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Date : 19981207


Dossier : IMM-954-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 DÉCEMBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :


NATALIA ERMINA, ROMAN ERMIN et

MARIA ERMINA,


demandeurs,


et


MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


O R D O N N A N C E

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19981207


Dossier : IMM-954-98

ENTRE :


NATALIA ERMINA, ROMAN ERMIN et

MARIA ERMINA,


demandeurs,


et


MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire d"une décision par laquelle la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accueilli la demande du Ministre visant à obtenir le réexamen et l"annulation de la revendication du statut de réfugiés au sens de la Convention déposée par la demanderesse et ses deux enfants à charge.

LES FAITS

[2]      La demanderesse et ses deux enfants à charge, qui sont originaires de Russie, ont obtenu le statut de réfugiés au sens de la Convention en juin 1993, sans que des motifs ne soient demandés ni fournis. Pour étayer sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention, la demanderesse a fourni son certificat de naissance en tant que preuve établissant qu"elle est de nationalité juive.

[3]      Les laboratoires de la GRC ont, depuis, établi que des parties du certificat de naissance ont été modifiées à l"aide d"un agent de blanchiment chimique. Ayant découvert cela, le Ministre a demandé l"autorisation de faire réexaminer et annuler la décision qui a accordé le statut de réfugiée à la demanderesse, sur le fondement que cette dernière a donné une fausse indication sur un fait important. Il a obtenu l"autorisation, et une audition a eu lieu le 18 février 1998.

[4]      À l"audition, la demanderesse a voulu appeler M. Lorne Butchart à témoigner. M. Butchart avait présidé la formation qui avait accueilli la revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention déposée par la demanderesse. La demanderesse a avisé la formation que M. Butchart était disposé à témoigner relativement à sa décision. La formation a refusé de permettre à la demanderesse d"appeler M. Butchart à témoigner, en se fondant sur le principe de l"immunité judiciaire. La demanderesse a alors voulu produire un affidavit signé par M. Butchart concernant la même question. La formation n"a pas accepté cet affidavit. La demanderesse n"a produit aucun autre élément de preuve et la formation a rendu une décision dans laquelle elle accueillait la demande du Ministre.

LA QUESTION EN LITIGE

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a déterminé que le témoignage de M. Butchart n"était pas admissible pour des motifs d"immunité judiciaire?

L"ANALYSE

[5]      La question de l"immunité judiciaire des juges a été traitée de façon exhaustive dans l"affaire MacKeigan c. Hickman1. Cette affaire portait sur l"enquête menée relativement à la condamnation injustifiée de Donald Marshall Jr., et elle soulevait la question de savoir si les cinq juges en cause de la Cour d"appel avaient la compétence pour témoigner à l"enquête et, le cas échéant, s"ils pouvaient y être contraints.

[6]      Le juge en chef Glube de la Division de première instance a conclu qu"ils n"avaient pas la compétence pour témoigner et qu"ils ne pouvaient y être contraints. À son avis, toute autre conclusion aurait miné l"ensemble du système judiciaire. Elle a dit :

         [TRADUCTION] Un juge ne doit pas témoigner devant une commission ou une cour sur des questions dont il a été saisi en sa qualité de juge, même s"il aimerait répondre à l"une ou plusieurs des questions soulevées publiquement. Cela ne serait pas convenable. Chaque question ne pourrait être soulevée isolément, et il existe une obligation de préserver l"immunité judiciaire pour le bien-être du public, car cette immunité relative à l"accomplissement de tâches judiciaires ne profite pas personnellement aux juges : elle profite plutôt au public " en protégeant le système judiciaire contre toute ingérence ou influence susceptible d"égarer la justice "2.         

[7]      La Cour d"appel a confirmé la décision3 et la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi interjeté contre l"appel4, en traitant principalement de la question de savoir si les juges pouvaient ou non être contraints à témoigner.

[8]      Le demandeur convient que les membres de la Commission ne peuvent être contraints à témoigner, mais il soutient qu"ils ont la compétence pour témoigner. Cet argument n"est pas fondé. En effet, cela serait contraire à la bonne administration de la justice, et en conclure autrement minerait l"intégrité du système. Le principe de l"immunité judiciaire s"applique, à mon avis, tant à la question de savoir si les membres de tribunaux administratifs peuvent être contraints à témoigner qu"à celle de savoir s"ils ont la compétence pour témoigner.

[9]      Dans Agnew v. Ontario Association of Architects5, le juge Campbell a conclu que la règle de l"immunité judiciaire s"appliquait tant aux juges qu"aux membres de tribunaux. Il a conclu que :

         [TRADUCTION]         
         La jurisprudence ne tranche pas clairement la question de savoir si cette règle générale s"applique également aux membres de tribunaux administratifs. En toute logique, il n"y a pas de raison pour laquelle la règle ne devrait pas s"appliquer à ces personnes. Le tort qui consiste à s"immiscer dans le processus de prise de décision du membre d"un tribunal est exactement le même que celui qui consiste à s"immiscer dans le processus de prise de décision d"un juge.         
         Outre la considération d"ordre pratique selon laquelle les membres de tribunaux et les juges consacreraient plus de temps à témoigner sur les décisions qu"ils ont déjà rendues qu"à en rendre de nouvelles, le fait qu"ils soient contraints à témoigner serait incompatible avec tout système posant que les décisions ont un caractère définitif. Aucune décision et, a fortiori , aucun dossier n"aurait vraiment de caractère définitif avant que le juge ou le membre du tribunal en cause n"ait été contre-interrogé sur sa décision. Au lieu d"interjeter appel ou d"intenter un recours extraordinaire contre une décision défavorable, on créerait un système de contrôle par contre-interrogatoire. Dans le cas d"un tribunal spécialisé représentant divers intérêts, le tort serait encore plus grave, car le processus de discussion de divers points de vue et de recherche d"un compromis ne fonctionnerait pas s"il perdait son caractère confidentiel.         
         [...]         
         Il n"est pas nécessaire de faire l"inventaire de tous les torts qui pourraient être causés si l"on contraignait les juges et les membres de tribunaux à témoigner à propos de leurs décisions. Il suffit de dire qu"il n"existe aucune raison logique de faire la distinction entre un juge et un membre du tribunal établi par la loi en cause dans la présente affaire6.         

[10]      J"accepte le raisonnement exposé par le juge Campbell dans Agnew v. Ontario Association of Architects et j"estime qu"il s"applique également à la question de la compétence pour témoigner. Permettre au membre d"une formation de témoigner de son plein gré irait complètement à l"encontre du concept de l"immunité judiciaire. En l"espèce, par exemple, le demandeur lui demanderait probablement de quel autre preuve la formation disposait lorsqu"elle a rendu sa décision. Cela pourrait manifestement donner lieu à un nouvel examen de la décision de la formation, en particulier si le membre était contre-interrogé. Les décisions doivent être définitives et elles ne doivent faire l"objet d"un contrôle que par l"entremise des moyens habituels.

[11]      Sans le témoignage de M. Butchart, la décision de la Commission d"accueillir la demande du Ministre visant à faire annuler la revendication du statut de réfugiée déposée par la demanderesse était raisonnable. La demanderesse elle-même a dit avoir obtenu le statut de réfugiée principalement sur le fondement qu"elle était de nationalité juive et, de façon secondaire, en raison du fait que son époux s"était enfui du pays7. En conséquence, le fait que le certificat de naissance utilisé pour établir la nationalité juive de la demanderesse ait été modifié a incité la Commission à conclure que cette dernière avait donné une fausse indication sur un fait important. Après que le certificat de naissance a été exclus, la formation a déterminé que la demanderesse n"avait pas produit assez de preuve pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié. Cette décision n"était pas déraisonnable.


LA CONCLUSION

[12]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 décembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-954-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      NATALIA ERMINA ET AUTRES C. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE PREMIER DÉCEMBRE 1998

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              7 DÉCEMBRE 1998

ONT COMPARU :

MIKE BELL                                  POUR LES DEMANDEURS

JAN BRONGERS                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BELL, UNGER, MORRIS                          POUR LES DEMANDEURS

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      (1988), 43 C.C.C. (3d) 287 (C.S.N.-É., D.P.I.).

2      Ibid., à la p. 336. [référence omise.]

3      (1988), 46 C.C.C. (3d) 191 (Div. app. C.S.).

4      (1989), 50 C.C.C. (3d) 449 (C.S.C.).

5      (1987), 64 O.R. (2d) 8 (Cour div.).

6      Ibid., à la p. 14.

7      Motifs de la Commission, dossier de la demande, à la p. 9.

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