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Date : 19991220

Dossier : T-2763-92

ENTRE :

DAVINDER SINGH KHAPER

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]         Il s'agit d'une requête par laquelle le demandeur cherche à obtenir une ordonnance convertissant l'action qu'il a intentée en demande de contrôle judiciaire, conformément aux règles 53, 55, 56 et 57 des Règles de la Cour fédérale, et une ordonnance en prorogation du délai applicable au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire, conformément aux règles 3 et 8 des Règles de la Cour fédérale.

LES FAITS


[2]         Le demandeur a intenté une action en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale en déposant une déclaration, datée du 9 novembre 1992, résultant de sa démission de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) le 17 juin 1992 et du refus de la GRC d'accepter le retrait de la démission daté du 24 juillet 1992.

[3]         Le 29 avril 1999, après la communication et l'échange de documents et la tenue d'interrogatoires préalables, la Section de première instance de la Cour fédérale a ordonné l'instruction de l'affaire.

[4]         Dans les motifs d'ordonnance qu'il a exposés le 29 octobre 1999, le protonotaire Hargrave a conclu :

...la déclaration ne démontre pas une cause raisonnable d'action et, comme telle, elle sera radiée dans 30 jours, ou le premier jour du procès, selon la plus rapprochée de ces dates, à moins que la Cour n'autorise qu'on la transforme en demande de contrôle judiciaire. Cette période de grâce permettra au demandeur de présenter sa requête pour obtenir la transformation de cette action en demande de contrôle judiciaire ainsi que tout délai additionnel requis.

[5]         Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de deux décisions de la GRC, soit :

a)          la décision de chercher à obtenir sa démission le 12 juin 1992 ou vers cette date (obtenue le 17 juin 1992);

b)          la décision de refuser, le 24 juillet 1992 ou vers cette date, sa demande de retrait de sa démission du 17 juin 1992.

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[6]         Le demandeur fait valoir que l'utilisation du mauvais acte introductif d'instance (une déclaration au lieu d'une demande de contrôle judiciaire) n'annule pas l'instance.


[7]         Il soutient que la situation en l'espèce doit être considérée comme un simple vice de forme qui ne rend pas l'instance invalide. En conséquence, la Cour peut rectifier la situation. Il est important que les règles de procédure soient interprétées et appliquées de manière à ce que le bien-fondéde l'instance soit apprécié de façon équitable.

[8]         Le demandeur soutient que les éléments de preuve et questions litigieuses demeurent inchangés et que la défenderesse ne subira pas de préjudice du fait que la déclaration soit convertie en demande de contrôle judiciaire.

[9]         Les décisions que les dirigeants de la GRC ont prises relèvent clairement de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Il est loisible à la Cour d'accorder une prorogation de délai et d'ordonner que la présente instance, soit une déclaration, soit convertie en demande de contrôle judiciaire.

[10]       Enfin, le demandeur fait valoir que la seule question litigieuse que soulève la présente action est de savoir si les dirigeants de la GRC ont obtenu une démission « volontaire » , conformément au paragraphe 30(1) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada. Le demandeur renvoie aux règles 3, 8, 56, 57, 58, 59 et 60 des Règles de la Cour fédérale.


LES ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

[11]       La défenderesse soutient que la Cour n'a pas le pouvoir de convertir la présente action en demande de contrôle judiciaire. Les règles 3, 55 et 56 des Règles de la Cour fédérale ne confère pas une telle compétence à la Cour.

[12]       Voici la Règle 57 :


57. Wrong originating document -- An originating document shall not be set aside only on the ground that a different originating document should have been used.

57. Non-annulation de l'acte introductif d'instance -- La Cour n'annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance.


La défenderesse fait valoir que le demandeur n'a pas respecté l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, qui régit les demandes de contrôle judiciaire. Une omission de respecter la Loi n'est pas un « vice de forme » qui peut être pardonné en vertu d'une règle qui s'applique aux vices de forme commis en vertu des Règles.

[13]       La défenderesse renvoie à la Règle 2(1), qui prévoit :


1(2) Inconsistency with Act - In the event of any

inconsistency between these Rules and an Act of Parliament or a regulation made thereunder, that Act or regulation prevails to the extent of the inconsistency.

1(2) Dispositions incompatibles - Les dispositions de toute loi fédérale ou de ses textes d'application l'emportent sur les dispositions incompatibles des présentes règles.


La défenderesse fait valoir que les Règles, qui ont été adoptées en vertu de l'article 46 de la Loi, ne peuvent s'appliquer de façon à l'emporter sur une loi du Parlement. Elle soutient que la Règle 57 ne permet pas de convertir une action en demande de contrôle judiciaire.


[14]       La défenderesse se fonde également sur la maxime d'interprétation législative expressio unius est exclusio alterius, dont l'application empêche de convertir une action en demande de contrôle judiciaire.

[15]       La défenderesse a également reconnu que le juge Lutfy a, dans l'affaire McLean c. Sa Majestéla Reine, [1999] J.C.F. no 400 (26 mars 1999), T-2509-90 (C.F. 1re inst.), rendu une décision permettant qu'une action soit convertie en demande de contrôle judiciaire. Cependant, la défenderesse soutient que l'affaire McLean doit être distinguée de l'espèce sur le fondement que, premièrement, c'est la Cour elle-même qui avait décidé de convertir l'action, sans avoir obtenu d'observations des avocats, et qu'en conséquence, les questions juridiques susmentionnées ne lui avaient pas été soumises, et, deuxièmement, l'action avait été intentée dans le délai applicable au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire.

[16]       Enfin, la défenderesse fait valoir que le demandeur ne peut présenter de demande de contrôle judiciaire dans le délai applicable vu que celui-ci est déjà écoulé et qu'il ne peut satisfaire aux critères établis dans Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 263, pour obtenir une prorogation de ce délai. En ce qui concerne l'existence d'une cause défendable, la défenderesse soutient que le demandeur n'a pas satisfait à ce critère et que la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve établissant que la GRC aurait décidé de chercher à obtenir sa démission le 12 juin 1992 ou vers cette date. En fait, l'inspecteur Brezovski nie, dans son affidavit, l'existence d'une telle décision.


[17]       En ce qui concerne la décision de la GRC de rejeter la demande de retrait de sa démission que le demandeur avait présentée, la défenderesse soutient qu'en vertu du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC n'avait pas la compétence pour accepter le retrait de la démission après que celle-ci a été acceptée :


30(2) A resignation may be withdrawn prior to acceptance thereof by the Commissioner with the written approval of the member's appropriate officer.

30(2) La démission d'un membre peut, avec l'approbation écrite de l'officier compétent, être retirée avant d'être acceptée par le Commissaire.


La défenderesse fait valoir que le demandeur n'a pas invoqué de motifs de contrôle judiciaire et qu'il n'a pas présenté dlément de preuve étayant de tels motifs.

[18]       La défenderesse soutient également que la GRC n'a pas commis d'erreur.

[19]       Elle fait remarquer que la Règle 302 prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

[20]       La défenderesse termine en soutenant que le demandeur n'a pas une cause défendable pour ce qui est de la demande de contrôle judiciaire.

L'ANALYSE

[21]       Voici ce que prévoit expressément le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale :



18.4(2) Exception - The Trial Division may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

18.4(2) Exception - La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.


Il ressort clairement de ce paragraphe que la Cour peut convertir une demande de contrôle judiciaire en action. Cependant, la Loi ne contient pas de disposition sur la question de savoir si une action peut être convertie en demande de contrôle judiciaire.

[22]       Les paragraphes 18(1) et (2) et l'article 18.1 de la Loi prévoient :



18. (1) Subject to section 28, the Trial Division has exclusive original jurisdiction

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

18(2) Extraordinary remedies, members of Canadian Forces

(2) The Trial Division has exclusive original jurisdiction to hear and determine every application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum, writ of certiorari, writ of prohibition or writ of mandamus in relation to any member of the Canadian Forces serving outside Canada.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

18.1(2) Time limitation

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

18.1(3) Powers of Trial Division(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

18.1(4) Grounds of review

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.

18.1(5) Defect in form or technical irregularity

(5) Where the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Trial Division may

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or order, make an order validating the decision or order, to have effect from such time and on such terms as it considers appropriate.

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour_:

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

18(2) Recours extraordinaires_: Forces canadiennes

(2) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l'étranger_: bref d'habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

18.1(2) Délai de présentation

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1(3) Pouvoirs de la Section de première instance

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut_:

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

18.1(4) Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_:

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

18.1(5) Vice de forme

(5) La Section de première instance peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu'en l'occurrence le vice n'entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l'ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu'elle estime indiquées.


Il ressort clairement de ces dispositions que la réparation que le demandeur cherche à obtenir ne peut être obtenue que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi.

[23]       La Règle 57 prévoit que la Cour n'annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance. Dans McLean, le juge Lutfy a appliqué la nouvelle Règle 57 de façon à permettre à la Cour de convertir une action en demande de contrôle judiciaire.

[24]       À mon avis, la Règle 57 peut s'appliquer de façon à convertir une action en demande de contrôle judiciaire. Le demandeur aurait dû déposer une demande de contrôle judiciaire au lieu d'une action. On peut remédier à ce vice de forme.

[25]       Cela dit, le demandeur n'a pas convaincu la Cour qu'une prorogation de délai devait lui être accordée.

[26]       Le demandeur doit obtenir une prorogation de délai vu que le délai de 30 jours applicable a expiré.


[27]       Selon l'arrêt Grewal, le demandeur doit, dans le délai prescrit, faire connaître son intention d'introduire une instance, démontrer qu'il a une cause défendable, établir la cause et la durée du retard, et répondre à la question de savoir si le retard a entraîné un préjudicie. Or, le demandeur n'a pas démontré qu'il a une cause défendable.

[28]       Le demandeur fait tout de même valoir que la GRC a décidé de chercher à obtenir sa démission le 12 juin 1992 ou vers cette date, invoquant la possibilité qu'un commandant soit intervenu en communiquant avec l'inspecteur Brezovski à lpoque pertinente, malgré l'absence de tout élément de preuve étayant cet argument. En outre, l'inspecteur Brezovski nie catégoriquement cette affirmation dans son affidavit.

[29]       Le demandeur soutient également que la GRC a commis une erreur lorsqu'elle a rejeté sa demande de retrait de sa démission. Cependant, le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada prévoit clairement que le retrait d'une démission après qu'elle a été acceptée n'est pas possible.

[30]       Pour conclure, j'estime que, bien que notre Cour ait compétence pour convertir une action en demande de contrôle judiciaire, le demandeur n'a pas satisfait au critère énoncé dans la jurisprudence en matière de prorogation de délai.


[31]       Pour ces motifs, la présente demande est rejetée avec dépens.

     « Pierre Blais »     

     juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 20 DÉCEMBRE 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                              T-2763-92

INTITULÉ DE LA CAUSE : DAVINDER SINGH KHAPER c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 23 NOVEMBRE 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                   20 DÉCEMBRE 1999

ONT COMPARU :

GEORGE J. WOOL                                                               POUR LE DEMANDEUR

HELEN ROBERTS &

RODNEY YAMANOUCHI                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GEORGE J. WOOL LAW CORPORATION                       POUR LE DEMANDEUR

SURREY (C.-B.)

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

VANCOUVER (C.-B.)                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

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