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Date : 20190513


Dossier : IMM-3889-18

Référence : 2019 CF 665

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

NADIA SAID MOHAMOUD

(alias NADIA MOHAMOUD SAID)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Nadia Said Mohamoud (alias Nadia Mohamoud Said), affirme qu’elle est une femme de 21 ans faisant partie du clan des madibhan et qu’elle craint de retourner en Somalie à cause du risque auquel elle est exposée aux mains d’Al Chabaab. Elle est arrivée au Canada en mai 2017 et, quatre semaines plus tard, a demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), qui s’est prononcée sur les questions déterminantes de l’identité et de la crédibilité, a rejeté sa demande en août 2017.

[2]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. La SAR a rejeté l’appel dans une décision rendue le 17 juillet 2018 et, en vertu de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), a confirmé la décision de la SPR. La demanderesse sollicite donc un contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire devant un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

I.  Contexte

[3]  Dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile (le formulaire), la demanderesse a indiqué qu’elle travaillait seule dans la boutique de thé de sa famille lorsqu’un membre d’Al Chabaab l’a abordée et a exigé qu’elle l’épouse. La SAR a résumé comme suit le témoignage de la demanderesse à cet égard :  

[28]  […] l’homme d’Al Chabaab l’avait abordée et avait exigé qu’elle l’épouse le 13 décembre 2016. Elle a également témoigné que le [traduction] « même jour », l’homme d’Al Chabaab était allé voir son père et avait exigé de l’épouser. Elle est par la suite revenue sur son témoignage, déclarant que l’homme d’Al Chabaab était revenu [traduction] « deux jours plus tard » pour faire sa demande auprès de son père. Enfin, dans son témoignage, l’appelante a raconté que l’homme s’était présenté au lieu de travail de son père pour faire sa demande. Pourtant, il ressort clairement de l’exposé circonstancié que l’homme s’est plutôt présenté à la résidence familiale. Priée de fournir des éclaircissements, l’appelante a continué de se montrer très incertaine des dates, de la chronologie et des lieux où se sont produits les incidents clés qui auraient mené à la mort de son père et qui l’auraient poussée à fuir la Somalie. Pour toute explication, l’appelante a répondu qu’elle s’était [traduction] « embrouillée » dans les dates de ces incidents et que c’était son témoignage qui était exact et non son exposé circonstancié : c’est-à-dire que les hommes d’Al Chabaab s’étaient présentés dans la boutique de son père et non chez elle, comme elle l’a affirmé dans son exposé circonstancié.

[4]  Dans le dossier, les croyances et pratiques religieuses de la demanderesse ne sont pas clairement indiquées. Dans la version initiale et la version modifiée de son formulaire, l’appelante s’est définie comme une musulmane sunnite appartenant à la secte soufie connue sous le nom de Qadiro. À l’audience de la SPR, elle s’est à nouveau définie comme musulmane sunnite, mais elle a affirmé qu’elle appartient à la branche chiite de l’islam. Son récit concernant son arrivée au Canada comporte également des incohérences. Dans sa déclaration d’antécédents, la demanderesse a indiqué qu’elle était arrivée au Canada avec Farhia Ali munie d’un faux passeport canadien (qu’elle n’a pas conservé) en se faisant passer pour sa fille. Elle a versé une somme de 8 500 $ US à un passeur.

[5]  Pour prouver son identité, la demanderesse a expliqué qu’elle ne possédait pas de passeport, car la Somalie n’en délivrait pas. Sans passeport, la demanderesse a transmis à la SPR deux lettres rédigées par des groupes communautaires somaliens au Canada, à savoir le centre multiservice somalien Dejinta Beesha (le centre Dejinta Beesha) et les services communautaires Midaynta. Ces lettres mentionnaient que la demanderesse était probablement somalienne. La demanderesse a également soumis deux affidavits : un de sa mère et l’autre d’une connaissance du temps de son enfance. 

[6]  La demanderesse a présenté un nouvel élément de preuve à la SAR, soit un article de presse, daté du 16 octobre 2017, au sujet d’un attentat à la bombe survenu à Mogadiscio et perpétré par Al Chabaab. La SAR a cité le sous-alinéa 3(3)g)(iii), selon lequel un demandeur doit expliquer la façon dont les éléments de preuve documentaire sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Comme la demanderesse n’a pas expliqué en quoi cet article devait être admis en preuve, la SAR a indiqué qu’elle n’était pas disposée à admettre l’article à titre de nouvel élément de preuve. Elle s’est néanmoins penchée sur l’article et a constaté qu’il contenait de l’information dont disposait la SPR dans le cartable national de documentation (le CND) au sujet des attaques sporadiques perpétrées par Al Chabaab à Mogadiscio.  

[7]  La SAR a ensuite examiné le bien-fondé de l’appel. Elle a noté que, même si la SPR avait eu tort de ne pas expliciter les motifs l’ayant amenée à conclure que la preuve du témoin n’était pas convaincante, cette erreur n’était pas déterminante. En effet, la SAR pouvait traiter l’erreur à partir des éléments de preuve au dossier.

[8]  En ce qui a trait à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la SPR avait commis une erreur en omettant de citer une source pour confirmer que des passeports somaliens sont délivrés à Mogadiscio depuis 2015 au moins, la SAR a noté que la demanderesse avait attiré l’attention sur un point du CND, où il est indiqué qu’il n’y a pas d’autorités civiles compétentes en Somalie reconnues responsables de la délivrance de documents d’état civil. La SAR a privilégié un point plus récent du CND, qui établit que le gouvernement de la Somalie délivre des passeports biométriques depuis décembre 2013. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il incombait à la demanderesse de témoigner des efforts qu’elle avait déployés pour obtenir des pièces d’identité, et il était loisible à la SPR de rejeter l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas tenté d’obtenir un passeport puisque la Somalie n’en délivre pas. 

[9]  La SAR a rejeté l’argument de la demanderesse que la SPR avait écarté les documents secondaires qu’elle avait produits pour établir son identité. Selon la SAR, il ressort clairement de la lecture de la décision de la SPR que cette dernière avait tenu compte de chacun de ces documents secondaires, mais qu’elle avait conclu qu’ils étaient cumulativement insuffisants pour ce qui était d’établir l’identité personnelle et nationale de la demanderesse dans la mesure où ils ne faisaient pas le poids contre les importantes préoccupations rattachées à la crédibilité du témoignage de la demanderesse.

[10]  La SAR a accordé peu de poids aux lettres du centre Dejinta Beesha et des services communautaires Midaynta pour ce qui est d’établir l’identité de la demanderesse. Selon la SAR, ces lettres ne sauraient témoigner que de l’origine somalienne de la demanderesse, mais pas de son identité personnelle ni de sa citoyenneté. En effet, il y a des personnes d’origine ethnique somalienne ou de descendance somalienne partout dans le monde, et le fait de parler somali ne permet pas d’établir la citoyenneté somalienne d’une personne. La SAR a fait remarquer que les lettres comportaient des erreurs, par exemple des incohérences concernant l’appartenance de la demanderesse à un clan et son année de naissance. La lettre des services communautaires Midaynta cadrait avec la version modifiée du formulaire de la demanderesse, mais pas avec la façon dont elle se serait présentée lors de l’entretien avec le centre Dejinta Beesha ni avec ce qu’elle a déclaré dans la version initiale de son formulaire. En l’absence de tout témoignage crédible et fiable de la part de la demanderesse, la SAR a donc conclu que cette lettre ne confirmait pas son identité. 

[11]  En ce qui concerne l’affidavit de la mère de la demanderesse, la SAR a fait remarquer que la SPR lui avait accordé peu de poids en raison d’incohérences entre l’affidavit et le témoignage de la demanderesse sur la question de savoir si la famille avait quitté la Somalie et s’était [traduction] « envolée » vers le Kenya ou si elle avait pris un autobus, et sur la question de savoir si la famille avait cherché à obtenir l’asile politique au Kenya ou pas. La SAR a souligné l’argument de la demanderesse selon lequel l’utilisation du mot [traduction] « envolée » n’était pas incohérente par rapport à son témoignage, puisque sa mère avait peut-être voulu dire qu’ils s’étaient [traduction] « enfuis ». La SAR a conclu que, même si elle admettait qu’il s’agit d’une soi-disant erreur linguistique, il lui était néanmoins impossible de conclure que l’affidavit faisait le poids contre l’absence de témoignage crédible de la part de la demanderesse. Il lui était également impossible de conclure qu’en s’appuyant seulement sur l’affidavit, la demanderesse avait établi son identité.

[12]  Pour ce qui est de l’affidavit de la sœur aînée de l’une des amies et voisines de la demanderesse en Somalie, la SAR a indiqué que la SPR avait conclu que cette preuve était incohérente, manquait de détails, était peu convaincante et n’avait pas suffisamment de poids pour établir l’identité de la demanderesse en l’absence de tout témoignage crédible de sa part. La SAR a tenu compte de la prétention de la demanderesse selon laquelle la SPR n’avait pas expliqué en quoi cet affidavit n’était pas convaincant. Toutefois, par suite de l’examen par la SAR du témoignage de la demanderesse et de cet affidavit, la SAR a ultimement souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle l’affidavit n’était pas convaincant pour ce qui est d’établir l’identité de la demanderesse.

[13]  La SAR a ensuite examiné le témoignage de vive voix de la demanderesse concernant ses pratiques religieuses et a conclu à l’existence d’incohérences quant à savoir si elle était une musulmane sunnite ou chiite. La SAR a également souligné que la demanderesse n’avait pas mentionné appartenir à la secte soufie dans son témoignage, même si elle fondait sa demande d’asile en partie sur ce fait. La SAR a jugé préoccupant que la demanderesse se soit présentée comme appartenant au clan des yibir lors de l’entretien avec le centre Dejinta Beesha, avant de modifier son formulaire pour y indiquer qu’elle appartient au clan des madibhan, et qu’elle se soit par la suite identifiée comme appartenant au clan des madibhan à l’entretien avec les services communautaires Midaynta. La SAR a conclu qu’il s’agissait là d’une incohérence importante qui a miné la crédibilité de la demanderesse quant à la personne qu’elle prétend être et quant au fondement de sa demande d’asile.

[14]  La SAR a estimé que, pendant son témoignage, la demanderesse était incohérente au sujet des dates, de la chronologie et des lieux où se sont produits les incidents clés ayant mené à la mort de son père et l’ayant poussée à fuir la Somalie. Lorsque ces incohérences lui ont été signalées, elle n’a pas pu les expliquer. La SAR a convenu avec la SPR que ces incohérences n’ont pas été expliquées de manière convaincante par la demanderesse et qu’elles ont miné gravement sa crédibilité générale ainsi que la crédibilité du fondement de sa demande d’asile. La SAR a indiqué que la décision de la SPR ne reposait pas entièrement sur des questions de présentation tardive et de recours à de faux documents ou à des documents frauduleux pour entrer au Canada. Bien que ces questions puissent être des indices que la demanderesse ne craint pas subjectivement de subir un préjudice et puissent miner la crédibilité de cette dernière, la SAR a conclu que la SPR n’avait commis aucune erreur en se servant de ces faits dans le cadre d’une analyse globale de la crédibilité.

[15]  Dans l’ensemble, à la lumière de son analyse indépendante, la SAR a conclu que l’absence d’un témoignage clair de la part de la demanderesse sur son identité religieuse, son appartenance à un clan ainsi que ses allégations selon lesquelles elle aurait été ciblée par Al Chabaab en vue d’un mariage étaient suffisantes pour réfuter la présomption de véracité.

[16]  En guise de conclusion à ses motifs, la SAR a conclu que les autres arguments de la demanderesse à l’égard des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (les Directives) ainsi que les commentaires de la SPR au sujet du caractère répandu des documents frauduleux en Somalie n’étaient pas déterminants.

II.  Observations des parties

A.  La demanderesse

[17]  Selon la demanderesse, la SAR lui a reproché à tort de ne pas avoir présenté un passeport somalien et n’a pas tenu compte de la preuve qui contredisait sa conclusion quant au moment où le gouvernement de la Somalie avait commencé à délivrer des passeports. Selon la demanderesse, la SAR n’a pas appliqué la preuve à sa situation, en ce sens que, pour obtenir un passeport, la majorité des sources dans le CND indique que la demande doit se faire en personne et que le processus peut être long et difficile.

[18]  La demanderesse soutient que la SAR n’a pas correctement ou convenablement évalué le poids des lettres du centre Dejinta Beesha et des services communautaires Midaynta. Selon elle, l’incohérence relative à l’appartenance à un clan entre les deux lettres est mineure, puisque sa demande d’asile n’est pas fondée sur son appartenance au clan des madibhan ou à celui des yibir, qui sont tous deux des clans minoritaires.

[19]  Selon la demanderesse, le fait pour la SAR de se concentrer sur les incohérences de son témoignage au sujet de la demande en mariage et du décès ultérieur de son père découle de la culture occidentale. La demanderesse souligne qu’elle vivait dans une société où l’on ne tient pas compte des dates et des heures comparativement aux sociétés occidentales. La demanderesse affirme que la SAR s’est montrée insensible aux différences sociales et culturelles dans l’appréciation de son témoignage concernant le moment où le membre d’Al Chabaab les a abordés, son père et elle. De plus, comme les dates ne diffèrent que de deux jours, il ne s’agit pas d’un écart suffisamment important pour douter du témoignage sous serment de la demanderesse.

[20]  Selon la demanderesse, le refus de marier un membre d’Al Chabaab constitue un argument fondé sur le sexe. La demanderesse affirme que la SAR aurait dû tenir compte des Directives et les appliquer à son témoignage concernant les dates auxquelles le membre d’Al Chabaab les a abordés, son père et elle, car, à ces dates, des incidents traumatisants s’apparentant à un viol se sont produits.

B.  Le défendeur

[21]  Le défendeur affirme que la SAR pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse aurait pu obtenir un passeport somalien, compte tenu de la preuve documentaire indiquant que des passeports sont délivrés en Somalie depuis au moins décembre 2013. Selon le défendeur, il était également raisonnable pour la SAR de conclure que la preuve secondaire de la demanderesse n’était pas convaincante. 

[22]  Selon le défendeur, il était raisonnable pour la SAR de soulever d’importantes et pertinentes préoccupations en matière de crédibilité, notamment des incohérences concernant la preuve et les allégations de la demanderesse. Le défendeur souligne les incohérences suivantes : i) dans son formulaire, la demanderesse a indiqué qu’elle était une musulmane sunnite, mais, dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle était une musulmane chiite; ii) dans la version initiale de son formulaire, elle a indiqué qu’elle appartenait au clan minoritaire des yibir, alors que dans la version modifiée de son formulaire, elle a affirmé qu’elle appartenait au clan des madibhan; iii) son récit sur la manière dont elle a quitté la Somalie était incohérent; et iv) elle n’avait pas de crainte subjective, puisqu’elle n’avait pas demandé l’asile à la première occasion.  

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[23]  La norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

[24]  Selon cette norme, la Cour doit examiner une décision administrative en s’intéressant à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont satisfaits si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[25]  Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ». Il ne « rentre [pas non plus] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009, CSC 12, aux paragraphes 59 et 61.

B.  La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[26]  Je suis d’accord avec la demanderesse que la SAR lui a reproché à tort de ne pas avoir présenté un passeport somalien et qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve qui contredisait sa conclusion quant au moment où le gouvernement de la Somalie avait commencé à délivrer des passeports. La SAR a conclu que la demanderesse aurait dû être en mesure d’obtenir un passeport somalien et n’a pas accepté son explication selon laquelle aucun passeport n’était délivré. La preuve documentaire à laquelle la SAR a fait référence pour conclure que des passeports sont délivrés depuis décembre 2013 ne tient pas compte d’éléments de preuve contradictoires démontrant la difficulté d’obtenir un passeport somalien et le moment où ils ont commencé à être délivrés.

[27]  Selon la preuve documentaire, même si des passeports sont délivrés en Somalie, ils sont difficiles à obtenir. La SAR a indiqué qu’il était possible de se procurer un passeport sans tenir compte de la preuve documentaire indiquant que la demanderesse pouvait avoir à : i) payer des droits; ii) attendre de recevoir un passeport à Mogadiscio pendant près d’un mois; iii) présenter une carte d’identité et un certificat de naissance, malgré le fait que, selon la preuve documentaire, la plupart des certificats de naissance ont été détruits pendant la guerre civile et que nombreuses sont les personnes qui n’en ont jamais eu un; et iv) faire l’objet d’une vérification des antécédents criminels. Même si d’autres éléments de preuve documentaire dans le CND semblent indiquer des seuils moins élevés, par exemple une période d’attente de seulement une semaine, selon moi, il incombait à la SAR d’expliquer pourquoi elle avait écarté ces éléments de preuve. La seule raison de la SAR à cet égard était qu’elle avait choisi la plus récente preuve documentaire, ce qui n’était pas exact sur le plan des faits, puisqu’il y avait des renseignements plus récents dans le CND au sujet de la délivrance des passeports.

[28]  Dans le cas de la demanderesse, il lui était peut-être impossible d’obtenir un passeport pour diverses raisons : i) elle est arrivée au Canada avec seulement 300 $ en argent comptant et avait eu à verser une somme de 8 500 $ US à un passeur, de sorte qu’elle aurait eu peu d’argent pour payer les droits exigés pour un passeport; ii) elle a quitté la Somalie moins d’un mois après le décès de son père et il était nécessaire d’attendre un passeport à Mogadiscio pendant près d’un mois; iii) elle ne possédait aucune pièce d’identité, ce qui semble obligatoire pour obtenir un passeport; et iv) une vérification des antécédents criminels aurait été exigée. Selon moi, la SAR a eu tort de reprocher à la demanderesse de ne pas avoir présenté un passeport somalien et de ne pas avoir tenu compte de la preuve qui contredisait sa conclusion quant au moment où le gouvernement de la Somalie avait commencé à délivrer des passeports.

[29]  La conclusion déraisonnable de la SAR concernant la délivrance de passeports somaliens ne rend cependant pas déraisonnable l’ensemble de sa décision lorsqu’elle est considérée « comme un tout » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54).

[30]  En l’espèce, la pierre angulaire de la décision de la SAR était la crédibilité de la demanderesse. La SAR a relevé diverses incohérences dans le témoignage et le dossier de preuve de la demanderesse, dont son appartenance à un clan, qui ont été mal expliquées ou dont l’explication n’a pas été acceptée. La prétention de la demanderesse que son appartenance à un clan n’était pas déterminante dans l’issue de sa demande d’asile ne tient pas compte du fait qu’il ne s’agissait que d’une incohérence parmi plusieurs autres qui ont amené la SAR à conclure à un manque général de crédibilité. Même si l’appartenance de la demanderesse à un clan avait été précisée dans la version modifiée de son formulaire et correspondait à son témoignage, il était raisonnable pour la SAR, compte tenu de cette incohérence, d’accorder peu de poids aux lettres du centre Dejinta Beesha et des services communautaires Midaynta. Selon moi, la SAR a également apprécié de façon raisonnable les autres documents secondaires, à savoir les affidavits de la mère de la demanderesse et de la sœur aînée d’une des amies de la demanderesse. Considérée dans son ensemble, la preuve dont disposait la SAR était telle qu’il était raisonnable de rejeter l’appel de la demanderesse.

IV.  Conclusion

[31]  La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée. La SAR a raisonnablement apprécié la preuve et le témoignage de la demanderesse de façon transparente, justifiable et intelligible, et sa décision constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. 

[32]  Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale; aucune question de cette nature n’est donc certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3889-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2019.

Sophie Reid-Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3889-18

 

INTITULÉ :

NADIA SAID MOHAMOUD, (alias NADIA MOHAMOUD SAID) c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 13 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

John A. Salam

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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