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Date : 20190514


Dossier : IMM‑5223‑18

Référence : 2019 CF 703

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

NAGHMA CLEMENT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Naghma Clement (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 9 juillet 2018 par laquelle un visa de résidente temporaire (VRT) lui a été refusé.

[2]  Nadeem Dean, son frère, a activement pris part à la présente affaire : il a fourni des éléments de preuve et a essentiellement agi pour le compte de sa sœur à titre de plaideur non représenté. Dans une ordonnance datée du 24 avril 2019, le juge Diner l’a autorisé à comparaître au nom de sa sœur à l’audition du contrôle judiciaire du 30 avril suivant, attendu que la demanderesse ne détenait pas de visa valide qui lui aurait permis d’entrer au Canada et de se représenter elle-même.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Naghma Clement, est une citoyenne et résidente du Pakistan. Elle a déclaré qu’elle souhaitait obtenir un VRT pour rendre visite à ses frères et à leurs familles au Canada. Elle souhaite rencontrer sa belle-sœur pour la première fois, puisqu’elle n’a pas pu assister au mariage de M. Dean. Aussi, elle aimerait rendre visite à l’enfant de celui‑ci. Elle est la dernière sœur de la famille, la sœur aînée, Roohi Tariq, étant décédée, et ses frères veulent désespérément qu’elle rencontre leurs familles au Canada.

[4]  Des VRT lui ont déjà été refusés à trois reprises :

  • a) Sa première demande de VRT a été refusée le 11 juin 2015. Rien n’indique qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée à cette occasion;

  • b) Sa deuxième demande de VRT a été refusée le 22 janvier 2017; une demande de contrôle judiciaire a été déposée et accueillie sur consentement, et l’affaire a été renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il la réexamine;

  • c) Après le réexamen, l’agent des visas a refusé la demande de VRT le 10 novembre 2017, et une demande de contrôle judiciaire a alors été déposée. Cette demande a été accueillie sur consentement, mais la Cour a refusé d’imposer un verdict et l’affaire a de nouveau été renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il la réexamine.

[5]  Le 9 juillet 2018, la demande de VRT de la demanderesse a encore une fois été refusée. L’agent des visas (l’agent) a fait les observations suivantes :

  • a) La demanderesse était mariée et avait trois enfants biologiques ainsi que cinq enfants adoptifs;

  • b) Le but de sa visite était de voir sa famille et de rencontrer l’enfant nouveau‑né de son frère;

  • c) La demanderesse travaillait comme enseignante et gagnait un faible revenu annuel de 314 000 roupies pakistanaises (PKR);

  • d) Son époux gagnait 322 000 PKR par an;

  • e) Le revenu annuel du ménage de la demanderesse, rehaussé par des activités de tutorat et des revenus d’intérêts, s’élevait à moins de 1 200 000 PKR, soit environ 13 000 $ canadiens;

  • f) Les épargnes du ménage s’élevaient à 1,5 million PKR et, en octobre 2017, la famille avait économisé plus de 80 000 PKR depuis le début de l’année, ce qui correspondait à moins de 900 $ canadiens.

[6]  L’agent est parvenu à la conclusion suivante : [traduction] « [c]ompte tenu de la preuve soumise et après avoir examiné l’établissement économique [de la demanderesse] dans [son] pays actuel de résidence et de citoyenneté ainsi que [ses] liens sociaux en regard des incitatifs économiques et sociaux qui s’offriraient [à elle] au Canada, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que [son] établissement économique et social à l’extérieur du pays suffise à motiver [son] départ du Canada à la fin de la période de séjour autorisée ». Dans une lettre envoyée à la demanderesse, l’agent affirmait en outre qu’il n’était pas convaincu que le but principal de la demanderesse était d’obtenir un VRT et qu’elle n’avait pas l’intention d’immigrer. La demanderesse s’est vu offrir la possibilité de fournir des documents additionnels pour démontrer ses liens économiques et sociaux à l’extérieur du Canada.

[7]  Après avoir examiné les documents additionnels déposés par la demanderesse le 9 juillet 2018, l’agent a fait remarquer que le revenu familial d’environ 12 607 $ canadiens était faible, et que les économies du ménage, qui s’élevaient à 16 479 $ canadiens, étaient relativement modestes. Il a noté que la demanderesse faisait une maîtrise, qu’elle avait de nombreux parents au Pakistan et qu’elle prétendait vouloir venir au Canada simplement pour rendre visite à son frère, sa belle-sœur et leur fils nouveau‑né. L’agent a néanmoins refusé sa demande de VRT à la lumière des autres éléments de preuve disponibles.

[8]  Nadeem Dean et la demanderesse ont déposé devant la Cour fédérale un certain nombre d’affidavits qui comprenaient de nouveaux éléments dont ne disposait pas l’agent. Au début de l’audience, les parties ont été informées que je ne m’appuierais que sur les renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal (DCT). À ce moment‑là, il a été confirmé qu’il manquait quelques pages au DCT, et je les prendrai en considération. Par ailleurs, j’ai confirmé que je n’examinerais que des arguments portant sur les questions soulevées dans les mémoires des arguments.

III.  Questions à trancher

[9]  Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande de VRT?

  2. Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

IV.  Norme de contrôle

[10]  Dans Hafiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1273 [Hafiz], le juge Favel a estimé que la décision d’un agent des visas de refuser un VRT fait intervenir des questions mixtes de faits et de droit, qui appellent l’application de la norme de la décision raisonnable (Hafiz, au paragraphe 9). Cette norme signifie que le tribunal de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision sous contrôle, pour autant qu’elle soit justifiée, transparente et intelligible et qu’elle corresponde à « l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Car la spécialisation des agents des visas et la nature discrétionnaire de leurs décisions sont telles que la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle contrôle les décisions en question (Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 754, au paragraphe 21).

[11]  S’agissant de l’équité procédurale, la norme de contrôle qui s’impose est celle de la décision correcte (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 et 36). Dans la décision Hafiz, le juge Favel a également déclaré que « l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre » (Hafiz, au paragraphe 25).

V.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande de VRT?

[12]  Le frère de la demanderesse a indiqué que [traduction] « l’agent des visas est parvenu à de nombreuses conclusions injustifiées concernant le cas de [sa] sœur ». D’après les exemples qu’il a fournis, l’agent a cru que sa sœur était sa mère et que deux sœurs mariées, plutôt que deux frères, vivaient au Canada.

[13]  J’estime respectueusement que ces deux exemples concernent des décisions rendues à l’égard de demandes de visa précédentes, et non la décision dont est saisie la Cour. Dans la décision qui nous occupe, l’agent identifie clairement chaque frère vivant au Canada comme étant Qamar et Nadeem, et indique que l’invité est Nadeem, son frère. Pour ce motif, ces observations seront ignorées.

[14]  En outre, d’après la demanderesse, l’agent a commis une erreur lorsqu’il a omis de noter que son revenu familial correspondait à environ 10 fois le revenu par habitant d’un ménage moyen au Pakistan, et il a eu recours à un critère injuste en comparant le revenu de son ménage à un revenu canadien, ce qui est déraisonnable.

[15]  Cet argument tenait en partie à ce que l’agent n’avait pas mentionné que les enfants de la demanderesse bénéficiaient d’une réduction de leurs frais de scolarité, et que les terres agricoles qu’elle possédait leur permettaient de cultiver des produits, si bien que les dépenses familiales étaient inférieures à la norme et que leur revenu s’en trouvait ainsi augmenté.

[16]  La jurisprudence indique clairement qu’il incombe à la demanderesse de fournir tous les éléments de preuve pertinents pour convaincre l’agent que les exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) sont remplies (Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, au paragraphe 16; Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872, au paragraphe 9).

[17]  Comme cela a été signalé à l’audience, l’agent ne disposait d’aucune preuve établissant que le revenu familial de la demanderesse était dix fois plus élevé que le revenu correspondant au Canada, ni de détails indiquant que la famille plantait des cultures dans les terres agricoles et en faisait la récolte, et que leurs dépenses alimentaires étaient donc moindres. Une déclaration figurant dans un exposé circonstancié indique effectivement qu’ils cultivaient des produits, mais elle n’est étayée par aucun autre élément de preuve. Et même en tenant compte de cet élément, le revenu familial combiné doit permettre de subvenir aux besoins de deux parents, de trois enfants biologiques et de cinq enfants adoptifs, et servir à payer les frais de scolarité relatifs à la maîtrise de la demanderesse (pages 125 et 126 du DCT). Il était raisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il s’agissait là d’un faible revenu.

[18]  La demanderesse a fait valoir que, comme l’agent avait été embauché sur place, il connaissait les coutumes pakistanaises et n’avait pas besoin d’autres éléments de preuve. Je ne suis pas d’accord, étant donné qu’il incombe à la demanderesse de fournir les éléments de preuve voulus, ce qu’elle a même eu une occasion supplémentaire de faire lorsque l’agent lui a demandé de soumettre d’autres documents, le 6 janvier 2018. L’agent se trouvait à Abou Dhabi, et l’on ne pouvait s’attendre à ce qu’il connaisse toutes les coutumes propres au Pakistan, malgré ses connaissances spécialisées sur la région.

[19]  Chaque visa est délivré selon la situation particulière d’une famille, et selon les faits qui ressortent de la preuve, et il revient au demandeur de fournir cette preuve. Les agents des visas ne peuvent se voir reprocher de ne pas connaître des documents qui ne leur ont pas été présentés, ou de présumer de la situation d’un demandeur, et ils ne sont certainement pas tenus d’enquêter de manière approfondie sur une demande de VRT. Compte tenu des documents dont disposait l’agent, sa décision quant à l’établissement économique de la demanderesse à l’extérieur du Canada était raisonnable.

[20]  La demanderesse a fait valoir qu’en tenant compte de [traduction] « [ses] liens sociaux en regard des incitatifs économiques et sociaux qui s’offriraient [à elle] au Canada », l’agent rendait presque impossible à quiconque originaire du Pakistan d’obtenir un VRT pour venir au Canada. Toujours selon elle, comme le Canada offrait clairement de meilleurs incitatifs économiques et sociaux qu’un pays en voie de développement comme le Pakistan, il était erroné d’appliquer simplement des normes canadiennes.

[21]  L’agent n’a pas recouru à une norme inatteignable pour les ressortissants pakistanais. Mais il incombait à la demanderesse de le convaincre qu’elle était une visiteuse temporaire de bonne foi. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle pondération des facteurs, et je suis consciente que l’agent des visas jouit d’un pouvoir discrétionnaire que je ne dois contrôler que suivant la norme de la raisonnabilité.

[22]  En l’espèce, la preuve appuyait la conclusion portant qu’au Pakistan, la demanderesse n’était pas établie économiquement à un niveau qui garantirait son retour dans ce pays. L’agent a consigné dans les notes que la demanderesse suivait des études supérieures et qu’elle travaillait; il n’a donc pas ignoré la preuve, mais l’a soupesée par rapport à d’autres facteurs. Un certain nombre d’autres éléments sont aussi entrés en ligne de compte dans le processus décisionnel, comme l’absence d’antécédents de voyage de la demanderesse.

[23]  La demanderesse a ensuite soutenu que l’agent n’avait pas tenu compte du fait qu’elle entretenait d’importants liens sociaux au Pakistan avec son mari et ses enfants, dont aucun ne viendrait au Canada. Toujours selon elle, il était ainsi déraisonnable de la part de l’agent de conclure que ses liens sociaux au Pakistan étaient faibles.

[24]  J’estime, contrairement à cet argument, que l’agent a pris note et tenu compte des membres de la famille de la demanderesse au Pakistan ainsi que de ses parents au Canada. Cependant, il a estimé que ces liens sociaux n’étaient pas de nature à garantir qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour.

[25]  La demanderesse a fait valoir que l’agent aurait dû expliquer pourquoi le présent refus de VRT était différent des deux précédents.

[26]  L’agent n’a pas à donner d’explication, chaque demande de VRT étant tranchée à la lumière des faits et des éléments de preuve qui lui sont propres. Chaque demande de VRT est unique en raison de la durée de la visite et des motivations qui la sous-tendent. Par exemple, une demande de VRT peut être présentée pour pouvoir rendre visite à un parent malade qui réside au Canada. Puis, deux ans plus tard, une autre demande peut être soumise pour pouvoir assister à un congrès professionnel. Il est possible qu’une personne n’ait pas d’enfant lors de sa première demande, mais qu’elle en ait plusieurs à sa demande suivante. Chaque VRT est très individualisé, et requiert un faible degré d’équité procédurale. L’agent n’est pas obligé d’expliquer la différence ou de fournir un résultat intermédiaire en fonction de ses préoccupations (Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 955, au paragraphe 16).

[27]  Par ailleurs, la demanderesse a soutenu que les autres facteurs étaient si positifs que c’était une erreur que de ne pas lui accorder le VRT en cause. Elle a déclaré que ses parents étaient venus au Canada rendre visite à ses frères, qu’ils étaient retournés au Pakistan, et qu’aucun des facteurs négatifs ayant influé sur sa demande de VRT ne semblait être entré en ligne de compte dans leur cas.

[28]  Son frère Nadeem a déclaré qu’il avait même proposé de fournir un cautionnement pour garantir son retour au Pakistan, ce que l’agent n’a même pas mentionné avant de refuser le VRT. D’après lui, ce silence constituait une erreur susceptible de contrôle.

[29]  Je n’ai reçu ni décision jurisprudentielle ni texte législatif indiquant qu’un VRT devrait être accordé en cas de cautionnement. Par ailleurs, lorsque j’ai demandé des observations pour pouvoir déterminer si ce cautionnement était conséquent et aurait dû être noté par l’agent, j’ai été invitée à consulter le paragraphe 13 de l’affidavit de Nadeem Dean daté du 11 octobre 2017 :

[TRADUCTION]

Je donne ma garantie personnelle que Naghma Clement quittera le Canada à la fin de la période autorisée de séjour. Je suis disposé à signer un cautionnement pour son compte.

[30]  La demanderesse a fait valoir qu’il ressortait clairement des affidavits de ses deux frères qu’ils l’invitaient au Canada et qu’ils étaient disposés à subvenir à ses besoins. Dans ses motifs, l’agent n’a pas mentionné chacune des déclarations ou chacun des documents déposés. J’estime que ce n’était pas une erreur de sa part que de ne pas mentionner expressément que l’un des frères avait déclaré être disposé à signer un cautionnement, attendu que cela n’est pas nécessairement prévu dans le contexte d’une demande de VRT.

[31]  Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, pour autant que les motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi le décideur a pris sa décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables, il n’est pas nécessaire que les motifs fassent référence à « tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[32]  Les arguments de la demanderesse concernant ses liens familiaux au Pakistan et au Canada et ses autres relations au Pakistan tiennent tous à une question de pondération. Il ne peut être avancé que l’agent a ignoré des éléments de preuve relatifs aux liens sociaux de la demanderesse au Pakistan. L’agent a plutôt soigneusement tenu compte du fait qu’elle avait une famille de cinq personnes au Pakistan, ainsi que de nombreux autres parents. Malgré cela, il a conclu que le but de son voyage n’était pas convaincant. Une telle décision n’est susceptible de contrôle que si elle manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[33]  En somme, la demanderesse demande à la Cour de procéder à une nouvelle pondération de la preuve, mais tel n’est pas le rôle de la Cour saisie du contrôle judiciaire (Khosa, au paragraphe 61; Pei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 391, au paragraphe 14). Il incombait à la demanderesse de prouver qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour demandée. Elle n’a pas convaincu l’agent qu’elle le ferait.

B.  Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

[34]  La plupart des arguments soulevés par la demanderesse au sujet de l’équité procédurale ne concernent pas l’équité procédurale, et ils ont déjà été examinés.

[35]  Comme je l’ai déjà indiqué, le degré d’équité procédurale requis dans le cadre d’une demande de VRT est très faible, et en l’espèce, l’agent est allé au‑delà de ce qui était nécessaire en accordant à la demanderesse sept jours pour qu’elle dépose des documents additionnels et dissipe l’une de ses préoccupations.

[36]  L’équité procédurale exige aussi que les décisions soient prises sans susciter de crainte raisonnable de partialité (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 45).

[37]  La demanderesse a déclaré que l’observation de l’agent portant qu’elle était chrétienne dans un pays à majorité musulmane, et qu’elle enseignait dans une école chrétienne, suscitait une crainte raisonnable de partialité. Selon elle, il a commis une grave erreur en invoquant sa religion comme facteur décisif pour refuser sa demande de VRT. La demanderesse a déclaré qu’[traduction] « [elle était] choquée de voir que l’agent des visas [l’]identifi[ait] comme "chrétienne". La religion d’un demandeur ou le fait qu’il n’en pratique aucune devrait être dépourvu de pertinence dans le cadre d’une demande de VRT ».

[38]  La demanderesse a par ailleurs affirmé que son frère [traduction] « était extrêmement blessé ». Les commentaires en question, a-t-elle soutenu, révèlent que l’agent avait un parti pris contre le fait qu’elle soit chrétienne. Elle a affirmé que sa religion était sans pertinence, dans la mesure où elle n’était pas mentionnée à l’article 179 du Règlement, et que cette généralisation à l’emporte-pièce allait à l’encontre des indications figurant à la section 5.10 du document intitulé « OP11 Résidents temporaires ».

[39]  La demanderesse a allégué avoir subi un traitement discriminatoire, en contravention de l’alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6.

[40]  Par ailleurs, elle a fait valoir qu’il n’était pas évident qu’elle était chrétienne, qu’il ne s’agissait pas d’un facteur qu’elle avait inscrit sur sa demande et qu’il n’aurait donc pas dû être relevé.

[41]  Premièrement, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il n’était pas évident qu’elle était chrétienne. L’en-tête de tous les documents déposés concernant son emploi d’enseignante indiquait que l’école où elle travaillait était la Cathedral Higher Secondary School, dont le président est l’évêque de Lahore (pages 77 et 92 du DCT); le certificat de mariage indiquait qu’elle s’était mariée à la St. Francis Church, et qu’un prêtre était l’officiant; le registre de mariage était conservé à la Catholic Mission Station de la St. Francis Church (page 78 du DCT). Qui plus est, dans un exposé circonstancié qu’elle avait fourni, la demanderesse déclarait : [traduction] « Nous remercions le Seigneur Jésus-Christ de continuer à subvenir aux besoins de notre famille » (page 27 du DCT). Puis, à la page 96 du DCT, elle affirmait elle-même s’être mariée dans une église catholique.

[42]  Par ailleurs, la déclaration faite dans les notes n’est à mon avis rien d’autre qu’un énoncé factuel, tout comme il est noté qu’elle a trois enfants naturels et cinq enfants adoptifs. Il s’agit uniquement d’un fait, qui n’est pas entré en ligne de compte dans l’analyse de l’agent ou dans ses motifs, comme l’atteste le DCT.

[43]  La formulation moderne du critère relatif à la crainte raisonnable de partialité trouve son origine dans l’opinion dissidente formulée par le juge Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al c l’Office national de l’énergie et coll., 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 : la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Les propos de la Cour suprême ont été adoptés par la Cour d’appel fédérale, qui a décrété que le critère consistait à se demander à quelle conclusion en arriverait une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Patanguli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, au paragraphe 49).

[44]  Or, aucune personne informée qui étudierait la question de façon réaliste ne conclurait que la mention portant que la demanderesse est chrétienne constitue une discrimination religieuse, compte tenu de la conclusion subséquente selon laquelle elle aurait de bonnes raisons de rester au Canada.

VI.  Conclusion

[45]  Je ne peux garantir que j’aurais tranché cette demande de VRT de la même façon, mais je peux en revanche affirmer que, sur un continuum ou un spectre de décisions, la décision en cause était raisonnable, transparente et intelligible. Pour ce motif, je rejette la présente demande, malgré les excellents arguments oraux du frère de la demanderesse. Bien entendu, la présente décision n’empêche en rien cette dernière de présenter une future demande de VRT.

[46]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII.  Dépens

[47]  Le frère de la demanderesse a sollicité les dépens en indiquant que sa participation à l’audience et la préparation des documents s’étaient avérées coûteuses. Il a aussi signalé l’énorme coût émotionnel qu’il a dû assumer en plaidant la présente affaire.

[48]  La demanderesse n’a pas eu gain de cause; elle ne se verra donc pas adjuger les dépens. Le défendeur n’a sollicité aucuns dépens, puisque l’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, prévoit que les dépens ne sont adjugés que dans des circonstances spéciales.

VIII.  Question certifiée

[49]  La demanderesse a soumis la question certifiée suivante : Est‑il acceptable que l’agent des visas prête attention à la religion du demandeur?

[50]  La décision rendue à l’issue du contrôle judiciaire d’une affaire en immigration ne peut être portée en appel que si une question est certifiée. L’alinéa 74d) de la LIPR dispose qu’un appel ne peut être interjeté que si le juge « certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci ».

[51]  Au reste, la common law précise qu’une question certifiée doit remplir un certain nombre d’exigences. Elle doit ainsi :

  • 1) être de portée générale. Cela signifie qu’elle « transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Liyanagamage c Canada (MCI) (1994), 176 NR 4 (CAF), au paragraphe 4);

  • 2) permettre de régler l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11);

  • 3) avoir été soulevée devant la Cour fédérale, et celle‑ci doit s’être prononcée sur sa certification (Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 4).

[52]  Une question certifiée de portée générale est une question de droit, car les faits sont propres aux parties (Dotsenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 258 NR 131, 2000 CarswellNat 1515 (CAF), aux paragraphes 6 et 7).

[53]  Cette question ne sera pas certifiée, attendu qu’elle se rapporte aux faits de la présente affaire. Il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale qui transcende les intérêts des parties immédiates et qui aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5223‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juin 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5223‑18

 

INTITULÉ :

NAGHMA CLEMENT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Nadeem Dean

POUR LE COMPTE DE LA demanderesse

 

Taylor G. Andreas

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

 

 

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