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Date : 20020826

Dossier : T-510-02

Référence neutre : 2002 CFPI 912

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), LE 26 AOÛT 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE ELEANOR R. DAWSON

ENTRE :

                                            FRASER MILNER CASGRAIN, s.r.l. et

                                                          GILBERT SCHMUNK

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                La question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si les demandes de production de renseignements (les demandes de production) que le ministre du Revenu national a fait parvenir aux demandeurs en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.) ch. 1, (la Loi), devraient être annulées.


LES FAITS

[2]                Les faits suivants sont admis. Le demandeur Schmunk est un homme d'affaires qui était un des administrateurs et dirigeants des sociétés Ceco Holdings Ltd. (CHL), Ceco Properties Ltd. (CPL) et Ceco Operations Ltd. (COL). La demanderesse Fraser Milner Casgrain, s.r.l., est un cabinet d'avocats auparavant connu sous le nom de Fraser & Beatty.

[3]                Le 1er mars 1998, COL et SML Operations (Canada) Ltd. (SML) ont conclu un contrat en vue de constituer une société en nom collectif sous le nom de Madill Equipment Canada (MEC).

[4]                Les sociétés CHL, COL et CPL font l'objet d'une vérification de la part de l'Agence des douanes et du revenu du Canada relativement à une restructuration qui a eu lieu en mars 1998 ou vers cette époque. Le 26 février 2002, le ministre a signifié les demandes de production susmentionnées à M. Schmunk et au cabinet Fraser Milner Casgrain. M. Schmunk a reçu signification des demandes de production en tant qu'administrateur, dirigeant ou mandataire de CPL, de COL, de CHL ou de MEC.

[5]                Dans trois de ces demandes de production (les demandes de production relatives à la note de service portant sur la stratégie de vente), le ministre exige la production d'une certaine note de service portant sur la stratégie de vente dont il est question dans certaines factures du cabinet Fraser & Beatty.

[6]                Dans les six autres demandes de production (les demandes de production relatives à la planification fiscale), le ministre exige la production de certains documents se rapportant à la planification fiscale. Les renseignements relatifs à la planification fiscale font par ailleurs l'objet d'une revendication du secret professionnel de l'avocat sur laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique est présentement appelée à se prononcer.

[7]                Les demandeurs affirment par ailleurs ce qui suit :

a.          Les demandes de production visaient à vérifier s'il y avait eu une opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi, ce qui aurait par conséquent donné éventuellement lieu à l'application de la disposition générale anti-évitement (la DGAE).

b.          Abstraction faite des documents réclamés dans les demandes de production, le ministre a pu consulter tous les documents relatifs à la restructuration.

[8]                Ces faits ne sont pas admis par le ministre. Le ministre soutient que les demandes de production ne visaient pas seulement à établir s'il y avait eu une opération d'évitement, mais aussi à vérifier si les sociétés faisant l'objet de la vérification s'étaient conformées à la Loi.


GENÈSE DE L'INSTANCE

[9]                À l'origine, neuf demandes ont été soumises à la Cour : une pour chaque demande de production. Aux termes de l'ordonnance prononcée par le protonotaire Hargrave, les instances ont été regroupées en une seule, sous le numéro T-510-02.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Les parties ont soulevé deux points litigieux au sujet des demandes de production :

1.          Les présumées demandes de production relatives à la note de service portant sur la stratégie de vente devraient-elles être annulées parce que les factures auxquelles elles renvoient ne contiennent aucune mention d'une « note de service portant sur la stratégie de vente » ?

2.          Les demandes de production relatives à la planification fiscale devraient-elles être annulées au motif que les renseignements n'ont pas été réclamés pour l'application ou l'exécution de la Loi?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[11]            Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes :



ARTICLE 231.2 :                Production de documents ou fourniture de renseignements.

(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

245(3) Opération d'évitement. L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

[Non souligné dans l'original.]

SECTION 231.2 :                 Requirements to provide documents or information.

(1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to paragraphe (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

245(3) Avoidance transaction. An avoidance transaction means any transaction

(a) that, but for this article, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit; or

(b) that is part of a series of transactions, which series, but for this article, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit.

[Underlining added.]



ANALYSE

a)          Les demandes de production relatives à la note de service sur la stratégie de vente

[12]            Le ministre admet que les demandeurs ne pouvaient se conformer aux demandes de production relatives à la note de service sur la stratégie de vente parce qu'il n'est nulle part fait mention d'une « note de service sur la stratégie de vente » dans les factures mentionnées dans les demandes de production relatives à la note de service sur la stratégie de vente.

[13]            La demande sera donc accueillie en ce qui concerne ces demandes de production.

b)          Demandes de production relatives à la planification fiscale

[14]            Les demandeurs soutiennent que les demandes de production relatives à la planification fiscale devraient être annulées parce que, dans ces demandes de production, le ministre ne réclamait que des renseignements portant sur la planification fiscale et que ces renseignements n'ont rien à voir avec la question de savoir si les opérations à l'examen constituent des opérations d'évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi.


[15]            Plus particulièrement, les demandeurs affirment que l'obligation de fournir des renseignements dont il est question à l'article 231.2 de la Loi n'est valable que si ces renseignements sont communiqués pour l'application ou l'exécution de la Loi (voir les arrêts James Richardson & Sons Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614, à la page 623, et AGT Limited. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878 (CA), autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada refusée à [1997] CSC no 314).

[16]            Les demandeurs affirment que, bien que les demandes de production relatives à la planification fiscale aient été envoyées pour établir si la restructuration constitue une opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi, le critère de l'objet contenu au paragraphe 245(3) est un critère objectif et non un critère subjectif (voir les arrêts OSFC Holdings Ltd. c. La Reine, 2001 CAF 260, au paragraphe 46, autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada refusée à [2001] CSC 522, et La Reine c. Canadien Pacifique Limitée, 2001 CAF 398, au paragraphe 16).

[17]            Les demandeurs affirment donc que l'applicabilité de la DGAE dépend de critères objectifs et non des idées d'un contribuable déterminé. S'il en était autrement, des opérations et des circonstances identiques pourraient conduire à des résultats différents sur le plan fiscal selon les idées du contribuable concerné. Les demandeurs affirment que la DGAE n'a rien à voir avec une question d'opinion ou de point de vue : elle s'applique uniformément à tous, que le contribuable ait bénéficié des conseils d'un avocat fiscaliste ou qu'il n'ait consulté personne. Il s'ensuit, selon les demandeurs, que les renseignements sur la planification fiscale que le ministre réclamait dans les demandes de production ne peuvent être pertinents.

[18]            Les demandeurs soutiennent en outre qu'en prévoyant que le refus d'obtempérer à une demande de production signifiée conformément à l'article 231.2 de la Loi expose le contrevenant à une peine d'emprisonnement, le législateur fédéral a exprimé sa volonté que le recours à ce type de sommation ne soit exercé qu'avec parcimonie et de façon judicieuse et uniquement pour l'application ou l'exécution de la Loi. Sonder les pensées du contribuable n'a rien à voir avec l'application ou l'exécution de la Loi.

[19]            En réponse à ces arguments, le ministre affirme que, pour qu'une demande de production adressée en vertu du paragraphe 231.2(1) soit valide, il n'est pas nécessaire que les renseignements ou les documents réclamés se rapportent à un sujet particulier. Deuxièmement, le ministre affirme que les demandes de production relatives à la planification fiscale ne visaient pas simplement à déterminer si les opérations conclues dans le cadre de la restructuration constituaient des opérations d'évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi.

[20]            Pour bien examiner ces arguments, il faut commencer par examiner le paragraphe 231.2(1), qui permet au ministre d'adresser une demande de production en vertu de cet article « pour l'application et l'exécution de la présente loi » .


[21]            Dans l'arrêt James Richardson & Sons, précité, la Cour suprême du Canada a examiné l'étendue des pouvoirs que le prédécesseur de ce paragraphe conférait au ministre. La Cour suprême a statué que l'étendue des pouvoirs du ministre n'était pas aussi vaste que ce que son libellé pouvait laisser croire à première vue. Le juge Wilson, qui s'exprimait au nom de la Cour, a écrit ce qui suit, aux pages 622 et 623 :

Les termes du par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur lerevenu sont incontestablement très généraux et, à première vue, ils s'appliquent à toute demande de renseignements adressée àquiconque est au courant des affaires d'une autre personne concernant son assujettissement à l'impôt. En d'autres termes, ce paragraphe permet, si on lui donne une interprétation large, d'explorer les affaires d'un contribuable et il enjoint à quiconque est en mesure de contribuer à cette exploration d'y participer. Il n'est pas nécessaire que le Ministre soupçonne l'inobservation de la Loi ou encore moins qu'il ait des motifs raisonnables et probables de croire que la Loi a étéenfreinte, comme l'exige le par. 231(4). On pouvait se prévaloir du paragraphe pour demander les renseignements en question à la condition qu'ils aient une incidence (ou peut-être même qu'ils puissent simplement avoir une incidence) sur l'assujettissement à l'impôt d'un contribuable.

Cependant, l'arrêt Canadian Bank of Commerce établit clairement que le paragraphe en question ne doit pas être interprété d'une façon aussi large. Le jugement de la Cour à la majoritérendu par le juge Cartwright (alors juge puîné) établit ce qui suit :

a)             le critère applicable à la question de savoir si le Ministre agit dans un but prévu par la Loi est un critère objectif et cette question doit être tranchée en fonction d'une interprétation juste du paragraphe et en fonction de son application aux circonstances décrites;

b)             l'obtention de renseignements portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une seule ou de plusieurs personnes déterminées dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête est une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi;

c)              il n'est pas nécessaire que la personne à qui les renseignements sont demandés soit une personne dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête;

d)             le fait que des renseignements donnés puissent divulguer des opérations confidentielles qui mettent en cause des personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l'impôt n'a pas pour effet d'invalider la demande.

[22]       Le juge Wilson a poursuivi, à la page 624, en précisant qu'une condition essentielle à la fin visée par la loi est que l'assujettissement à l'impôt de l'intéressé fasse l'objet d'une enquête.


[23]       Cet arrêt a été cité et approuvé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport Limited, [1990] 1 R.C.S. 627, dans lequel la Cour a confirmé la constitutionnalité du prédécesseur de l'article 231.2. Dans cet arrêt, la Cour a fait observer ce qui suit, sous la plume du juge Wilson, au paragraphe 38 :

À mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n'entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d'impôt sur le revenu. Le droit du contribuable à la protection de sa vie privée à l'égard de ces documents est relativement faible vis-à-vis le Ministre.Ce dernier est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner. En même temps, le droit du contribuable à la protection de sa vie privée est garanti autant qu'il est possible de le faire puisque l'art. 241 de la Loi interdit la communication de ses documents et des renseignements qu'ils contiennent à d'autres personnes ou organismes.               [Non souligné dans l'original.]

[24]       Dans son analyse, le juge Wilson a conclu, au paragraphe 36, que les critères qui sont appliqués en matières pénales pour vérifier si une perquisition ou une saisie est abusive ne s'appliquent pas aux dispositions réglementaires de la Loi. Le juge Wilson a notamment conclu qu'il n'est pas nécessaire qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la demande de production permettra de découvrir quelque chose ayant trait à une cotisation précise ou que seuls les documents se rapportant à la cotisation puissent être saisis.


[25]       Dans le jugement AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 505 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel), a examiné la validité et l'applicabilité d'avis de demande de production envoyés en vertu de l'art. 231.2(1) de la Loi dans des circonstances où le contribuable faisait notamment valoir qu'une grande partie des renseignements demandés par le ministre n'étaient pas pertinents et où le déclarant du ministre avait fait des aveux en ce sens lors de son contre-interrogatoire. Le juge Rothstein a résumé dans les termes suivants, au paragraphe 17, les principes applicables en la matière :

Compte tenu des arrêts Richardson et McKinlay, je conclus comme suit :

1.              L'attente en matière de respect de la vie privée dans le cas des dossiers commerciaux est relativement faible.

2.              Dans la mesure où l'objet du ministre est lié à l'administration et à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, il n'est pas nécessaire que les documents demandés concernent une question particulière pour qu'une demande de production puisse être délivrée aux termes du paragraphe 231.2(1).

3.              Des documents peuvent être exigés même si leur préparation ou leur tenue n'est pas requise par la Loi de l'impôt sur le revenu.

4.              Il n'est pas nécessaire qu'une demande de production de documents énonce les raisons pour lesquelles les documents sont demandés.

5.              Tant et aussi longtemps que les documents concernent une enquête véritable au sujet de la dette fiscale d'une personne, ils peuvent être visés par une demande de production fondée sur le paragraphe 231.2(1). [Non souligné dans l'original.]

[26]       La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge Rothstein à [1997] 2 C.F. 878. Aux paragraphes 23 et 24 de cet arrêt, la Cour d'appel écrit ce qui suit, sous la plume du juge Desjardins :

Sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, le rôle du ministre consiste à vérifier la dette fiscale du contribuable qui est d'abord révélée dans la déclaration de revenus du contribuable. Il est souvent « impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière » . En raison de la nature de la conduite qui est réglementée par la Loi de l'impôt sur le revenu, il est souvent impossible de déterminer si le contribuable a commis des actes proscrits, à moins d'étudier les moyens que la société ou l'entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en oeuvre. Le recours à des mécanismes d'enquête qui forcent les sociétés et d'autres entreprises à divulguer ce qu'elles et elles seules peuvent connaître au sujet de leurs affaires internes fait partie des droits qu'a l'État de veiller au respect de la Loi.


Bien que l'on reconnaisse le droit d'une personne physique ou d'une personne morale à garder confidentielles ses stratégies commerciales, la mise en balance des intérêts en jeu favorise incontestablement l'État. Dans l'arrêt McKinlay, le juge Wilson reconnaît que le ministre « est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner » . Il existe un dernier mécanisme de protection. Ce ne sont pas tous ces documents qui sont nécessairement admissibles et qui peuvent être opposés au contribuable devant un tribunal judiciaire ou dans le cadre d'une autre instance. Ne sont admissibles que les documents qui sont conformes aux règles de la preuve. [Non souligné dans l'original.]

[27]       Je dégage les principes suivants de cette jurisprudence :

i)                     L'assujettissement à l'impôt du contribuable constitue une fin liée à l'administration et à l'application de la Loi.

ii)                    Pour qu'une demande de production de documents soit valide, le ministre n'a pas à démontrer que les dossiers réclamés sont pertinents; il lui suffit de démontrer qu'ils peuvent être pertinents.

iii)                  La pertinence est établie en déterminant si le document réclamé peut aider le ministre à se prononcer sur l'assujettissement à l'impôt du contribuable et non si le document réclamé se rapporte à la question précise qui fait l'objet de l'enquête.


[28]       Il s'ensuit à mon sens que, même si le seul objet des demandes de production était de vérifier s'il y avait eu une opération d'évitement, cela ne porte pas atteinte à la validité des demandes de production. La pertinence par rapport à une question déterminée n'est pas une condition préalable essentielle; il suffit que le document soit utile pour se prononcer sur l'assujettissement à l'impôt du contribuable.

[29]       En l'espèce les demandes de production relatives à la planification fiscale ont été signifiées à un administrateur, un dirigeant ou un mandataire des sociétés faisant l'objet de la vérification et les documents relatifs à la planification fiscale qui étaient réclamés se rapportaient à l'assujettissement à l'impôt de ces sociétés.

[30]       Qui plus est, bien que le critère de l'objet contenu au paragraphe 245(3) de la Loi soit sans conteste un critère objectif, cet état de fait ne diminue pas nécessairement la pertinence des faits à l'origine des opérations en cause ni n'empêche la présentation d'éléments de preuve sur les mobiles de certains actes. Pour appliquer le critère de l'objet, la Cour tient compte de l'ensemble des faits et des circonstances pour discerner l'intention au moment où les opérations en cause ont été effectuées. La Cour peut notamment tenir compte des avantages que quelqu'un peut s'attendre à retirer d'une opération et il peut être utile de comparer le montant de l'avantage fiscal estimé avec les gains commerciaux envisagés (voir, par exemple, les propos tenus par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt OSFC Holdings, précité, au paragraphe 58).


[31]       À titre d'exemple supplémentaire, dans l'affaire Duncan c. Canada [appel interjeté par Water's Edge Village Estates (Phase II) Limited] 2002 CAF 291, pour décider s'il était raisonnable de considérer que les opérations contestées avaient été effectuées principalement dans un but autre que celui d'obtenir un avantage fiscal, la Cour d'appel fédérale a tenu compte du témoignage des contribuables au sujet de leurs mobiles et des conclusions de fait tirées par le juge de première instance au sujet de ces éléments de preuve. La Cour n'a pas exclu ou considéré comme non pertinents ou non admissibles les éléments de preuve en question.

[32]       Je ne suis donc pas convaincu que les renseignements relatifs à la planification fiscale n'ont en soi aucun rapport avec une analyse régulière du paragraphe 245(3). En tout état de cause, même si les renseignements en question sont en fin de compte jugés non pertinents, ainsi que le juge Desjardins l'a signalé au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt AGT Ltd., précité, il existe un dernier mécanisme de protection qui fait en sorte que les documents ne sont pas nécessairement admissibles et opposables au contribuable dans le cadre d'une autre instance.

[33]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée en ce qui a trait aux demandes de production relatives à la planification fiscale.

CONCLUSION

[34]       La demande est accueillie en ce qui concerne les demandes de production relatives à la note de service sur la stratégie de vente et elle est rejetée pour ce qui est des demandes de production relatives à la planification fiscale.


[35]       Pour le cas où ils n'obtiendraient pas gain de cause sur le principal, les demandeurs ont sollicité à titre subsidiaire un jugement déclarant qu'ils ne seront tenus de produire aucun document que la Cour suprême de la Colombie-Britannique déclarera être protégés par le secret professionnel de l'avocat. À mon avis, un tel jugement déclaratoire n'est pas nécessaire. L'avocat du ministre a confirmé que le ministre attendra l'issue de cette instance pour ce qui est des documents pour lequel le privilège du secret professionnel est revendiqué.

[36]       Quant aux dépens de la présente instance, tant les demandeurs que le défendeur les réclament. Comme chacune des parties a en partie obtenu gain de cause puisque certaines demandes de production ont été annulées tandis que d'autres ne l'ont pas été, j'estime qu'il convient que les parties supportent leurs propres dépens. Il n'y a pas d'adjudication de dépens.

                                        ORDONNANCE

[37]       LA COUR :

1.          ANNULE les demandes de production de la note de service sur la stratégie de vente dont il est fait mention dans certaines factures envoyées par le cabinet Fraser & Beatty;

2.          REJETTE la demande dans la mesure où elle concerne les demandes de production relatives à la planification fiscale;


3.          N'ADJUGE aucuns dépens.

          « Eleanor R. Dawson »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-510-02

INTITULÉ :               Fraser Milner Casgrain, s.r.l. et autre c. MRN

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 15 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   le 26 août 2002

COMPARUTIONS :

Mes Gordon Funt                                               POUR LES DEMANDEURS

et Lori Mathison

Me Robert Carvalho                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner Casgrain                                                 POUR LES DEMANDEURS

Vancouver

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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