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Date : 20190513


Dossier : T-1095-18

Référence : 2019 CF 662

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

JOSEPH THOMPSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  Le demandeur, Joseph Thompson (« M. Thompson »), souffre d’hypoacousie et d’acouphènes. Il estime que son hypoacousie et ses acouphènes sont liés à ses 32 années de service au sein des Forces armées canadiennes (« FAC ») parce qu’il a été exposé à de bruyants tirs de roquettes, à des explosions et à d’autres bruits intenses. Même s’il n’a reçu son diagnostic qu’une fois à la retraite, il dit avoir vécu des épisodes d’hypoacousie pendant le service. Il n’a pas signalé lesdits épisodes parce que son ouïe revenait toujours.

[2]  M. Thompson a présenté une demande de prestations d’invalidité au ministère des Anciens Combattants en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 (« Loi sur les mesures d’indemnisation »). Sa demande a été rejetée. Il a ensuite interjeté appel devant le comité de révision de l’admissibilité (« comité de révision ») du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (« TACRA ») et son appel a également été rejeté. Le 17 décembre 2013, M. Thompson a interjeté appel devant le comité d’appel de l’admissibilité du TACRA (« comité d’appel »). Le comité d’appel a procédé à un examen de novo et a confirmé la décision du comité de révision, en concluant que M. Thompson n’avait pas réussi à établir que son hypoacousie et ses acouphènes ont été causés par le service militaire. La décision du comité d’appel a été communiquée à M. Thompson le 12 mai 2018, et il a déposé une demande de contrôle judiciaire le 7 juin 2018. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

[3]  M. Thompson a 75 ans. Il a servi dans les FAC pendant 32 ans et a été stationné à un certain nombre d’endroits, notamment : à Shilo, à Gagetown, à Ottawa, au siège des Nations Unies à New York, à Calgary et à Saint-Hubert. Il a commencé son service dans la Force régulière le 25 septembre 1962. Il a aussi servi dans la zone de service spécial, en Syrie, du 20 juillet 1987 au 30 août 1990. Au moment de sa retraite, le 31 décembre 1994, il était major.

[4]  Au cours de ses années de service dans les FAC, M. Thompson a été exposé à des bruits intenses, comme des explosions, le vrombissement des moteurs de camion et de lourds tirs d’artillerie. Au cours de la guerre civile au Liban, il a été exposé au bruit assourdissant de roquettes, d’armes à feu et d’explosions. Il confirme que, pendant ses années de service, il ne portait pas toujours de dispositif de protection antibruit, parce que ses pairs et ses supérieurs désapprouvaient et considéraient qu’il s’agissait d’un signe de faiblesse. En 2013, il a reçu un diagnostic d’hypoacousie et d’acouphènes (bourdonnement dans les oreilles). Il croit que l’exposition au bruit intense pendant son service dans les FAC a causé son problème d’audition.

[5]  Pendant qu’il servait dans les FAC, M. Thompson a subi neuf audiogrammes (« audiogrammes réalisés pendant le service »). Ces audiogrammes, qui ont eu lieu entre le 2 août 1966 et le 23 août 1994, visaient à vérifier l’ouïe dans une gamme de fréquences supérieures à 250 hertz et inférieures à 8000 hertz (« Hz »). Chacun des audiogrammes réalisés pendant le service de M. Thompson montre une certaine perte de décibels (« dB ») au fil du temps (à l’exception d’un rapport qui ne contient pas les enregistrements). Par exemple, l’audiogramme effectué pendant le service de M. Thompson, en date du 12 novembre 1968, révèle une perte auditive à l’oreille gauche de : 15 dB à 500 Hz, 10 dB à 1000 Hz et 5 dB à 2000, 3000, 4000 et 6000 Hz. Aucun des audiogrammes réalisés pendant le service ne fait ressortir une perte auditive de plus de 15 dB.

[6]  La preuve additionnelle de M. Thompson est qu’il a parfois perdu l’ouïe après avoir été exposé à un bruit intense. Il n’en a pas informé les FAC parce que son ouïe finissait par revenir. En 2008, ses symptômes sont devenus constants et il avait des bourdonnements aigus dans les deux oreilles.

[7]  En avril 2013, Judith Heal, docteure en audiologie et audiologiste (« Dre Heal »), a diagnostiqué chez M. Thompson une hypoacousie dans les deux oreilles. Elle a conclu plus précisément qu’il souffre d’une [traduction] « surdité de perception de modérée à modérément grave à l’oreille gauche, et d’une surdité mixte de légère à grave à l’oreille droite » et d’acouphènes. Par conséquent, le 16 avril 2013, M. Thompson a présenté une demande de prestations d’invalidité au ministère des Anciens Combattants en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures d’indemnisation :

Admissibilité

45. (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

Eligibility

45. (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

(a) a service-related injury or disease; or

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

[8]  Le 22 mai 2013, le ministère des Anciens Combattants a rejeté la demande de M. Thompson. Le 13 décembre 2013, M. Thompson a interjeté appel de la décision du ministère des Anciens Combattants au comité de révision. Le 17 décembre 2013, après avoir procédé à un examen de novo, le comité de révision a rejeté son appel.

[9]  L’ouïe de M. Thompson a commencé à se détériorer rapidement. Le 23 décembre 2016, M. Thompson est retourné consulter la Dre Heal pour un troisième examen. Ce troisième examen a révélé qu’il souffrait d’une grave surdité de perception au-delà de 3000 Hz à l’oreille gauche. Il a également révélé une surdité mixte de modérée à grave à l’oreille droite. La Dre Heal s’est dite d’avis que la perte auditive « correspond aux dommages causés par l’exposition au bruit intense ». Son rapport contenait des renseignements sur l’hypoacousie et les acouphènes, dont l’article de Peter M. Rabinowitz intitulé [traduction] « La Perte d’audition due au bruit » et cinq pages d’un livre sur la perte auditive causée par le bruit chez les militaires.

[10]  Sur les conseils des Services juridiques des pensions, M. Thompson a également vu Dr Glenn D. Thornley, docteur en oto-rhino-laryngologie. Le Dr Thornley a examiné M. Thompson et a rendu son rapport le 3 février 2017.

[11]  M. Thompson a interjeté appel de la décision du comité de révision devant le comité d’appel. Son appel a été tranché sur dossier présenté par écrit le 1er novembre 2017. Le dossier de M. Thompson comprenait deux rapports de la Dre Heal (l’un daté du 16 avril 2013 et, l’autre, du 23 décembre 2016), un rapport du Dr Thornley daté du 3 février 2017, un questionnaire sur les acouphènes daté du 12 avril 2013, un article intitulé [traduction] « Perte auditive causée par le bruit au travail », paru en janvier 2012, dans la revue Journal of Occupational and Environmental Medicine, et un article intitulé [traduction] « De mal en pis : La dégénérescence du nerf cochléaire après la déficience auditive “temporaire” due au bruit », paru le 11 novembre 2009 dans la revue Journal of Neuroscience.

[12]  Le 1er novembre 2017, le comité d’appel a procédé à un examen de novo du dossier. Il a expressément mentionné que l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 (« Loi sur le TACRA »), impose un devoir spécial au comité d’appel lorsqu’il examine la preuve :

Règles régissant la preuve

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Rules of evidence

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[13]  Le comité d’appel a également expliqué qu’il incombait à M. Thompson de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a une déficience et qu’elle est liée de façon marquée au service militaire. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, M. Thompson devait donc montrer que le service militaire a contribué (entre 1 % et 49 %) à son invalidité.

[14]  Bien qu’il ait conclu que M. Thompson a effectivement établi qu’il souffre d’une déficience auditive, le comité d’appel a rejeté l’appel, concluant qu’il n’avait pas prouvé que sa déficience auditive a été causée par le service militaire. Le comité d’appel a conclu qu’il ne [traduction] « disposait d’aucune preuve médicale convaincante établissant la cause ou l’aggravation des déficiences alléguées, plus précisément au cours du service de l’appelant dans la Force régulière ou du service spécial, en Syrie ». Pour arriver à sa décision, le comité d’appel a rejeté à la fois les rapports de Dre Heal et de Dr Thornley, concluant qu’ils n’étaient pas crédibles au motif que M. Thompson ne les avait pas fournis avec ses audiogrammes réalisés pendant le service. Il a également rejeté les articles savants produits par M. Thompson parce qu’ils contredisaient l’information contenue dans l’article conventionnel sur l’hypoacousie rédigé par le Dr John Rutka et daté de décembre 2011.

[15]  Le comité d’appel a ensuite examiné la preuve à la lumière des Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension (LDADP) d’Anciens Combattants Canada. Ces LDADP, publiées en 2006, contiennent les définitions suivantes de « audition normale », de « hypoacousie entraînant une invalidité » et de « [absence d’] hypoacousie entraînant une invalidité » :

Aux fins des lignes directrices d’ACC, l’audition est normale lorsque la perte auditive est égale ou inférieure à 25 dB à toutes les fréquences situées entre 250 et 8000 Hz.

Aux fins des lignes directrices d’ACC, il y a hypoacousie entraînant une invalidité lorsque la perte auditive totale en décibels (DSHL), dans une oreille ou l’autre, est 100 décibels ou plus à des fréquences de 500, 1000, 2000 et 3000 Hz ou lorsqu’elle est, dans les deux oreilles, égale ou supérieure à 50 dB, à une fréquence de 4000 Hz.

Aux fins des lignes directrices d’ACC, il n’y a pas une invalidité d’hypoacousie lorsque la perte auditive est supérieure à 25 dB aux fréquences de 250 à 8000 Hz (inclusivement) car cette perte ne répond pas à la définition d’ACC d’hypoacousie entraînant une invalidité.

[16]  Le comité d’appel a conclu que la preuve ne satisfaisait pas aux critères des LDADP. Il a souligné que le premier diagnostic d’hypoacousie a été posé 19 ans après le départ à la retraite, et, selon le témoignage même de M. Thompson, les acouphènes sont devenus constants en 2008, soit 14 ans après le départ à la retraite. Dans sa décision (communiquée à M. Thompson le 12 mai 2018), le comité d’appel a confirmé la décision du comité de révision et a rejeté l’appel. Le 7 juin 2018, M. Thompson a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[17]  L’évaluation de la preuve et la conclusion du comité d’appel quant à la question de savoir si M. Thompson répond ou non à l’article 45 de la Loi sur les mesures d’indemnisation doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité (Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, au paragraphe 21; Brown c Canada (Procureur général), 2018 CF 976, au paragraphe 16).

IV.  Analyse

A.  L’appréciation de la preuve par le comité d’appel était-elle raisonnable?

[18]  M. Thompson fait valoir que, contrairement à la conclusion du comité d’appel, les audiogrammes réalisés pendant le service ne pouvaient pas montrer qu’il a une « audition normale » parce que les FAC n’ont jamais vérifié son audition à toutes les fréquences. Par exemple, les FAC n’ont pas fait d’examens à 250 Hz ou à 8000 Hz. De plus, il soutient que les LDADP précisent que les audiogrammes ne devraient pas être acceptés à moins d’examens à 250, 500, 1000, 2000, 3000, 4000, 6000 et 8000 Hz; aussi, il prétend que tous ses audiogrammes ne sont pas acceptables parce qu’il n’y a eu aucun examen de son audition à 250 ou à 8000 Hz. M. Thompson avance que ce fait est révélateur car, selon ses déclarations, sa perte auditive a débuté à des fréquences supérieures. Il soutient en outre que la question en litige était de savoir s’il y a diminution ou perte auditive selon la définition d’invalidité, au paragraphe 2(1), mais le comité d’appel s’est concentré à tort sur la perte de plus de 25 dB ou non dans chaque oreille suivant les LDADP.

[19]  M. Thompson soutient également que le comité d’appel a conclu de manière déraisonnable que les rapports de ses médecins ne sont pas crédibles parce qu’il n’avait pas fourni les audiogrammes réalisés pendant le service aux experts. Il soutient que les audiogrammes réalisés pendant le service ne sont pas nécessaires pour assurer la crédibilité des rapports parce que les rapports sont « plausible[s], fiable[s] et logiquement capable[s] d’établir la preuve du fait en question » (Leroux c Canada (Procureur général), 2012 CF 869, au paragraphe 53). Il fait également valoir que, lorsqu’il n’existe pas de preuve contradictoire devant le comité d’appel, l’article 39 de la Loi sur le TACRA prévoit que le comité d’appel doit accepter les éléments de preuve qui lui sont présentés.

[20]  Le défendeur fait valoir que la vraisemblance, la fiabilité et la pertinence logique de la preuve de M. Thompson ont été affectées du fait qu’il n’a pas fourni les audiogrammes réalisés pendant le service à ses médecins. Il soutient en outre que la conclusion du comité d’appel quant à la crédibilité est raisonnable, car dans Woo (Succession de) c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 1233 [Woo], aux paragraphes 62 et 72, la Cour a statué que les antécédents médicaux sont un facteur lié à la crédibilité. Le défendeur souligne aussi que ni l’un ni l’autre expert n’en est venu à une opinion concluante quant à la cause de l’hypoacousie de M. Thompson. Par exemple, le Dr Thornley a émis l’hypothèse que, si les audiogrammes réalisés pendant le service étaient normaux, il serait difficile d’attribuer son hypoacousie à l’exposition au bruit dans l’armée.

[21]  Il est utile de noter d’emblée que les LDADP n’indiquent pas que tous les audiogrammes ne sont pas acceptables s’il n’y a aucun examen aux fréquences de 250 à 8000 Hz. Elles précisent plutôt que les audiogrammes soumis par d’autres sources ne sont pas acceptables à moins d’avoir été réalisés à ces fréquences et d’être cosignés par un audiologiste ou un médecin. Les LDADP ajoutent que les audiogrammes qui ne satisfont pas à ces conditions peuvent néanmoins être pris en considération au cas par cas.

[22]  Je conviens toutefois avec M. Thompson que la conclusion du comité d’appel quant à la crédibilité était déraisonnable. La décision Woo permet d’affirmer que l’existence d’une anamnèse est un facteur qui peut avoir une incidence sur la crédibilité d’un rapport médical, mais le comité d’appel ne peut de ce fait systématiquement nier avec raison la crédibilité en se fondant uniquement sur les audiogrammes réalisés pendant le service. Chaque affaire doit être tranchée à la lumière des faits qui lui sont propres. L’affaire Woo portait sur une décision de réexamen visant le cas d’un membre décédé de l’Aviation royale du Canada. La demanderesse, dans cette affaire, était la conjointe survivante de M. Woo, qui avait reçu en 1956 un premier diagnostic de schizophrénie, mais selon une nouvelle preuve d’opinion médicale présentée au Tribunal après le décès de M. Woo, ce dernier avait en fait souffert du trouble de stress post-traumatique (« TSPT »). Le Tribunal a rejeté la nouvelle preuve médicale pour un certain nombre de raisons, notamment l’absence d’une anamnèse complète et l’insuffisance de la preuve médicale du TSPT :

72 La prétention de la demanderesse selon laquelle le Tribunal n’a pas appliqué la même norme à l’égard de tous les éléments de preuve d’ordre médical n’est pas non plus fondée. Premièrement, le Tribunal ne s’est pas appuyé sur l’avis du Dr Déziel pour rendre sa décision en date du 26 juin 2001. Deuxièmement, il n’a pas rejeté l’évaluation du Dr Frank pour le seul motif que celui-ci n’avait pas examiné M. Woo. Plusieurs facteurs ont motivé le rejet de l’évaluation du médecin, notamment l’absence d’une anamnèse valide et complète et l’absence de preuve médicale suffisante à l’appui du diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Troisièmement, les membres du Tribunal n’ont pas effectué leur propre évaluation de M. Woo, mais ont plutôt évalué les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse et se sont demandés [sic] s’ils suffisaient pour infirmer le diagnostic antérieur de schizophrénie.

[Caractères gras ajoutés.]

[23]  Dans le contexte de l’affaire Woo, l’anamnèse (définie comme [traduction] « le compte rendu des antécédents médicaux fait par le patient » (The Oxford English Dictionary, 2e éd., sub verbo « anamnesis »)) était importante pour le nouveau rapport du TSPT. Le Tribunal s’est toutefois aussi fondé sur d’autres facteurs, comme l’insuffisance de preuve médicale du TSPT, pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, je ne peux pas convenir, dans la présente affaire, que le comité du TACRA a raisonnablement rejeté les rapports médicaux. Le seul fondement de cette conclusion était que les experts n’avaient pas en main les audiogrammes réalisés pendant le service de M. Thompson – mais, en l’espèce, contrairement à Woo, les médecins avaient effectivement le récit du patient. Selon le témoignage de M. Thompson, son service dans les FAC l’exposait à des bruits intenses, notamment des tirs d’artillerie et des explosions, et il a subi une perte auditive sporadique pendant le service. Sa preuve non contredite indique également qu’il ne portait pas de dispositif antibruit parce que le port d’un tel dispositif était mal vu. De plus, il n’a pas signalé sa perte auditive sporadique parce que son ouïe revenait par la suite. Comme le juge Mosley l’a noté à juste titre, « [i]l n’est pas nécessaire de posséder une grande culture militaire pour comprendre que les membres fiers des Forces armées ne veulent pas être perçus comme des plaignards ou des fainéants » (Powell c Canada (Procureur général), 2005 CF 433, au paragraphe 33). En l’espèce, le défaut de fournir les audiogrammes réalisés pendant le service ne peut, à lui seul, raisonnablement justifier la conclusion de non-crédibilité des rapports médicaux.

[24]  Je conclus que le comité d’appel a rejeté de façon déraisonnable l’appel de M. Thompson sur la base d’une absence de preuve médicale crédible convaincante. Encore une fois, contrairement à la décision Woo, les médecins étaient en mesure d’examiner M. Thompson et de lui parler, et leurs rapports contiennent des éléments de preuve pertinents de son audition que le comité d’appel était tenu d’évaluer. Il en est ainsi, particulièrement compte tenu du devoir spécial imposé par l’article 39 de la Loi sur le TACRA. En fait, le Dr Thornley a écrit une lettre datée du 3 février 2017 qui aborde le sujet de la crédibilité. Dans cette lettre, il déclare franchement que le défaut de lui fournir les audiogrammes militaires a altéré son opinion en ce sens qu’il n’a pas été en mesure de constater la progression de la perte auditive :

[traduction]

Malheureusement, je n’ai pas eu les audiogrammes qui ont été réalisés pendant les années de service de M. Thompson et je n’ai donc pas pu les comparer pour visualiser la progression de la perte auditive.

[25]  La franchise du Dr Thornley ne peut nuire à la crédibilité de son rapport. De plus, les LDADP indiquent clairement que divers facteurs sont nécessaires pour déterminer la cause de la perte auditive :

La présence d’une hypoacousie peut être confirmée à l’aide d’un examen audiométrique […]

L’information obtenue par l’audiométrie ne suffit pas toujours pour déterminer la cause de l’hypoacousie et il faut alors tenir compte des antécédents cliniques du patient et des résultats des examens.

[Caractères gras ajoutés.]

[26]  Selon le raisonnement suivi dans les LDADP, ces rapports, même sans les audiogrammes réalisés pendant le service, contenaient des éléments de preuve pertinents dont le comité d’appel avait besoin pour rendre de façon raisonnable sa décision quant au lien entre l’hypoacousie de M. Thompson et ses nombreuses années de service dans les FAC de même que son exposition à des bruits intenses. Par conséquent, je conviens avec M. Thompson que les rapports de ses médecins ont été déraisonnablement rejetés pour une question de crédibilité, surtout à la lumière des présomptions légales régissant le comité d’appel, selon l’article 39 de la Loi sur le TACRA.

V.  Conclusion

[27]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[28]  Les dépens sont adjugés à M. Thompson à hauteur de 500 $.


JUGEMENT dans le dossier T-1095-18

LA COUR DÉCLARE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué;

  2. les dépens sont adjugés à M. Thompson à hauteur de 500 $.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1095-18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOSEPH THOMPSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’ AUDIENCE :

oTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’ AUDIENCE :

LE 6 février 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE :

LE 13 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Odessa O’Dell

 

POUR Le demandeur

 

Vanessa Wynn-Williams

 

POUR le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

 

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