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Date : 20190514


Dossier : IMM-1393-18

Référence : 2019 CF 705

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ALBERMY ALEXIS SALA DEL ROSARIO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Albermy Alexis Sala del Rosario, est né en République dominicaine. Il a déménagé aux États-Unis en 2000 alors qu’il avait 18 ans. En mars 2014, il s’est fait arrêter à Jersey City, au New Jersey, et a été accusé de plusieurs infractions liées au trafic de cocaïne. On lui a proposé un marché : l’abandon des accusations portées contre lui en échange de son aide dans l’arrestation d’autres vendeurs de drogue. Il affirme avoir rempli sa part du marché. Toutefois, il a été reconnu dans la communauté comme étant informateur. On lui a dit que les Latin Kings, un gang de rue portoricain de New York, avait mis sa tête à prix. Les autorités ne l’ont pas aidé. Craignant pour sa vie, s’il allait en prison, le demandeur, en novembre 2015, a violé son cautionnement et s’est envolé pour la République dominicaine. Selon le demandeur, ses ennuis l’ont suivi jusque-là. Des individus suspects passaient constamment devant sa maison en voiture. En septembre 2016, quelqu’un a tiré une balle à travers la porte avant de sa maison. En décembre 2016, un de ses voisins a été tué par balle. Le demandeur affirme qu’il y a eu erreur sur la personne et que c’est lui qui était ciblé.

[2]  Le demandeur est arrivé au Canada en août 2017 dans le but annoncé de visiter son frère pendant une semaine. Toutefois, un rapport a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (LIPR), sur le fondement de l’aveu du demandeur qu’il avait un casier judiciaire aux États-Unis. La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a finalement conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR à cause de ses déclarations de culpabilité aux États-Unis. Le demandeur a été frappé d’une mesure d’expulsion en novembre 2017.

[3]  Le 7 décembre 2017, le demandeur a été avisé qu’il était admissible à une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. La demande a été dûment complétée en février 2018. Le demandeur soutenait que la situation en République dominicaine démontrait qu’il courrait un risque s’il y retournait. Dans une décision datée du 8 mars 2018, un agent principal d’immigration a rejeté la demande.

[4]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il soutient que l’agent d’ERAR aurait dû tenir une audience avant de statuer sur la demande. Il affirme aussi que la décision de l’agent selon laquelle il ne s’exposerait pas à davantage qu’un risque généralisé de violence en République dominicaine est déraisonnable.

[5]  Le demandeur a fourni les éléments de preuve documentaire suivants à l’appui de sa demande d’ERAR :

  • Un rapport de police et des photographies ayant trait aux coups de feu ayant été tirés devant la maison du demandeur en République dominicaine le 11 septembre 2016;

  • Une transcription d’un bulletin de nouvelles concernant un meurtre ayant eu lieu le 25 décembre 2016 à quelques maisons du domicile du demandeur;

  • Les transcriptions d’une vidéo datée du 19 mars 2017 dans laquelle on peut voir des résidents de Boca Chica (le quartier où le demandeur vivait) se plaignant de la violence et des fusillades ayant lieu dans leur quartier. Le demandeur fait partie des personnes interrogées devant la caméra;

  • Un exposé circonstancié non solennel du demandeur;

  • Des éléments de preuve au sujet de la violence liée aux armes à feu et aux gangs en République dominicaine.

[6]  La compilation du matériel nécessaire à l’appui de la demande d’ERAR a comporté des difficultés compréhensibles. Pour finaliser ses observations, l’avocate du demandeur a dû demander le report du délai prévu à plusieurs reprises, ce qui lui a été accordé chaque fois.

[7]  Dans ses observations écrites à l’appui de la demande d’ERAR, l’avocate du demandeur soutenait que [traduction] « le gang du New Jersey avait fait appel à un gang relié en République dominicaine pour tuer [le demandeur] » et que les problèmes du demandeur [traduction] « découlaient de son consentement à coopérer avec la police ». Aucune preuve directe n’a été fournie pour corroborer ces affirmations.

[8]  Le demandeur n’a pas sollicité d’audience.

[9]  L’agent a établi que le demandeur était admissible à une évaluation de sa demande d’ERAR au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. Toutefois, l’agent a concentré son analyse sur l’article 97 de la LIPR. Le demandeur n’a pas donné à penser qu’il s’agissait là d’une erreur.

[10]  L’agent a rejeté la demande pour motif d’insuffisance de preuve. L’agent a notamment conclu qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve » établissant, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents en République dominicaine cités par le demandeur sont [traduction] « directement liés au marché qu’il prétend avoir conclu avec les autorités américaines ». De plus, l’agent a jugé qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve démontrant que les risques auxquels était exposé le demandeur en République dominicaine étaient personnalisés ». L’agent a pris acte du nombre élevés d’actes criminels et de meurtres commandités qui ont lieu en République dominicaine en lien avec des [traduction] « règlements de comptes » liés au trafic de drogue. Toutefois, l’agent a estimé que le demandeur risquait uniquement d’être victime d’activités criminelles généralisées et non de violence personnalisée liée aux gangs. Ayant conclu que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté en raison d’un motif prévu à la Convention énoncé à l’article 96 ou de risques personnalisés au titre de l’article 97, l’agent a rejeté la demande d’ERAR.

[11]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent est fondée sur des conclusions voilées concernant la crédibilité et que, par conséquent, le rejet de sa demande d’ERAR sans qu’une audience ne lui ait été accordée constitue  un manquement à l’équité procédurale. Il n’est pas nécessaire en l’espèce d’entreprendre une analyse élaborée de la norme de contrôle applicable à cette question pour la résoudre. Si l’agent avait tiré des conclusions sur la crédibilité de manière explicite ou implicite, il ne ferait aucun doute que la procédure suivie serait injuste compte tenu des circonstances, notamment du cadre législatif, de la nature des droits fondamentaux en cause et des conséquences de la décision pour le demandeur. Cela s’expliquerait par le fait que le demandeur ne connaissait pas la preuve à réfuter et n’a pas eu la possibilité complète et équitable d’y répondre (Canadian Pacific Railway Company c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 54 et 56; Tekie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 27, au paragraphe 16; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165, aux paragraphes 23 et 24). À mon avis, toutefois, l’agent n’a pas tiré de telles conclusions.

[12]  L’agent semble avoir admis que le demandeur a conclu un marché avec les autorités au New Jersey. La demande d’ERAR a été rejetée parce que selon l’agent, le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents qui se sont produits en République dominicaine étaient liés aux événements survenus au New Jersey plutôt que d’être simplement des occurrences des crimes violents qui sont souvent commis  en République dominicaine en général et plus particulièrement dans le quartier du demandeur.

[13]  Le demandeur affirme avoir été pris pour cible en République dominicaine à cause des événements survenus au  New Jersey, mais la preuve à l’appui de cet argument était loin d’être convaiquante. Par exemple, le demandeur affirme avoir été averti par des collègues de travail et des voisins en République dominicaine que [traduction] « des individus appartenant à un gang de New York » le cherchaient. Néanmoins, il ne donne pas les noms de ces collègues et voisins ni n’explique comment ils ont obtenu ces renseignements essentiels. Dans le même ordre d’idées, le demandeur déclare que [traduction] « la police » en République dominicaine lui a dit que son voisin a été abattu par erreur sur la personne et que c’était lui qui était ciblé. Cependant, le demandeur n’offre rien pour expliquer comment les policiers en sont venus à cette conclusion. Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve suffisants à l’agent d’ERAR (Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913, au paragraphe 6). L’agent a conclu que les liens entre les événements du New Jersey et ceux de la République dominicaine étaient de nature spéculative. Au vu du dossier dont il était saisi, l’agent pouvait tirer  cette conclusion sans avoir à tirer des conclusions défavorables quant  à la crédibilité du demandeur.

[14]  En ce qui concerne la décision de l’agent d’ERAR, il est bien établi qu’elle est susceptible de contrôle selon  la norme de la décision raisonnable (Dhrumu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 172, au paragraphe 17; Reeves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 12, au paragraphe 7; Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 370, au paragraphe 15). La cour de révision doit faire montre de déférence à l’égard de la décision de l’agent. Dans son analyse, la cour de révision s’attardera à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision « aux issus possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)). Ces critères sont satisfaits « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles et acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision doit intervenir uniquement si ces critères ne sont pas satisfaits. Il ne lui revient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qu’elle estime préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

[15]  Je suis convaincu que la décision de l’agent satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. Les motifs sont transparents et intelligibles et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il était notamment raisonnable pour l’agent de conclure qu’en l’absence de preuve suffisante de l’existence d’un lien entre les événements du New Jersey et ceux de la République dominicaine, le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était personnellement à risque comme cela est nécessaire pour déclencher l’application de l’article 97 de la LIPR. Par conséquent, je n’ai aucune raison de modifier la décision en cause en l’espèce.

[16]  Le demandeur a déposé un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, ce qui ajoute en quelque sorte aux renseignements soumis à l’agent d’ERAR. L’avocat du défendeur n’a pas contesté l’admissibilité de l’affidavit, le qualifiant avec justesse de version plus fignolée du dossier du demandeur tel qu’il a été présenté à l’agent d’ERAR. Les renseignements figurant dans l’affidavit ne modifient pas ma conclusion selon laquelle il n’était pas déraisonnable pour l’agent de rejeter la demande d’ERAR au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les événements de la République dominicaine étaient liés à ceux du New Jersey.

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[18]  Finalement, dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur a désigné comme défendeurs le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Dans le contexte du contrôle judiciaire du rejet d’une demande d’ERAR, le défendeur qu’il convient de désigner  est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration puisque c’est lui qui est chargé de l’application de la LIPR relativement à la décision soumise au contrôle judiciaire (voir la LIPR, au paragraphe 4(1) et (2) et les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, à l’alinéa 5(2)b)). Par conséquent, l’intitulé sera modifié afin que  le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ne soit plus désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1393-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié afin le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ne soit plus désigné comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2019.

Jean-François Malo, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1393-18

 

INTITULÉ :

ALBERMY ALEXIS SALA DEL ROSARIO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 novembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 14 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Arlene Rimer

 

pour le demandeur

 

Kareena Wilding

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arlene Rimer

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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