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     T-2188-88

ENTRE:

     MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DU QUÉBEC

     Demanderesse

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Défenderesse

     MOTIFS DE DÉCISION

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     La demanderesse, la Mutuelle des fonctionnaires du Québec, interjette appel à l'encontre d'une décision du juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt qui rejetait l'appel de la demanderesse relativement à un avis de nouvelle cotisation établi à son égard pour l'année d'imposition 1983. Il s'agit d'un appel de novo.

I.      Les faits

     La demanderesse, la Mutuelle des fonctionnaires du Québec (ci-après " la Mutuelle "), est une entreprise d'assurance qui se spécialise dans l'assurance-collective. Depuis le 1er janvier 1976, la Mutuelle et Assurance-vie Desjardins sont, en vertu d'un contrat-cadre d'assurance-collective, co-assureurs (leur responsabilité en vertu de ce contrat est, respectivement, de 75 % et 25 %). Ce contrat-cadre est intervenu avec la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (ci-après " la Fédération "). Ce contrat fut renouvelé le 1er janvier de chacune des années qui suivirent et ce, dès 1977.

     En 1980, le contrat-cadre fit l'objet d'une refonte. La notion de calcul de crédit de l'expérience et de ristourne en matière de garantie d'assurance-invalidité de longue durée fut alors introduite. Quelques années plus tard, il fit l'objet d'une seconde refonte. Le crédit de ristourne fut toutefois maintenu dans sa forme initiale. Le contrat, tel que refondu au début de l'année 1983, stipule que la ristourne doit être calculée dans les 90 jours qui suivent la fin de la période d'assurance à laquelle elle se rapporte, les années 1983, 1984 et 1985 constituant, selon ce contrat, une seule et même période d'assurance.

     La formule du crédit de ristourne en est une dont l'objet consiste principalement à retourner aux assurés les surplus ou profits réalisés au cours d'une période d'assurance. Suivant l'article 3.1 de l'Annexe I du contrat-cadre1, le surplus correspond au total de primes payées par les assurés et des crédits d'intérêt duquel on soustrait a) le montant des prestations payées, b) le montant de la réserve pour prestations engagées mais non rapportées, c) l'augmentation de la réserve pour prestations en cours de paiement, d) l'augmentation des autres réserves, e) le montant des frais de rétention, et, enfin, f) tout solde de déficit antérieur accumulé. L'excédent constitue un surplus et doit, toujours selon l'article 3.1, être déposé dans un fonds de stabilisation, lequel est défini à l'article 3.10 de l'Annexe. Le fonds de stabilisation ne peut excéder un niveau maximal. Lorsque le fonds de stabilisation atteint son niveau maximal permis, toute somme additionnelle est considérée comme ristourne qui doit être retournée aux assurés. Cette ristourne porte intérêt au taux prescrit dans l'annexe. C'est d'une ristourne de cette nature dont il est question dans le présent appel.

     Pour son exercice financier de 1983, appliquant les principes prévus aux articles 3.1 et 3.10 de l'annexe I du contrat-cadre, la Mutuelle a établi, à titre de dépense, une ristourne de l'ordre de 820 907 $, laquelle, on l'a vu précédemment, représente un montant qui doit être retourné aux assurés. Alors que le montant total de la ristourne était de 1 026 133 $, la Mutuelle, n'étant l'assureur qu'à 75 %, n'en retint, à titre de dépense, que 75 %, soit 820 907 $. Par un avis de cotisation daté du 10 juillet 1985, le Ministre du Revenu National refusa la déduction. La Mutuelle s'opposa à cet avis de cotisation. Le 21 août 1986, un nouvel avis de cotisation était émis, le refus d'accorder la déduction de 820 907 $ étant toutefois maintenu. La Mutuelle en appela à la Cour canadienne de l'impôt.

II.      Les dispositions législatives pertinentes

     La solution au présent litige réside principalement sinon uniquement dans l'interprétation que doit recevoir l'article 140 de la Loi de l'impôt sur le revenu2 (ci-après la " Loi "), lequel s'énonçait, au moment pertinent aux fins des présentes, en ces termes :

         140. Lors du calcul du revenu, pour une année d'imposition, que tire une corporation d'assurance, qu'il s'agisse d'une corporation mutuelle ou d'une compagnie par actions, de l'exploitation d'une entreprise d'assurance autre qu'une entreprise d'assurance-vie, il peut être déduit toute somme relative à cette entreprise, pour l'année, qui a été portée au crédit d'un assuré de la corporation, sous forme de dividende, de remboursement de primes ou de dépôt de prime, si la somme a été, pendant l'année ou dans les 12 mois qui suivent,                 
         a)      payée à l'assuré,                 
         b)      affectée à l'extinction, totale ou partielle, de l'obligation de l'assuré de payer des primes à la corporation, ou                 


         c)      portée au crédit du compte de l'assuré, à des conditions qui lui donnent droit au paiement de cette somme au plus tard à l'expiration ou à la résiliation de la police.                 
III.      La décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt3

     Le juge en chef Couture précisa tout d'abord que, à son avis, il n'est pas contraire à la lettre et à l'esprit de l'article 140 de la Loi que le calcul de la ristourne se fasse dans les 90 jours de la fin de la période d'assurance. Est également conforme à la lettre de l'article 140 de la Loi, le fait qu'une ristourne ait été établie le 31 décembre 1983 nonobstant la clause 3.1 du contrat suivant laquelle les années 1983, 1984 et 1985 ne sont censées constituer qu'une seule et même période d'assurance. Enfin, il n'était pas contraire au texte de l'article 140 de la Loi que la ristourne soit établie non seulement en vertu de la formule prévue au contrat mais aussi en vertu des Règles de l'Institut canadien de l'actuariat. De l'avis du juge en chef Couture, la difficulté pour la demanderesse réside dans la condition qui exige que la somme ait été, dans les 12 mois qui suivent la fin de la période d'assurance payée à l'assuré, affectée à l'extinction de son obligation de payer des primes ou portée à son crédit, à des conditions qui lui donnent droit au paiement de cette somme au plus tard à l'expiration ou à la résiliation de la police. En fait, il se dit d'avis que cette exigence n'a pas été rencontrée :

         La preuve a très bien établi que la somme de 820 907 $ faisait partie du passif de l'appelante et constituait une obligation en vertu du contrat pour l'appelante, mais il n'y aucune preuve à l'effet que cette somme ait été portée au crédit de l'assuré. [...]. Personne de la Fédération a témoigné à l'effet que dans les douze mois qui ont suivi l'année 1983 cette somme avait été soit:                 
         a)      payée à l'assuré;                 
         b)      affectée à l'extinction totale ou partielle de l'obligation de l'assuré de payer des primes à la corporation, ou                 
         c)      portée au crédit du compte de l'assuré, à des conditions qui lui donnent droit au paiement de cette somme au plus tard à l'expiration ou à la résiliation de la police selon l'article 140.         
         (les soulignements sont ceux du juge en chef Couture)                 

     La ristourne n'a pas, dans les 12 mois qui suivirent le 31 décembre 1983, été soit payée à l'assurée, affectée à l'extinction de son obligation de payer des primes ou portée à son crédit. Au contraire, de l'avis du juge en chef Couture, une analyse de la preuve démontre que la ristourne ne fut payée aux assurés qu'en 1986. La demanderesse n'ayant pas démontré qu'elle avait, suivant les termes de l'article 140 de la Loi, droit à la déduction, son appel fut rejeté.

IV.      Les prétentions des parties

     Les prétentions de la partie demanderesse sont les suivantes. Elle précise tout d'abord que la ristourne a été calculée en conformité avec la formule incluse au contrat. Elle ajoute que la somme de 820 907 $ représente sa part de contribution (75 %) à la ristourne. Elle rappelle que, dans l'établissement de ladite ristourne, les Règles de l'Institut canadien de l'actuariat ont été respectées. Elle souligne qu'une telle ristourne doit, aux fins comptables, être considérée comme une dépense et que, partant, elle doit apparaître à la colonne passif des bilans financiers. La ristourne est déterminée, elle porte intérêt, elle est payable à la fin du contrat et les conditions de son paiement sont celles prévues au Code civil du Québec et au contrat.

     Suivant le procureur de la demanderesse, la somme de 820 907$ appartenait au preneur (en tant que représentant de tous les assurés) dès 1983 puisque la preuve démontre de façon non équivoque que, à cette date, la dette lui était due. Une autre interprétation créerait une distorsion puisqu'elle aurait pour effet d'augmenter le revenu de la Mutuelle pour 1983 de 820 907 $ alors que cette somme ne lui appartenait pas. C'est à bon droit que la ristourne, telle qu'établie par les actuaires, fut déduite. Elle le fut conformément aux prescriptions de la Loi.

     Quant à la défenderesse, elle prétend que la somme n'a pas été portée au crédit de l'assuré puisqu'il n'y avait aucune obligation en vertu du contrat de calculer cette somme à chaque année. La preuve au contraire ne fait état que " d'une illustration d'expérience " en 1983. Le calcul de la ristourne ne se fera qu'à la fin de la période d'assurance.

     De plus, le contrat prévoit que les surplus réalisés doivent être déposés dans un fonds de stabilisation. Lorsque ce fonds atteint le niveau maximal, la somme additionnelle sera considérée comme ristourne. On ne pouvait savoir, en 1983, quel serait le montant de la ristourne à la fin de la période d'assurance. Un déficit était même possible à la fin de cette période, lequel aurait alors dû être payé par la demanderesse.

     Il faut donner aux mots " porter au crédit du " compte de l'assuré le sens de " mettre à la disposition de ". Or, il n'existe au dossier aucune preuve à l'effet que, à la fin de l'année 1983, la somme se trouvait effectivement à la disposition de l'assuré.

V.      La question en litige

     Le présent litige porte uniquement sur l'interprétation du paragraphe 140c) de la Loi. La ristourne fut-elle portée au crédit du compte de l'assuré en 1983 ou dans les 12 mois qui suivirent?

VI.      Analyse

     Au moment de déterminer si une somme a été portée au crédit du compte de l'assuré, la demanderesse soutient qu'il faut avoir recours aux principes comptables généralement reconnus. Or, suivant ces mêmes principes, dès lors qu'une somme, parce qu'elle constitue une obligation contractuelle, apparaît à la colonne passif des états financiers, elle doit être considérée comme ayant été portée au crédit du compte de celui à qui elle est destinée.

     L'expression " porter au crédit de " a fait l'objet de quelques décisions rendues par la Cour canadienne de l'impôt.

     Elles font état, à mon avis avec justesse, de la façon suivant laquelle les expressions " porter au crédit " ou " porter au crédit du compte ", doivent être interprétées.

     Une compagnie de finance, lorsqu'elle ajoute mensuellement au compte de l'un de ses clients les intérêts qu'elle lui doit, crédite des sommes au compte de ce client. C'est là ce qui fut décidé dans l'affaire Solomon Hart Green c. Minister of National Revenue4. L'on note ici l'importance du geste positif par lequel des sommes sont mises à la disposition d'une tierce personne.

     La Cour canadienne de l'impôt s'exprima en des termes similaires dans l'affaire La Compagnie Minière Québec Cartier c. Ministre du Revenu National5. Il s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si une somme avait été portée au crédit d'une tierce partie. Le juge Tremblay rejeta expressément l'argumentation qui, en l'espèce, est mise de l'avant par la demanderesse :

         La Cour voit dans un système comptable plutôt une forme pour décrire les transactions commerciales. En parlant de " porter au crédit ", le législateur a-t-il voulu s'attacher à cette forme? N'a-t-il pas voulu plutôt s'attacher à la substance?                 
         La Cour est plutôt enclin à croire cette dernière thèse. Et la substance de " porter au crédit " ou " créditer " semble plutôt être " une opération par laquelle une personne met une somme d'argent à la disposition d'une autre ".                 

     Peut-on, en l'espèce, du seul fait que la somme de 820 907 $ apparaît au passif de la Mutuelle et porte intérêt, conclure que, en 1983, elle se trouvait effectivement à la disposition de l'assuré?

     Je ne le crois pas. Le preneur (pour son assuré) n'avait aucun contrôle sur cette somme en 1983 ou dans les 12 mois qui ont suivi. La preuve révèle que la somme en question n'est qu'une " illustration d'expérience "6. Les témoins de la demanderesse ont confirmé que le montant approximatif pour l'année 1983 était cumulatif avec celui des années subséquentes de sorte que le montant exact de la ristourne ne pouvait être définitivement connu qu'à la fin de la période d'assurance. En fait, il était possible que le montant de la ristourne soit égal à zero si les prestations versées venaient à éliminer le fonds de stabilisation. Le montant estimé en 1983 ne donnera droit au paiement que s'il y a un excédent.

     Comme l'indiquait mon collègue, le juge Noël, dans l'affaire J.L. Guay Ltée c. Minister of National Revenue7 :

         In most tax cases only amounts which can be exactly determined are accepted. This means that ordinarily provisional amounts or estimates are rejected, and it is not recommended that data which is conditional, contingent or uncertain be used in calculating taxable profits.                 

     D'ailleurs, il est admis qu'en cas de déficit au fonds de stabilisation8, c'est la Mutuelle et non le preneur (agissant pour le compte des assurés) qui aurait dû puiser dans ses propres fonds pour honorer ses obligations en vertu du contrat. Je vois difficilement comment, dans une telle situation, on peut affirmer que, dès 1983, la somme avait été créditée au compte de l'assuré.

     Le fait qu'une somme soit incluse au passif comme " provision pour ristourne " n'est pas, per se , un geste positif suffisant pour justifier une conclusion suivant laquelle cette somme a effectivement été portée au crédit du compte de l'assuré.

     Il ne m'apparaît pas nécessaire de m'attarder à la distinction entre le preneur et les assurés puisque la somme n'a, à mon avis, été portée au crédit du compte ni du preneur ni de l'assuré.

     Pour ces motifs, l'appel de la demanderesse est rejeté avec dépens.

OTTAWA (Ontario)

Ce 28e jour de novembre 1996

    

                                 JUGE

__________________

1 Pièce D-1.

2 S.R.C. (1952), ch. 148, telle que modifiée par S.C. 1970-71-72, ch. 63 et par les amendements subséquents.

3 La Mutuelle des fonctionnaires du Québec c. Le Ministre du Revenu National (le 4 août 1988), 89 D.T.C. 504.

4 50 D.T.C. 320.

5 84 D.T.C. 1349, à la p. 1366.

6 Voir les clauses 3.1 à 3.10 de l'annexe I du contrat-cadre (Pièce D-4).

7 71 D.T.C. 5423 (C.F. 1ère instance).

8 témoignage de M. Twedell.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: T-2188-88

INTITULÉ: MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DU QUÉBEC c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE : QUÉBEC, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE : 24 OCTOBRE AU 25 OCTOBRE 1996 MOTIFS DE DÉCISION DU JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU 28 NOVEMBRE 1996

COMPARUTIONS

Me. JACQUES CÔTÉ POUR DEMANDERESSE

Me. ROGER ROY POUR DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jacques Roy POUR DEMANDERESSE HICKSON, MARTIN

BLANCHARD, S.e.n.c. 1170, chemin St-Louis SILLERY, (Québec) GIS lE5

M. George Thomson POUR DÉFENDERESSE Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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