Enoch à l’autonomie gouvernementale, les droits ancestraux et issus de traités sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, la Nation d’Enoch n’est pas partie à la présente demande de contrôle judiciaire. Son point de vue sur l’incidence de la décision sur son droit à l’autonomie gouvernementale est inconnu. Et quoi qu’il en soit, les questions de violation des droits ne sont généralement pas traitées au moyen d’un contrôle judiciaire (Kitkatla Band c. Canada (Ministre des pêches et des océans), (2000), 181 FTR 172 (1re inst.), au paragraphe 19; Première Nation Prophet River c Canada (Procureur général), 2015 CAF 15, aux paragraphes 79 et 80). Par conséquent, je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel il ne s’agit pas d’un recours approprié pour déterminer les droits garantis par l’article 35.

Question 3 : Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[38]  Le demandeur soutient que la Nation d’Enoch et lui n’ont pas bénéficié du niveau d’équité procédurale auquel ils avaient droit en appliquant les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker].

[39]  Il soutient qu’il y a eu un long délai de quatorze mois entre le nouveau dépouillement et le moment où le demandeur et le conseil de bande d’Enoch ont été avisés de l’erreur de comptage lors du dépouillement, du décret qui en a résulté et qui a invalidé l’élection de Kelly Morin, et de la confirmation par la ministre que le demandeur avait obtenu la majorité des votes et qu’il aurait été déclaré élu s’il n’y avait pas eu d’erreur de comptage. La ministre savait que pendant cette période, un candidat qui n’avait pas été validement élu occupait le poste de conseiller, mais elle n’a pas avisé le demandeur et la Nation d’Enoch des résultats du nouveau dépouillement. La décision de la ministre était d’une importance considérable puisqu’elle empêchait le demandeur d’agir à titre de conseiller élu, avec une augmentation de salaire correspondante, lui refusant ainsi cette possibilité et refusant à la Nation d’Enoch de bénéficier de ses services. La décision a également porté atteinte au processus démocratique ainsi qu’au droit inhérent et fondamental de la Nation d’Enoch à l’autonomie gouvernementale.

[40]  De plus, le demandeur soutient que la ministre n’a pas fourni de motifs à l’appui de l’allégation déraisonnable et erronée selon laquelle la ministre et le conseil de bande d’Enoch n’ont pas le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu.

[41]  Le demandeur soutient également qu’il avait demandé que tous les bulletins de vote soient recomptés. Au lieu de cela, et sans explication malgré les demandes en ce sens, la ministre a uniquement recompté les bulletins de vote pour les trois derniers postes de conseiller. Il est donc possible qu’il y ait eu d’autres anomalies et erreurs dans les résultats de l’élection. Dans l’affirmative, une élection partielle aurait pu être une option viable si tous les votes avaient été recomptés en octobre 2017 et si les résultats avaient été fournis en temps opportun.

[42]  Le défendeur reconnaît que le demandeur a droit de bénéficier d’un devoir général d’équité procédurale, mais il affirme que la procédure suivie était équitable à tous égards. Quant à la longueur du délai, ce fait est reconnu, mais le défendeur soutient qu’il n’a pas causé de préjudice au demandeur ni rendu la décision inéquitable (Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, aux paragraphes 101 et 105 [Blencoe]). Il n’y a pas non plus de preuve indiquant que si le décret avait été pris plus tôt, le résultat aurait été différent. Cela s’explique par le fait que la ministre n’aurait toujours pas eu le pouvoir de déclarer le demandeur élu au poste de conseiller et que, même si le conseil de bande d’Enoch avait pu demander plus tôt la tenue d’une élection spéciale, cela n’aurait pas garanti le poste de conseiller au demandeur.

[43]  Tout d’abord, je souligne qu’il n’est pas contesté que le nouveau dépouillement a eu lieu le 19 octobre 2017, et que le demandeur et le conseil de bande d’Enoch n’ont pas été informés des résultats avant de recevoir la lettre du directeur datée du 5 décembre 2018 et reçue le 7 décembre 2018, soit quatorze mois plus tard. Bien que le directeur ait déposé un affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il ne contient aucune mention relative au retard. Il ne reconnaît pas le retard et n’offre aucune explication à cet égard. Lorsqu’elle a comparu devant moi, l’avocate du défendeur a reconnu que le retard n’était pas justifié et qu’il n’aurait pas dû se produire.

[44]  Je souligne également que le demandeur se représente lui-même. Il n’a pas présenté de demande, comme il avait le droit de le faire, pour obtenir le dossier certifié du tribunal. De son propre chef, le défendeur n’a pas non plus fait délivrer le dossier. Par conséquent, il n’y a aucun dossier qui pourrait faire la lumière sur le retard.

[45]  Dans l’affidavit à l’appui qu’il a déposé, le demandeur explique que le coût d’une élection partielle est une dépense importante, soit environ 45 000 $. La prochaine élection devrait avoir lieu le 24 juin 2019. Étant donné le délai de quatorze mois, le coût d’une élection partielle et le fait qu’il restait neuf conseillers, de sorte que la capacité du conseil de fonctionner et d’atteindre le quorum n’était pas compromise lorsque le décret a été reçu en décembre 2018, le conseil de bande d’Enoch a décidé qu’il n’y aurait pas d’élection partielle. Le demandeur affirme que, dans ces circonstances, il n’était tout simplement pas logique de le faire. À mon avis, il s’agissait d’une approche raisonnable et financièrement judicieuse dans les circonstances où se trouvaient la Nation d’Enoch et le demandeur.

[46]  La durée d’occupation des postes est de vingt-quatre mois, comme le prévoit le paragraphe 78(1) de la Loi sur les Indiens. Le nouveau dépouillement a été complété le 19 octobre 2017. Il aurait dû être évident pour la ministre qu’un retard de quatorze mois dans la communication des résultats du nouveau dépouillement aurait vraisemblablement une incidence négative sur le demandeur et la Nation d’Enoch. Premièrement, une personne qui n’avait pas dûment été élue agissait à titre de conseiller et était rémunérée pour le faire. Deuxièmement, le demandeur était privé d’occuper ce poste et ne recevait pas l’indemnisation à laquelle il aurait autrement eu droit. Troisièmement, le processus démocratique a été miné, puisque la Nation d’Enoch a exprimé son choix d’avoir un conseiller de bande élu de façon démocratique et n’a pas été en mesure de pourvoir ce poste. Quatrièmement, si une élection spéciale était nécessaire pour pourvoir le poste, alors un long délai rendait la tenue de cette élection peu probable étant donné le coût et le fait que les mandats électoraux actuels arrivaient à leur terme.

[47]  Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Blencoe pour soutenir que même si le retard était jugé déraisonnable, afin de constituer un manquement à l’équité procédurale, il doit également causer un préjudice important. Dans l’arrêt Blencoe, après avoir conclu que les droits du défendeur garantis par la Charte n’ont pas été violés en raison du retard causé par l’État dans la procédure relative aux droits de la personne intentée contre lui, la Cour suprême du Canada a ensuite examiné si le délai écoulé en l’espèce pourrait constituer un déni de justice naturelle ou un abus de procédure même si le droit du défendeur d’avoir une audience équitable n’était pas compromis et qu’il n’avait pas subi de préjudice sur le plan de la preuve (paragraphes 101 à 104). La Cour était prête à reconnaître qu’un retard peut constituer un abus de procédure si le retard était clairement inacceptable et a directement causé un préjudice important. Pour être jugé inacceptable, le délai doit avoir été déraisonnable ou excessif compte tenu des facteurs contextuels. Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure :

122.   La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

[48]  En l’espèce, le dépouillement lui-même était simple. Il s’agissait de compter une quantité relativement peu élevée de bulletins de vote. Rien ne permet de penser qu’une enquête a été menée en vertu du paragraphe 13(1) du Règlement sur les EBI. Le retard a été causé uniquement par le défendeur qui, contrairement à ce qui a été observé dans l’affaire Lambert, n’offre aucune explication pour justifier pourquoi quatorze mois se sont écoulés entre le moment où les votes ont été à nouveau dépouillés et le moment où le demandeur a été informé de l’erreur de dépouillement. Le défendeur n’offre aucune justification quant au retard et il ne prétend pas que le temps qu’il a fallu pour informer le demandeur des résultats du nouveau dépouillement était conforme à la pratique normale et aux délais habituels. Le retard devrait également être pris en compte dans le contexte de l’objectif du processus d’appel, qui est notamment de s’assurer que les personnes en poste sont celles qui ont été démocratiquement élues, et compte tenu du fait que les résultats de l’élection ne sont valides que pour une période de deux ans et que plus le retard à annoncer les résultats du nouveau dépouillement est long, moins il est probable qu’une élection spéciale soit déclenchée, si c’est effectivement le seul recours dont dispose le demandeur, comme la ministre le soutient.

[49]  Dans ces circonstances, je suis convaincue qu’un délai de quatorze mois pour informer le demandeur qu’il avait obtenu suffisamment de votes et qu’il aurait dû être déclaré élu conseiller était déraisonnable et que le demandeur a subi un préjudice important en raison de ce délai, ce qui s’est traduit par un manquement à l’équité procédurale. Même si, comme l’affirme le défendeur, il n’est pas certain que le demandeur aurait été élu si une élection spéciale avait été déclenchée, le retard dans la publication des résultats du dépouillement a effectivement éliminé la possibilité qu’une élection spéciale soit déclenchée. Le conseil de bande d’Enoch a refusé de le faire et, bien que le défendeur affirme que la ministre avait le pouvoir discrétionnaire de convoquer une élection spéciale, elle n’a pas exercé ce pouvoir discrétionnaire, même si elle était la seule responsable du retard inexpliqué. De plus, le retard a empêché le demandeur de demander un contrôle judiciaire plus tôt.

[50]  Dans ces circonstances, je ne suis pas en mesure de conclure, compte tenu de la nature des droits substantiels du demandeur et des conséquences pour le demandeur découlant du retard, qu’un processus juste et équitable a été suivi (Canadien Pacifique, au paragraphe 54).

Question 4 : Quels sont les recours dont dispose le demandeur?

[51]  Comme je l’ai fait remarquer précédemment, la Loi sur les Indiens ne confère pas au ministre le pouvoir législatif de déclarer le demandeur élu comme conseiller. Par conséquent, la Cour ne peut pas ordonner à la ministre de le faire. Pareillement, elle ne peut pas ordonner à la Nation d’Enoch de déclarer le demandeur élu.

[52]  Toutefois, le demandeur a demandé à la Cour de déclarer qu’il a été élu conseiller de la Nation d’Enoch aux élections du 25 juillet 2017.

[53]  Selon l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, la Cour peut prononcer un jugement déclaratoire.

[54]  Dans l’arrêt Ewert c Canada, 2018 CSC 30, la Cour suprême du Canada a traité des circonstances dans lesquelles un jugement déclaratoire peut être prononcé, en déclarant ce qui suit :

[81]  Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte, mais il peut être obtenu sans cause d’action et prononcé, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée (Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 143; P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 37; L. Sarna, The Law of Declaratory Judgments (4e éd. 2016), p. 88; voir aussi les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 64). Le tribunal peut, à son gré, prononcer un jugement déclaratoire lorsqu’il a compétence pour entendre le litige, lorsque la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et lorsque l’intimé a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité (voir Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, par. 11; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, par. 46; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 830-833).

[55]  La Cour suprême a ajouté qu’un jugement déclaratoire constitue une réparation discrétionnaire. De plus, « [c]omme c’est le cas pour les autres réparations discrétionnaires, le tribunal devrait habituellement refuser de rendre un jugement déclaratoire lorsque la loi prévoit un autre moyen approprié de régler le litige ou de protéger les droits en question » (paragraphe 83). Elle a conclu que, dans l’affaire dont elle était saisie, une procédure de règlement de griefs  prévue par la loi pourrait offrir un autre moyen de contester la conformité de l’organisme de réglementation quant à son obligation et que, dans la plupart des cas, cette procédure constituerait une raison de refuser de prononcer un jugement déclaratoire. Toutefois, dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire dont elle était saisie, un jugement déclaratoire était justifié.

[56]  À mon avis, dans la présente affaire, les critères du jugement déclaratoire sont respectés, et le demandeur ne dispose pas d’un autre mécanisme législatif adéquat.

[57]  Dans le cas présent, selon la ministre, la seule réparation possible pour le demandeur était de se présenter comme candidat si le conseil de bande d’Enoch décidait qu’une élection spéciale devait avoir lieu. Cette élection spéciale se ferait aux frais de la Nation d’Enoch. Cela signifierait également que le demandeur devrait se présenter et gagner à une nouvelle élection, même s’il n’est pas contesté qu’il a été validement élu conseiller à l’élection du 25 juillet 2017. Je tiens également à souligner que la possibilité que le conseil de bande d’Enoch convoque une élection spéciale a été compromise par le délai de quatorze mois qui s’est écoulé avant que la ministre divulgue les résultats du nouveau dépouillement au demandeur et à la Nation d’Enoch, étant donné que le mandat pour une élection est de vingt-quatre mois et que la ministre n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire dont elle disposait pour déclencher une élection spéciale, même si elle était la seule responsable du retard inexpliqué.

[58]  De plus, la possibilité de la tenue d’une élection spéciale ne constitue pas un autre mécanisme législatif adéquat pour protéger les intérêts du demandeur. Selon la ministre, pour que le demandeur occupe le poste auquel il a à juste titre été élu, il doit non seulement être validement élu en obtenant la majorité des votes lors de l’élection de la Nation d’Enoch, ce qu’il a obtenu, mais il doit également être déclaré élu. Étant donné que la ministre n’a pas le pouvoir législatif de faire une telle déclaration et que le conseil de bande d’Enoch ne l’a pas non plus, la seule réparation appropriée dans les circonstances exceptionnelles entourant ce nouveau dépouillement ayant donné gain de cause au demandeur consiste à ce que la Cour prononce le jugement déclaratoire que le demandeur cherche à obtenir.

[59]  Même si j’avais conclu que la décision était déraisonnable en raison de motifs inadéquats expliquant pourquoi une déclaration était requise et pourquoi une élection spéciale était la seule réparation pouvant être accordée, j’aurais tout de même prononcé un jugement déclaratoire. En effet, le retard déraisonnable dans la divulgation des résultats du nouveau dépouillement qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire signifie qu’il ne reste maintenant que moins de deux mois avant la tenue d’une nouvelle élection générale pour élire le chef et les conseillers de la Nation d’Enoch. Par conséquent, il serait très peu probable que le renvoi de l’affaire pour réexamen donne lieu à une nouvelle décision avant la prochaine élection ou puisse entraîner une élection spéciale.


JUGEMENT dans le dossier T-2129-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. Le demandeur, Ronald Andrew Morin, est par les présentes déclaré conseiller élu du conseil de bande de la Première Nation d’Enoch, conformément au nouveau dépouillement des bulletins de vote de l’élection du 25 juillet 2017, comme en fait foi le décret C.P.  2018‑1489, daté du 29 novembre 2018 et pris par le gouverneur en conseil;

  3. Le défendeur n’ayant pas réclamé de dépens, aucuns ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de juillet 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2129-18

 

INTITULÉ :

RONALD ANDREW MORIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Ronald Andrew Morin

 

le demandeur

 

Eve Coppinger

Maria Mendola-Dow

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

 

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